Honnêtement, ce n'est pas ce que j'ai fait de mieux. Et étrangement, ce n'est pas comme ça que je le vois mourir.
Son regard se porte sur une minuscule fenêtre qui ne laisse entrer qu’une lumière voilée. Dehors, la neige étouffe le silence qui précède la nuit. Une douleur fulgurante lui déchire la poitrine, lui coupe la respiration. Là, tout de suite, il a peur. Serait-ce son dernier souffle ? Non, il respire encore. Pour le moment, du moins. Alors encore une fois, il attend. Pour passer le temps, il ressasse les mêmes questions. De toute façon, il n’y a plus rien d’autre à faire. Il repasse sa vie au crible.
Ce matin-là, il avait regardé l’aube se lever en sachant qu’il admirait ce spectacle pour la dernière fois. Et là, il s’abime dans la contemplation du crépuscule en songeant que, ce soir, le soleil s’éteindrait plus que jamais sur lui. C’est un vieil homme enveloppé dans les couvertures de l’âge. A cet instant, il se sent prêt à affronter le jour le plus long de sa Prophétie. Son cœur ne bat déjà plus que de l’écho d’un vieil adage.
Pour lui, les promesses se sont écoulées comme se succèdent les vies. Et toutes ces choses qu’il n’a pas dites. Il aurait voulu dire à James qu’il était aussi fier de lui que de son père. Il aurait voulu dire à Albus que le courage, c’est d’affronter ses amis. Et à Lily, il aurait sourit. Il aurait voulut prévenir Ron qu’il ne pourrait pas assister au prochain match de Quidditch. Il aurait aimé lire à Hermione un vieux livre poétique. Tellement de paroles utiles, et personnes pour les entendre. Il est seul dans cette chambre.
Il soupire encore. Pourquoi est-il seul ? Malade depuis si longtemps, et personne pour se soucier du vieux gisant. Là, maintenant, il se sent triste. Il se dit que personne ne devrait avoir à mourir seul. Et ce silence qui l’étouffe. Où sont donc passés les rires de ses enfants ? Que font donc ses amis ?
Loin des yeux, loin du cœur. Harry Potter se meurt.
Il prépare déjà les choses qu’il dira à ceux qui ne sont plus là. D’abord, il crierait à Dumbledore qu’il a réussi. Et puis, il regarderait Rogue, incapable de lui dire qu’il regrette. Il dirait à Remus qu’il avait été plus qu’un ami. Il enlacerait Tonks en lui jurant que tout va bien pour Teddy. Il dirait à Arthur et Molly que Ron a été heureux. Il irait voir Fred pour lui dire que son frère compte sur lui. Il murmurerait à Ginny qu’elle avait été son songe d’attendri. A son père, qu’il avait voulu être comme lui. Il remercierait sa mère de lui avoir offert cette vie. Et à Sirius, que lui dirait-il ?
Tandis qu’il sent les derniers vestiges de chaleur le quitter, il se dit que le monde s’est bien moqué de lui. Il ne peut s’empêcher de penser que c’est un peu grâce à lui que tous se prélassent dans cette paix relative. Et cette prophétie. Pourquoi était-ce tombé sur lui ? Tant de sacrifices pour en arriver là. Ressasser la solitude dans une demeure vide. Il peut bien penser ce qu’il veut, Ron n’est pas là pour le soutenir, ni Hermione pour le contredire. Il imagine que se poser des questions n’a plus vraiment de sens sans eux pour y répondre. Le Survivant n’était qu’un leurre. Il désire oublier son nom. Il se sent si seul dans cette chambre.
L’attente touche à sa fin. Une larme sillonne les rides de son visage fatigué. La vie l’a épuisé. Les battements de son cœur commencent à lui manquer. Il ne voit plus le décor qui l’entoure. Il ne sait plus quoi penser. Il s’enfonce dans son dernier jour. Dehors, la nuit est enfin tombée et les étoiles brillent. Ses yeux sont désormais fermés. Il aurait tellement voulu avoir quelqu’un à ses côtés. Mais il aura aimé. Dans un ultime soupir, il sait qu’il a vécu entouré. Il a une dernière pensée. Il a beau dire, cette infernale ritournelle ne cesse de le marteler : il se sait seul dans cette chambre.
Le lendemain, Lily viendra faire une surprise à son vieux père. Elle trouvera son corps sans vie au dessus de la poussière. Les proches se bousculeront vite dans la demeure qu’il avait connue vide. Ces adultes, qu’il voyait toujours comme des enfants, tenteront de s’apporter mutuel réconfort. Et Ron et Hermione qui le pensaient encore immortel. Les amis des heures sombres se mêleront à ceux qui l’avaient connu dans la joie. Et puis défilerait celui-ci, et puis celui-là. Toutes ces vies qu’il avait croisées, aimées, enviées. Toutes ces vies qui lui avaient tant manqué. Toutes ces vies qu’il ne verrait pas pleurer sur la sienne.