- Tiens, voilà ta baguette, lui dit-il en la lui donnant.
Drago murmura un bref merci poli. Il fit rouler la baguette entre ses doigts et contempla, pensif, l’objet qui avait provoqué la chute de Voldemort, sans arriver réaliser à pleinement ce qui se passait. Tout lui semblait irréel. À un certain moment, le brouhaha qui régnait dans la grande salle s’estompa et le silence se fit peu à peu. Un brancard avançait de lui-même, escorté de Slughorn et du préfet de Serpentard. Minerva McGonagall alla à sa rencontre pour lui désigner sa place. Drago reconnut la dépouille mortelle de son ancien directeur, Severus Rogue. Son visage d’une pâleur marmoréenne semblait porter dix années de moins. Débarrassé de son rictus habituel, il était empreint d’une sorte de sérénité et de noblesse, et bien qu’on ne pût dire qu’il fut beau, il émanait de lui comme un charme qui imposait le respect et faisait naître l’estime. La blessure au cou et le sang coagulé étaient encore visibles. Drago se sentit mal, comme si Rogue avait été plus redoutable mort que vif.
Il se passa alors une scène surréaliste. Harry Potter, grave et recueilli, s’approcha du corps et écarta du visage du défunt une mèche graisseuse qui lui barrait la figure. Drago aurait voulu crier, l’en empêcher, mais il resta sans voix, sans force. Ses jambes flageolaient. Déjà Harry avait reculé de trois pas, d’autres s’approchaient et faisaient cercle, ravissant ainsi le corps sans vie à la vue. Drago ne savait que faire, avancer ou se retirer. Il entendit appeler derrière lui : « Monsieur Malefoy ? » Il ne réalisa pas sur le moment qu’on s’adressait à lui. Il fallut qu’une main se posât sur épaule et qu’on le hélât à nouveau. « Monsieur Malefoy ? Voulez-vous nous suivre, s’il vous plaît ? Nous voudrions vous poser quelques questions. » Il reconnut alors des personnes du ministère dont il connaissait la sympathie pour la cause qui venait de triompher. Ses parents venaient d’être interpellés et n’avaient d’autre choix que de se soumettre à leur requête.
Drago avançait sur le chemin, les cheveux balayés par le vent. Il aurait voulu qu’il lui balaie aussi l’esprit. Il ressentait grand bien à marcher au grand air, à s’étirer les jambes et le corps, à sentir la rudesse de la bourrasque contrarier sa marche et le contraindre à l’effort. Pendant deux jours, on l’avait tenu en garde à vue et soumis à différents interrogatoires. Le témoignage de Harry Potter avait levé les soupçons qui pesaient sur lui, on l’avait relâché, lui et sa mère. Lucius Malefoy ne s’en tirait pas à s'y bon compte. Échappé d’Azkaban, il était aux arrêts. Drago savait que son père allait finir par s’en sortir, mais cela prendrait plusieurs semaines avant qu’il ne retrouve sa liberté. Le jeune homme parvint enfin au grillage d’un petit cimetière, il poussa la porte de fer forgé et vagua parmi les tombes. Il ne fut pas long à trouver celle qu’il cherchait. Il ne s’attendait pas à y trouver des fleurs, elles étaient encore fraîches. Il jeta juste un coup d’œil sur les inscriptions des rubans qui barraient les couronnes, sans prendre la peine de les lire consciencieusement. Il se tint un long moment debout, ne sachant comment trop comment faire pour se recueillir.
Être là, juste être là. Il ne lui en fallait pas plus, il ne fallait rien lui demander de plus. Il avait la tête vide, il était hébété. Parfois un souvenir traversait la brume de son esprit. Il se revoyait chercher refuge dans les toilettes des filles, près de Mimi Geignarde.
Rogue qui lui présentait son aide et lui qui la refusait.
Cette nuit-là au sommet de la tour quand il tenait Dumbledore en respect, sans se décider à le tuer.
L’expression du visage de Rogue lorsqu’il avait lancé l’Avada Kedavra.
L’année cauchemardesque qui venait de s’écouler, la peur au ventre, la peur au ventre, la peur au ventre,…
Tout cela était fini. Il était vidé, épuisé, désorienté.
Et encore, …
Harry Potter, son ennemi juré qu’il n’avait pas voulu dénoncé quand il avait senti le vent tourner. Crabbe qui l’avait défié et qui avait péri par son propre maléfice.
Harry qui l’avait sauvé d’une mort atroce.
La mort de celui qui était redevenu Tom Jedusor.
La réhabilitation de celui qui reposait devant lui, Severus Rogue.
Où était le bien, où était le mal ?
Il s’entendit murmurer : « Maître ! … Maître… ! »
Jamais il ne l’avait appelé ainsi de son vivant. Jamais il ne l’avait reconnu comme tel. Quels rapports avait-il entretenu avec lui ? Celui d’un enfant gâté, élève obséquieux d’un proche de son père. Il l’avait repoussé au moment où il lui aurait été le plus utile. Il aurait tant voulu qu’il fut là, se soumettre à sa férule comme un disciple à son maître, lui manifester estime et déférence, être à nouveau son élève. C’était trop tard … Severus Rogue n’était plus.
« Maître !… »
Sa lèvre tremblait.
Il y avait le vide tout autour de lui, pas seulement en face de lui, sur ses flancs et dans son dos. Il y avait le vide en dessous de lui, il lui semblait que ses pieds reposaient sur le néant.
Va Drago, va ! Qu’est-ce que ça fait ? Personne ne te voit de toute façon, pleure tout ton saoul, lave ton âme de larmes et de vent.