C'est pas plus grand qu'un cœur tranquille
C'est nos racines
« Poudlard est peut-être un peu loin de Londres, mais il me suffira d’une pincée de poudre de Cheminette pour te voir. »
Tout en passant la barrière de la voie Neuf-Trois-Quarts, je grogne. Il faut toujours qu’elle le surprotège. C’est comme ça depuis que notre fils est né, et depuis ce jour, j’ai toujours cette petite pointe d’agacement. Au fil des ans, il a grandi, mais elle place toujours cette bulle tout autour de lui, s’assurant qu’il ne lui arrive rien. Je sais qu’à un moment ou un autre, il va falloir qu’elle lâche prise, et si je ne le lui dis pas, qui le fera ? Lui ? Sans doute pas, il est bien trop ravi de ce cocon.
Pourtant, il est temps. Notre fils Scorpius va à Poudlard pour sa première année, il est donc temps qu’il prenne des décisions sans avoir sa mère sur le dos à tout bout de champ. C’est sûr, c’est très symbolique, tout ça, et dans un sens, ça a le don de m’irriter, parce que je n’aime pas me fondre dans le moule, comme tous ces parents qui étreignent leurs progénitures comme s’ils n’allaient jamais les revoir. Quel manque de tenue, tout de même. Ils auraient pu prévoir les embrassades lorsqu’ils étaient encore chez eux, plutôt que de se donner en spectacle ainsi.
Il est important qu’il aille à Poudlard, quoique sa mère en dise. C’est évident, ça ne sera pas facile pour lui, mais ce n’est évident pour personne. Chaque enfant doit faire ses preuves, et Poudlard est le lieu idéal pour grandir, pour montrer ce qu’on vaut, pour développer les racines qui font de nous plus tard des sorciers, que nous soyons exceptionnels ou non.
Là où on peut voir la mer sans fin
Et l'avenir
Et l'avenir
Astoria et notre fils s’arrêtent près de l’un des premiers compartiments du train. Je place le chariot le long du quai et monte la malle de Scorpius à bord du Poudlard Express au moment où de grosses volutes de fumée blanche s’échappent de la locomotive. Je vérifie ma montre : il reste dix minutes avant le départ.
Scorpius est relativement calme, mais je sais qu’intérieurement, il a peur. Je le lis dans ses yeux. Je crois qu’il appréhende de ne pas être à la hauteur, surtout parce qu’hier, son grand-père a insisté sur le fait qu’il avait intérêt à prouver qu’il était un vrai Malfoy. Les racines, c’est quelque chose de très important dans notre famille, et chacun notre tour, nous nous devons de prouver à nos pères que nous sommes dignes d’eux. « Sois fier de qui tu es, » me répétait-il sans cesse. Je n’ai pas inculqué à Scorpius la même éducation que celle que j’ai reçue, mais elles ne sont pas si différentes l’une de l’autre. Tandis que mon père parlait beaucoup, d’un ton ferme, pour m’apprendre les choses de la vie, moi, depuis onze ans, je ne dis pas grand-chose, mais Scorpius lit dans mon regard ma façon de voir les choses. Il sait quand je suis fier de lui, et aussi quand je lui reproche de ne pas être suffisamment attentif à mes espérances.
Aujourd’hui est un grand jour, parce qu’au–delà de tout ce que j’ai pu lui apporter au fil des ans, à partir de maintenant, nous ne sommes plus les seuls à décider de son avenir. C’est lui qui va choisir ses amis, lui qui décidera des matières qu’il préfère, et de ce qu’il fera de ses week-ends à Poudlard… Il va faire des choix qui renforceront ses racines d’une manière ou d’une autre.
Avoir l'envie que quelqu'un d'autre s'en aille
Avoir peur de revenir
Avoir droit de devenir
Je sais ce dont Astoria a peur : que les racines de notre fils soient déjà trop chargées par les histoires de notre famille pour qu’il puisse étudier tranquillement, sans subir les préjugés des autres. J’avoue avoir quelques doutes là-dessus, et pourtant, je n’ai pas hésité une seconde à inscrire notre fils à l’école, parce que la vraie erreur aurait été de ne pas l’inscrire. En l’éloignant de tout incident, nous nous retranchions dans nos propres erreurs. Le priver de cet avenir si prometteur pour lui signifierait prouver à tout le monde que nous avions encore honte de nos failles, de ces choix que nous avons faits dans le passé, et pour lesquels nous éprouvons du regret. Scorpius a les mêmes droits que n’importe lequel de ces enfants, pour la simple et bonne raison qu’il n’a rien à voir avec ce qui s’est passé il y a presque vingt ans.
On ne ressemble qu'à ce qu'on fait
On peut rêver, se réveiller,
On est semblable à ce qu'on est
Astoria m’adresse un regard. Je sais ce qu’elle pense : je n’ai pas dit un mot depuis qu’on a quitté la maison. Elle voudrait peut-être que je sois un peu plus sensible au fait que notre fils aille enfin à Poudlard, mais c’est au-dessus de mes forces, parce que je ne me sens pas tellement à l’aise ici. Mais Scorpius sait à quel point il compte pour moi. J’ai beau être un père sévère, il sait que je le fais pour son propre bien, et que je le fais parce que je l’aime, même si je ne le lui montre que très rarement. Et puis, après tout, même si au fond de lui, il était persuadé que je ne l’aimais pas, ce ne serait certainement pas cela qui l’empêcherait de se forger une identité, parce qu’il a le caractère pour.
Je le sens, il se cherche encore, et il est prêt à faire ses preuves. Il sait ce qu’il veut, de toute manière, par exemple, lorsque nous avons acheté ses fournitures sur le Chemin de Traverse, il était déterminé à obtenir bon nombre de choses complètement inutiles, et je sais pertinemment que si c’était Astoria qui était allée faire les achats avec lui, elle aurait succombé à plusieurs de ses exigences. Scorpius tient tout de même beaucoup du caractère déterminé de la famille, pourtant il demeure relativement raisonnable par rapport à moi quand j’avais son âge, comme s’il attendait de pouvoir se révéler une fois que je ne serai plus dans les parages.
Et où qu'on aille on sera trois
Le manque et nous
« Ce n’est pas parce que tu n’es plus à la maison avec nous qu’on ne pensera pas à toi, tu sais. »
Scorpius hoche la tête lentement. Je pense que c’est beaucoup plus dur pour lui de quitter sa mère que de faire face à ce qui l’attend à Poudlard, et Astoria ne l’aide pas avec ces mots. Elle m’a confié ses craintes hier soir : pendant onze ans, elle s’est occupée de lui, et là, du jour au lendemain, il part. Pas totalement, pas indéfiniment, elle sait pertinemment qu’elle le reverra pendant les vacances. Et puis, elle lui écrira régulièrement, lui enverra des colis remplis de bonbons et d’autres cadeaux. Mais son absence constituera un manque au quotidien. Bien sûr, en disant cela, elle cherche à le rassurer, cependant je pense que ça ne fait qu’accentuer sa crainte.
Le manque de ce qui fait ce qu'on est
L'absence de tout
L'absence de nous
Et pourtant, août a cédé sa place à septembre, et il est temps pour notre fils de voler de ses propres ailes, de s’éloigner de nous selon l’ordre des choses, parce que nous ne serons pas toujours là pour lui. Il est temps qu’il découvre la vie par lui-même, qu’il fasse des erreurs, qu’il en tire des leçons, et qu’il apprenne à vivre tout seul, en s’inspirant des racines que nous avons mis en place pour lui, afin de les enrichir de ce dont il a envie. Il est temps qu’il profite de notre absence pour prouver qui il est, et qu’il mérite que l’on s’intéresse à ce qu’il est.
Ce s'ra toujours pour pouvoir enfin
Toucher les cimes
Prendre racine
Et tandis que le sifflement du train retentit, Astoria étreint notre fils, une dernière fois, brièvement, puis Scorpius me regarde, me salue, et monte dans le compartiment. C’est un nouveau départ pour lui, comme pour les autres, un départ pour l’avenir prometteur auquel ils aspirent tous.
Et tandis que le train démarre, toutes les mains s’agitent, tendues vers le ciel. Les parents, pour toucher du bout des doigts l’espoir que leurs enfants travaillent bien, et les enfants, pour atteindre les sommets érigés par les générations antérieures, pour la magie, et sa postérité.