Être soi-même n'a jamais été une évidence pour personne, et s'imaginer à la place d'un autre et le comprendre n'en est que plus ardu ; pourtant, certains, à la vue sans doute un peu basse, se sont bornés à envier son nom, sa position, tout ce qu'il était et qu'il représentait. Quelques avisés auront peut-être deviné l'écrasant poids qu'est ce même nom, l'ombre qui flotte sur ses épaules et l'image que l'on se fait de lui. Pour une fois cependant, les plus proches de la vérité seront les commères et leurs ragots vite colportés. L'identité de Barty lui colle tant et si bien à la peau qu'il est prêt à tout pour exploser, quand bien même cela devrait être littéral.
Les cigarettes montent à la tête, elles ont l'amertume de l'évanescence que vient troubler l'urgence du renouveau, et puis – silence, un fragment de seconde. Les fumeurs connaissent l'insatisfaction plus que quiconque, et ce à chaque bouffée de mort en puissance. De toute façon, il faut bien admettre qu'ils sont mieux à même d'anticiper le chagrin et la perpétuelle mélancolie de l'abandonné.
Sur cette pensée sombre dont Bartemius soupçonne qu'elle est d'une cohérence toute relative, le jeune garçon de seize ans écrase son mégot contre le muret de pierre sous lui, avant que son regard n'embrasse la lande de l'Écosse, encore somnolente sous la neige fraîche. Tout Londonien qu'il soit, une partie enfouie de lui-même n'est pas insensible à l'âpreté somptueuse de la bruyère tranchante qui hérisse méchamment les plateaux des Highlands.
Bartemius n'est jamais seul, et c'est sans doute la raison pour laquelle, même ici sur les hauteurs que le froid matinal a évidées il ne peut s'empêcher de songer à son père et à ce qu'il ferait s'il savait. C'est d'ailleurs bien pour cela qu'il ici, ôter enfin ce préjugé qu'on a lui toujours plaqué sans rien savoir de lui. En ce lieu pas de Junior qui tienne, rien que Bartemius, sa conscience et le soleil d'hiver qui embrase les arêtes et les collines d'une lumière pâle et crue comme un souvenir précis.
Il n'y a qu'une seule bâtisse en dehors de celle où il est actuellement, mais il ne se fait guère de soucis à leur égard – ils ne le dérangeront pas, il en est certain. Maintenant qu'il a tourné le dos à la splendeur du soleil se déployant à l'Est, il détaille sommairement la ferme dans laquelle il se tient. Elle est d'une simplicité dérangeante, dépourvue du charme et de l'élégance romantique des bâtisses sauvages de la région. C'est cet endroit qu'on lui a indiqué afin de commencer son apprentissage. C'est donc ces Moldus incapables et rustres que je devrais tuer ? S'ils commencent leur recrutement ainsi, la sélection est moins féroce que je ne le croyais. C'est sur cette assurance de Sang-Pur que le propriétaire légitime de l'endroit sort de sa maison, fusil à la main, pour défendre son territoire de ce qu'il devine être un intrus.
« Hey mon p'tit gars, tu crrrois pas qu'tu devrais t'en r'tourrrner chez toi avant qu'j'ne te botte le derrrière ? »
Comme quoi, on ne pas toujours finir sa vie sur un bon mot – le vieux Moldu est aussi désarticulé que le sera son père lorsqu'il saura qui est véritablement son fils, songe Barty avec négligence. Il reste femme et enfants à l'intérieur, et Barty se délecte d'agir pour une fois de son propre chef, ô l'attrait pervers de la puissance...
Une nouvelle cigarette récompense le travail bien fait. Après tout, les sorciers sont bien plus résistants que les Moldus, aussi peut-il s'autoriser sans regret une longue gorgée – des clous de cercueils, mais il ne prend même pas la peine de s'en soucier. Rassis sur son petit muret, Bartemius se tourne à nouveau vers la lande difficilement adoucie par le petit jour craintif. La ferme est isolée et les Moldus tués comme il se doit, songe-t-il négligemment. Toutes les précautions ont été prises : il a eu le temps de jeter d'autres sortilèges après l'Avada Kedavra, afin d'éviter un contrôle de Priori Incantatum, et le Seigneur a placé pendant son temps d'action un de ses fidèles au Département de Régulation de la Magie – la Trace de sa minorité restera invisible. Plus de Papa pour le couver, plus de Papa tout court. Douze BUSE ou non, Junior est bien plus capable que son père ne le soupçonne, trop absorbé qu'il est à pouvoir casser légalement du Mangemort. Bartemius, sous la coupe du Maître, sait qu'il deviendra l'homme accompli qu'interdit la présence brutale, christique de son père. Il se consumera brillamment pour le service, comme une de ces merveilleuses cigarettes. Vivre, brûler, étourdir, la frustration, et puis plus rien – l'apothéose, en fait. Bartemius les éblouira tous, il en est certain. Il combattra son père, ses erreurs et ses injustices, avant de faire triompher l'ordre du Maître.
« Et bien mon fils, où étais-tu donc passé ? l'accueille une voix lointaine qu'il n'attendait pas.
- Père, tu es rentré ? En voilà une bonne surprise !
- Tout de même, ce sont les fêtes de Noël et du Nouvel An ! »
Bartemius Junior, après s'être débarrassé de son écharpe et de son lourd manteau d'hiver, s'avance vers son père attablé devant un dîner réchauffé par la grande cheminée. Sa mère lui adresse un sourire réconfortant de simplicité, tandis qu'il dépose un baiser sur la joue de son père.
« Joyeux Noël, Père.
- Joyeux Noël, Junior. Profite de cet instant, avec ce qui se trame dehors, nous n'aurons plus souvent l'occasion. Au fait, tu devais passer la journée avec notre cousine Bella, c'est bien cela ? Comment va donc notre digne parente ?
- Bien, assure Barty, elle m'a juste montré quelques usages de la magie près de sa nouvelle demeure écossaise, tu sais, celle que son époux vient d'acheter pour le mariage. Elle dit que si je continue sur ma lancée, je pourrais peut-être me joindre à elle après Poudlard.
- Formidable. Tu sais, les Lestrange font partie des rares Sang-Pur, nous compris, qui n'ont pas choisi le camp de Tu-Sais-Qui. Mes félicitations. Tu es le digne fils de ton père. »