Summary: Lily avait été fière, Lily avait été le feu et Lily avait été en colère.
Pétunia ne connaissait plus le froid l'hiver, mais, au fond de son coeur, mordait parfois le remords amer.
Le brasier de Lily ravivait les flammes des vieilles luttes et allumait celles des nouvelles.
Petit hommage au film "Pride" de Matthew Warchus, et surtout à l'histoire vraie qu'il raconte : celle des groupes "Lesbians and Gays Support the Miners" et "Lesbians against Pits Closure", celle de l'alliance de la grève sociale et de la lutte sociétale.
Categories: Romance (Slash),
Tranches de vie,
Epoque Maraudeurs Characters: Lily Evans, Marlene McKinnon, Mary MacDonald, Pétunia Evans, Vernon Dursley
Genres: Amitié, Famille, Femslash/Yuri
Langue: Français
Warnings: Discrimination, Lime
Challenges: Aucun
Series: Les Soliflores, The Trans HPF Month, Pitite participation au Trans HPF Month 2023, Nanothon à mort - Édition 2023
Chapters: 3
Completed: Oui
Word count: 13544
Read: 1107
Published: 11/03/2024
Updated: 24/03/2024
Story Notes:
Amie lectrice, ami lecteur,
Ce texte a été rédigé dans le cadre des prompts lancés par l'équipe de la modération de HPF Fanfiction à l'occasion du Trans HPF Month 2023.
Il répond aux prompt n°17 - Rose, mauve et bleu, prompt n°23 - Queer friendship, et prompt n°24 - Le cri des enragé.e.s.
Les warnings recouvrent peu ou prou toute la fic. La mention de "lime" est peut-être exagérée, ici il ne s'agit pas de scène sensuelle à proprement parler pour de la romance, mais de conversations autour de l'éducation sexuelle, l'accès à une sexualité éclairée.
1. 1. Sororité by PititeCitrouille
2. 2. Secrets by PititeCitrouille
3. 3. Solidarité by PititeCitrouille
1. Sororité by PititeCitrouille
Author's Notes:
Ce chapitre répond plus précisément au prompt n°17 - Rose, mauve et bleu.
Avertissement : report de propos et attitudes discriminatoires envers les personnes atteintes par le VIH
Le poste de télévision ânonnait les nouvelles du jour. Crise diplomatique entre l’Europe et Ronald Reagan sur fond de missiles, guerre Iran-Irak, sans transition : décès du chorégraphe Balanchine.
Pendant ce temps, Pétunia faisait la poussière. Les enfants là-haut dormaient, elle pouvait en profiter pour pousser les meubles du salon, débrancher des câbles, déplacer des bibelots. Occupée à divers allers-retours, ses pensées davantage focalisées sur l'ordre de ses tâches, elle n'écoutait que d'une oreille distraite le son émis par le téléviseur.
Après le journal, il y eut la météo avec Jim MacGuffin, inaltérable sur ce temps d'antenne, sorte de roc du paysage audiovisuel britannique, puis un débat économique, le tout entrecoupé de quelques pages de publicité. Un nouvel aspirateur promettait un gain de temps considérable aux femmes, des croquettes savoureuses pour chiens, un repas équilibré pour notre animal préféré, et un cachet orange, de belles couleurs pour l'été.
Pétunia s'autorisa à souffler quelques instants dans le canapé lors de l'émission hebdomadaire de jardinage. Cependant, quelques cris là-haut l'avertirent que Harry et Dudley étaient réveillés. Sans vraiment chercher la nature exacte des faits, elle ordonna à Harry de retourner dans sa chambre une heure avec interdiction d'en sortir. Elle installa son tapis de jeu à Dudley, vérifia qu'il était en sécurité, satisfait de la punition de Harry et content de ses babioles, puis retourna vaquer à ses occupations.
Elle baissa le son lors du feuilleton qui suivit, gardant pour elle ce murmure qui lui rappelait une présence, et s'engouffra dans la cuisine. Elle prépara les dîners du soir et des jours suivants, sans trop se perdre dans ses pensées. La télévision servait à lui tenir conversation pour empêcher l'autre, celle de son esprit - ses remords, ses doutes, ses questions, ses souvenirs - accaparer son cerveau. Pétunia occupait habilement ses mains et sa tête, chaque jour.
Elle monta ensuite donner un bon bain à Dudley, joua avec lui, agenouillée sur le carrelage, à lui envoyer de l'eau et à faire buller le savon. Elle lui fredonna une comptine. Dudley lui fit un gros bisous lorsqu'après l'avoir sorti, ce qui ne manqua pas de le faire grelotter, elle l'emmitoufla dans une serviette moelleuse, comble de bonheur pour un enfant de cinq ans. Pétunia était aux anges ; elle savait parfaitement, à force de concentration extrême, oublier l'autre enfant - pour oublier l'autre.
Pendant que Harry se débrouillait dans l'eau, Pétunia s'occupa de ranger diverses affaires dans les placards. Elle n'était pas stupide, s'assurant tout de même du coin de l'œil qu'il ne glisse pas ou ne tombe pas. Seulement, elle ne lui témoigna aucune marque d'affection, et lui répondit, agacée, "tu ne vois pas que je suis occupée ?" lorsqu'il annonça simplement qu'il avait fini.
Elle les fit ensuite manger, encore une fois en montrant ostensiblement sa préférence pour Dudley. Il obtint ainsi la plus belle assiette, la mieux garnie, et ils conversèrent tous les deux comme si Harry n'était pas là. Ce n'était pas plus mal, étant donné que leurs interactions tournaient de plus en plus à la dispute : Harry avait l'âge de se rendre compte de la différence de traitement entre eux deux. Dudley, lui, avait compris les biais de ses parents et commençait à en jouer pour satisfaire ses envies - ses caprices.
Vernon était de sortie avec des collègues ce soir-là : Pétunia en profita pour dîner en même temps que les enfants, y trouvant là un moment privilégié avec son fils. Ensuite, toilettes, lecture d'une histoire et longs câlins pour Dudley, lumière fermée sèchement pour Harry.
Pétunia savoura le luxe d'un lave-vaisselle en se glissant à peine quelques minutes plus tard devant l'écran de la télévision. Elle avait vu que BBC 2 passait Le Magicien d'Oz et tenait absolument à le regarder. Elle monta le son.
BBC 1, où elle était, montrait un reportage inédit sur le VIH et le SIDA. D'après le présentateur, le but était de montrer le quotidien de personnes séropositives plus ou moins atteintes par le SIDA ; le document était promis authentique car les participants interrogés avaient expressément demandé à en faire partie.
Pétunia, comme tout le monde, entendait parler du VIH et du SIDA aux informations - ou plutôt, des personnes atteintes par ce virus ou ce syndrome. Homosexuels, toxicomanes. Paumés, dépravés. On parlait de sidaïques, de sidéens comme s'ils étaient des bêtes sauvages. Pétunia n'avait pas vraiment d'avis sur la question. Elle n'avait pas l'impression que ces gens étaient des bêtes sauvages. Mais elle n'en connaissait pas et ne cherchait pas à en fréquenter.
Au fond d'elle, une petite voix lui chuchota qu'elle était dans l'erreur, qu'elle en fréquentait sans le savoir, ce qui prouvait que ce n'était pas si important que cela. Et une autre voix, encore plus ténue, rajouta qu'elle savait parfaitement de qui la première voix parlait. Pétunia fit taire tout le monde, non pas en changeant de chaîne, mais en montant encore le son.
Elle se sentait intéressée par la question. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'elle regardait un document sur le sujet. Après tout, on en parlait beaucoup. Vernon haussait toujours les épaules. Il disait que c'était triste pour eux, que les jeunes vivaient dangereusement. Pétunia réalisa qu'il ne visait pas vraiment les homosexuels ou les toxicomanes - les groupes représentés aux informations. Plus exactement, il exécrait ces fêtes, ces permissivités nouvelles, le glam rock et le disco, mais dès lors qu'un politique parlait de sidaïque ou de sidéen, il se levait de son siège en disant "assez regardé la télévision ce soir".
Pétunia le réalisa d'un bloc. Elle se sentit toute chose. Elle continua d'évacuer soigneusement les raisons pour lesquelles elle pouvait se sentir plus concernée qu'elle ne le laissait croire par ces événements.
Le bandeau en bas de l'écran indiquait : "SIDA - Témoignage d'un homme bisexuel". Elle n'avait jamais lu ce mot. Elle pouvait admettre son existence, si jamais on lui expliquait ce qu'il signifiait. Mais elle était arrivée manifestement un peu tard et décida que c'était un synonyme de "homosexuel" pour comprendre la suite.
Pétunia ne pouvait pas ne pas se sentir saisie à la vue du visage émacié de l'homme. Comme le précisait le reportage, il avait fait le choix de se montrer tel qu'il était - sans maquillage, sans spots lumineux pour masquer la terrible vérité.
Il avait le crâne rasé, ce qui faisait ressortir son extrême maigreur. Sa peau, ordinairement pâle, était marquée de veines bleutées sur ses tempes. Une tâche sombre et violette semblait partir de sa nuque et monter jusque derrière son oreille droite. Une barbe désunie parcourait ses jours délavées. Ses orbites, creusées, étaient sillonnées de cernes - et le regard, cave, indiquait déjà qu'il était passé de l'autre côté. Bien qu'il n'était qu'une image télévisée, Pétunia fut incapable de le soutenir.
Avec pudeur, l'homme expliqua être atteint du sarcome de Kaposi, une évolution commune lors de la phase finale du SIDA. Il voulut montrer le type de lésion fréquente auquel les personnes atteintes étaient confrontées ; il incita la caméra à s'approcher, soulevant sa lèvre supérieure. Des nodules violets et noirs mangeaient ses gencives.
Pétunia ferma instinctivement les yeux. Mais l'éducation populaire devait bien commencer à faire son œuvre, car au dégoût spontané succéda bientôt une pitié empathique.
Et puis, il y avait ce bandeau. "SIDA - Témoignage d'un homme bisexuel". Lorsque le compagnon de l'homme prononça le mot, Pétunia se dit que si elle ne l'avait jamais lu, elle l'avait toutefois entendu quelque part.
Puis elle se trouva ridicule. Pourquoi buter sur ce mot ?
Le compagnon expliqua que le terme s'appliquait à des personnes qui aimaient les hommes et les femmes. Actuellement, l'homme bisexuel aimait un homme, lui-même, leur relation était donc homosexuelle.
Pourquoi accorder autant d'importance aux mots ?
La petite voix murmura du fond de son cœur : et pour toi, les mots ont-ils un sens ? Et elle avait raison. Tant pis pour le magicien d'Oz. D'ailleurs, on ne prononçait pas le mot "magie" dans cette maison.
Pétunia avait entendu ce mot, elle en était désormais sûre, mais elle ne savait plus où. Elle ne comprit pas d'abord pourquoi ce détail insignifiant l'obséda toute la soirée durant et une bonne partie de la nuit. Ce n'est qu'en se rendant aux toilettes à trois heures du matin, assise sur la cuvette, un peu lasse de si mal dormir, qu'elle eut l'illumination.
Bisexuelle.
C'était le mot que l'amie brune de Lily avait utilisé pour la décrire. Ah oui, Marlene, c'était bien ça. Et malgré le déficit évident d'heures de sommeil, les souvenirs revinrent peu à peu s'assembler dans le crâne de Pétunia pour former un tout cohérent.
Lily, d'après Marlene, avait été bisexuelle.
Toujours Lily à l'avant-garde.
***
Juillet 1977.
Marlene et Mary étaient accoudées à la fenêtre. Elles ne savaient pas que Pétunia, silencieuse dans la cuisine, pouvait les entendre - parce qu'elles ne s'imaginaient pas à quel point la maison était mal isolée, thermiquement comme phoniquement.
Qu'elles soient venues à la maison était déjà un grand signe d'amitié pour leur sœur. Lily revendiquait régulièrement sa fierté d'être fille de mineurs, mais elle ressentait de la culpabilité car elle n'avait pas grand-chose à offrir à ses amies. Cependant, ce n'était rien à côté de la honte sans bornes qui étreignait Pétunia. Aucune de ses connaissances n'était au courant de sa condition sociale, et c'était tant mieux.
"Je cite : je ne crois pas que j'aie jamais été amoureuse de Severus parce que j'ai déjà ressenti ce genre de chose, pour toi, Marlene, en cinquième année, mima Marlene elle-même.
- Et pareil pour toi l'an dernier, enchérit Mary.
- CE N'ÉTAIT QUE DE L'AMITIÉ TRÈS FORTE ! déclamèrent-elles toutes les deux avant de s'effondrer de rire.
- Et ça passe, ce genre de sentiment très fort, en plus, pourtant l'amitié est encore là, ajouta Marlene, pince-sans-rire.
- Sans compter que le mot attirance a aussi été prononcé à l'égard de Severus."
Elles se regardèrent. Pétunia vit mieux le visage anguleux de Mary. Elle était maigre et blonde, comme elle. Mais elle avait un je-ne-sais-quoi - un charme qui venait de ses épaules et de son maintien. Pétunia se rappela qu'il y avait une danseuse parmi les amies de Lily : c'était donc elle.
"Il faut le lui dire, peut-être, reprit cette dernière.
- Qu'elle est probablement bisexuelle ? Certainement pas.
- Pourquoi ? Ça ne changera rien. Elle ne connait pas le mot, qu'est-ce que cette connaissance nouvelle pourrait avoir de mal ?
- Lily est beaucoup trop perfectionniste. Elle va culpabiliser et penser que ses désirs passagers vont faire mourir notre couple."
Pétunia ne fut pas sûre de comprendre la phrase comme la grammaire avait envie de la lui faire comprendre. Sa curiosité, déjà bien mal placée, en fut décuplée. Elle resta immobile, à l'affût, consciente qu'un mouvement pouvait révéler sa présence.
"Laisse-la découvrir tranquillement la partie hétérosexuelle de sa personnalité avec James, déjà.
- Tu t'avances trop vite, Marlene, tempéra Mary. Ils ne sont qu'amis.
- Cette amitié est purement théorique. Plus sérieusement, elle gère déjà sa famille, sa pauvreté, ses études, la guerre et la prise de conscience que James n'est pas n'importe qui, je ne sais pas si c'est le bon moment pour lui dire que ça y est, elle est bisexuelle.
- James, avec nous, n'est qu'un ami - normal. Normal pour ce qu'on fait de notre petit groupe, en tout cas.
- Mary, non, tu ne peux pas dire ça. Il n'est pas juste riche... Il est... Il est... Pété de thunes, voilà ce qu'il est."
Mary partit en fou rire. Elle se pencha vers Marlene : Pétunia se sentit se liquéfier en prévoyant ce qui allait se passer. Marlene entrouvrit légèrement ses lèvres et elles restèrent quelques secondes suspendues l'une à l'autre. Pétunia se surprit à trouver beau le geste très doux et très tendre de leurs lèvres.
"Tu as peut-être raison, fit Mary en se relevant. Mais il n'y aura donc jamais de bon moment pour le lui faire savoir.
- C'est un risque à prendre, concéda Marlene."
Pétunia fut alors probablement encore plus éberluée de la banalité du baiser que du baiser lui-même. Elles reprenaient la conversation comme si de rien n'était ! Si le baiser témoignait de l'orientation sexuelle des jeunes filles, sa banalité, elle, prouvait d'abord qu'elles s'étaient trouvées et ensuite qu'elles avaient intégré tout cela dans leur quotidien.
***
Pétunia, atterrée, retourna se coucher sans bruit. Vernon ronflait ; elle ne pourrait pas se rendormir de sitôt. Allongée sur le dos, fixant les raies de lumière qu'imprimaient les réverbères du dehors sur le plafond à travers les volets, elle continua à ressasser d'autres souvenirs.
***
Septembre 1977.
Lily, maintenant en dernière année, avait le droit de disposer de ses déplacements comme elle le souhaitait. Elle était déjà revenue le weekend précédente à la maison pour parler avec leurs parents de l'organisation d'une manifestation. Elle leur avait expliqué des choses terribles qui se passaient chez les sorciers.
Pétunia vivait dans une pension pour jeunes filles, mais revenait aussi de temps en temps. Comme le weekend dernier, elle s'était fortement disputée avec Lily, arguant qu'elle pouvait décider encore de fuir la sorcellerie, ce à quoi Lily avait hurlé qu'elle se battrait au contraire jusqu'au bout, Pétunia avait espéré, ce weekend-ci, pouvoir profiter mieux de ses parents.
Peine perdue, Lily était encore là.
Il y avait donc de la tension dans l'air. Lily étudiait, sagement assise dans le canapé de la salle-à-manger qui lui servait aussi de lit. Pétunia hésitait toujours entre éprouver du remords ou non ; elle avait bien compris que Lily avait fait le choix de s'éclipser de leur chambre commune pour ne plus avoir à supporter ses railleries.
Pétunia aurait voulu parfois une autre relation avec elle, mais elle ne pouvait s'empêcher de souffrir de la comparaison. Lily était admirablement belle et elle ne le savait même pas, elle était bienveillante, serviable, prête à défendre la veuve et l'orphelin et elle ne s'en privait pas, courageuse, volontaire et opiniâtre. Pétunia ne mesurait pas combien elle avait dû lutter elle-même pour s'élever jusqu'à une position de sténodactylo : elle ne voyait que les parchemins mathématiques de Lily, Lily la première de la classe, Lily avide de comprendre le monde, Lily qui construisait le monde à coup d'équations illisibles.
L'après-midi aurait donc pu tourner tout aussi mal que la semaine précédente, mais un élément nouveau vint s'imbriquer dans la conversation.
"Maman, demande soudainement Lily, les pommettes roses, levant à peine les yeux de son livre, mais très concentrée, comment est-ce que ça se passe avec un garçon ?
- Ma chérie, répondit Violet, de quoi parles-tu ?"
Pétunia tricotait en face d'elle. Leur mère épluchait des pommes de terre et n'avait même pas pris la peine de regarder Lily pour répondre. Pétunia sentit et détesta aussitôt l'hypocrisie qui émanait d'elle. Elle savait que ses parents l'avaient eue à dix-huit ans, et Lily en avait dix-sept et demi. Elle ne put s'empêcher de surveiller l'attitude de sa mère, le regard rasant son rang de mailles en cours.
"L'amour. Faire l'amour. Avec un garçon.
- Mais enfin Lily, qu'est-ce qui te prend ? s'exclama Violet en posant son économe brutalement au milieu des épluchures.
- J'aime beaucoup un garçon de ma classe. Pour le moment, il ne se passe rien. Rien du tout, je veux dire. Mais je pressens que... Que cette année va changer beaucoup de choses. Non, maman, et Lily haussa le ton, je fais ce que je veux et je n'exclue pas d'avoir des relations sexuelles avec lui un jour.
- Lily, bégaya leur mère. Comment est-ce que tu peux dire cela ? Tu dois finir tes études... Postuler à ton genre de préparation pour l'université... Anticiper l'avenir ! Tu as tellement de potentiel, tout ce qui pourrait te sortir d'ici... Ne brûle pas cette chance pour un garçon !
- Maman ! s'énerva Lily, excédée."
Mais Violet tint bon, et commença à tempêter contre elle, expliquant qu'elle ne devait pas perdre sa réputation aussi, qu'elle se rendrait compte à l'âge adulte que c'était important de ne pas trancher le corps social et... Et Lily lui coupa la parole. Elle s'était levée et sa voix éclata pleine d'assurance et de colère.
"Ce qui devrait faire honte au corps social, comme tu le dis en essayant de m'amadouer sur notre précarité, ce sont tous ces hommes qui abusent des femmes. On ne cesse de nous dire que notre corps est notre faiblesse mais c'est faux, notre corps a le droit d'exister pour lui-même. Je veux juste savoir comment fonctionne le corps d'un homme et j'aurais préféré en converser avec une femme, et il se trouve que mes deux amies sont lesbiennes...
- Tu apprendras bien assez tôt avec ce garçon !
- Je ne veux pas le découvrir sur l'instant ! J'ai le droit de savoir car il n'y a rien de mal à le savoir ! Et lui sait comment fonctionne le corps d'une femme, parce que sa mère le lui a expliqué ! hurla Lily."
Pétunia aurait aimé avec un quart du courage de Lily à cet instant.
"Tu n'as qu'à lui demander, ou encore à l'un de tes autres amis.
- Maman, ce n'est pas forcément le genre de sujet qu'il est facile d'aborder, osa Pétunia.
- Il faut croire que si, répliqua Violet d'un ton sans appel, puis, haussant les épaules : je me demande bien comment font les autres."
Pétunia croisa le regard de Lily.
Le feu.
"Mary et Marlene ont chacune eu des explications sommaires sur ce que sont les règles et la conception d'un enfant. La mère de Mary l'a laissée aux bons soins de son cours de danse pour apprendre ce qu'est un corps. Marlene a dû demander à une amie lesbienne plus âgée comment fonctionne le corps d'une femme.
- Quoi de plus que les règles et la conception d'un enfant ? demanda Violet, cette fois-ci de bonne foi, Pétunia le comprit immédiatement.
- Les mécanismes du plaisir."
Violet rougit et ne répondit rien.
"Maman, pourquoi tu ne nous as jamais rien dit ? se lança enfin Pétunia."
C'était trop tard. La machine était lancée : les deux sœurs, soudain unies, n'attendaient déjà plus les réponses. Elles étaient dans l'urgence de s'exprimer enfin.
"C'est Lily qui a dû m'expliquer les règles et les pertes blanches ! Comment cela peut-il revenir à une petite sœur ?
- C'est Marlene qui m'a appris le consentement ! Parce qu'elle l'a appris elle-même par cette même amie ! Est-ce que cela est normal ? J'entends des choses atroces dans les couloirs, Maman... Alors cesse de crier à la vertu, et dis-toi que ce n'est pas le manque d'informations qui empêchera tes filles d'avoir des relations sexuelles !
- Toutes les filles de ma pension se débrouillent pour fréquenter les garçons dans leurs voitures ou alors ils se rendent les uns chez les autres en entrant et sortant par les fenêtres ! abonda Pétunia, soudainement animée par le feu qui se propageait depuis Lily, épicentre de la révolution du jour chez les Evans. Est-ce que ce ne serait pas plus sain qu'on nous laisse vivre... ?
- Nous ? releva Violet - d'un ton faible qui indiquait qu'elle commençait à capituler.
- J'ai déjà fait l'amour avec Vernon."
Le silence s'abattit sur le brasier. Un sourire sincère se dessina sur les lèvres de Lily, tandis que Violet, apeurée, les regardait alternativement.
"Et les conversations autour du thé du soir ne suffisent manifestement pas à se préparer à ce genre d'événement.
- Et c'est la double peine pour certaines, rajouta Lily, qui avait retrouvé son air bravache. Il y a de mauvais garçons qui font exprès de viser celles qu'ils jugent les plus vulnérables...
- Il y a de mauvais gens partout, remarqua Violet.
- Je parle de violences sexuelles, d'agressions sexuelles, de viols, Maman. Des mots que j'aurais aimé connaître de personnes plus âgées que moi, et pas de personnes de mon âge qui tentent de se débrouiller avec leur tout nouveau corps d'adulte."
Le menton de Violet commença à frémir, signe qu'elle retenait ses larmes. Lily, toujours l'unique au bon cœur, s'agenouilla et lui caressa la joue.
"Mamounette, on critique la société à travers toi. Ces décisions, tu ne les as pas prises toute seule.
- Je dois être une bien mauvaise mère pour les avoir écoutés, alors que sur bien d'autres sujets je ne les écoute pas.
- Tu nous as appris cela, aussi, Maman. On apprend tous plein de choses. Ça fait mal parce que la connaissance libère d'un poids qu'on ne soupçonnait pas... Mais il vaut mieux la connaissance, non ?"
Violet embrassa brièvement Lily sur la joue avant de s'effondrer à nouveau.
"Je voulais tellement... Vos études... Réussite... Sortir d'ici..."
***
Pétunia, si elle devait être honnête à ce moment-là avec elle-même, devrait avouer qu'elle était au bord des larmes. La seule chose qui l'empêchait de se laisser aller à exprimer ses émotions était la présence de Vernon à ses côtés. Il dormait encore profondément, mais une pudeur indicible l'empêchait de prendre le risque qu'il se ne réveille et ne la surprenne ainsi. Se contenant comme elle le pouvait, désormais bien réveillée, elle ne parvint pas à arrêter les souvenirs qui allaient et venaient, aussi clairs que si elle les avaient vécu la veille.
***
Février 1978.
Demain serait un grand jour : Pétunia voulait présenter Vernon à Lily. Cette dernière avait souhaité en retour lui présenter son amoureux. Pétunia avait émis des doutes sur la constance de leur relation, du fait de leur âge, mais Lily lui avait répondu posément que certaines circonstances faisaient que certaines choses pouvaient paraître inéluctables. Pétunia n'avait rien pu contester, même si, au fond d'elle, elle avait encore jalousé cette sœur si jeune qui avait déjà autant, si ce n'est plus, d'assurance qu'elle pour affronter le passage à la vie d'adulte.
Pétunia, en pleine réflexion sur le sujet, inattentive à ce qui se passait autour d'elle, sortit machinalement sa clef de son sac et entra dans la maison familiale. Il n'y avait personne ; elle savait que ses parents étaient allés débiter du bois pour le poêle. Que Lily ne soit pas là était déjà plus surprenant, compte tenu de sa ponctualité habituelle. Toutefois, Pétunia était déjà assez occupée dans sa tête pour s'en formaliser.
Elle se trouva un peu stupide à ne pas savoir quoi faire, toute seule, dans le salon. Tout semblait en effet déjà avoir été fait : la marmite de soupe refroidissait, le linge était repassé et plié, la table pour le repas du soir était même déjà mise. Pétunia nota quatre couverts, ce qui voulait dire que l'amoureux de Lily allait rester manger ce soir.
Soudain, quelques rires et des voix qui discutaient depuis l'étage interrompirent le silence de la maison. Le temps que Pétunia ne réalise que c'était celle de sa sœur et donc celle probable de ce Potter, elle en entendit assez pour comprendre dans la foulée qu'ils partageaient un moment intime, là-haut, dans ce qu'elle aurait aimé certifier être sa chambre mais qui était de fait et aussi la chambre de Lily.
Avant qu'elle ne l'en ai chassée.
Elle rougit, se trouva encore plus stupide que cinq minutes auparavant et sortit à pas de loup de la maison. Là-haut, sa sœur et son amoureux parlaient encore avec ses voix pleines de trémolos - désir et joie et pudeur peut-être - de choses que Pétunia ne pouvait pas comprendre entièrement, mais qui l'instruisirent assez pour le restant de ses jours, juste le temps qu'elle ferme la porte.
D'abord il y avait des mots qu'elle ne connaissait pas. Ensuite, à tout bien réfléchir, ils avaient l'air de se formuler à voix haute et intelligible ce qu'ils avaient envie de faire et ce qu'ils acceptaient de se donner l'un à l'autre.
Pétunia s'assit sur le banc devant la maison pour méditer sur la question. Elle faisait partie, comme Lily, d'une génération de filles auxquelles on ne disait pas tout - voire auxquelles on ne disait rien - sur la sexualité. La différence était que Lily avait eu Poudlard. Lily était une sorcière et elle avait eu le droit d'accéder à la connaissance.
Pétunia croyait dur comme fer que les sorciers étaient plus ouverts d'esprit sur ce sujet-là que ce qu'ils appelaient les Moldus : elle ne voyait pas que Poudlard n'était qu'une circonstance heureuse qui avait mis Marlene sur la route de Lily, et que le problème était systémique. Seule comptait, encore dans ces moments-là, la jalousie contre Lily qui savait, Lily qui osait, Lily qui marchait devant elle au soleil.
Pétunia n'aurait jamais pu concevoir qu'on se renouvelle autant de fois le consentement et qu'on accepte les réponses négatives avec la même joie qu'avec celle avec laquelle on accueille les réponses positives. C'était... inimaginable. On ne voyait pas de cela dans les films, on n'entendait pas de cela dans les conversations étouffées ; mais pour quelle raison, donc ? Ce qu'elle avait entendu de sa soeur et de son amoureux aurait tendance à lui prouver que ce n'était pas du tout un manque de romantisme - tout bien considéré, ça avait même l'air plutôt excitant.
Pétunia pensa aussi que Vernon ne l'avait jamais forcée et pourtant que ni l'un ni l'autre n'étaient de fait très à l'aise là-dedans. Voilà ce qu'ils étaient : désirants, mais ignorants. Lily, là-haut, de sa voix entrecoupée de rires qui disait des mots qui n'étaient pas des gros mots et pourtant qu'on ne mettait pas dans la bouche des jeunes personnes, avait plus œuvré pour la vie sexuelle de Pétunia que n'importe quelle conversation, aussi grivoise et pleine de sous-entendus soit-elle, de la salle commune de sa pension.
Comme la nuit tombait - la lumière du jour semblait éteinte même si le ciel était encore gris - Pétunia s'avisa de rentrer. Ses parents prenaient beaucoup de temps pour ramener le bois et elle commençait d'ailleurs à s'inquiéter. Elle fut tirée de ses pensées avant même d'avoir esquissé un mouvement.
"Pétunia...
- Oh, Lily.
- Désolée, je ne savais pas que tu étais dehors, toute seule, à attendre dans le froid !
- Ce n'est rien, répondit-elle, gênée."
Au silence qui suivit, Lily comprit et s'excusa à nouveau. Pétunia espéra que Potter n'allait pas sorti de sitôt de la maison.
"Lily, ne te moque pas de moi, s'il te plaît...
- Jamais, Pétunia, tu le sais bien."
C'était vrai et Pétunia souffrit instantanément de la comparaison entre l'attitude de sa sœur et la sienne.
"Je suis rentrée tout-à-l'heure, vous étiez... euh... occupés. Alors je n'ai pas voulu vous déranger.
- Il ne faut pas hésiter, la prochaine fois, Pétunia. Toi dehors dans le froid est plus importante que mon désir qui se renouvellera un autre jour."
Prochaine fois... Lily ne savait pas qu'il n'y aurait pas de prochaine fois : l'annonce des fiançailles était prévue le lendemain, le mariage et l'emménagement en avril, et si Pétunia marchait sur un fil lorsqu'il s'agissait de sa relation avec elle, Vernon avait toujours été plus catégorique.
"Lily. La question qui me taraude..."
Lily, emmitouflée derrière une grosse écharpe, n'arriva pas à se tourner complètement vers elle. Pétunia ressentit pourtant toute sa bienveillance qui l'écoutait attentivement.
"Dis-moi ce que c'est que le clitoris, s'il te plaît, ça a l'air très intéressant."
Et Lily ne se moqua pas.
***
Pétunia entrevit le lever du soleil derrière les raies du volet. Elle n'eut plus beaucoup à attendre avant que le réveil ne sonne.
"Bonjour Pétu, murmura Vernon à côté d'elle."
Lily avait été la seule à la surnommer Tunie. Tout le monde l'appelait autrement Pétu - ses parents, puis ses amies, puis Vernon, puis ses voisins.
"Bah alors, tu as l'air toute chose !
- Ce n'est rien, éluda Pétunia."
Elle se leva aussitôt pour s'épargner d'autres questions de Vernon.
Elle savait ce qu'il pensait de la sorcellerie et en particulier de sa sœur et de son beau-frère. Comment lui dire que Lily adolescente, Lily jeune femme, Lily bisexuelle, Lily amoureuse avait été tout cela - adolescente, jeune femme, bisexuelle, amoureuse - avec une vive avance sur son temps, qui se traînait derrière elle à haïr encore des êtres humains parce qu'ils s'aimaient ?
End Notes:
L'une de mes façons d'écire favorites en fanfiction est de ne pas donner de date, seulement des événements pour situer les événements temporellement. Ici on se place environ en mars, avril 1983.
Le projet est un peu ambitieux parce que Lily bisexuelle est quelque chose qui n'existe que depuis deux ans (peut-être un peu plus ? mais pas beaucoup plus) dans mon headcannon. Alors j'ai décidé d'exploiter avec elle la possibilité d'un coming-in, d'une vie sans label jusqu'à un âge un peu plus avancé que l'intégralité de mes autres personnages, qui se sait déjà à l'adolescence. Ce ne me paraît pas improbable à l'aune de ce qu'explique Marlene sur tout ce qu'elle a déjà à gérer à dix-sept ans.
Dans mon projet-énorme-qui-se-finira-un-jour (c'est-à-dire "Le Temps est à Mère"), je la fais survivre au 31 octobre 1981 tout en respectant le canon, et elle vivra tranquillement sa vie sans se poser de mot, dans un premier temps. Je voulais illustrer quelque chose d'hyper fluide, hyper détaché. En même temps, la sexualité de Lily et la sexualité tout court ne sont pas des sujets très importants de cette fic, j'aimais le fait de dire "voilà c'est une information, qui ne change rien, en fait". Je sais que c'est un peu utopique dans la société actuelle, mais j'aime placer des ombres d'espoir partout - que ça ne change rien, parce que ça n'a rien d'important, parce que c'est acquis et normalisé, d'une certaine manière.
Le reportage que regarde Pétunia a réellement existé. Il fait partie des témoignages iconographiques du grandiose documentaire L'adieu à Freddy Mercury. Il n'y avait peut-être pas le sarcome de Karposi dedans, j'ai fait une synthèse avec ce qui est montré directement dans "L'adieu à Freddy Mercury". Je crois que c'est l'un des documentaires qui m'a le plus émue ces dernières années, tout comme le film "Pride" est l'un des films qui m'a le plus émue dernièrement.
2. Secrets by PititeCitrouille
Author's Notes:
Ce chapitre répond plus précisément au prompt n°23 - Queer friendship.
Avertissement : report de propos homophobes courants dans les années 1980 (amalgame avec le VIH et le SIDA, stigmatisation du VIH et du SIDA, etc.)
Pétunia a évidemment des pensées biaisées (j'ai essayé de recentrer la télévision en tierce personnage de ce chapitre) sur ce sujet. Je ne cautionne absolument pas cela ; je l'écris dans un contexte de dénonciation.
Pétunia était bien installée dans son confort et ses habitudes. Ce matin-là ne dérogea donc pas à la règle. Elle se leva et passa une robe de chambre : les radiateurs réchauffaient doucement la maison et elle n'avait donc pas besoin d'un gros pull ou de plusieurs couches. Une fois parvenue dans sa cuisine, elle put user de la gazinière pour faire chauffer l'eau des cafés, les boissons de Dudley et Harry, le bacon, les œufs brouillés. Toutes les lumières sur son passage avaient été allumées et éclairaient joyeusement la maison.
Non, Pétunia et Vernon ne connaissaient définitivement pas la crise de l'énergie, cristallisée en cet hiver 1984 sous la forme d'un bras de fer entre les mineurs et le gouvernement. Et parce que Pétunia et Vernon faisaient partie d'une classe moyenne aisée, ils ne connaissaient d'ailleurs ni les privations ni les coupures : ils avaient de quoi payer leur train de vie. D'aucun ferait remarquer qu'il n'y a rien d'excessif à s'éclairer, se chauffer et cuisiner : c'est vrai, et c'était d'autant plus vrai à une époque où la sobriété pour raisons écologiques n'existait pas.
Vernon partit au travail d'humeur égale ce matin-là, tandis que Dudley, amolli par la douce chaleur d'une épaisse polaire contre son dos, fut plutôt calme. Pétunia lui prépara un bon goûter et veilla à ce qu'il ait des gants et un bonnet, fournit hâtivement à Harry un manteau à peu près décent, et les emmena ensuite tous les deux à la maternelle.
À part les premiers frimas prolongés, ce matin était un matin comme les autres. On était au début du mois de décembre ; des guirlandes étaient allumées partout dans les rues, les magasins regorgeaient de confiseries et de jouets, les trottoirs étaient jonchés çà et là d'aiguilles de sapin. Pétunia se donna du temps pour commencer sa liste de commissions, la liste des invités aux festivités de fin d'année ayant été établie.
En rentrant, son nez fut saisi de picotements et elle savoura pleinement la sensation de le sortir de son cache-nez pour le mettre au chaud. Ses joues étaient toutes roses de sa promenade, elle en fut vite revigorée.
Pourtant, chaque fois qu'elle ouvrait sa porte dans un sens ou l'autre par temps de grand froid, elle avait toujours une question qui affleurait au bord de ses pensées.
On extraie le charbon. On l'enfourne dans des centrales thermiques puissantes. Et on a froid chez soi.
Pétunia se tenait mieux informée qu'elle ne voulait le faire croire, puisqu'en plus de la radio ou de la télévision qui accompagnaient son quotidien, elle lisait - en cachette - le journal des mineurs de Cokeworth. Elle avait si honte de son ascendance qu'elle n'en avait pas dit grand-chose à Vernon.
Ma soeur est une sorcière, mes parents sont des mineurs. Point final.
Elle savait bien ce que Vernon pensait de tout ceci : elle ne lui en tenait pas rigueur, puisqu'il partageait, au fond, l'opinion de la majorité, opinion à laquelle même Pétunia tentait de se ranger. Elle n'était pas aussi engagée que ses parents ou que Lily, il n'y avait pas de tort à ses yeux.
Elle alluma la télévision en bruit de fond, entreprenant de repasser une corbeille de linge propre. La première pièce qu'elle saisit fut une chemise de Vernon : elle soupira. Pas parce que c'était une affaire de Vernon, mais parce que c'était une chemise.
"Une alliance inattendue : des gays de Londres au Pays de Galles pour soutenir les grévistes."
Pétunia releva un œil circonspect vers l'écran, certaine d'avoir mal entendu. Elle n'avait jamais eu vent d'une quelconque alliance entre les mineurs et des personnes qui se présentaient autrement que comme des travailleurs. C'était d'autant plus surprenant que les gays étaient, en ces temps-là, des parias de la société, à cause du nombre allant croissant d'homosexuels touchés par le SIDA et de l'homophobie qui se déchaînait contre cela.
Peut-être que c'était précisément cette circonstance qui avait décidé les gays à aller aider les mineurs. Pétunia se demanda sincèrement si ceci allait plaider pour la cause des grévistes, et même, au-delà de ça, pour leur propre cause. Elle en fut certaine dès qu'elle y pensa : la société allait avoir pour principale réaction le rejet au lieu de l'indifférence ou du mépris auparavant. Cela ne pouvait rien augurer de bon.
Au cours de la journée, puis des semaines qui suivirent, comme nombre de médias s'intéressaient à cette union incongrue, Pétunia réalisa qu'on parlait différemment de la grève. Oh c'était toujours un sujet économique et politique, bien sûr, mais il lui sembla qu'on parlait aussi des gens. Les reportages qui voulaient s'interroger sur les raisons qui avaient poussé les LGBT à se rendre dans des villages perdus du Nord et de l’Est étaient obligés de s'adresser à eux. Et s'ils voulaient donner dans le sensationnel, de poser des questions également aux grévistes.
Ceci ne voulait pas dire que le vent de l'opinion publique se tournait en la faveur d'eux tous, loin de là. On évoquait déjà des réouvertures de puits pour le début du printemps, parce que la grève avait tout asséché et que les enfants des mineurs avaient trop faim. On n'avait pas beaucoup évolué sur la considération accordée aux personnes atteintes par le VIH. La mode était à se demander si tel rockeur, soi-disant notoirement connu pour ses débordements, comme si les autres étaient plus sages, était perverti ou pas.
Mais, quoi qu'il en fut, des gens exprimaient leur rage et leur colère à la télévision. Alors Pétunia comprit ce qui les unissait : la lutte, réciproque d'ailleurs, contre la Première Ministre. Cette femme avait réussi, au milieu du chaos, à allier ces personnes, chose que certainement aucune d'entre elle n'aurait trouvé pertinente, acceptable, souhaitable quelques années auparavant.
En effet, Pétunia n'était pas dupe sur la rigueur du coron, où l'avortement, la contraception, la sexualité même, étaient des notions dont on ne causait pas. Les jeunes étaient toujours plus dégourdis que les aînés, puisqu'une répression sans explication entraîne mécaniquement une hausse de l'envie de savoir - la tentation si défendue. Ceci dit, le tableau n'avait jamais été très reluisant et Pétunia y trouvait l'une des origines de sa prise de distance avec sa famille.
En grandissant, elle avait bien compris que ses parents s'étaient mariés parce que sa mère avait alors été enceinte d'elle. Et pas l'inverse. Dès lors, il lui avait été difficile de concevoir la rudesse dont ses parents avaient fait parfois preuve pendant son adolescence à l'encontre de ses premiers émois. Et puis, plus tard encore, une question lancinante avait germé : était-elle autre chose qu'un accident ? Avait-elle été désirée ? À dix-huit ans... Mariés dans la foulée pour sauver les apparences... Alors ? Si l'avortement avait pu être envisagé... est-ce que... ?
Pétunia ne s'était jamais posé la question aussi intensément vis-à-vis de la venue au monde de Lily. Elle était pleine de préjugés à son égard, et puis au fond d'elle, elle avait toujours trouvé des circonstances atténuantes, puisque Lily était la deuxième. Ses parents, s'ils auraient rejeté en bloc l'idée d'un second enfant, n'auraient pas commis deux fois la même erreur, n'est-ce pas ?
Malgré tout, Pétunia avait encore des élans qui la rapprochaient, parfois, de la famille politique de ses parents. Ils étaient inconscients, comme enfouis au creux de son éducation. Par exemple, c'était grâce à ses insinuations que Vernon avait rendu obligatoire le port de chaussures de sécurité et de lunettes dans l'usine de fabrication de perceuses. C'était sous son instigation qu'un petit sachet de chocolats - de taille certes symbolique - était offert au repas de Noël. Plus récemment encore, le secrétariat s'était vu doté de sièges réglables.
Cela n'enlevait rien au caractère emporté, voire colérique, de Vernon, qui n'hésitait pas à s'énerver vis-à-vis de ses collègues. Cependant, grâce à Pétunia, les salariés devaient voir, de ci, de là, des améliorations de leur qualité de vie et de leur sécurité au travail. Il était même probable que Pétunia n'en soit pas complètement consciente. Elle avait travaillé, brièvement, pour l'entreprise de son mari et savait donc à peu près de quoi elle parlait : c'était sous ce prisme qu'elle envisageait les choses.
Pétunia se trouva ainsi bouleversée par cette alliance, un petit comme quelque mois plus tôt lorsqu'elle avait longuement pensé à Lily après un reportage télévisé sur le SIDA. Cette fois-ci, elle eut l'intuition plus nette que c'était comme si les événements voulaient encore plus vivement lui rappeler sa sœur, ses luttes et ses amours.
Elle se trouva troublée pendant plusieurs semaines, selon ce que distillait le poste de télévision. Elle voyait Lily partout dans sa maison, presqu'aussi clairement que si c'était vrai.
Un soir, elle fut si préoccupée qu'elle cuisina sommairement du dîner, du moins selon ses propres standards - inculqués par d'autres qu'elle-même cependant. Après manger, elle débarrassa la table avec tant d'étourderie qu'elle ébrécha une assiette. Elle rougit et la fourra rapidement à la poubelle, et déposa ensuite péniblement tout le reste dans le lave-vaisselle. Elle fut si distraite, à ce moment-là, qu'elle ne comprit pas tout de suite qu'elle y avait même mis ce qui n'avait pas à y aller, comme une grande potée de terre cuite. Elle s'en rendit compte seulement lorsque Vernon se chargea lui-même de l'y ôter.
Elle songea alors finalement que Vernon serait donc tout à fait capable de faire cette tâche ménagère par lui-même. Non, plutôt, c'était toujours la pensée de Lily qui déteignait sur la sienne dans ces moments-là. Chaque fois qu'elle s'imposait dans son esprit ou que des événements extérieurs la lui montraient comme une évidence, Pétunia se sentait littéralement sortir d'elle-même. Lily occupait alors son esprit critique et c'était aussi ses modes de raisonnement qui jaillissaient à travers la bouche de Pétunia, d'ordinaire si calme, si peu révoltée, si normative en fin de compte.
Elle n'eut guère le temps de développer, car Vernon lui demanda ensuite si tout allait bien pour elle. Pétunia lui rendit un regard surpris et se réfugia dans le salon, où elle alluma la télévision pour se donner à la fois une contenance et une occupation.
Un débat avait lieu entre un essayiste, un député, un journaliste et un reporter à propos d'un concert de solidarité lancé par un groupe de soutien constitué de gays et de lesbiennes. Les fonds seraient versés à un village gallois de mineurs touché de plein fouet par la crise économique. Pétunia fut frappée de l'inanité de la discussion, entre interventions racoleuses pour rappeler combien le rock pervertissait la jeunesse du pays - discours qui avait déjà trente ans - et insinuations plus graves sur le bien-fondé de se rendre à une manifestation de l'ordre homosexuel (sic). Pétunia était de plus en plus la proie de la culpabilité qu'elle nourrissait à l'égard de sa sœur, ce qui ne l'aidait pas, d’après elle, à avoir un comportement approprié vis-à-vis de son neveu.
Vernon, encore une fois, soupira.
"Pétu, tu ne veux pas éteindre ? C'est lassant. On ne parle que de ça.
- C'est l'actualité, répondit-elle, en haussant les épaules, les larmes au bord des yeux."
Elle se leva, prétexta de devoir reposer son tablier dans la cuisine pour fuir à nouveau Vernon, ravala ses larmes et se présenta à nouveau dans le salon. Vernon se caressait la moustache, pensif.
"On ne va pas s'infliger ça tout le temps, insista-t-il.
- Et bien change de chaîne, que veux-tu que je te dise d'autre ! s'énerva Pétunia, en lui tendant au passage la télécommande."
Vernon s'en empara, mais avant qu'il n'ait cliqué sur le bouton, une groupe de femmes, les bras en l'air, portant un t-shirt blanc orné d'un triangle rose, criait à l'écran "Les lesbiennes aussi ont le SIDA ! Deux fois oubliées !". Il marmonna "attends" à une Pétunia imaginaire puisque la réelle n'avait encore émis aucune objection.
"Tu veux voir ça ? demanda Pétunia.
- Euh, non. Oui. Enfin."
Vernon avait l'air plus gêné qu'elle, tout d'un coup. Pétunia ne s'en formalisa pas de suite. D'abord, elle était perturbée par cette image, qui détourait encore bon nombre de clichés sur ce qu'est le VIH et comment il se transmet. Ensuite, elle pensa aux amies de Lily - lesbiennes - et à Lily elle-même- qui aimait aussi les femmes. Le mot "homosexuel" était devenu plus courant depuis qu'on parlait de l'épidémie du SIDA, alors que les mots "lesbiennes" et "bisexuels" n'étaient que très peu prononcés et toujours en baissant un peu la voix.
"Toi, tu t'intéresses à ça ? continua Pétunia, faisant semblant de rester indifférente, voire méprisante, sur le sujet.
- Ça comme ça, non, ces façons de parler ne sont qu'une mode chez le jeunes d'aujourd'hui, sembla d'abord abonder Vernon. Mais.... Et bien, ces personnes existent, tu vois ?
- Oui, acquiesça Pétunia avec raideur. Et ?
- Et bah, il y en a dans toutes les familles, finit Vernon.
- Toi ? répondit-elle stupidement.
- Non, Marge, répondit-il avant de s'avachir sur le dossier du canapé.
- Ma sœur aussi, l'informa Pétunia, espérant tout d'un coup se sentir moins seule.
- Ta sœur ? Elle l'aimait, ce type... Non ?
- Bisexuelle.
- Ah. Lesbienne, je crois."
Ils se regardèrent un instant en chiens de faïence. Pétunia se demanda subrepticement si elle n'avait pas raté une information. Elle avait bien compris pourquoi Vernon et Marge étaient malgré tout si conformistes - selon ce vieux poncif "ce n'est pas à cause de nous s'il y a des problèmes", comme si vraiment les autres "l'avaient bien cherché". Mais alors, qu'est-ce qui changeait lorsqu'il fallait envisager l'existence des sorciers ?
Pétunia osa le dire à voix haute. Vernon la regarda d'un œil sévère.
"Jusqu'à présent les homosexuels et autres gens de cette espèce n'ont pas cherché à tuer les gens comme nous et n'ont pas de pouvoirs illimités qui peuvent nous nuire, Pétunia, voilà la différence. Ta sœur aimait les femmes, fort bien, mais surtout elle avait de cette engeance opportuniste et malfaisante en elle.
- Pardon, balbutia Pétunia. Oui, bien sûr, n'en parlons plus."
Pétunia écoutait les avis de Vernon et les suivait. Intégration, soumission. Pas de scandale, et de débats jamais vraiment. Pétunia avait toujours cru qu'elle haïssait suffisamment sa sœur pour cela. Et puis, l'objectif unique depuis que toute la famille était morte : garder celle que l'on avait fondé. Le mari, le fils, s'accrocher, tenir, mère et femme d'apparence socialement parfaite.
Au mois de mai, la brochure des mineurs de Cokeworth acheva le lent travail que le doute imprimait sur elle depuis quelques mois. Après quelques photos des défilés symboliques de la fête internationale de lutte pour les droits des travailleurs, il y a avait les nouvelles du secteur. Débats, réformes, suivi de l'activité législative du pays.
Et ce petit encart.
"Rendez-vous devant la mine de M. Corp. pour prendre l'autocar ce 25 juin 1985 à neuf heures et demie. Arrivée à Hyde Park, Londres à treize heures, pour soutenir dans la lutte nos camarades LGBT de Grande Bretagne et du monde entier et les remercier comme il se doit de leur généreux soutien tout au long de l'hiver ! Participation financière au voyage possible, vous adresser au trésorier etc."
Pétunia hésita.
Une parenthèse.... Elle n'avait besoin que de ça. Achever son deuil de Lily sans en rien laisser paraître au dehors, et continuer sa vie ordinaire ensuite. Se décaler une seule et unique fois de l'opinion de Vernon et de celle des autres d'ailleurs. Comme pour mieux revenir dans le rang ensuite.
Vernon avait fait quelques concessions pour ses salariés et acceptait sa soeur, mais jamais il n'irait plus loin que là. Au-delà se trouvait un monde qui n'était pas le sien. C'était le monde de Lily. Un mélange de celui de leurs parents Violet et Ginger et de celui de ses amies Mary et Marlene. Une union, plutôt. Oui, le mot "union" était pleinement polysémique ici. Au pluriel, comme l'engagement de Lily.
Pétunia profita d'un jour où Vernon emmena Dudley au golf pour déposer Harry chez Madame Figgs et se précipiter dans la voiture, en direction de Cokeworth. Elle ne savait pas trop pourquoi elle y allait. Ç'aurait été cliché de dire que c'était "pour chercher des réponses à ses questions" : à la vérité, il ne lui parut pas en avoir, sur l'instant. Alors, pour chercher des questions, peut-être.
Pétunia ralentit aux abords de la petite ville. On distinguait bien, de la route qu'elle prenait, qui suivait la rivière jusqu'à la mer, les bâtiments portuaires et les toits d'usine de la ville d'à côté à droite et le haut de la forge de la ville de l'autre côté à gauche. Des symboles. Immédiatement devant elle, en face, la mine. Pétunia se sentit toute chose devant elle. Tout était gris ici : la terre, pauvre et désolée ailleurs, le ciel, nuageux, les bâtiments, sales, les âmes et les sentiments.
Pétunia fut prise d’une envie soudaine de faire demi-tour, accompagnée de la sensation indicible qu’elle faisait quelque chose de mal. Mais elle était beaucoup trop engagée dans ce qu’elle était en train de faire pour reculer : elle se secoua de sa torpeur et se dirigea vers le cimetière. C’était le dernier endroit où elle pouvait retrouver ses parents.
Elle ne se rendait presque jamais sur leur tombe. A la Toussaint, elle s’y rendait, prétextant que c’était la fête des Morts pour venir déposer un chrysanthème. Le calendrier était alors bien commode pour avoir une explication toute trouvée à son absence chronique devant l’autre tombe. Elle trouva donc, cette fois-ci avec un peu d’avance, le pot de fleurs pourri et séché, qu’elle évacua bien vite dans une poubelle.
Et maintenant, elle était debout devant la stèle, à se demander ce qu’elle attendait, au juste, de cette escapade. Elle avait cru trouver un sens à son parcours, mais elle devait se résigner : aucun miracle n’allait lui souffler la voie toute tracée à suivre. Elle n’avait qu’à suivre son opinion, ou son cœur.
Une toux lui fit relever la tête. Elle venait d’une femme, très maigre, très pâle, courbée, que Pétunia ne reconnut pas tout de suite, qui se tenait au bras d’un jeune homme, tout aussi pâle, aux mêmes cheveux noirs, au mêmes yeux noirs. Pétunia eut un frisson en réalisant qu’il s’agissait de ce sombre sorcier avec lequel Lily avait été si amie. Son regard n’était que haine, et il regardait au-dessus de sa mère. Pétunia devina qu’ils visitaient la tombe de son père.
Tobias Rogue avait son nom à Cokeworth, comme tant d’autres dans l’Impasse du Tisseur.
La femme continua à tousser, et sortit un mouchoir de sa poche. Pétunia vit, de là où elle était, le rouge teinter le blanc du tissu. La mère du sorcier, tout sorcier qu’il fût, n’avait pu échapper donc à une vie de servitudes, épouse d’un homme accidenté du travail, relégué au rang de chômeur par son dos brisé, puis au rang d’alcoolique par ses douleurs, et enfin au rang d’agresseur et de tyran par ses excès en mauvais vin. Ce cercle vicieux s’était rompu parce que le mari était mort, mais pour autant, elle continuait à payer sa vie de sa santé : elle était probablement tuberculeuse et mal soignée.
Pétunia sut qu’elle pouvait désormais rentrer chez elle.
Elle avait eu son signal.
Le SIDA tue et la précarité tue.
End Notes:
J'ai imaginé Marge lesbienne parce qu'on ne sait rien d'elle donc on peut en penser ce qu'on veut. Et elle m'a servie pour parler de quelque chose dont je n'ai pas encore parlé dans mes fics.
Tous les personnages LGBTQIA+ de mon headcanon s'inscrivent, chacun.e à leur manière, dans cette communauté, ses revendications, etc. Alors j'avais envie de parler un peu de ces personnes qui n'ont pas une orientation sexuelle normative mais qui utilisent le prétexte d'une vie normative pour décridibiliser celleux qui décident de vivre comme iels le souhaitent. C'est un comble d'ironie, dont j'arrive un petit peu à comprendre les tenants et les aboutissants (se protéger violemment des discriminations contre soi-même ?), mais je trouve que c'est vraiment une bien petite attitude et je voulais dénoncer ça aussi.
Je devrais peut-être placer à un moment mon amour pour la saison 3 de la série Skam France ? Allez voir cette série pour voir le moment où un personnage - concerné - explique tellement mieux que moi tout ça, dans l'épisode 5, mais pour voir aussi plein d'autres belles choses sur l'amour, l'amitié, la santé mentale, être soi même quand être soi est difficile ♥
J'avais été très choquée petite par les hurlements de Vernon. A dix ans je me disais déjà que "le patron n'a pas à crier sur ses employés" (on ne se refait pas XD). Donc je ne voulais pas effacer cette réalité.
J'ai placé la tuberculose parce que j'ai vu récemment que cette maladie est préoccupante dans les départements les plus pauvres de France (Insee (2021)) et au-delà de ça, la corrélation pauvreté - maladie est frappante sur tous les types de maladies (Insee (2023)).
A bientôt pour le dernier chapitre,
Piti
3. Solidarité by PititeCitrouille
Author's Notes:
Song-fic sur la chanson syndicale anglo-saxonne, "Solidarity Forever" aux paroles de Ralph Chaplin sur un vieil air folk, que vous pouvez écouter sur cet edit du film Pride - qui a permis cette fic, si je puis dire. L'histoire du film est totalement vraie, et vous pourrez apercevoir, l'actrice qui joue Dolores Ombrage, Imelda Staunton. Elle joue dedans une femme de mineur, déterminée et tolérante, accueillante et forte.
Traduction des paroles dans le premier lien !
Phrase en italique que j'ai prise hors-contexte du chanteur de Shaka Ponk en plein concert. Je ne sais pas, ça a coulé de mes doigts en écrivant et j'ai eu un flash en tête à ce moment de la rédaction, et ça collait bien, alors je l'ai laissée.
Ce chapitre répond plus précisément au prompt n°24 - Le cri des enragé.es.
Solidarity forever.
C'était faux, au moins en ce qui concernait Pétunia. Elle avait une relation complexe à son milieu social d'origine. Elle ne le reniait pas, mais elle en avait honte, parfois - souvent, plus souvent que ce qu'elle ne le croyait elle-même. Elle ne défendait pas à cœur ouvert et à corps et à cris son monde. Au contraire, elle le faisait discrètement ; on ne devait pas le savoir.
Solidarity forever.
En particulier, cela fait maintenant huit qu'elle connaissait et fréquentait Vernon. Ils étaient mariés, propriétaires d'une maison et parents d'un enfant. Ceci signifiait, aux yeux de la plupart des gens et y compris de Pétunia, que leur situation était solide. Leur couple pouvait alors avoir confiance dans l'avenir, et pourtant, jamais en huit ans elle n'avait parlé de son origine sociale à son époux.
Solidarity forever.
Cette manifestation était seulement un point d'orgue, l'assouvissement d'un besoin enfoui, aussi éphémère qu'intense. C'était une incartade au milieu d'une vie bien huilée. Un hommage et des souvenirs qui devraient éteindre le feu du manque pour les années à venir - un peu comme visiter la tombe d'un être cher est une parenthèse émouvante nécessaire à la continuité de la vie par ailleurs. Pétunia avait déjà un peu moins mal au cœur depuis le décès de ses parents et celui de Lily ; le temps faisait son œuvre. Elle savait bien que dès le lendemain, elle ne chercherait pas à soutenir de façon plus marquée les mineurs - les frères et les sœurs de ses parents et de Lily, ses frères et sœurs.
For the union makes us strong !
En effet, malgré les défauts de son mariage, lesquels tenaient, à bien se l'avouer, à certains défauts de Vernon, Pétunia tenait à ce que l'écoulement du temps soit uniforme. Aucun accroc ne pouvait venir ternir leur union : elle aimait Vernon, raisonnablement. Il n'y avait plus ni découverte ni émerveillement, l'habitude accompagnait le quotidien, et c'était rassurant. Elle ne pouvait pas quitter sa seule famille vivante pour retrouver spirituellement ses morts ; elle savait que Lily aurait été le genre de personne à avoir ce courage, qu'elle n'avait pas. Et surtout, elle chérissait son fils plus que tout, elle pensait donc volontiers qu'il méritait tous ses efforts pour maintenir leur situation.
When the union's inspiration through the workers' blood shall run –
Pétunia trouva facilement le cortège des mineurs de Cokeworth. Elle se fondit dans la petite foule compacte qui se pressait derrière l'étendard de la ville. C'était un grand oriflamme rouge brodé de jaune qui représente une main, la main si abîmée du mineur, une pioche et un grisoumètre. Il était tenu par deux jeunes hommes en bérets. Pétunia fit un effort violent pour essayer de se souvenir des gamins de Cokeworth - ses compagnons de jeu et ses camarades de classe. Mais rien ne lui revint : le travail les avait prématurément vieillis.
There can be no power greater anywhere beneath the sun.
La manifestation était baignée d'un soleil éclatant, chance fortuite et pleine d'espoir car il réchauffait les cœurs et revigorait les corps. Ils en avaient tous bien besoin ; l'actualité sociale des derniers mois avait été particulièrement éprouvante, avec un hiver terrible en point d'orgue. Parce que des réserves colossales de charbon avaient été sécurisées auparavant par l'État, les mineurs s'étaient mis en grève générale pour un impact bien moins important qu'espéré. Ils n'avaient pas été entendus, et, se heurtant à la faim, celle qui soulève parce que l'Homme ne peut vivre sans manger et ne peut voir ses enfants pleurer, ils avaient durci un mouvement voué inéluctablement à l'échec.
Yet what force on earth is weaker than the feeble strength of one.
Malgré cela, ils avaient gardé la tête haute et leur dignité, même lors de la réouverture progressive des puits. Pétunia se souvenait bien de tout cela. À la différence d'eux tous, elle n'en avait rien vécu. Elle ne le savait que parce qu'elle s'était informée sur le sujet : sa chair n'avait pas connu la faim et le froid depuis longtemps, et en particulier pas ceux de l'hiver précédent. Elle se sentit soudain particulièrement illégitime à marcher dans ce groupe. Ses pas étaient discordants avec les leurs, elle n'allait pas à la même vitesse - elle ne faisait plus partie de cette classe sociale. Elle observa alors les gens autour d'elle, cherchant une contenance qu'elle ne trouva pas. Quelques personnes devaient la reconnaître car elle crut entendre "mais si, Miss Evans" ou voir des pâles sourires à son encontre. Elle ne fut pas capable de répondre à quoi que ce soit.
But the union makes us strong !
Elle regarda alors un peu plus haut. En avant comme en arrière, des drapeaux bleus, gris, verts, jaunes, violets, blancs, festival de couleurs, marquaient le soutien de l'entièreté de la communauté minière à l'objet de la marche du jour. La même détermination, sans failles, jaillissait de toutes parts. Le ciel de la manifestation était peuplé de ces marques fortes de l'identité minière, rencontrant les toits des immeubles des beaux quartiers londoniens. Symboliquement, ils se réappropriaient aussi cet espace qui n'était pas socialement le leur. Toutes les villes, même les plus reculées du Pays de Galles ou de l'Écosse, étaient représentées dans cette marche sur Londres.
Solidarity forever.
Si Pétunia pouvait, en son for intérieur, analyser tout ceci, c'est parce que, malgré ses louvoiements, elle ne pouvait pas rejeter en bloc d'où elle venait. C'était imprimé rien que dans ses souvenirs, mais aussi dans, peut-être, certaines de ses façons d'agir ou de penser. Paradoxalement, elle tenait sa maison parfaite parce qu'elle ne savait pas ce qu'était censée être une maison parfaite pour des petits bourgeois de la classe moyenne un peu élevée : elle cherchait donc à surpasser les attentes. De même, elle lisait avec avidité des manuels sur l'art d'être une bonne femme au foyer, en dépit des remontrances de Vernon qui lui disait toujours : "sois naturelle"... Mais pouvait-il soupçonner que sa nature, justement, allait heurter ses propres conventions sociales ?
Solidarity forever.
En particulier, son père, grand bavard et passionné par l'histoire sociale locale, avait donné, à elle et Lily, une éducation politique plutôt solide. Elle avait été bien sûr indéniablement portée vers une certaine vision du monde économique. Cependant, quoi qu'il en soit, ceci permettait de comprendre beaucoup de choses à la vie politique et de se faire ses propres avis. Ainsi, Pétunia n'avait jamais été très radicale dans les siens, probablement adoucie par ses fréquentations et ce qu'elle croyait être la facilité avec laquelle elle avait pris l'ascenseur social.
Solidarity forever.
Lily aussi l'avait pris. Elle était même montée bien plus haut qu'elle ; son mari, ce Potter, avait été l'héritier d'une famille d'aristocrates extrêmement influents et fortunés. Pétunia avait vu les photographies de sa soeur en robe sublime dans la salle à manger de ses parents, du château moyenâgeux, de la maison secondaire, des terres et des jardins - et surtout de sa sœur en robe sublime, belle et amoureuse. Et pourtant, le cœur de Lily était resté solidement accroché en bas de l'échelle : Pétunia l'avait toujours vue, avec son caractère de feu et sa volonté de toujours aider la veuve et l'orphelin, partager vigoureusement les opinions de leurs parents.
For the union makes us strong !
Pétunia disposait donc de tous les codes pour comprendre l'importance du mouvement syndical, la nécessité symbolique de cette manifestation, le rôle des bannières et des chants. Au-delà de ça, elle avait toujours pu voir avec profondeur et acuité bien au-delà de ce qui avait été montré dans les reportages télévisés, passer derrière l'image pour conceptualiser les rapports de force, les manœuvres politiques, les conséquences probables de chaque action. Finalement, elle avait encore sa place dans cette manifestation, parce qu'elle avait encore, à son esprit défendant, un peu de communauté d'esprit avec eux.
Is there aught we hold in common with the greedy parasite,
Le souvenir de leur mère, plus taciturne, céda à celui de leur père. Si Ginger avait été expansif, généreux dans l'effort, le cœur bordé d'émotions à chaque action syndicale, Violet, elle, avait été un pilier redoutable de stratégie. Violet avait toujours été plus économe de ses paroles et même de ses mouvements, sans doute parce qu'elle avait été une femme dans un monde d'hommes, et une femme qui s'était occupée de ses enfants en plus de la mine et de la grève. Les femmes sont souvent stéréotypées plus organisées que les hommes ; mais elles n'en ont pas le choix dans cette société.
Who would lash us into serfdom and would crush us with his might ?
Violet s'était fait une jolie réputation de négociatrice. Son excellente mémoire et ses arguments incisifs l'avaient alors rendue indispensable à toutes les discussions - en interne mais aussi avec le patronat. Combien de fois Pétunia et Lily l'avaient-elles vue, concentrée sur la table de la cuisine, à écrire sur une feuille les points saillants de ses raisonnements ! Elle leur avait alors rappelé, à chaque fois, l'importance de l'école pour façonner l'esprit critique : elle-même l'avait quittée trop tôt, écrivait mal, et avait acquis ses nouvelles compétences seulement grâce au cours du soir dispensés par le syndicat.
Is there anything left to us but to organize and fight ?
Pétunia se sentit submergée de souvenirs. Petite, tout ceci lui avait été familier et malgré les difficultés, elle avait longtemps cru qu'il en était ainsi pour une majorité d'autres enfants. Désormais, elle se rendait mieux compte, au contraire, de la singularité de ses parents et des mineurs, envers lesquels l'opinion publique était finalement largement défavorable. Ils ne luttaient pas que contre une petite caste, et bien davantage contre un ordre d'idées.
For the union makes us strong.
Tous les caractères étaient de fait utiles dans la lutte. Quand une personne émotive voire colérique comme Ginger criait, elle soulevait avec elle quinze autres à sa suite. Et quand elle s'effondrait sous le coup de l'opprobre publique ou de la fatigue, la chaleur humaine avait tôt fait de la relever. Quand une personne sensée et réfléchie comme Violet avançait ses arguments, elle faisait pâlir ses interlocuteurs et il leur fallait parfois beaucoup de temps pour lui répondre de manière cohérente. Ce genre de personne était moins facile à faire flancher, et il y avait toujours des vérités qui sortaient du mur d'auditeurs, bloc massif derrière elle, si jamais elle se trouvait à court d'idées. L'union de Violet et de Ginger avait aussi beaucoup symbolisé l'espoir pour le coron, tous les deux vigoureux et insubmersibles, mais chacun à leur manière.
Solidarity forever.
Pétunia, sans s'en être d'abord rendue compte, avait fini par s'accorder au rythme lent de la marche et des chants. Penser à tout cela l'avait en effet ramenée à la première réalité qu'elle avait connue. Elle aussi se souvenait de l'étendard de Cokeworth ! Il flottait haut au soleil, et en un instant fugace, elle aurait pu jurer que c'était son père qui le tenait bien haut par la potence de droite, l'image qu'elle avait de lui se confondant avec le petit homme râblé, coiffé d'un béret, qui se tenait quelques mètres devant elle.
Solidarity forever.
Malgré ses habits plus chics que ceux que portaient les gens autour d'elle, ses petits talons et son rouge à lèvres, elle commença doucement à se fondre dans la foule. De loin, on aurait pu la distinguer quelques moments auparavant : elle aurait été la seule à contretemps, une sorte de petite pierre invisible autour de laquelle se divisait le flux de la rivière avant de se rejoindre enfin. Désormais, elle était enfin engagée dans la masse informe qui avançait et elle ne ressentait plus beaucoup le décalage qui l'avait d'abord intimidée.
Solidarity forever.
Ses parents ne l'avaient jamais emmenée en manifestation, d'abord parce qu'une enfant dans une foule compacte peut se perdre facilement et ensuite parce que les abords d'une mine en grève ne sont pas réputés paisibles. Là, c'était comme si ce dernier lien, qui aurait pu exister six ans plus tôt, lors de l'Hiver du Mécontentement en 1978, venait enfin de se matérialiser. Bien sûr, ses parents étaient décédés entre temps, mais Pétunia était croyante : elle vit dans ce mouvement qui l'entraînait les mains tendues de ses parents.
For the union makes us strong !
Pétunia leur en voulait encore de leur préférence presqu'inconsciente pour Lily. Après tout, ils étaient aussi les parents de celle-ci : que ferait Pétunia si elle avait deux enfants et qu'elle trouvait l'un des deux brillant, intelligent, beau, etc. ? Elle le savait déjà. Le fils de Lily n'était que son neveu, mais à la différence de ses parents qui avaient toujours cru bien faire y compris avec elle, elle agissait volontairement de façon malfaisante avec lui. Non, elle n'avait rien à dire pour sa défense. Et dans la clameur de la foule qui montait au soleil, elle préférait encore se sentir accompagnée par ses parents - comme s'ils lui rappelaient comment agir ici.
It is we who plowed the prairies, built the cities where they trade –
Au milieu des drapeaux officiels de diverses confédérations de mineurs, Pétunia remarqua aussi des sigles d'autres branches de l'industrie ; métallurgie notamment. Elle savait que la manifestation du jour avait gagné un soutien quasiment inconditionnel du côté des mineurs. Alors, que d'autres secteurs se rajoutent dans la lutte ne pouvait qu'être une belle surprise. À tout bien réfléchir, c'était logique, car la mine produit certes du charbon, de la houille et de la lignite, mais tout cela se rassemble un seul mot : de l'énergie. Or, l'énergie est nécessaire à tout.
Dug the mines and built the workshops, endless miles of railroad laid.
Les forgerons de la ville de l'autre côté étaient bien concernés par la question puisqu'une forge ne fonctionne qu'avec des quantités colossales d'énergie et de matériaux, eux-mêmes extraits également grâce à des quantités tout aussi colossales d'énergie. Au lieu de réprimander le droit de grève des mineurs, ils se tenaient également là, travailleurs du métal en fusion, travailleurs précaires et dans des conditions dangereuses donc, prêts à soutenir leurs frères et sœurs.
Now we stand outcast and starving midst the wonders we have made.
Ils avaient été rejoints par les ouvriers et les dockers de la ville d'à côté, point de commerce et de fabrication de toile de jute. Les travailleurs du textile et les travailleurs de la mer utilisaient également l'énergie produite par l'or noir pour faire hurler leurs machines, leurs moteurs, leurs vérins et leurs pistons. Ce n'était pas un monde de beaux tissus et de mers de carte postale : eux aussi courbaient l'échine sous la peine, et ne se relevaient dignement que pour accompagner leurs frères et leurs sœurs.
But the union makes us strong !
Toutes ces personnes étaient habituées à l'enfer assourdissant des barres de fer qui se frottent les unes contre les autres, claquent, roulent, tonnent, des engrenages sans fin, des sifflets des contre-maîtres pour prévenir des dangers, des tôles qui se froissent et des cris d'un bout à l'autre pour communiquer entre collègues ou soulager ses douleurs au dos. Elles savaient certainement respecter le silence : combien de fois le leur avait-on imposé pour suivre le cortège funéraire d'un salarié mort au travail ! Crier et chanter en manifestation était alors un bel exutoire, d'autant plus noble lorsque l'objet de la lutte n'était pas le sien directement. C'est le fondement de la solidarité, après tout.
Solidarity forever.
Pétunia se savait, dans la vie de tous les jours du moins, plus charitable que solidaire. Si cette manifestation n'était qu'une exception dans son parcours, une occasion de se remémorer des instants partagés avec ses parents et sa sœur, elle ne pouvait décemment affirmer qu'elle appliquait les valeurs de ceux-ci les autres jours. En revanche, lors des grandes occasions, elle était capable d'actions : elle signait volontiers un chèque une fois l'an à une association contre le mal-logement, donnait de temps à autre un paquet de riz à une collecte de biens alimentaires.... Dans l'urgence, c'est bien ce qu'il y a à faire, non ? Suppléer l'État dans l'immédiat en attendant que son action n'améliore durablement la vie des citoyens ?
Solidarity forever.
Pétunia voulait être mesurée dans toutes ses opinions : elle souhaitait par-dessus ne pas sortir du rang, agir en tant que parfaite femme au foyer d'une famille de la classe moyenne, ni plus, ni moins. L'esclandre, les scandales, tout ceci n'était pas pour elle. Endosser des responsabilités et défendre une opinion - surtout minoritaire - ne correspondaient pas à cet idéal soigneux. Pétunia n'avait toutefois pas complètement tourné le dos à tout ce vécu : elle laissait seulement le soin à d'autre d'avoir le courage qu'elle ne voulait pas avoir, et restait imaginative quant au reste.
Solidarity forever.
Pétunia s'était abonnée au journal de la fédération des mineurs majoritaire à Cokeworth. Elle recevait ce courrier dans sa boîte aux lettres, ma foi distribuée assez exactement le deux du mois, jour auquel elle prenait un soin précautionneux à se lever cinq minutes plus tôt que d'habitude, afin de le récupérer sûrement avant que Vernon ne se réveille. Elle le rangeait ensuite dans ses affaires – c’est-à-dire quelque part dans la cuisine, là où Vernon ne mettait quasiment jamais les pieds. Elle profitait que les enfants se reposaient l’après-midi pour le lire, et si ce n’était pas le cas, elle attendait les jours suivants. Elle prenait alors toutes les nouvelles, s’inquiétait, essayait de réfléchir à ce que ses parents auraient pu dire de tout ceci, et soupirait. Elle était en effet irrémédiablement plus policée qu’eux. Elle ne jetait pas le journal dans la poubelle car ce serait courir le risque de se dévoiler ; elle le posait donc en évidence sur un banc dans le parc d’un autre quartier, là où on ne la connaissait pas.
For the union makes us strong !
Pétunia était donc roublarde, à l’occasion. Elle avait même plusieurs fois cotisé à des caisses de grève. Elle le faisait toujours le cœur battant, croyant trahir Vernon et sa nouvelle classe sociale – alors que, faisant ceci, elle était paradoxalement bien plus fidèle à celle qui l’avait vu naître. Pour se donner bonne conscience, elle ne donnait aussi que des petites sommes, et jamais elle n’élevait un mot plus haut que l’autre en matière de politique, en public comme en privé. Tout bien considéré, elle naviguait entre deux eaux constamment, et si elle faisait tout cela, c’était surtout pour calmer le sentiment diffus de culpabilité qui la rongeait à propos de sa famille. Elle pressentait encore que si elle avait été moins dure avec Lily, elle aurait pu conserver une bonne relation avec elle comme avec leurs parents, et que peut-être au moins une partie d’entre eux aurait pu être sauvée.
All the world that's owned by idle drones is ours and ours alone.
Et comme le petit monde de Cokeworth était resté de taille modeste, des gens reconnurent franchement Pétunia et vinrent prendre de ses nouvelles. Pétunia se sentit très mal à l’aise : sa tenue détonnait et on savait qu’elle avait quitté l’enfer de la terre. Pourtant, personne ne démontra aucune animosité.
We have laid the wide foundations; built it skyward stone by stone.
Pétunia s’aperçut avec stupeur qu’ils semblaient connaître davantage Lily qu’elle, alors que Lily était celle qui était allée en internat et qu’elle-même était restée à la maison tout le long de son collège. Les gens se souvenaient davantage de la très belle fille des Evans, de la fille qui avait été étudier dans une grande école là-bas, de la fille qui participait à la vie de la communauté l’été. Pétunia, qui avait toujours été incapable de faire la différence entre la honte qu’elle pouvait ressentir au-dehors et la fierté qu’elle pouvait ressentir au-dedans, s’était finalement davantage renfermée sur elle-même que sa cadette.
It is ours, not to slave in, but to master and to own.
Certaines personnes qui avaient été là lors du drame terrible qui avait occasionné la mort de Violet et Ginger lui pressaient les mains avec une douleur dans les yeux qui perçait l’âme. Pétunia fut sincèrement touchée de leur sollicitude, fruit d’une bonne entente entre les habitants du coron – d’une entente travaillée dans la lutte et qui n’avait cédé à rien, même au temps qui passe. Et l’inévitable question s’achemina enfin jusqu’à ses oreilles : et votre sœur ? Comment va-t-elle ? Pétunia, absolument mortifiée, fut obligée de trouver une réponse rapidement… Elle ne pouvait pas mentir sur son décès. Mais elle n’avait pas le droit de raconter l’assassinat, la guerre qui avait sévi dans l’autre monde, l’orphelin à la maison… Alors elle rougit – ce qu’on prit pour de la tristesse et qui s’avéra être de l’embarras – et raconta l’accident de voiture. C’était exactement ce qu’elle expliquait à Harry – mais le répéter ne l’aidait pas à mieux y croire.
While the union makes us strong.
Et comme la manifestation du jour portait sur les fiertés arc-en-ciel, il ne manqua pas qu’on lui rappela les amies lesbiennes de Lily. Les gens s’en souvenaient : c’était terrible. Pétunia se sentit démunie au plus profond de son cœur. Elle ne pensait pas et n’avait jamais pensé que quiconque, à part ses parents et Lily, avait réellement fait attention à Mary et Marlene. Ces dernières avaient donc été ouvertement lesbiennes au-dehors du seuil de leur maison, et cela n’avait dérangé personne. Lily, même après sa mort, avait encore une fois raison : il y avait plus d’indifférence par manque de connaissance que de réel rejet dans le coron. La marche du jour donnait, justement, l’occasion de représenter plus correctement le monde tel qu’il était, avec ses divers travailleurs, ses diverses orientations sexuelles, ses diverses idéologies, ses diverses orientations de genre. Elle entérinait le début de la présence des représentations croisées.
Solidarity forever.
Tous les mensonges de Pétunia refirent alors surface : sa vie n’était qu’une vie de menteries et de compromis. Elle avait menti à Lily en lui faisant croire qu’elle ne l’aimait plus beaucoup, à ses parents en leur reprochant d’être fiers de leur fille, à Harry en niant tout simplement ce qu’avait été sa mère, à Vernon en ne lui ayant quasiment rien raconté de son enfance et de son adolescence, à Dursley en lui inculquant les valeurs de sa classe et non de son cœur, à Dumbledore qui avait pensé qu’elle accueillerait Harry comme un fils, et à ces manifestants qui la croyaient enracinée dans des convictions politiques fortes.
Solidarity forever.
Est-ce que la vie de Lily avait été faite de cela aussi ? Qu’avait-elle pu dire, elle, de son enfance et de son adolescence, à tous ces sorciers ? Elle ne devait pas être la seule qui avait découvert la magie quasiment en même temps que son entrée à Poudlard ; elle y avait eu des amies et des amis ; mais à quel prix ? Pétunia douta un instant que Lily ait réellement menti de bon cœur, bien qu’elle n’était pas non plus du genre à se taire. Sa rage de vivre et de s’exprimer devait venir de là, ses engagements aussi.
Solidarity forever.
Dans son groupe de sorciers résistants, elle avait dû se frotter tout de même à l’âpreté du mensonge. Pétunia ne réalisa qu’à cet instant de sa réflexion, dix ans après le début annoncé de la guerre des sorciers et quatre ans après le décès de sa sœur, que celle-ci s’était cachée aussi parce qu’elle était visée par la guerre. Or, c’était exactement la même chose qui se passait lorsque les personnes homosexuelles se cachaient parce qu’elles étaient visées par la loi.
For the union makes us strong !
C’était donc cela, le poids du secret. Vivre dans un monde dans lequel on n’a pas choisi de vivre et taire qui l’on est par crainte de se voir dénier violemment sa propre existence. Une Née-Moldue chez des sorciers réactionnaires, des LGBT dans une société patriarcale, des ouvriers dans une société ultra-libérale. Des LGBT sorciers dans une société moldue patriarcale, des ouvriers Nés-Moldus chez des sorciers réactionnaires libéraux... Combinaisons multiples illustrant la diversité et pourtant l’unité du monde. Oui, Lily avait raison : le front pour clamer ses droits fondamentaux devait être commun.
They have taken untold millions that they never toiled to earn –
Et pour cette raison, des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transgenres avaient décidé que la cause des mineurs était une juste cause. Alors que de par leur simple existence, ils étaient déjà difficilement intégrés dans la société, rejetés par les institutions et pas davantage acceptés d'ailleurs dans les cercles syndicaux, ils avaient identifié un ennemi commun. Alors ils étaient venus proposer l'alliance.
But without our brain and muscle not a single wheel can turn.
L'accueil avait été parfois circonspect, parfois chaleureux. Cela avait dû dépendre des personnes... Comme toujours, hélas. Cependant, l'aide avait été fort sincère et les mineurs avaient vite compris une chose : ces lesbiennes, ces gays, ces bisexuels et ces transgenres étaient au moins aussi précaires qu'eux, une fois mis au ban de la société des travailleurs, si l'on discutait du plan économique. Alors ils avaient identifié quelque chose de fondamental : ils faisaient partie de la même classe.
We can break their haughty power, gain our freedom when we learn.
Cet apprentissage mutuel avait été beau. Beau car les vécus s'étaient rencontrés, les expériences s'étaient partagées. Des mineurs avouaient une orientation sexuelle ou une orientation de genre LGBT, des LGBT avouaient être nés dans un coron ou y avoir une attache familiale. Ensemble, ils avaient appris à se défaire de leurs préjugés : classisme pour certains, homophobie pour d'autres. Bien sûr, les choses s'amélioreraient avec le temps ; et on parlait déjà de l'entérinement de l'acceptation des LGBT grâce aux prochains congrès syndicaux au niveau national !
That the union makes us strong !
Car il n'est jamais fini le temps d'apprendre la lutte, il n'est jamais fini de lutter, et lorsque les droit seront acquis, il faudra lutter pour les garder. Et tous répondront présents !
Solidarity forever.
Pétunia ne serait jamais allée jusqu'à dire qu'on était homophobes chez les Evans. Lily n'avait seulement jamais pu y avouer sa possible bisexualité puisqu'apparemment elle n'en avait jamais eu conscience. Cependant, si tel avait été le cas, il était sûr qu'elle aurait trouvé ses parents aimants et compréhensifs. Pour maigre preuve en compensation, ils ne lui avaient jamais interdit de fréquenter Marlene et Mary.
Solidarity forever.
Non, non, le défaut criant, maintenant que la rue débordait de couleurs, avait été tout simplement... l'absence. Absence de représentations, absence d'histoires racontées, absence de mots même. Violet et Ginger avaient plutôt été du genre à penser que les revendications LGBT étaient probablement sensées mais qu'on n'en avait jamais vu dans les usines parce la lutte sociale y était plus importante - voire nécessaire. Comme si seules des personnes qui ne crevaient pas de faim ou de douleurs au dos pouvaient avoir le temps de conceptualiser quelque chose de leur identité.
Solidarity forever.
Lily ne leur avait jamais dit frontalement qu'elle n'était pas vraiment d'accord avec eux : elle avait été, comme à son habitude, encore plus intelligente. Elle leur avait montré que c'était une forme de fausse opposition entre différentes personnes précaires, cette technique éculée qui fait repousser les droits de toutes et tous dans l'indifférence. C'était le genre de discours auxquels Violet et Ginger n'avaient pu que souscrire pleinement.
For the union makes us strong !
Si Pétunia ne rejetait pas les personnes atteintes par le VIH, c'était bien grâce à Lily, qui avait rempli pour elle-même ce besoin de représentations en n'hésitant pas à interroger ses amies. Pétunia les avait croisées rarement, mais une chose demeurait encore bien vivace dans ses souvenirs : elles avaient été ouvertement lesbiennes, et ceci avait été un acte d'amour peut-être mais surtout un acte politique. Lily avait été entourée de personnes aussi engagées et solaires qu'elle dans le monde des sorciers. Pétunia avait reçu les lettres de deuil : elle savait que toutes ces lumières avaient été éteintes pour avoir osé illuminer encore un peu le monde lorsqu'il s'était couvert de ténèbres.
In our hands is placed a power greater than their hoarded gold –
Lily avait été une vraie combattante, pour sa liberté de pensée, sa liberté sexuelle, sa liberté de vivre, tout simplement - la liberté d'enrager aussi, car elle avait été un feu de paille, Lily. Et il fallait bien avouer que peu de personnes que Pétunia connaissait ne pourraient prétendre avoir ne serait-ce qu'une infime portion de son courage, et de sa bravoure, et de se ténacité, et de pugnacité, et... Elle avait toujours porté haut son poing parce qu'elle savait peut-être, au fond, qu'elle faisait partie des seules personnes à être capable de mener autant de luttes de front, et oh que oui elle en était capable, elle ! Pas comme Pétunia, qui cherchait tant à se défausser plus ou moins malgré elle sur un prétendu nouveau rang social !
Greater than the might of atoms, magnified a thousand fold.
Bien sûr, Lily avait été aussi la connaissance incarnée ; Pétunia l'avait vue lire tant de manuels remplis de formules obscurs, se coucher si tard sur ses devoirs, s'épuiser à réfléchir, et malgré tout, leurs parents en avaient été si fiers car "c'était pour son bien" ! Pétunia pensait que tout ceci allait bien plus loin que ce simple constat, Lily s'étant découverte très tôt une fascination pour la physique théorique, la physique des particules, la physique de la magie - qui n'étaient que des concepts brumeux pour Pétunia. Non, Lily avait surtout un besoin enraciné en elle de connaître et comprendre le fonctionnement du monde, de balancer la politique par l'immuable, de croire en autre chose que des chimères, de prouver la solidité de certaines choses inaltérables.
We can bring to birth a new world from the ashes of the old.
De là, comble peut-être, mais chance inespérée pour Pétunia en définitive, venait tout ce que Lily lui avait appris, aussi. Si elle n'avait pas été aussi curieuse d'esprit et ouverte à l'autre, elle n'aurait peut-être pas été amie avec ces jeunes filles, Marlene et Mary, au point de discuter librement avec elles de sexualités et d'orientations sexuelles. Et si Lily n'avait pas eu son caractère bienveillant et son souci d'aider les gens, surtout ceux qu'elle aimait, elle n'aurait jamais rien partagé de tout ceci à Pétunia. Lily lui avait désacralisé tout ce qu'on pouvait entendre sur l'homosexualité, avant même que Pétunia ne soit assez mature pour s'en rendre compte. Lily lui avait fait comprendre le fonctionnement des corps et du consentement, et ceci avait éveillé Pétunia sur ces questions. Il lui restait pourtant beaucoup de questions irrésolues, leur relation n'ayant jamais été suffisante pour que les conversations soient autre chose que brèves... Et Pétunia se prit à le regretter.
For the union makes us strong !
Alors, à voir au loin les drapeaux arc-en-ciel voler sous le ciel éclatant, se confondant en arrière-plan avec ceux bariolés des confédérations de travailleurs, Pétunia se sentit monter une bouffée de fierté pour sa petite sœur. Ce sentiment était étrange et nouveau - mais il fut peut-être le plus authentique, le plus vrai, le plus sincère vis-à-vis d'elle depuis bien longtemps. Oui, d'ordinaire, ce n'est pas à une petite soeur de montrer l'exemple. Mais Lily n'avait jamais rien fait comme tout le monde ; elle avait eu ses valeurs chevillées au cœur et avait décidé qu'il fallait la tuer pour la convaincre de les trahir. Bisexuelle ou pas, là n'était pas vraiment la question, enfant de mineurs, engagée dans la guerre des sorciers, un soleil lumineux et chaud de fin d'été pour toutes et tous, voilà qui avait été Lily et ce que Pétunia célébrait ce jour-là.
Solidarity forever.
Le chant mêlé du peuple ouvrier et du peuple LGBT monta dans le ciel, embrassant grèves et rêves dans les mêmes bras. Car oui, toutes ces choses, au fond, ce n'est que de l'amour, et je vous le dis, ça va toujours me manquer. En attendant, ils avaient toutes et tous l'espoir furieux de vivre mieux demain. Des larmes mouillèrent les cils de Pétunia - Lily ne vivra ni le lendemain, ni les jours d'après, pas davantage que leurs parents qui avaient été si fiers d'elle...
Solidarity forever.
Pétunia ressentit toute l'amertume de ses larmes ; elle comprit mieux pourquoi sa sœur s'était sentie si instable entre le monde sorcier et leur monde, même si elle l'avait toujours bien caché. Pétunia savait qu'elle ferait de même. Parfois, elle penserait à sa soeur, à leur famille et à Cokeworth, et puis, l'instant d'après, elle garderait une face digne pour sauver son mariage, son nouveau statut social et la famille qu'elle avait fondée.
Solidarity forever.
Des mains inconnues, chaudes et bienveillantes, passèrent sur les épaules de Pétunia pour lui signifier soutien et amitié. Pétunia se trouva d'autant plus nostalgique que c'était exactement le genre de comportement si humain qu'aurait pu avoir Lily avec un inconnu en larmes en face d'elle. Ses yeux se brouillent tout-à-fait. Dans un sanglot étouffé, elle leva la tête un peu plus haut encore en espérant croiser la sérénité d'un ciel sans nuages. Elle vit alors, juchés sur une estrade, des ouvriers et des personnes LGBT qui se pressaient dans les bras les uns des autres, sous les hourras et les vivats de la foule. Puis cette dernière entonna vigoureusement un chant de lutte, sous le balancement des drapeaux de toutes ces sœurs et tous ces frères enfin réunis.
For the union makes us strong !
Pétunia resta muette, soufflée seulement de toute cette énergie qui ne suffisait pas à ramener les morts. En-dehors de tout ce qu'elle pouvait représenter de beau, de droit et de juste en ce monde, Lily et son sourire chaleureux lui manquaient terriblement.
End Notes:
Dernier chapitre de cette fic, dernière participation au HPF Trans Month !
J'ai bouclé le défi, je suis très heureuse ♥
J'espère que ma plume a été le moins maladroite possible, que je me suis améliorée aussi au cours de mes lectures, de mes connaissances, de l'actualité qui fait réfléchir, des choses nouvelles que j'ai apprises. J'ai écrit entre mai 2023 et novembre 2023 ; bien sûr qu'en six mois j'ai encore grandi, j'ai discuté avec de nouvelles personnes, j'ai vu de nouvelles choses. J'espère que ça se voit et surtout que ça se verra de manière plus pérenne dans ma manière d'écrire les personnes.
J'ai un headcannon avec plein de personnages qui représentent de façon diverse les diversités d'orientation sexuelle, j'espère pouvoir continuer à les exploiter de façon à avoir plusieurs angles - dénonciation, douceur, luttes, espoir... Et grâce à ce projet j'ai désormais Hestia Jones, et je vais la faire apparaître un petit peu dans ma fic longue en souvenir, il y a de la place pour elle bien sûr !
Mais avant de continuer plus avant dans mes chers Soliflores, je vais publier à partir de la semaine prochaine ma fic-cadeau de Noël... Vous verrez, un tout autre univers !
Piti
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