Malgré le sort de protection et le chapeau à larges bords qu’elle portait, Ethel sentait la chaleur écrasante du soleil sur sa peau. La température atteignait souvent les trente degrés Celsius lorsqu’elle habitait à Toronto. Toutefois, sa famille avait depuis longtemps quitté les contrées de l’Ontario pour s’installer sur la côte Pacifique, à Vancouver. L’air marin adoucissait l’atmosphère et la jeune femme avait perdu sa tolérance à la chaleur. Tolérance qui, si elle était honnête, ne lui aurait certaine pas été d’un grand secours sous les presque quarante degrés Celsius qu’elle devait supporter ce jour-là.
— Un peu d’eau ? proposa une voix masculine.
Ethel releva son visage vers son propriétaire. Newton Scamander était Britannique, avait cinq ans de plus qu’elle et était spécialiste de l’étude et de la protection des créatures magiques. La tante de son fiancé les avait mis en relation par l’intermédiaire du professeur Albus Dumbledore et, si la personnalité de Newton avait rendu plus d’une fois Ethel perplexe, la jeune femme devait avouer qu’il restait tout de même de bonne compagnie. L’homme était un passionné, comme elle, et bien qu’ils ne soient pas spécialistes du même domaine, cela ne les empêchait pas d’entretenir des conversations très intéressantes et instructives.
— Merci, répliqua Ethel en prenant la gourde qu’il lui tendait.
La jeune femme but de longues gorgées d’eau, savourant la fraîcheur qui lui apportait, même temporairement le liquide.
— As-tu trouvé quelque chose ? demanda timidement Newton.
— Cette plante, dit-elle en désignant l’individu qu’elle dessinait depuis près d’un quart d’heure. On dirait une sous-espèce de la plante à Pipaillon ce qui me semble étrange étant donné qu’elles ne sont pas censées pousser dans cette partie du continent, continua-t-elle.
— Il est vrai que cela y ressemble, remarqua le Britannique en examinant la plante tremblotante.
— Je vais prélever un échantillon pour pouvoir l’examiner de plus près. Peut-être que c’est tout à fait autre chose ou peut-être que c’est une sous-espèce qui a réussi à s’adapter au climat. Si c'est ça, ce serait une découverte des plus intéressantes. Enfin, je me demande toute de même ce qui aurait pu provoquer cette expansion.
— Le commerce, peut-être ? proposa Newton.
— Peut-être, en effet, répliqua Ethel. Après tout, c'est à cause des colons que les boursoufs sont arrivés au Australie.
— Et les chats en Nouvelle-Zélande, ajouta-t-il, pensif.
— Tout à fait ! Il est connu que l'activité humaine a des conséquences sur la propagation de certains animaux. Cela ne m'étonnerait pas qu'elle en ait aussi sur celle des plantes. Et de ton côté ? As-tu trouvé des traces d’éruptifs ?
— Il me semble avoir repéré le passage d’une femelle sur un arbre à une centaine de mètres, mais rien qui puisse me mettre sur la voie.
— Hassan m’a dit ce matin qu’il sera disponible demain pour nous servir de guide. Peut-être que tu auras plus de chances avec une personne originaire de la région.
— Peut-être…
— Ce soleil est insupportable. J’ai l’impression que je suis en train de cuire sur place, ronchonna Ethel.
La jeune femme jeta un coup d’œil à sa montre et constata qu’il était presque midi. Hassan leur avait conseillé de rester à l’abri dans leur tente durant les heures les plus chaudes de la journée.
— On devrait retourner à notre campement, remarqua-t-elle.
Si Newton avait tendance à ne plus pouvoir s’arrêter de parler lorsqu’on le lançait sur n’importe laquelle des créature magiques qu'il étudiait, il l’était beaucoup moins lorsqu'il s'agissait de dire des banalités. En sLes deux jeunes gens profitèrent du repas que leur avait préparé l'épouse de Hassan, Zohra, la veille au soir. La femme travaillait à l'école Kèdjougou en tant que professeur et prenait son métier très au sérieux. Ethel et Newton avaient beau avoir essayé d'en savoir plus sur l'établissement, elle n'avait pas pipé mot, respectant le vœux de protection que tous les employés de Kèdjougou faisaient avant d'entrer en fonction.
— Ce ragoût est délicieux, déclara Ethel alors que ni elle ni Newton n'avaient parlé depuis le début du repas.
— En effet, répliqua son partenaire.
De nouveau, le silence s'installa entre eux. Bien qu'elle ne soit pas habituée à des repas sans conversation, Ethel ne chercha pas à en lancer une. Lorsqu'elle était plus jeune, sa famille n'avait la chance de se trouver au complet que durant les dîners des vacances scolaires. Le repas qu'ils partageaient alors était le moment pour eux de se retrouver et discuter de leur journée respective. Cette habitude lui avait toujours paru naturelle jusqu'à ce qu'elle en discute avec certains de ses camarades de classe et se rende compte que tout le monde ne fonctionnait pas comme eux. Ses parents avaient toujours été très modernes. Son père bien que ne possédant aucun pouvoir magique, avait une imagination débordante et, en plus de son activité professionnelle dans la police canadienne, écrivait des romans. Sa mère quant à elle, était une policière ayant monté les échelons jusqu'à devenir directrice du département de la police magique du Canada. Ils s'étaient rencontrés en mille huit cent quatre-vingt-dix-huit sur une scène de crime et mariés à peine deux ans plus tard.
D'après le peu que Newton lui avait dit sur sa famille, les Scamander étaient bien plus traditionalistes et le silence était obligatoire autour de la table.
— Je vais me reposer, déclara-t-elle après avoir nettoyé son bol.
Newton se contenta de hocher la tête tout en continuant à manger tandis que Ethel se glissait entre les draps de son lit de camp. La chaleur était bien plus supportable sous la tente et elle put trouver le sommeil sans trop de difficulté. Lorsqu'elle se réveilla, le soleil semblait être quelque peu descendu. La jeune femme se redressa et grimaça en sentant la douleur dans son dos. Ce genre de lit était rarement confortablement malgré les sorts qui avaient pu y être jetés. La bouche pâteuse, Ethel avait l'impression d'être encore plus fatiguée qu'elle l'était avant d'aller dormir. Elle sortit de la tente et trouva Newton en train de discuter avec Hassan. Ce dernier la salua en souriant.
— Je disais justement à Newton que vous êtes invités à une fête de village ce soir. Notre nièce se marie aujourd'hui et elle aimerait vous convier à la cérémonie et au repas, expliqua-t-il.
— Vraiment ! s'exclama Ethel, enthousiaste.
Elle tourna son visage vers son compagnon de voyage qui semblait pensif et demanda :
— Que veux-tu faire, Newton ?
— J'ai dit à Hassan que j'attendais ta réponse mais... Je pense que nous devrions y aller, dit-il avant de baisser la tête mal à l'aise.
— Je suis d'accord.
— Parfait ! Allons-y !
— Tout de suite ? s'étonna-t-elle. Je pensais au moins avoir le temps de me rafraîchir un peu avant.
— La cérémonie doit commencer au coucher du soleil, expliqua Hassan en désignant le ciel d'un coup de tête, mais je pense que tu peux prendre dix minutes pour ta toilette.
— Merci, rétorqua-t-elle en se précipitant à l'intérieur de la tente.
Ethel se dirigea vers le meuble sur lequel se trouvait une cruche ainsi qu'un bassinet et versa de l'eau dedans avant d'attraper un chiffon. Comme Hassan lui avait demandé, sa toilette ne dura pas plus de dix minutes. Elle attacha ses longs cheveux bruns en deux nattes basses serrées avant d'aller retrouver les deux hommes à l'extérieur.
Le village de Hassan ne se trouvait pas à proximité ce qui les obligea à utiliser le transplanage d'escorte. Les quelques tribus sorcières qui vivaient en Afrique subsaharienne étaient nomades et ne restaient jamais plus de quelques mois au même endroit. Dans un premier temps, Hassan amena Newton avant de revenir chercher Ethel qui finissait de lancer les sorts de protection à leur campement.
La jeune femme fut accueillie quelques minutes plus tard par Zohra qui l'enlaça. Sur sa peau ébène était dessinée toute une série de motifs dont Ethel ne connaissait pas la signification.
— Suis-moi, dit-elle en Anglais avant de la guider vers l'une des huttes.
Derrière elle, Ethel entendit Hassan retenir Newton. Les hommes n'avaient pas le droit d'assister à cette partie de la cérémonie. En pénétrant dans l'habitation, Ethel fut prise à la gorge par la fumée qui emplissait tout l'espace. Ses yeux la piquaient et il lui fallut près d'une minute avant de pouvoir enfin les ouvrir. Finalement, la Canadienne réussit à discerner ce qui l'entourait. Au centre de la hutte, une jeune femme à peine plus jeune qu'elle était debout, immobile. D'autres, plus âgées, formaient un cercle autour d'elle tandis que l'une d'entre elle, dont les cheveux argentés contrastaient avec sa peau ébène, était en train de recouvrir sa peau de symbole à l'aide d'une sorte de peinture beige.
— Mets-toi là, souffla Zohra en la guidant vers le cercle le plus large.
Ce dernier était composé des membres les plus jeunes de l'assemblée et Ethel devina qu'il s'agit des filles qui n'avaient pas encore trouvé d'époux. Un chant commença à s'élever dans l'habitation. La Canadienne eut tout juste le temps de voir qu'il venait de la peintre avant qu'il soit repris en chœur par toutes les personnes présentes. La jeune femme écarquilla les yeux en voyant les symboles commencés à s'illuminer à mesure que l'incantation emplissait l'air. Au même moment, Ethel sentit une douce chaleur l'envahir et ses paupières commencèrent à se faire lourdes alors qu'elle dodelinait doucement de la tête, bercée par la mélodie.
Les vibrations de la terre mirent fin à la transe de la Canadienne en même temps que les chants des femmes cessèrent, remplacés par ceux des hommes. L'une de ses voisines glissa sa main dans la sienne et l'entraîna à l'extérieur. Ethel cligna des yeux, éblouie par le soleil qui disparaissait pourtant doucement à l'horizon. Il ne lui fallut pas longtemps pour prendre pleinement conscience de la scène qui se déroulait sous ses yeux. Les hommes avaient formé une haie d'honneur jusqu'au feu dont les flammes orange dansaient au gré de la légère brise. Armés d'un bâton, ils frappaient le sol en rythme et emplissaient l'espace de leurs voix chaudes.
La jeune femme suivit les autres participantes qui se plaçaient autour du feu. Ethel se retrouva pile face à la haie d'honneur et put suivre le reste de la scène à la fois émerveillée et émue. Le futur époux attendait sa promise à l'entrée de la hutte. Toutes les femmes étaient sorties avant elle, la plus âgée étant la dernière. Finalement, une main se glissa dans celle de l'homme qui sourit largement alors que les chants se faisaient de plus en plus rythmés. Ethel tourna légèrement la tête et repéra facilement Newton dont les cheveux roux et la peau claire se détachaient des autres convives. Un grand sourire illuminait son visage alors qu'il tapait sur le sol comme les autres.
A la lumière du soleil couchant, les dessins sur le corps de la future mariée étaient encore plus impressionnants. Ethel devina qu'il s'agissait de sortilèges de protection bien qu'elle ne les ait jamais vus appliqués de cette manière. Le torse du futur époux était lui aussi couvert de symboles, toutefois il n'était pas difficile pour un œil averti de remarquer qu'il ne s'agissait pas des mêmes. Il était probable que les hommes et les femmes n'aient pas exactement le même rituel.
Finalement, le couple arriva près du feu et ce fut la matriarche du village qui les maria. La cérémonie en elle-même fut plus rapide qu'Ethel ne l'aurait imaginée. Pas de baiser ou d'échange de vœux, ou du moins pas comme on l'entendait dans le monde occidental. La femme présidant la cérémonie leur tendit simplement un bol en bois ainsi qu'un pinceau et l'un après l'autre, les futurs époux murmurèrent des incantations tout en dessinant un nouveau symbole sur la peau de la personne avec qui ils se liaient. Pendant quelques secondes, les inscriptions s'illuminèrent avant de retrouver leur couleur beige d'origine.
Ethel sourit de plus bel alors que des cris de joie s'élevaient chez les invités. La musique devint plus rythmée et les époux se mirent à danser bientôt suivis par les villageois mariés ou veufs puis les personnes célibataires se mêlèrent à la foule. La Canadienne fut entraînée dans une folle ronde qui lui tourna la tête tout en remplissant son cœur de joie. La soirée ne faisait visiblement que commencer et elle promettait de lui laisser un souvenir impérissable.