Il fait toujours beau au-dessus des nuages,
Mais moi si j'étais un oiseau, j'irais danser sous l'orage,
Ginny vole seule sur un des vieux balais de la famille Weasley. Elle est seule. Elle vole. Elle est heureuse. Au loin, l'orage s'approche. L'ivresse de la vitesse, des vents contradictoires qui ballotent son petit gabarit dans tous les sens ne la dérangent pas. Comme disait toujours sa mère, Ginny n'avait jamais aimé la facilité.
Je traverserai les nuages comme le fait la lumière,
J'écouterai sous la pluie la symphonie des éclairs.
Tiens, il va bientôt pleuvoir. Mais Ginny s'en fiche, elle ne veut pas rentrer. Et puis ce n'est pas si terrible, la pluie. Tant de fois sa mère a soupiré parce qu'elle était rentrée couverte de boue. Parce que si Ginny aimait la pluie dehors, elle ne pouvait pas apprécier le bruit de l'orage de l'intérieur. Ginny n'aime pas être enfermée. Ginny étouffe.
Dès sa plus tendre enfance
Elle ne savait pas
Parler autrement qu'en criant tout bas
Depuis qu'elle est toute petite, Ginny ne pleure pas. En tout cas pas devant les autres. Parce que pleurer empirerait les choses, accentuerait la raison de sa tristesse. Ginny est un garçon manqué, en tout cas, c'est ce qu'elle aspire à être. Non pas parce qu'elle le veut fondamentalement, mais parce que l'autre option est pire. Et tout le monde sait qu'un garçon ne pleure pas.
Pas faute d'essayer
De les retenir
Ces cris et ces larmes qui les faisaient tant...
C'est pour ça qu'elle est là. Sous la pluie les larmes ne se voient pas. Et c'est plus facile de cacher ses larmes que de s'occuper de leur origine pour qu'elles n'apparaissent plus. Aujourd'hui, les frères de Ginny sont à la maison. Tous, exceptionnellement. Bill, Charlie, Percy, George, Fred et Ron. Pas à Poudlard, en Roumanie, à Gringotts... La petite fille devrait profiter de l'occasion, rester, profiter d'eux et ne pas être le seul centre d'attention de sa mère, mais elle n'a pas réussi. Ginny adore ses frères, mais...
Il fait toujours beau au-dessus des nuages,
Mais moi si j'étais un oiseau j'irais danser sous l'orage,
Elle en a marre. Marre de d'eux, marre d'être la petite dernière, marre de s'être assigné pour mission depuis aussi longtemps qu'elle se rappelle de ne jamais pleurer, pour ne pas être un cliché de fille, pas être la petite sœur faible qui pleure pendant que ses frères jouent au quidditch. Non, Ginny a joué au quidditch. Seule, sous la pluie ou la canicule, qu'importe. Ginny n'est pas une banale petite dernière de famille. Ça serait plus facile pourtant.
Je traverserai les nuages comme le fait la lumière,
J'écouterai sous la pluie la symphonie des éclairs.
Que tombe la pluie ! Que gronde le tonnerre ! Ginny se sent comme le temps. Énervée, virevoltante, électrique. Bien sûr, elle pourrait voler quand il fait beau, mais quand il fait beau, les autres sont là, ils font du quidditch, ils sont impairs, ils prennent tous les balais et Ginny reste sur le côté. Elle les aime, mais elle sent qu'ils ne la traitent pas de la même manière qu'entre eux. Et ça c'est bien dommage. Maintenant, Ginny est double : il y a celle que tout le monde connait, qui est presque un personnage, qui est chérie de sa mère et de toute la famille, qui est casse-cou et a un fort caractère. Mais cette Ginny-là n'a pas le droit de pleurer.
En grandissant rien ne s'est calmé,
Petite tempête s'est trouvée
Des raisons de pleuvoir autant
Qui pourrait l'aimer franchement ?
Oui, ils l'aiment tous. Bill, Charlie, Percy, Fred et George, Ron. Son père. Sa mère. Ils l'aiment, mais pas sérieusement, pour l'instant, Ginny a plus l'impression d'être un animal de compagnie qu'un enfant. Quand tout le monde discute et qu'elle essaie de participer au mieux on l'ignore, au pire on lui dit qu'elle ne peut pas comprendre, que c'est des histoires de grand. Elle n'a qu'un an d'écart avec Ron ! Mais passer à Poudlard aide apparemment. Et être un garçon aussi. Un garçon au milieu des garçons.
Personne n'aimerait se retrouver au cœur d'une tempête, avouez
Il y a des raisons de pleurer,
Elle a ses raisons, mais...
Bien sûr qu'ils sont complices, frères et sœur qui ont toujours joué ensemble. Ginny a été dévastée quand Ron est parti pour Poudlard. Maintenant, il n'est plus le même. Il côtoie des célébrités comme Harry Potter ou Albus Dumbledore, et il la regarde avec la même condescendance que leurs frères avant eux, condescendance dont lui-même s'était plaint. Ginny n'aurait jamais personne à regarder comme ça, elle, comme pour dire j'en sais plus que toi, tu n'es pas assez mature, tu comprendras plus tard.
Il fait toujours beau au-dessus des nuages,
Mais moi si j'étais un oiseau j'irais danser sous l'orage,
La pluie continue de battre, le vent de souffler. Au loin, la lumière apaisante du Terrier. Ginny se doute qu'ils n'ont même pas encore remarqué son absence. Quand ses frères sont là, elle est invisible. Quand ils sont absents, elle a l'impression que sa mère n'a rien d'autre à faire que de la couver. Pas d'entre deux. Pourtant, c'est ce qu'elle est Ginny, un entre deux. Pas une petite fille modèle, pas un garçon manqué. Entre les deux, il y a un espace non ?
Je traverserai les nuages comme le fait la lumière,
J'écouterai sous la pluie la symphonie des éclairs
Peut-être qu'il y a un espace. Peut être qu'on peut y accéder par un passage secret, comme celui qu'il faut connaître pour traverser les nuages sans se mouiller et grelotter toute la suite du vol. Ginny le prend, cet espace. Au-dessus des nuages, il fait beau, mais trop calme. Une beauté triste. Pas pour Ginny. Elle redescend. En bas, il y a les autres, et malgré tous ces défauts, le monde d'en bas est plus coloré, plus bruyant. À eux le silence morne et le soleil magnifique. À Ginny la pluie battante et les bourrasques.
Quand la tempête a su
Que des mélodies pouvaient s'échapper du vent
Ici, Ginny se sent elle-même. Seule, elle n'a pas besoin de se cacher. Ici, elle peut ressentir de manière exacerbée : ses oreilles n'entendent que l'étrange orchestre que forme l'orage, ses yeux ne voient rien d'autre que ce gris, ce gris qui bouge. L'odeur de la pluie est puissante, Ginny est trempée. Mais ici, personne pour la regarder, pour se moquer, pour lui dire de ne pas faire ça. Ron s'est toujours plaint d'être le dernier fils, et de ne pas avoir d'attentes sur lui, mais Ginny préfère ça à sa propre condition de dernière tout court.
Et se retrouver dans les cœurs des gens
Celle-ci s'est dit :
Mais elle les aime tous malgré tout et pour toujours. Ce sont ces frères, elle aime Bill qui est le plus grand, et qui arrive à passer d'un état sérieux à blagueur en un instant. Elle aime Charlie, qui peut parler pendant des heures des dragons. Elle aime Percy, même s'il est si sérieux, et si maladroit parfois. Elle aime les jumeaux qui semblent s'être donnés pour mission de faire rire encore et toujours. Elle aime Ron, parce que c'est celui de ces frères qui est le plus proche d'elle, celui avec qui elle est restée le plus longtemps en pestant contre les grands qui les abandonnaient pour aller à Poudlard. Même s'il l'avait visiblement oublié. Ginny le lui pardonnera sûrement un jour, mais pas tout de suite, pas tout de suite.
Nulle raison d'envier le soleil,
Je ferai danser les gens au rythme de mes pleurs,
C'est débile, elle a tant attendu qu'il revienne, mais il a changé définitivement, et les autres l'intègrent comme ils ne le faisaient pas avant. Ginny espère qu'elle sera un jour comme lui, un électron interchangeable au milieu des sept enfants Weasley. Mais la touffe de cheveux trop longue dans son dos l'enferme dans son rôle de fille, et Ginny a bien peur qu'elle reste à jamais à part. C'est si injuste ! Elle en repleurerait presque. Le soleil se couche maintenant. Une partie du ciel est déjà noyée de noir, et quelques points lumineux commencent à se peindre sur la toile sombre. Il n'y a plus de lumière, les autres vont s'inquiéter, elle devrait rentrer. Mais non. Ginny, dans un mouvement de révolte, reste encore. Ils n'avaient qu'à s'inquiéter avant, tant qu'elle était encore là. Parfois, elle aimerait leur dire ce qu'elle ressent. Mais encore une fois, comment le faire sans passer pour une fillette, une petite, une pleurnicharde ?
La tourmente de mes chants viendra réchauffer les cœurs,
Réchauffer mon cœur.
À l'horizon, le Terrier, encore une fois. Il brille. Il commence à faire froid. Ginny aimerait bien rentre, se réchauffer. Soudain, Ginny se sent toute petite. Ses lèvres fredonnent malgré elle une petite comptine que leur chantait leur mère quand ils étaient encore tous à la maison. "Un petit dragon, construisait sa maison. Deux petits dragons, cultivaient des potirons. Trois petits dragons, fabriquaient des potions. Quatre petits dragons, cueillaient des champignons. Cinq petits dragons, causaient des explosions. Six petits dragons, f'saient voler des crayons. Sept petits dragons..." C'est à ce moment-là qu'elle n'avait plus d'idées et qu'elle s'arrêtait. Ginny s'était toujours un peu sentie vexée par ça, elle s'identifiant au septième petit dragon qui n'avait rien à faire, qui passait en dernier, après les autres. À part encore et toujours.
Il fait toujours beau au-dessus des nuages
Mais moi je suis de ces oiseaux qui nous font danser sous l'orage
À part et alors ? Ginny est différente de ses frères, et c'est une force, pas une faiblesse. Elle a la chance de vivre dans une famille aimante, et d'avoir pu conserver son originalité. Fille et alors ? Ginny sera la plus forte des filles, elle qui a grandi avec tant de garçons. Petite et alors ? Il en faut bien une. Et si être choyée peut être étouffant, elle ressent ainsi tout le formidable amour de sa mère plus qu'aucun de ses frères. Ginny est ainsi : petite, fille, rebelle et audacieuse, timide et sensible, sportive et rêveuse, solitaire et solidaire, maladroite et capricieuse. Non, Ginny est comme les madeleines que sa mère lui fait toujours pour son anniversaire : elle sort du moule, et même si sa forme n'est pas formatée, définie, elle est unique, et rien qu'à elle, donc encore plus belle.
Je traverserai tous les nuages pour trouver la lumière
Il fait vraiment nuit maintenant. Avant de rentrer, Ginny cherche des yeux sa constellation préférée. Le Lion, qui a neuf étoiles comme les neuf membres de la famille Weasley. Oui, les Weasley sont des lions, et Ginny est une lionne, et Molly est une lionne aussi. Ginny ne vivra sûrement jamais comme sa mère ou ses frères, mais elle fera toujours partie de sa famille. Qu'elle rejoint maintenant. Son balai descend doucement sur les brises d'air jusqu'aux lumières du Terrier. Quand Ginny le pose dans le cabanon de jardin, elle court jusqu'à la porte et se jette dans les bras de sa mère avant que celle-ci ne la fâche. Elle fredonne un petit air, une fin pour la ritournelle de son enfance. "Sept petits dragons, partaient en expédition". Ron lui demande ce qu'elle chante. "Rien, du Célestina Moldubec". Et elle sourit.
en chantant la symphonie des éclairs