Albus, Albus. Sérieusement, ton but, c’est de me rendre fou ? Parce que c’est très bien imité, tu peux me croire ! Te balader à moitié nu sous mon nez alors qu’on n’est pas dans le même dortoir ni même dans la même maison, il faut le faire. Mais tu as réussi, et à merveille. Gaaaah, range-moi ce magnifique petit… Ces… ahem… si admirablement sculptées… Bref, met un pantalon !
Scorpius se réveilla en sursaut. Hein, quoi, what ? Il se souvenait clairement de son rêve, enfin clairement, il commençait déjà à s’échapper en fait, il partait dans les brumes du petit matin, mais il se souvenait de la présence de son meilleur ami, et d’une jolie paire de fesses…
Sans doute aucun rapport entre les deux. Aucun. Comme à son habitude, il chercha à tâtons sur sa table de nuit la photo d’Evelyn, sa petite amie. Ses camarades se moquaient souvent de lui au sujet de cette photo, mais ça le rassurait de l’avoir là. Il passait secrètement de longues heures à la regarder, à se concentrer sur les cheveux blonds de la jeune fille, sur sa poitrine si ronde, si belle, si… Une fille pareille, on n’en croise pas tous les jours ! Cette phrase que lui avait hurlée Sean quand il avait annoncé aux gars du dortoir qu’il s’était trouvé une copine, une belle blonde de leur maison à qui tous les garçons avaient plus ou moins fait la cour. Depuis, il répétait cette phrase en boucle dans sa tête ou à mi-voix Une fille pareille, on n’en croise pas tous les jours… Une fille pareille, on n’en croise pas tous les jours…
Il y pensait toute la journée. En cours, ses pensées retournaient vers elle sans cesse, il s’efforçait d’amener le visage de sa belle à son esprit.
Et, soigneusement, quelque part, était scellés ce souvenir des draps mouillés des nuits précédentes, ces nuits où aucune mèche blonde n’avait fait son apparition…
Scorpius, Scorpius. Toi qui es mon meilleur ami, tu sais tout de moi, parfois même avant moi. Tu anticipes mes réactions, mes besoins, mes peines. Et pourtant, tu ne vois rien.
Ne vois-tu pas la façon dont je te regarde ? Ne vois-tu pas la manière dont je te souris ? Ne vois-tu pas que je suis dingue de toi ?
Tu me rends fou, Scorpius. Ça a toujours été le cas, et ça le sera toujours. Déjà quand nous étions en première année, même si ce n'était pas la même folie. Nous étions destinés à nous détester, et comme si ça ne suffisait pas, nous étions jaloux l'un de l'autre : c’est toi qui aspirais à Serpentard, c'est moi qui y ai été envoyé, alors que j'aurais fait n'importe quoi pour avoir ta place à Serdaigle.
C'est encore la jalousie qui nous a opposés quand nous nous sommes aperçus que nous aimions les mêmes matières. C'était à celui qui décrocherait les meilleures notes. Avant qu’on soit amis, c’était une vraie guerre entre nous. Et après, c’était pire encore, parce qu’on prenait un malin plaisir à charrier l’autre. On a fait tourner plus d'un prof en bourrique, notamment celui d'Études de Runes. Combien de fois a-t-il essayé de faire retomber la tension avec une de ses blagues pourries, celui-là ? Des milliers, probablement.
Aujourd'hui, ce qui me rend fou chez toi, c'est toute ta façon d'être. Et pire : ces trucs qui m'agaçaient avant, je les adore. J'aime tes défauts, j'aime tes manies, j'aime ta folie. Et tu ne peux pas ne pas voir tout ça, à moins de réellement te voiler la face.
Mais je ne peux pas tellement t'en vouloir. Je ne peux pas t'en vouloir de faire comme si tu ne voyais rien. Je ne peux pas t'en vouloir de te persuader que ce n'est pas censé te venir à l'esprit. Je ne peux pas t'en vouloir de chercher à te rassurer dans les bras d'Evelyn. Sean m'a dit que tu avais une photo d'elle sur ta table de nuit... Si tu ne réponds pas aux moqueries des autres, c'est parce que tu caches quelque chose. Tu vois, moi aussi, je te connais par cœur, Scorpius. Je ne suis plus le jeune sorcier de onze ans, craintif, que tu as aperçu sur le quai de la Voie Neuf-Trois Quarts pour notre première rentrée. Ce n'est pas une coïncidence si je suis à Serpentard : mon ambition est bien trop forte pour que j'abandonne quoique ce soit. Et je sais que tu finiras par la faire souffrir, ta copine. Il est même possible, borné comme tu es, qu'elle s'en rende compte avant toi.
Scorpius soupira, tourmenté. Evelyn lui avait fait des reproches. A la limite, ce n’était pas ça qui le gênait tant, il y avait des disputes dans tous les couples solides et amoureux, non ? Mais elle l’avait accusé de n’être « pas assez passionné ». Le vrai problème Scorpius, c’est que j’ai l’impression que tu n’es pas passionné. Il avait demandé des explications, bien sûr, mais elle avait simplement secoué la tête en marmonnant quelque chose au sujet de ses baisers, avant de partir sur un « C’est comme ça que je le ressens, c’est tout. » Il lui avait couru après, mais rien n’y avait fait, elle était partie fâchée. Fuuuuuck…
Il était passionné, pourtant ! Il en était sûr ! Il était le plus passionné des mecs de Poudlard. D’Ecosse, même. Qui d’autre, à son âge, était obnubilé à ce point par sa copine ? Il lui offrait des fleurs, des roses rouges, il l’accompagnait à chaque sortie à Pré-au-Lard, l’embrassait dans les couloirs sombres… Bref, il faisait tout comme il fallait pour être le mec le plus parfait, le rêve de toute jeune fille !
Peut-être qu’elle voulait un mec moins romantique, plus mystérieux, plus viril ? Devait-il s’acheter un blouson en cuir de dragon, plaquer Ev’ contre un mur quand il l’embrassait et lui mordre la lèvre jusqu’à ce qu’elle gémisse de plaisir ?
Non, ce n’était pas son style. Il n’arriverait jamais à se transformer à ce point, à nier ce qu’il était, même pour elle.
Je suis un idiot. Le plus grand des imbéciles. Non, en fin de compte, je suis pire que ça : je suis un connard.
Il faut que tu me pardonnes, Scorpius. Je ne sais pas ce qui m’a pris… Enfin si, je le sais très bien. J’en avais marre que tu ne fasses rien pour mettre fin à cette supercherie, que tu continues à te voiler la face comme si c’était normal que tu sortes avec Evy…
Elle surgit de nulle part et Albus sursauta. Il n’était pas à l’aise avec les filles en général. Non pas qu’il en ait peur (la blague !) mais ça avait toujours été comme ça. Mais là, c’était encore pire, parce que la fille qui était en face de lui et qui était en train de lui dire qu’elle avait besoin de lui, c’était celle qui lui avait volé sa place. Son petit-ami. Son bonheur.
Elle voulait parler de lui, bien sûr. « Tu sais s’il a des problèmes en ce moment ? » Elle était suspendue à ses lèvres et Albus devait lutter pour ne pas les mordre : elle y verrait tout de suite une trahison. « Pourquoi tu demandes ça ? » Il n’était pas sûr qu’elle veuille bien répondre, mais il parvint à mettre suffisamment d’étonnement dans sa voix pour qu’elle le croie. Une fois lancée, elle ne s’arrêtait plus. Leur couple n’était pas aussi passionnant que ce qu’elle s’était imaginé. Elle sentait bien que le désir n’était pas là, et elle commençait à se dire qu’il ne viendrait jamais… Bla, bla, bla. Intérieurement, Albus jubilait. Il aurait voulu monter sur la table des Serpentard et faire une danse de la victoire jusqu’au pied de l’estrade des professeurs, n’en déplaise au directeur à moitié fou.
En tant que meilleur ami de Scorpius, il aurait dû dire à Evelyn qu’il allait lui en parler, qu’elle ne devait pas s’inquiéter comme ça, qu’il connaissait Scorpius et que ça ne devait pas être si dramatique que ça en avait l’air…
Mais la tentation était trop grande. « Bah, j’en sais rien… Je n’arrive déjà pas à comprendre… » Il devait se taire. Il ne pouvait quand même pas lui dire qu’il avait eu du mal à encaisser le fait qu’ils sortent ensemble, quand même ? « Comprendre quoi ? » Et en plus, elle insistait… Tout ce qui sortit de sa bouche par la suite le fit se détester d’être aussi horrible. « Disons que tu n’es pas tout à fait son genre… » Et il suppliait les puissances de ce monde, de Dumbledore à Sencha, pour qu’elle ne cherche pas à savoir… Mais elle le fit, et lui, à la fois trop heureux d’avoir la possibilité de faire comprendre à Evelyn qu’il n’était pas ce qu’elle croyait, et trop honteux à l’idée de semer une telle pagaille, s’entendait dire : « Tu sais… Un peu plus de poils aux jambes, et beaucoup plus dans le pantalon. » Il prenait un malin plaisir à laisser ces vulgarités s’échapper de sa bouche tandis qu’Evelyn, horrifiée, faisait une grimace et s’enfuyait en sanglotant bruyamment.
Je sais que je n’aurais pas dû, mais tu ne m’as pas laissé le choix. Je n’en peux plus, Scorpius, je bous de désir pour toi…
« Scorpius, je casse. Je… j’ai parlé à… peu importe. Tu n’es pas... Tu ne me veux pas… J’espère que tu trouveras. Désolée. » Et elle s’enfuit.
La voix d’Evelyn résonnait dans sa tête et il sentit son cœur se serrer. Le cœur ? Le cœur ? Un petit serrement s’il te plaît ? Enfin, il venait de se faire jeter, il était au trente-sixième dessous ! Il se força à tirer quelques larmes, mais le cœur (toujours lui !) n’y était pas. Pendant trois jours, il marcha la tête basse, avec un air à décourager le lutin le plus joyeux. Il triturait la nourriture dans son assiette et mourrait de faim le soir venu, se retournait dans son lit en luttant pour ne pas s’endormir, pour continuer à penser à elle, et s’endormait en cours…
A son troisième jour de dépérissement, il tentait toujours de trouver une explication quand il se souvint d’une phrase que Sean lui avait dite le matin du jour maudit. J’ai vu Al parler avec ta copine tout à l’heure, t’as pas peur qu’il te la pique ? A ta place je me méfierais ! Bien sûr, il s’en voulut tout de suite d’avoir pensé une chose pareille. Albus savait à quel point Evelyn était importante pour lui, il ne lui dirait jamais quoi que ce soit contre lui. Il avait dû essayer de la convaincre que Scorpius était très amoureux d’elle. Non, jamais son ami ne le trahirait ainsi. Jamais. Puis il se souvint d’une phrase d’Evelyn. Ce « j’ai parlé à… ». Sur le moment, il avait pensé à une des stupides dindes gloussantes qui lui servaient d’amies. De toute façon il ne pouvait pas la draguer, il était gay. Il était gay. Oh, Merlin, il était gay. La remarque de Sean, les regards furieux d’Albus sur Evelyn, son obstination à penser qu’ils n’allaient pas ensemble… Les paroles incohérentes de la blonde prirent soudain un sens. Menteur. Connard. Connard de Serpentard.
« Qu’est-ce que tu as dit à Evelyn ? Sean vous a vu discuter, qu’est-ce que tu lui as dit ? »
Scorpius crut un instant qu’il allait tout nier en bloc, donner une explication et qu’ils pourraient se tomber dans les bras, mais Albus finit par avouer :
« Je… Je suis désolé mec. Mais tu la faisais souffrir, et… »
D’une voir froide, Scorpius demanda :
« Est-ce que tu lui as dit quoique ce soit insinuant que je suis comme toi ? »
« Scorp… Tu es comme moi. »
« Non ! Putain ! Non, Albus, je ne suis pas homo ! »
Les gens commençaient à se retourner sur eux, mais là, en pleine rage, Scorpius n’en avait cure. Qu’ils aillent tous se faire pendre et Albus avec !
« Marre de tes insinuations à la noix ! J’aime les filles, bordel, les filles ! Pas les mecs ! Tu peux faire ce que tu veux de ton cul, j’en ai rien à foutre, mais arrête de penser que tout le monde est comme toi ! »
Le monde s’écroulait. Albus avait l’impression d’avoir été emporté par une tornade qui l’empêchait d’être maître de ses mouvements, et de ses émotions. Il se détestait, plus que jamais. Il voulait mourir, se jeter du haut de la Tour d’Astronomie ou même forcer la porte de la réserve du professeur de Potions et avaler le contenu de toutes les fioles qu’il y trouverait…
Pourquoi avait-il fallu qu’il soit aussi égoïste ? Aussi… Eh bien, il ne trouvait même pas d’adjectif pour qualifier son comportement absolument ignoble.
Il était une vraie loque. Et il se détestait encore plus que jamais. Comment avait-il réellement pu croire qu’il préserverait Scorpius de ce qu’il avait fait jusqu’à la fin de leurs vies ? Il avait tout d’abord pensé qu’Evelyn lui en parlerait, qu’elle ne se contenterait pas de rompre sans dire un mot. Albus imaginait très bien la scène, Scorpius dans un état lamentable à l’idée de se faire jeter, et elle, avec sa voix mielleuse, et ses hésitations. « Je n’aurais jamais imaginé que tu… enfin… tu sais ce que je veux dire… » Merlin qu’il détestait ses « Hummmm… » avec lesquels elle ponctuait ses phrases ! Alors que quand c’était Scorpius qui hésitait, c’était tellement sexy… Il le faisait en réfléchissant à un sortilège, ou à ce qu’il s’apprêtait à dire, et en même temps, il caressait sa lèvre inférieure du bout du pouce… Albus n’avait qu’à fermer les yeux pour sentir son souffle chaud, apercevoir le bout de sa langue sensuellement repliée sur ses dents…
Et à présent, tout cela ne serait plus que des souvenirs.
Raaaaaah ! Albus jura. Il referma les yeux, essayant de continuer à vivre son rêve éveillé, mais à chaque fois qu’il revoyait le visage de Scorpius, son sourire, ses yeux gris et ses traits fins étaient déformés par la colère qui l’avait emporté quelques heures plus tôt, exprimant une rage qui donnait à Albus froid dans le dos.
Mais ce n’était pas Evelyn qui avait abordé le sujet. Elle s’était contentée de rompre, non sans lui balancer une bonne poignée de rancœur à la figure, et il s’était persuadé qu’elle l’avait fait à cause de leur discussion, quelques jours plus tôt.
Non, ce n’était pas Evelyn qui avait tout gâché, mais Sean. Ce petit morveux, si Albus l’attrapait un jour, il lui ferait bouffer son Boursouflet violet. D’après ce qu’il avait compris, il n’avait pas fallu bien longtemps à Scorpius pour comprendre ce dont Albus et Evelyn avaient parlé.
Mais il savait pertinemment qu’il n’avait aucun droit de dire de telles choses ! Ce n’était pas la peine de crier dans les couloirs, devant tout le monde, et de le faire passer pour le pire des meilleurs amis au monde !
Ou bien si, après tout. Il pouvait hurler où il voulait, si la vérité pouvait enfin éclater en lui… Si seulement il pouvait arrêter de nier les sentiments qui battaient dans sa poitrine…
Comment avait-il pu faire ça ? Putain de connard d’enfoiré de merde ! Scorpius courut à toutes jambes à son dortoir, heureusement vide à cette heure-ci, et massacra son oreiller. Il laissa sa rage s’exprimer, regrettant de ne pas pouvoir écraser ses poings sur le visage de cette sale ordure. Les plumes s’échappèrent de la taie pour se répandre sur son baldaquin, mais il s’en foutait royalement. Il laissa le duvet blanc s’accrocher à son uniforme et continua à frapper, s’esquintant maintenant les phalanges contre le mur de pierre.
Ce n’était pas de sa faute si Albus était anormal ! C’était pas lui qui l’avait rendu pédé !
Brusquement, Scorpius s’arrêta. Il lâcha l’oreiller et s’assit sur son lit, sous le choc. Toute la pression était tout à coup retombée. Il avait vraiment pensé ça ? Il avait vraiment lancé ces immondes insultes homophobes de bon cœur, bien que dans le secret de son esprit ? Comment, lui qui avait toujours prôné la tolérance et fait face à sa famille sur ces sujets, comment avait-il pu en arriver là ?
Blême, il se remémora les six mois écoulés depuis la rentrée. Il avait peu à peu occulté l’homosexualité de son ami, et sous couvert de le considérer comme n’importe qui, s’était refusé d’y penser. Il avait rejeté cette part d’Albus. Maintenant, Scorpius avait envie de pleurer. Sa colère contre son ami restait bien présente, mais secondaire, face à son dégoût de lui-même et de ses pensées.
Mais bon, il n’était pas gay. Maintenant qu’il y réfléchissait à tête reposée, il pouvait en être sûr. Mais une petite voix, qui ressemblait un peu à celle d’Albus, lui murmurait « et pourquoi pas ? ». Il avait beau vouloir la faire taire, la petite voix lui envoyait maintenant des flashs de souvenirs dont il se serait bien passé. Principalement des souvenirs avec Evelyn. Quand il pensait à ses seins sans ressentir le moindre chatouillis, même en se concentrant pendant des heures. Les mots d’amour qu’il préparait toujours fébrilement à l’avance, pas une once de spontanéité. Et, bien sûr, les reproches de la jeune fille sur son manque de passion… Ça pouvait être un simple manque d’expérience, après tout, c’était sa première copine. Mais que penser des rêves dont il ne se souvenait jamais mais qui lui laissaient toujours une impression étrange ?
Albus, en tous cas, semblait persuadé qu’il… qu’il… qu’il aimait les hommes. Et en réfléchissant bien, il ne trouvait pas d’argument à lui opposer. Mais cela ne prouvait rien !
Complètement perdu, Scorpius décida de tenter de trouver son meilleur ami… ou ex-meilleur ami ? Il l’avait trahi, mais lui… il lui avait hurlé des choses horribles. Et puis il avait peut-être eu raison de dire qu’il faisait souffrir Evelyn… Il était quand même bien décidé à obtenir des excuses. Albus n’aurait jamais dû dire ces choses-là à Evelyn . La robe pleine de plumes, le Serdaigle sortit de son dortoir.
Albus ne pensait pas avoir une bonne étoile. Il ne pensait pas avoir une chance de se racheter, mais il s’était trompé. Et à l’instant où Scorpius apparut, l’uniforme couvert de plumes (ce qui le rendait encore plus sexy, si toutefois c’était possible), il aurait voulu se jeter à ses pieds et le supplier en pleurant à chaudes larmes…
Allons, Albus, un peu de dignité… avant de lui arracher son uniforme et de le… Ahem.
Scorpius n’avait pas l’air d’en mener large de son côté. Toutes ses insultes résonnaient dans la tête d’Albus, le faisant souffrir et en même temps lui assénant qu’il les avait méritées après ce qu’il avait fait.
Son ami exigeait des excuses. Lui aussi devait se faire pardonner, mais sur le coup, Albus ne s’en formalisait pas. Il était prêt à s’excuser de ce qu’il voulait tant qu’ils restaient amis. Tant pis pour sa fierté, tant pis pour son arrogance (et accessoirement, sa dignité), Scorpius pouvait même le traîner dans la boue, il s’en mettrait sur tout le corps. (Merlin que cette scène était excitante dans sa tête !)
Mais il était hors de question de baisser les yeux. Il plongea son regard dans celui de Scorpius et bafouilla ses excuses sans le lâcher des yeux. Il pensait qu’il le mettrait mal à l’aise, à parler de ses sentiments pour lui, parce qu’il était persuadé que Scorpius persisterait à être hermétique à tout cela. Mais au contraire, il semblait oublier qu’il avait passé ses six derniers mois à renier les penchants de son ami. Lorsqu’Albus eut fini son mea culpa, il attendit le verdict. Scorpius se pinçait les lèvres, comme il le faisait lorsqu’il réfléchissait à ce qu’il allait décider. Si ça ne tenait qu’à Albus, il se serait jeté sur lui et aurait pressé ses lèvres contre les siennes.
Mais ce n’était pas à lui de décider, et Scorpius n’avait pas l’air encore prêt à accepter de déposer les armes face au combat de ses sentiments.
Enfin, il n’en était pas sûr. Il n’était plus sûr de rien, de toute façon.
« Albus… Je suis désolé moi aussi… »
En disant cela, il avait dans la tête non pas ses hurlements contre son ami mais ses pensées horribles et son attitude des mois précédents. Il regarda ses pieds avec gêne. Il n’avait pas l’habitude d’ouvrir son cœur ainsi devant qui que ce soit, même pas Albus. D’habitude, ils se tapaient dans le dos avec un « désolé, vieux » et c’était reparti. Il prit une grande inspiration et poursuivit d’une voix à peine audible :
« Je… je pense qu’il est peut-être éventuellement possible que tu n’aies pas tout à fait tort. »
Une lumière s’alluma dans l’œil d’Albus et on voyait qu’il faisait de visibles efforts pour ne pas sourire. Scorpius lui en fut reconnaissant, mais son cœur rata un battement quand le Serpentard se rapprocha de lui et lui murmura :
« Ah bon ? »
Une vague de chaleur se répandit soudain dans le bas-ventre de Scorpius pour s’étendre à tout son corps. Il n’avait jamais remarqué à quel point son ami était craquant. Une telle pensée rendit ses joues encore plus rouges, si tant est que ce fût possible.
« Tu… Tu… »
Il ferma la bouche et se mordit les lèvres, incapable de trouver quelque chose à dire.
Alors, Albus écrasa ses lèvres contre les siennes. Tombant à la renverse, les deux garçons roulèrent dans l’herbe. Scorpius haleta et embrassa le Serpentard de plus belle. Autour d’eux commençaient à jaillir des sifflements et des exclamations, mais tout à leur découverte, ils ne s’en aperçurent pas. Seule la pluie du mois de mars les fit revenir à la réalité.
Ils allaient devoir s’expliquer, ils allaient se disputer pour savoir lequel des deux avait embrassé l’autre, ils allaient s’embrasser sans avoir répondu à la question, puis ils allaient reprendre leur vie habituelle à Poudlard. Cette vie serait sans doute entrecoupée d’expériences et de découvertes fort intéressantes incluant notamment l’anatomie et autres sciences exotiques. Nous n’entrerons pas dans les détails, mais soyez rassurés : tous les doutes de Scorpius au sujet de son éventuelle homosexualité ont disparu.
Cette journée allait rester dans les mémoires. Non en raison de la crise causée par la rupture de Miamhibou au Royaume du Hibou, ni de la grève des botanistes de Sainte-Mangouste qui se plaignaient des lutins de Cornouailles, furtivement introduits dans leur lieu de travail depuis trois jours et dont ils n’arrivaient pas à se débarrasser.
Non, ce jour était à marquer d’une pierre blanche parce que Harry Potter avait failli mourir d’une crise cardiaque.
Certes, il s’était habitué à entendre le prénom de son second fils assez fréquemment dans la même phrase que le prénom du fils de Drago Malfoy. Certes. Il avait eu du mal, mais il s’y était fait. Il avait eu un peu plus de mal à les entendre à peine séparés d’un « et », mais il s’y était fait aussi.
Enfin bon, ce « et », jusque-là, il avait fait le lien entre les deux garçons pour signifier leur amitié… Et là… Non mais ça n’était pas possible. Il ne pourrait pas. Jamais.
Finalement, une crise cardiaque, ça aurait peut-être été mieux…
Ce jour-là, Drago avait eu un dossier avec Potter. Merde, quoi, Potter ! Soit disant qu’il était le meilleur potioniste qu’ils aient pu trouver, soit disant qu’une rivalité vieille de plus de vingt ans était ridicule… gnagnagna. En attendant, il se retrouvait dans une fichue salle dont la porte ne fermait même pas à lui expliquer des notions que même un gamin de première année pourrait comprendre. A un moment de blanc où le héros du monde sorcier tentait visiblement de faire une addition de tête, exercice ô combien difficile, deux voix, une d’homme et une de femme, se firent entendre. Harry ouvrit la bouche pour donner sa conclusion quand les voix se firent distinctes :
« Le fils du commandant, tu sais, son dernier… »
Aussitôt, les deux hommes dressèrent l’oreille.
« J’ai entendu dire qu’il s’était roulé dans l’herbe avec une conquête bien particulière… »
Drago étira ses lèvres en un sourire sardonique. Pauvre Potty, sa seule progéniture digne de ce nom (le gamin était à Serpentard, les journaux en avaient fait leurs choux gras) le laissait tomber.
« Oui, un autre garçon, et devine qui… le fils de Malefoy ! »
Non. Non, c’était impossible, non. Son fils à lui ne… ne pouvait pas être… comme ça.
Il fixa Potter droit dans les yeux, ne pouvant s’empêcher de se demander comment on pouvait faire… ça avec un autre homme, surtout un Potter. Le grand commandant de l’élite des forces magiques était blême et regardait un point loin derrière lui, comme s’il s’était reçu un stupefix.
Lui-même se sentait comme assommé d’un coup de gourdin.
Son fils. Son garçon, son enfant, son héritier. Avec le fils de celui-là. Leurs fils. Ensemble.
Les regards des deux pères se croisèrent et, comme s’ils s’étaient compris, ils bondirent et coururent à la cheminée publique la plus proche, bousculant tous les autres occupants. Ensemble, ils mirent la tête dans l’âtre et hurlèrent « Poudlard ! »