L'inspiration et l'envie d'écrire ne se commandent pas.
Ce monde de la fanfiction, c’est celui qui m’a tirée hors de l’abîme dans lequel j’étais plongée, après la disparition de ma jumelle. Ce fut ma lumière, ma bouée de sauvetage. D’abord quand je me suis perdue parmi les récits fantastiques, oubliant tout autour de moi. Là des plaisantins qui s’amusent à imaginer Hermione Granger et Drago Malefoy en couple, là-bas des futuristes qui imaginent ce que sera la vie de leurs enfants, là encore des nostalgiques qui réinventent le passé de mille et une façons différentes.
C’est un monde merveilleux où l’on peut oublier l’horreur du monde présent pour se laisser couler dans un autre, rose bonbon. Même les fictions les plus noires où Voldemort aurait gagné me laissent indifférentes. C’est finalement si loin de la réalité. Ou alors cela perd-il toute consistance dès lors que les choses ne se sont pas passées ainsi.
Bien sûr, certains récits sont gênants, me mettent mal à l’aise. Certains auteurs ont la plume acérée et arrivent sans la connaître à capturer un morceau de réalité. C’est douloureux. Je n’aime pas lire ces fictions-là.
Quand je me fus accoutumée à ce monde, j’ai eu envie d’y entrer à mon tour, de participer, de poser une pierre sur cet édifice qu’est le monde fanfictionnel. Mais qu’écrire ? Je n’ai jamais eu de talent pour inventer ou narrer des histoires.
Je me suis promenée sur l’ordinateur, comme on se promènerait dans la rue, et j’ai trouvé. J’ai trouvé des récits encore jamais publiés. Des récits racontant avec une précision incroyable le combat de Harry contre le Magyar à Pointes. J’ai trouvé l’histoire d’amour entre Neville et Hannah, ou du moins les fragments qui la constituaient. J’ai trouvé le véritable journal de Lavande Brown. J’ai trouvé la féerie d’une danse lors du bal de Noël. J’ai trouvé des escapades en balai pour monter voir les étoiles les soirs d’été. J’ai trouvé un voyage en Asie, où magie et créatures y sont si différentes d’ici.
J’ai trouvé un trésor et je me suis empressée de me l’approprier. Je me nommai Jasmin, je créai un compte d’auteur et je commençai à publier quelques one-shot. Le succès fut tout de suite au rendez-vous. On me félicitait, on m’encourageait, on m’aimait. Suivirent alors les fictions longues, où les chapitres coulaient un à un, pas trop vite. Comme un liquide versé un compte goutte. Parfois je laissais plus de temps entre les publications, je faisais croire que j’avais un problème d’inspiration. Et on m’encourageait ! Et on me posait des questions ! Et on me disait que j’avais du talent !
Je brillais. J’étais reconnue. Comme l’étoile si loin qu’elle a été trop souvent cachée par ses sœurs plus proches jusqu’au jour où… Les étoiles qui me cachaient meurent. Je leur vole leur éclat, je brille à leur place.
Je me sens mal.
Mais ce n’est pas ma faute, pas ma faute… Arrête de venir me hanter dans mon sommeil. Arrête de me poursuivre partout où je me déplace. Arrête de me regarder avec ce doigt accusateur pointé sur moi. Tu n’aurais jamais dû pouvoir me reprocher ce vol, cet emprunt. Au fond je te rends service, je te rends hommage. Je veux que tout le monde sache quel talent était le tien ! C’est ce que je me répète à moi-même pour essayer de te chasser. Mais je me mens et je le sais. Jamais je ne dis que ce sont tes textes. Oh non, je fais croire que ce sont les miens. Je me glorifie de tes écrits, je me réjouis de leurs louanges. J’en finis à penser que je suis formidable, que j’écris fantastiquement bien, que je suis douée.
Et alors je tombe sur une photo, je me regarde dans un miroir, je vois l’ombre de ton reflet, j’aperçois ta couleur préférée. Ca me prend d’un coup, comme si on me sautait à la gorge pour m’étouffer. Je suffoque, j’ai chaud. Toute cette confiance en moi s’écroule et je me trouve misérable. Peut-être aurait-il mieux valu que je ne te connaisse pas, que tu ne sois pas toi et que je ne sois pas moi. Ainsi aurai-je pu piller tranquille tes écrits et finir par me convaincre définitivement que j’étais une auteur réputée.
Mais je sais bien que je n’ai pas de mérite, je n’en ai jamais eu. Comparé à toi, je suis fade, tellement fade. Ils ne voient que toi, tous. Il aurait mieux valu que nos rôles soient inversés, que je parte et que tu restes. Ils auraient préférés. Ils n’auraient pas été heureux, juste moins tristes. Pourquoi n’ai-je pas moi aussi droit à la reconnaissance ? Pourquoi, pour ne citer qu’un exemple, lors de ce fameux bal de Noël, était-ce toi au bras du champion ? Moi j’étais juste la cavalière dont personne ne veut, au bras d’un cavalier dont personne ne veut. Moi je suis pâle et sans relief, dans une maison bien transparente et sans importance comparée à la grandeur de la tienne. Toi tu brilles, toi tu es courageuse, toi tu es à leurs côtés. Moi je me contente de te suivre, les yeux fermés. Je te fais aveuglément confiance.
C’est toi qu’on a fini par inviter à danser, pas moi. Je ne suis rien, je ne suis personne. Tu as toujours été là pour me le rappeler. J’avais des meilleurs résultats que toi mais ça ne comptait pas. Mieux valait être toi, un peu moins bonne mais pleine de qualités, que moi. Et même si aujourd’hui je crois être quelqu'un, ton souvenir est toujours là pour me rappeler que je ne suis personne. C’est toi qui a écrit ces textes, pas moi. Moi je ne suis qu’une plagieuse. Sans talent. Sans même l’ombre d’un talent. Celle qui dépouille sans scrupule. Celle qu’on hait sur les forums.
Le stock de récits que tu m’as laissé commence à s’épuiser. On me demande des suites, on me demande si j’ai des projets. Amertume dans ma bouche. Je finirai par être découverte, je finirai par ne plus pouvoir publier. J’ai essayé d’écrire à mon tour, mais ça ne vaut rien à côté de ton talent. Je ne pourrai pas continuer à recevoir ma dose de louanges et de reconnaissance quotidienne. Je serai obligée de tout abandonner, de me faire passer pour morte, de disparaître. Ironique, n’est-il pas ? Finalement, Jasmin va te rejoindre.
Ce nom de plume, je l’ai choisi car c’était ton parfum préféré, celui que tu mettais tous les matins en souriant devant ton miroir. Je choisissais toujours pour toi les bijoux qui iraient le mieux avec tes tenues de soirée, tu me faisais toujours avec patience la longue natte noire qui tombait dans mon dos.
Aujourd’hui je tresse mes cheveux toute seule, car tu n’es plus là. Il ne reste que ton ombre dans le miroir, qui me tressait si bien. Je revois tes gestes délicats sans pouvoir les reproduire. Ma natte est bien moins belle que celle que tu formais.
Tu n’es plus là Ti, tu n’es plus là. Mais j’aimerai tellement que tu sois encore là. Jasmin aussi va m’abandonner, comme toi. Ce nom de plume va te rejoindre sous terre et je resterai seule. Seule devant mon reflet dans lequel ton sourire finira par disparaître en même temps que le mien. Seule devant une page vide, seule devant ta tombe.
Parvati Patil
16/06/1980 – 08/07/2001