Harry courait. Il aurait été incapable de dire depuis combien de temps, ni s’il avait croisé des personnes sur son chemin. Ses pensées n’étaient tournées que vers la destination qu’il recherchait. Serré fermement dans sa main, il tenait un petit livre vert émeraude. C’est à cause de lui qu’il courait.
Il était tombé sur ce minuscule ouvrage alors qu’il accompagnait Hermione chez Fleury et Bott. Il naviguait aléatoirement dans les rayons de la boutique poussiéreuse, lorsque son regard avait été attiré par ce petit livre perdu au milieu d’énormes romans et manuels en tout genre. Il était resté figé sur place. Perdus sur la couverture vide de l’ouvrage se dressaient deux uniques mots écrits à l’encre dorée, dont on aurait pu hésiter s’il s’agissait du titre ou du nom de l’auteur : Sectus Semper. La ressemblance troublante avec le nom du sortilège de son ancien professeur de potion ne pouvait être une coïncidence. Harry s’empara du livre et dépensa le gallion et les trois noises qu’il coûtait, avant de le fourrer dans sa poche. Pour une raison qu’il ne sut pas très bien expliquer sur le moment, il ne parla pas de sa trouvaille à Hermione lorsqu’elle le rejoignit les bras chargés d’encyclopédies.
Une fois rentré chez lui, il n’avait pas pris le temps d’enlever ses chaussures et s’était jeté sur son canapé pour étudier son intriguant achat. En l’ouvrant, il avait immédiatement été surpris par son contenu. Il s’agissait vraisemblablement d’un recueil de poèmes. Sur chacune des pages, trois petites lignes solitaires s’étalaient en remplissant avec difficulté l’espace blanc qui leur était dédié.
Toujours en train de courir, Harry se souvenait parfaitement de chacun de ces poèmes, qu’il avait lus quelques minutes plus tôt.
La soie est partout
Les richesses semblent fières
Sur leurs broderies
Il avait d’abord eu un sourire moqueur en lisant ces quelques vers un peu saugrenus. Le ton des poèmes changea cependant rapidement, ne lui donnant plus l’occasion de sourire.
Les livres m'entourent
La lumière tamisée
Les adultes crient
Où sont donc les âmes ?
La solitude m’escorte
Ils m'évitent encore
Les longs murs s'étirent
La lumière semble grise
Tout comme la vie
Un sifflement vif
Les images qui défilent
Un nouveau départ
Le sable s'écoule
Le château reste le même
Assis, je m'ennuie
Harry n’avait pu s’empêcher de penser à Poudlard à l’évocation du mot « château ». Il avait conclu que l’auteur ou l’autrice devait être un ancien élève de l’école, ce qui n’était pas une déduction très risquée étant donné que c’était le cas de la plupart des sorciers des Îles Britanniques.
Tous leurs mots m'agressent
Même sans les écouter
Pourquoi parlent-ils ?
D'où provient-elle donc ?
Pour quelle raison est-elle née ?
Cette haine en moi
Je suis impuissant
Face à mon corps qui vomit
Je ne peux rien faire
Mon être se tort
Ta présence me débecte
Tu n'es qu'un poison
Que cela s’arrête !
Cette pensée sans fondement
Qui m’est apparue
Ma tête assaillie
La foule poursuit sa vie
Faut-il que je lutte ?
La lumière danse
Dans cette salle de bal
Toi aussi tu danses
Mes armes retombent
Cette idée est à présent
Tout autour de moi
Je ne te hais plus
Ou peut-être encore un peu
Je n’ose le voir
Quelle en est la cause ?
Est-ce la faute de tes yeux ?
Quelle punition !
Vois donc qui je suis
Mais ne me regarde pas
Avec tes vrais yeux
Les poèmes qui avaient suivi avaient rendu la lecture de Harry beaucoup plus sérieuse. Il avait visualisé un adolescent, un garçon visiblement, dont le mal-être était palpable. Sans doute le style littéraire incitait-il à amplifier les choses, mais la relation entre le protagoniste à qui l’auteur semblait s’adresser et l’auteur lui-même provoqua un sentiment de malaise à Harry. Quelque chose d’ambigu, de perturbant, d'éprouvant. Ce ne fut cependant rien face aux pages suivantes.
Je ne peux mentir
Mes os sont toujours gelés
D'avoir vu la Mort
Ses grandes mains pâles
Et si la peau n'est pas chaude
Le cœur ne l'est pas
Un frisson glacé avait parcouru l’échine de Harry en lisant ces mots. Lui, plus que quiconque, n’aurait pas pu ne pas reconnaître Voldemort derrière cette description. Qui que soit cet auteur, Harry avait eu la profonde conviction qu’il avait forcément croisé la route du mage noir pour pouvoir écrire ces lignes. C’est donc avec une appréhension tremblante qu’il avait poursuivi sa lecture.
Entre tous les êtres
N'y avait-il donc personne ?
Pourquoi est-ce moi ?
La Mort me prend tout
Mais ça ne suffisait pas
J'ai donné mon bras
Elles sont si nombreuses
Qui aurait pu le savoir
Mes larmes versées
Sans le voir venir
Ignorant avoir eu chaud
Le froid s'insinue
Arrête-moi donc !
Car mon corps s'est recousu
Je ne suis pas mort
C’est à ce moment-là que Harry avait compris. Il savait qui était l’auteur derrière ces poèmes. La seule personne à part lui-même à avoir assisté au sortilège Sectumsempra, dont le titre du livre était définitivement inspiré. Celui qui avait côtoyé de près Voldemort, qui lui avait donné son bras. Celui qui avait passé son adolescence à cracher sa haine. Celui qui vivait entouré de soies et de broderies. Celui qu’il avait failli tuer il y a plusieurs années. Drago Malefoy. Fébrile, il avait rapidement parcouru à nouveau toutes les premières pages du livre, chacun des poèmes prenant alors un sens bien plus précis, bien plus concret. Sa gorge s’était nouée. Quelque chose au sein de ces lignes avait fait naître une pensée en lui. Une intuition qu’il avait cherché à confirmer en finissant sa lecture.
Et c’est cette pensée qui faisait qu’il courait à présent, recherchant désespérément l’énorme bâtisse dans laquelle lui et ses amis avaient été enfermés des années auparavant : le manoir des Malefoy. Essoufflé, il parcourait le petit village du sud du Wiltshire dans lequel les Rafleurs l’avaient entraîné la dernière fois, essayant de toutes ses forces de rassembler tous les souvenirs qui pourraient lui être utiles pour cela.
Je ferme les yeux
Je ne pourrai plus dormir
Son corps tombe encore
Le souvenir de Dumbledore basculant à travers la fenêtre de la tour d’astronomie s’imposa à Harry qui tournait en dérapant dans une ruelle faiblement éclairée.
Couché dans mon lit
Si mon corps pouvait pourrir
Moi je chanterais
Ils tournent toujours
Les patins et leurs ficelles
Et parmi eux, moi
La peur m'a quitté
Mais je ne peux me réjouir
L'espoir l'a suivi
Et lorsque l'espoir
Eut décidé de partir
Je partais aussi
Harry était à présent hors d’haleine. Un point de côté lui vrillait les côtes tandis qu’il atteignait les endroits les plus reculés du village.
Le feu qui m'entoure
Mais je ne vois pas les flammes
Seulement ta main
Harry ferma les yeux un instant. Si Drago parlait bien de l’incendie de la Salle du Demande, alors la personne à qui il s’adressait depuis le début ne pouvait être que… Il secoua la tête en reprenant sa course tant bien que mal. Trop de souvenirs douloureux l’avaient submergé à la lecture de ces poèmes. Des choses qu’il avait essayé d’enfouir au plus profond de lui. Des espoirs qu’il s’était méthodiquement acharné à détruire, convaincu qu’ils lui feraient plus de mal que de bien. Mais il n’avait rien réussi à détruire du tout.
La Mort est partie
Et dans les fleurs de printemps
Commence ma vie
Le temps englué
Les âmes seules qui passent
Et moi immobile
Fallait-il lutter
Si le futur est autant
Semblable au passé ?
N'est-elle pas partie ?
Pourquoi la vois-je toujours ?
La Mort me pourchasse
Surgissant un jour
Me hantant de cette flamme
Ton fantôme est là
Tu n’as jamais su
Nos mondes sont différents
Pourquoi te le dire ?
Une douleur sourde, sans aucun lien avec son point de côté, avait recommencé à lui broyer les entrailles. Une douleur qui s’était ravivée à la lecture de ce minuscule livre et qui l’avait d’abord paralysé de stupeur et de doutes, avant de le faire se lever d’un bond, transplaner et commencer à courir. Un désir ardent, pénible, impossible à assouvir, qui était toujours resté là, tapis dans l’ombre de ses pensées jour après jour. Quelque chose qu’il avait renoncé à exprimer, après avoir essuyé des remarques acerbes de ses amis qui n’avaient jamais compris.
Au loin, une immense bâtisse sombre commençait à se dessiner parmi les collines. Harry accéléra encore sa course.
Adieu cette corde
Je ne peux plus m'y résoudre
Ce feu me maintien
Il atteignit enfin le portail en fer forgé et l’ouvrit d’un puissant coup de baguette sans s'arrêter de courir.
Je ne te vois plus
Depuis ma magie s'essouffle
Ainsi que mon air
Il arriva devant la grande porte en chêne de la demeure et s’appuya un instant sur ses cuisses pour reprendre sa respiration. Sans laisser le temps à son courage de s’enfuir, il toqua à la porte d’un geste frénétique. Les secondes qui suivirent lui parurent être des heures. Seuls son souffle saccadé et le sang battant à ses oreilles pouvaient lui assurer que le temps ne s’était pas arrêté.
Je resterai seul
Un rocher dans le torrent
Figé dans le temps
Soudain, la porte s’ouvrit. Devant lui se tenait à présent Drago Malefoy, dont l’expression de sidération fit revenir Harry à ses esprits.
- C’est toi qui as écrit ça ? demanda-t-il précipitamment en tenant le petit livre émeraude sous les yeux du blond.
La surprise de Drago se changea aussitôt en terreur. Il tenta visiblement de balbutier quelque chose mais sa mâchoire se contenta de s’ouvrir et de se fermer à plusieurs reprises sans émettre le moindre son.
- C’est toi ? répéta Harry un peu plus doucement.
Manifestement incapable d’utiliser sa voix, Drago finit par acquiescer en hochant la tête. Harry déglutit. Il fallait qu’il soit sûr.
- Et… C’est de moi dont tu parles ?
Nouveau hochement de tête. Alors, lentement, très lentement, Harry laissa tomber le livre. Il s’avança d’un pas vers Drago sans le quitter des yeux. Il leva sa main et caressa doucement la joue du blond. Puis, tout aussi doucement, il vint déposer un baiser sur ses lèvres. Des larmes brillantes coulèrent sur les joues pâles de Drago qui, semblant enfin réaliser ce qui se passait, étreignit Harry contre lui de toutes ses forces, comme s’il réapprenait à respirer.