Astoria n’avait jamais vraiment aimé Noël avant d’entrer à Poudlard. Cela avait d’ailleurs continué les premières années. Elle se souvenait parfaitement de ce Noël à l’occasion duquel elle était rentrée chez elle, lors de sa toute première année à Poudlard. Elle savait que ses parents avaient été déçu de sa répartition à Poufsouffle, qu’ils auraient souhaité qu’elle suive la voie toute tracée par sa si parfaite grande sœur Daphné. Mais elle n’avait pas réalisé à quel point ses parents lui en voulaient. Ce n’était pas de la déception qu’elle avait vu dans leur regard, sur le quai de la gare. C’était de la colère, du mépris, et même de la haine.
Elle avait passé le pire Noël de toute sa vie. Ses parents ne lui accordaient pas une parole, un geste d’affection, tout était pour Daphné. Oh, elle avait l’habitude que sa grande sœur récolte tout et qu’il ne reste pour elle que des miettes, mais cette année-là il n’y en avait pas même eu, des miettes. Tout comme les cadeaux de Noël.
Par la suite, elle avait décidé de rester à Poudlard toute l’année, ne rentrant plus que pour les vacances d’été, et à contrecœur. Elle savait qu’en faisant cela, elle s’éloignait encore un peu plus de sa famille, mais elle avait abandonné depuis très longtemps l’idée de faire un jour la fierté de ses parents. De toute façon, elle avait toujours fui les problèmes. Elle était même persuadée que c’était pour cela, que le Choixpeau l’avait envoyé à Poufsouffle avant qu’elle n’ait eu le temps de lui demander Serpentard.
Et pourtant…
-Astoria, tu n’aurais pas vu mon livre de Sortilèges ? lui demanda la voix angoissée de Billie, la tirant momentanément de ses pensées.
-La dernière fois que je t’ai vu avec c’était à la bibliothèque, répondit-elle en regardant son amie.
-Et mince, je viens juste d’en revenir en plus…
-Laisse, je vais aller le chercher, dit Astoria.
Et joignant le geste à la parole, elle s’extirpa du fauteuil dans lequel elle était lovée depuis une bonne heure déjà, regardant la neige tomber par la fenêtre ensorcelée de la salle commune.
-Tu es sûre ? lui demanda Billie. Tu sais, je peux y retourner.
-J’ai besoin de marcher, un peu. Et puis j’ai un livre à rendre en plus.
Elle adressa un petit sourire à son amie avant de s’en aller aussi rapidement que possible, sachant bien que Billie n’était pas dupe. Elle avait trop l’habitude de voir Astoria devenir mélancolique à l’approche de Noël pour croire à son excuse, d’autant plus que ce Noël-ci serait extrêmement particulier. Mais Astoria n’avait pas envie d’en parler.
Lorsqu’elle pénétra dans la bibliothèque, un sentiment d’apaisement l’assaillit presqu’immédiatement. Elle avait toujours aimé cet endroit. Non pas qu’elle soit une élève extraordinaire -elle était surtout travailleuse et volontaire-, mais parce qu’elle avait l’impression d’être de retour à la maison, lorsqu’elle arpentait les allées assombries par la hauteur des étagères en bois de chêne. A la maison, dans la grande bibliothèque familiale, où elle et Daphné pouvaient jouer pendant des heures à cache-cache lorsqu’elles étaient petites. Lorsque Daphné était encore accessible. Lorsque Daphné était encore son amie. Lorsque Daphné était encore vivante.
Secouant la tête pour chasser le souvenir de sa sœur, Astoria ne se rendit pas compte que la table à laquelle elle avait l’habitude de s’asseoir pour feuilleter pendant des heures de vieux ouvrages était occupée. Peut-être parce qu’il n’y avait qu’une seule personne et qu’elle se faisait si discrète qu’elle ne la remarqua pas immédiatement. Mais lorsque cette personne leva vers elle des yeux surpris, elle sentit le rouge lui monter aux joues et s’empressa de rassembler ses affaires qu’elle avait déjà étalées autour d’elle.
-Pardon, bafouilla-t-elle. Je n’avais pas vu que… enfin, je m’en vais. Pardon, répéta-t-elle une fois encore.
-T’es la sœur de Daphné ? lui demanda la personne en face d’elle.
Astoria se figea. Le bras qu’elle avait tendu pour attraper ses notes de Métamorphoses resta suspendu dans le vide et elle pencha légèrement sa tête en avant, pour que quelques mèches de cheveux viennent couvrir ses yeux qui avaient commencé à la picoter dès que le nom de Daphné avait été prononcé.
-Oui, finit-elle pas dire. Enfin, j’étais est le terme plus exact.
-Oh…
La jeune fille releva doucement la tête. Visiblement, son interlocuteur n’avait pas l’air d’être au courant de ce qui était arrivé à Daphné. Ce qui était assez étonnant étant donné qu’ils étaient dans le même camp, tous les deux.
-Je ne savais pas. Je pensais juste qu’elle ne voulait pas revenir à Poudlard.
-Pourtant tu étais là il me semble, lors de la bataille ? demanda Astoria d’un ton qui se voulait dur.
En réalité, elle n’avait jamais eu assez d’assurance, assez de confiance en elle, elle n’avait jamais su se comporter comme il le fallait en présence d’autrui. Elle n’avait jamais été Daphné.
-Ouais. J’étais là, ouais.
Le visage de Drago Malefoy s’était assombri mais pour autant, il ne jeta pas à Astoria le regard froid auquel elle s’attendait.
Il l’avait toujours méprisé, pourtant. Il faisait partie de ces Serpentard qui se moquaient d’elle parfois, dans les couloirs, surtout lors de sa première année, lui faisant des remarques sur sa répartition avant de la comparer à sa sœur. Elle n’avait qu’à fermer les yeux pour le revoir, lui et d’autres Serpentard plus âgés, s’exclamer « C’est bien une Poufsouffle elle ! » lorsque les larmes lui venaient aux yeux et qu’elle ne savait pas quoi répliquer. Mais ce qui la blessait le plus dans ces moments-là, ce n’était pas leurs commentaires. Après tout, elle n’avait jamais connu ces garçons. Au mieux les avait-elle croisés lors de quelques réceptions données par ses parents ou les leurs. Non, ce qui la faisait éclater en sanglots dans les bras de Billie, lorsqu’elle parvenait à se rendre jusqu’à son dortoir, c’était la réaction de Daphné. Sa sœur, qui la regardait avec un sourire méprisant sur le visage et qui pas une fois ne lui venait en aide malgré ses appels au secours silencieux.
Elle avait pris plus d’assurance par la suite, se rapprochant de Flora et faisant de Billie sa meilleure amie. Au fil des ans, elle s’était aussi faite de moins en moins sensible aux remarques des Serpentard et ces derniers l’avaient alors laissé tranquille. Mais elle n’avait jamais pardonné à sa sœur.
-Tu sais, je ne pensais que tu reviendrais à Poudlard, avoua alors Astoria, qui sans qu’elle ne sache pourquoi se sentait fascinée par ce nouveau Drago qu’elle découvrait, seul dans la bibliothèque, des cernes immenses sous les yeux et toute trace d’assurance ayant quitté son visage.
-A vrai dire, je ne le pensais pas non plus. Mais on m’a… fait comprendre qu’avec mon passé et celui de ma famille, obtenir mes ASPIC était le minimum que je devais faire pour espérer trouver un travail. Et je suis arrivé trop tard cet été pour les valider.
Voyant qu’Astoria ne répondait rien et se contentait de jeter de temps à autre des coups d’œil vers lui avant de fixer le sol avec intérêt, il ajouta :
-Enfin, je ne sais pas pourquoi je te raconte tout ça.
-Ça ne me dérange pas, répondit mollement Astoria.
Et ils restèrent assis l’un en face de l’autre pendant près d’une heure, aucun ne prononçant le moindre mot. Lorsqu’Astoria dut finalement repartir vers sa salle commune, elle se rendit compte qu’elle n’avait pas touché à un seul de ses devoirs.
-Plus que dix jours avant Noël ! s’exclama Billie d’un air surexcité.
-Tu comptes nous faire le décompte chaque matin ? demanda Flora, à mi-chemin entre l’amusement et l’agacement.
-Oh que oui ! Et puis en général, à partir de dix jours, Astoria commence à réaliser que Noël est une fête merveilleuse, n’est-ce pas ? demanda-t-elle en adressant un clin d’œil à cette dernière.
-Oui, murmura cette dernière.
A la mine déconfite de Billie et au sourire triste de Flora, Astoria comprit qu’elle n’avait pas donné la bonne réponse.
-Désolée les filles. C’est juste que… je crois que je ne reverrai plus jamais mes parents. Et là, avec Noël, tout ça…
-Ce n’est peut-être pas plus mal, non ?
-Billie ! s’exclama Flora sur un ton indigné avant de regarder Astoria avec compassion.
-Enfin je t’en prie, on sait très bien toi toutes les trois que ça fait longtemps que tes parents ne se comportent pas comme tels. On sait très bien aussi que tu détestes les vacances d’été parce que tu es obligée de les revoir à ce moment-là. Alors explique-moi ce qui te gêne vraiment, là-dedans ?
Mais Astoria ne l’écoutait plus. Elle venait de voir Drago se lever de la table des Serpentard et se diriger vers la sortie, les yeux rivés au sol et la démarche hésitante. Elle comprit alors pourquoi elle ne l’avait pas remarqué depuis le début de l’année. Ce Drago-là n’avait plus rien à voir avec celui qu’elle avait connu. Et elle se sentit une nouvelle fois terriblement intriguée par cette nouvelle facette qu’elle découvrait, suffisamment pour se lever brusquement et d’adresser un petit sourire d’excuse à ses amies.
-Excusez-moi les filles, j’ai oublié quelque chose dans le dortoir !
Presque aussitôt Flora s’exclama à l’intention de Billie « Tu vois, tu l’as blessée ! », mais Astoria avait déjà tourné les talons et franchi les portes de la Grande Salle. Elle repéra assez rapidement Drago, qui semblait se diriger vers le parc du château, et se mit à courir derrière lui sans pour autant oser l’appeler avant d’être arrivée à sa hauteur.
-Drago ! dit-elle alors juste assez fort pour qu’il l’entende.
Il se retourna brusquement vers elle, visiblement surpris que quelqu’un lui adresse la parole. Sa surprise parut d’autant plus grande lorsqu’il remarqua que ce quelqu’un n’était autre qu’Astoria.
-Tu allais dans le parc, c’est ça ? demanda la jeune fille en essayant d’être aussi naturelle que possible.
-Oui.
-Je peux t’accompagner ?
-Comme tu veux.
Sans se formaliser du manque d’enthousiasme de Drago, Astoria se mit donc à le suivre jusqu’à l’extérieur. Comme ni l’un ni l’autre ne paraissait décidé à lancer la conversation, elle se demanda un moment ce qui pouvait bien la pousser à être auprès de Drago. Ils n’avaient jamais été amis, elle l’avait même détesté de tout son être lors de sa première année, et ils avaient fait partie de camps adverses durant la guerre. Ou du moins, en apparence. Parce que quand Daphné prenait un malin plaisir à terrifier les élèves et à profiter pleinement de ses pouvoirs accordés par les Carrow, à elle et à d’autres Serpentard, Drago restait toujours en retrait et paraissait être de moins en moins apprécié par les Serpentard eux-mêmes.
-Tu restes ici pour Noël ? finit par demander Astoria.
-Oui.
-Tu rentrais chez toi les autres années ?
-Oui.
-Ah. Tu vas voir, c’est…
-Ecoute Astoria, je ne veux pas être désagréable ou quoi que ce soit, mais je ne comprends pas bien ce que tu fais avec moi.
La jeune fille accusa le coup. Elle-même ne comprenait pas très bien pourquoi elle restait avec lui. Ou plutôt, elle préférait ne pas comprendre.
Drago, lui, ne comprenait pas. Il avait toujours été désagréable avec elle et, au mieux, il l’avait ignoré. S’il avait été à sa place, il se serait détesté, haï même, et jamais il n’aurait voulu pardonner ni même oublier. Peut-être Daphné et les autres Serpentard n’avaient-ils pas tout à fait tort quand ils disent qu’elle était bien stupide, Astoria, et qu’elle avait tout à fait sa place à Poufsouffle. Mais alors qu’il la regardait du coin de l’œil, il se dit, surpris lui-même de cette découverte, qu’il y avait au moins un point sur lequel les Serpentard s’étaient trompés. Astoria n’avait rien à envier physiquement à sa sœur. Ses épais cheveux bruns créaient un contraste avec sa peau pâle qui n’était pas pour lui déplaire. Ses yeux n’étaient peut-être pas du gris de ceux de Daphné, mais ils pétillaient plus. Et le vent qui lui fouettait le visage rosissait légèrement ses joues, lui donnant un air innocent qu’il n’avait jamais vu sur le visage de Daphné.
La vérité le frappa alors, sans qu’il ne s’y attende. Astoria avait l’air mille fois plus heureuse, plus vivante que Daphné n’en avait l’air.
-T’as jamais vraiment voulu être un Mangemort non ? demanda brusquement Astoria.
-C’est quoi cette question ? maugréa Drago.
-Répond-moi. Tu me dois bien ça, Drago, répliqua Astoria, qui pour la première fois parvenait à garder une voix forte et les yeux rivés sur ceux de Drago.
-C’est… compliqué.
-Oui ou non, ça n’a rien de compliqué !
Elle se surprenait elle-même de parler de la sorte, d’autant plus à quelqu’un qui s’était si souvent moqué d’elle, mais au fur et à mesure qu’elle tenait elle se rendait compte que plus rien ne lui faisait obstacle, désormais. Daphné n’était plus là, les Serpentard avaient perdu de leur superbe, ses parents l’avaient définitivement renié, Voldemort était mort. Son camp avait gagné. C’était elle, la petite Poufsouffle, qui avait triomphé finalement. Elle n’avait peut-être rejoint la bataille que lorsqu’elle tournait en leur faveur, réussissant à s’échapper de la Tête de Sanglier, mais elle l’avait fait. Dans le dernier combat qui les avait opposées, elle et Daphné, c’était elle qui l’avait emporté.
-J’ai toujours cru que oui, lâcha alors Drago. Mais quand j’ai été mis au pied du mur… je me suis rendu compte que non.
-Tu as fait ce que j’aurais voulu que ma sœur fasse, dit alors Astoria, dont la voix s’était considérablement adoucie.
Et elle tourna les talons, laissant Drago seul au milieu du parc avec ses pensées.
Il ne lui restait plus que quelques lignes à écrire pour terminer le devoir de Potions sur lequel elle planchait depuis plusieurs heures déjà lorsqu’une main se posa doucement sur la sienne, l’empêchant de bouger sa plume. En levant les yeux, elle croisa le regard de Billie.
-Tu m’en veux pour ce que j’ai dit l’autre jour ? demanda cette dernière en s’asseyant en face d’elle.
Ce qu’Astoria avait tout de suite apprécié chez Billie, c’était sa franchise. Elle n’y allait jamais par quatre chemins avant de dire ce qu’elle avait à dire. Cela pouvait donner lieu à des disputes, parfois, mais c’était grâce à cela qu’Astoria considérait leur amitié comme la plus sincère qui soit.
-Non, répondit Astoria. C’est juste que j’étais…
-Avec Drago.
De surprise, Astoria lâcha sa plume qui tomba doucement au sol. Elle sentit ensuite ses joues s’empourprer mais Billie n’avait pas l’air en colère. Au contraire, elle riait presque en contemplant la réaction de son amie.
-Flora vous a vu par une fenêtre, dit-elle lorsqu’elle se fut un peu calmée. Tu m’expliques ?
-Je t’expliquerai quand j’aurai compris moi-même. Honnêtement je ne sais pas ce qui me pousse vers lui. Flora me dirait sûrement que c’est un coup de foudre ou quelque chose dans le genre, mais je sais au moins que ce n’est pas ça. C’est… différent. Et assez inexplicable.
-Il n’a pas toujours été tendre envers toi.
-Je le sais. Mais… dans le parc, je lui ai demandé s’il avait vraiment voulu être un Mangemort. Et il a fini par me dire que non. Tu sais ce que je lui ai dit alors ?
Billie fit signe que non.
-Tu as fait ce que j’aurais voulu que ma sœur fasse.
Les lèvres de Billie s’entrouvrirent alors légèrement tandis qu’Astoria baissait la tête, un peu honteuse quand elle y repensait d’avoir dit une telle chose à Drago, qui au mieux n’en avait rien à faire, et au pire s’en servirait contre elle.
-Oh, Astoria…
Repoussant sa chaise en arrière, Billie se dirigea vers Astoria qu’elle serra très fort dans ses bras, encourageant par cette étreinte la jeune fille à se laisser aller, à pleurer si elle le désirait. Mais pas une larme ne s’échappa de ses paupières closes.
-Tu ne pleures pas ? dit Billie en étouffant un petit rire nerveux.
-Non, je… au fond, je pense que c’est mieux comme ça.
Elle s’éloigna doucement de Billie, cherchant à nouveau le regard de son amie avant de poursuivre sa phrase :
-Daphné n’aurait pas voulu être jugé, connaître la honte de voir nos biens confisqués, notre nom traîné dans la boue… surtout si moi, à côté, j’étais heureuse.
A l’entente de ce mot, Billie tressaillit. Ce qu’Astoria ne manqua pas de remarquer.
-Oui, Billie. Il m’aura fallu du temps pour dire ça mais… je suis heureuse, aujourd’hui. J’ai enfin compris que ne pas être ma sœur, ce n’est pas forcément un mal. Et même si la Daphné de notre enfance me manquera toujours, celle qui est parti le 2 mai dernier n’avait rien à voir avec celle que j’ai aimé. Quelque part, j’ai déjà dû dire au revoir à ma sœur il y a bien longtemps.
-J’suis fière de toi Astoria, lui dit alors Billie. C’était pas évident vu la manière dont tu partais, mais… tu es vraiment devenue quelqu’un de bien.
-Une vraie Poufsouffle, hein ? dit Astoria en sentant cette fois-ci les larmes lui monter aux yeux.
-Exactement !
Et une nouvelle étreinte rapprocha les deux filles, à laquelle Billie mit fin la première cette fois-ci. Elle regardait fixement un point derrière Astoria et lui dit avec un petit sourire, en ramassant son sac de cours :
-Je crois qu’il y a quelqu’un qui veut te parler.
Fronçant les sourcils, Astoria se retourna et vit que Drago Malefoy se tenait juste devant elle, appuyé de manière assez nonchalante contre une des étagères de la bibliothèque. Lorsque Billie passa devant lui après avoir adressé un dernier signe de la main à Astoria, il vint s’asseoir à la place libre, fixant cette dernière avec une telle intensité que ses joues devinrent rouges en quelques secondes à peine.
-Quoi ? finit par demanda Astoria en remettant une mèche de cheveux en place, tentant de trouver une contenance.
-Je voudrais te poser une question à mon tour.
-Demande toujours.
-T’es heureuse à Poufsouffle ou pas ?
Astoria n’hésita pas une seconde :
-Oui.
Puis, voyant la mine légèrement septique de Drago, elle ajouta :
-Enfin, au début, je n’étais pas heureuse, non. Tout ce que je voulais, c’était aller à Serpentard pour rendre au moins une fois mes parents fiers de moi. La première année, même si je parlais déjà à Billie, n’a vraiment pas été facile. Et puis j’ai commencé à me dire que j’avais tout intérêt à m’y faire, que je n’avais pas le choix de toute façon, et là… j’ai fini par réaliser que je me plaisais, à Poufsouffle. Et que je n’aurais pas été heureuse à Serpentard. Je le pense encore plus fort aujourd’hui, après tout ce qu’il s’est passé. On dit parfois que Poufsouffle est la maison de « l’amour », avec condescendance, mais c’est vrai. Et ce n’est pas un mal. J’ai trouvé de l’amour à Poufsouffle. J’ai eu des amis, et j’ai passé de très bons moments. J’ai très vite arrêté de rentrer chez moi à Noël, parce que j’étais tellement plus heureuse quand je les passais à Poudlard. Je ne regrette vraiment rien aujourd’hui.
-J’ai entendu dire que tes parents et toi aviez coupé les ponts.
-Qui t’as dit ça ?
-Des Serpentard, répondit Drago évasivement. Noël, c’est censé être une fête de famille non ?
-Ca ne l’a jamais été pour moi. Ce n’est pas Noël dans ma famille, c’est Noël dans mon cœur.
Elle vit le visage de Drago se crisper légèrement et se demanda un instant si elle aurait vraiment dû dire ça, si ça ne faisait pas d’elle une fille un peu mièvre, mais Drago la coupa rapidement dans ses réflexions :
-Je ne rentre pas chez moi pour Noël, cette année. Dans ma famille, en ce moment, c’est… compliqué.
-Je sais, répondit presque automatiquement Astoria.
Et en effet, elle savait. Pas dans les moindres détails, mais imaginait bien quelle ambiance il pouvait y avoir au manoir Malefoy en ce moment. Il y avait eu la même chez elle durant tout l’été, avant qu’elle n’aille se réfugier chez Billie pour la fin des vacances.
-La bibliothèque va fermer, dit Drago en regardant Mme Pince se diriger vers les élèves encore présents.
Astoria hocha longuement la tête et rangea pêle-mêle ses affaires dans son sac avant de se lever à la suite de Drago. Ils marchèrent quelques minutes côte à côte dans les couloirs avant de devoir se séparer pour regagner chacun leur salle commune respective. Mais avant que Drago ne disparaisse à l’angle d’un couloir, Astoria s’exclama brusquement :
-On pourra manger ensemble pour Noël si tu veux !
Astoria n’en revenait toujours pas. Elle attrapa sans comprendre le mouchoir que lui tendait Flora, n’ayant pas réalisé que de grosses larmes roulaient sur ses joues.
-Si on avait su que tu réagirais comme ça, on ne t’aurait pas offert ça ! dit Billie sur un ton de plaisanterie.
-Tu rigoles j’espère ? répondit Astoria d’une voix étranglée. On va… on va partir en France toutes les trois ! C’est vraiment… vous êtes les meilleures amies du monde les filles !
Il fallut près d’une demi-heure à Astoria pour se calmer et être en état de prononcer deux phrases cohérentes à la suite. Elle ouvrit alors les quelques autres cadeaux qui lui étaient destinés, la plupart d’autres de ses camarades de Poufsouffle dont certains étaient d’ailleurs présents, notamment des élèves de septième année qui voulaient être là pour leur dernier Noël à Poudlard.
Le dernier qu’elle ouvrit n’était pas un cadeau. Il s’agissait d’une enveloppe qui contenait un simple mot, pas même signé mais dont elle devinait pourtant la provenance.
Rejoins-moi dans le parc, à 11h.
Il était presque onze heures. Elle montra rapidement le mot à ses amis avant d’enfiler son épais manteau d’hiver et des gants, et de se diriger vers le parc, se demandant si c’était bien Drago qui lui donnait rendez-vous. Elle n’avait jamais eu l’occasion de voir son écriture, ou alors elle ne s’en rappelait pas, mais elle était presque certaine qu’il s’agissait de lui. Elle ne voyait guère qui d’autre pouvait lui avoir donné un tel rendez-vous, de toute façon.
Lorsqu’elle arriva dans le parc, elle sentit son cœur accélérer légèrement en constatant qu’elle ne s’était pas trompée. Drago l’attendait sous un arbre, emmitouflé dans un gros manteau et son écharpe aux couleurs de Serpentard. Il tenait contre lui un petit paquet, qu’il lui tendit dès qu’elle arriva à sa hauteur.
-C’est pas vraiment un cadeau, dit-il. Mais… je pense que tu dois le récupérer.
-Comment ça le « récupérer » ?
-Ouvre, tu verras.
Astoria s’empressa donc d’arracher le papier-cadeau. Papier-cadeau qu’elle laissa tomber au sol sans même s’en rendre compte et que Drago ramassa et froissa, tant son cœur s’était emballé à la vue de l’objet.
Elle aurait pu le reconnaître entre mille. Cet objet était lié à quelques-uns de ses plus beaux souvenirs avec sa sœur, et était aussi la preuve que dans une vie qui lui paraissait désormais lointaine, Astoria avait passé des Noël heureux avec sa famille. Très peu, mais quelques-uns quand même, dont aucun n’allait sans cet objet.
-Mais… comment…
-J’ai souvent vu Daphné avec ça, dans la salle commune. Surtout l’année dernière. J’avais appris par Pansy ce qu’il signifiait pour vous. Lorsque l’annonce de la bataille s’est répandue dans le château, Daphné l’a jeté. Quand je suis retourné dans la salle commune une dernière fois avant de rentrer chez moi, il était encore là. Je ne savais pas que Daphné était morte. Mais je ne sais pas pourquoi, j’ai pensé qu’il ne faudrait pas que cet objet disparaisse. Je l’ai récupéré. J’hésitais à te le rendre, je n’en voyais jamais l’occasion. Et puis finalement, tu es venue me voir et… je voulais te le rendre aujourd’hui. Voilà.
Les larmes aux yeux, Astoria effleurait du bout des doigts le petit carrousel enchanté que Daphné avait reçu à l’occasion de son premier anniversaire. Une courte formule dont elle se souvenait encore permettait de le mettre en marche. Il se mettait alors à tourner et des comptines pour enfants s’en échappaient. Elles étaient toujours adaptées à l’époque. Si Astoria l’activait à cet instant, une comptine de Noël, sans aucun doute, résonnerait dans le parc.
-Bon, je vais te laisser fêter Noël avec tes amis…
-Viens avec moi.
-Je ne veux pas déranger.
-Si je t’invite c’est que tu ne dérange pas.
Et tout en murmurant les paroles qui activaient le carrousel, Astoria gardait les yeux fixés sur ceux de Drago et lui dit, lorsque sa comptine préférée commença à s’élever :
-Il n’y a pas de raison que ça ne soit pas Noël dans ton cœur, non plus.