Seize heures. Le ciel s’était à nouveau assombri depuis la dernière fois qu’Olivia avait jeté un œil par la petite fenêtre de sa cuisine, celle qui donnait sur la cour. Elle allait certainement devoir allumer les bougies avant la fin de la journée. Soupirant brièvement, elle donna un dernier coup de baguette sur son plan de travail pour le faire briller comme un Gallion neuf, puis observa par la porte du four l’état de ses brownies. Elle sourit de fierté en voyant qu’ils gonflaient comme il fallait, et quitta la pièce pour s’empresser de l’annoncer à son patron.

« Ils sont presque… »

Elle ne termina pas sa phrase car Cookie n’était pas dans la boutique. Elle le trouva à l’extérieur, adossé contre la vitrine, et décida de le rejoindre.

Une fois dans la rue, elle referma la porte de la boutique le plus doucement possible pour étouffer le bruit de la clochette et s’avança vers lui en souriant. Il était plongé dans la lecture d’un parchemin qui portait le sceau du Ministère.

« Qu’est-ce que c’est ? » demanda-t-elle.

Cookie sursauta et, sans lui adresser un regard, il fourra le parchemin dans sa poche.

« Rien du tout, » fit-il un peu sèchement, mais le sourire aux lèvres.

Un frisson parcourut Olivia : elle savait que ce n’était pas rien. C’était sa convocation au service des usages abusifs de la magie.

Cela faisait des mois que ça lui pendait au nez. Depuis que Thicknesse avait été nommé Ministre de la Magie, après la mort de Scrimgeour, et qu’on avait annoncé la commission d’enregistrement des nés-moldus, Cookie savait qu’il n’y échapperait pas. Il aurait pu s’enfuir, comme de nombreux sorciers du même statut de sang que le sien, mais il était hors de question pour lui de quitter sa boutique.

« Qu’est-ce que ça peut bien me faire, qu’ils me prennent ma baguette ? » disait-il régulièrement. « Tant que je peux continuer à servir des pâtisseries, tout va bien. »

Olivia ne disait rien, mais elle doutait que les responsables de la commission l’autoriseraient à poursuivre son travail comme si de rien n’était. Après tout, ces gens-là semblaient persuadés qu’il avait volé sa baguette à un sorcier. Ils l’accuseraient de bien d’autres choses si c’était nécessaire, et peut-être qu’ils iraient jusqu’à l’enfermer à Azkaban… On ne savait jamais.

Cookie n’aimait pas la façon qu’elle avait d’afficher une mine inquiète, mais elle s’en fichait. Elle n’allait pas sourire pour lui faire plaisir, tout de même.

« Viens là, Choupette. »

Joignant le geste à la parole, il tapota gentiment le rebord de la fenêtre sur lequel il était appuyé. Olivia s’exécuta en le regardant terminer sa cigarette quotidienne. C’était la seule qu’il fumait dans la journée. Olivia n’avait jamais compris cette lubie, elle savait que le tabac avait tendance à altérer l’odorat et le goût, et c’était bien la dernière chose dont elle avait besoin pour devenir la meilleure pâtissière du monde sorcier.

Cookie utilisa un Evanesco pour faire disparaître le mégot, puis il rangea sa baguette et tourna la tête vers la gauche. Olivia l’imita et comprit immédiatement ce que son patron regardait : la boutique des jumeaux Weasley était fermée.

« Ils n’ont pas ouvert de la journée ? » s’étonna-t-elle.

Cookie secoua la tête.

« Tu crois qu’on les a attrapés ? » demanda-t-elle dans un souffle, horrifiée par ce qui semblait être le pire des scénarios.

Les jumeaux Weasley et elle avaient le même âge. Ils avaient fréquenté Poudlard ensemble, eux à Gryffondor et elle à Poufsouffle. Elle n’avait jamais eu de lien d’amitié particulier avec eux, ou même avec les filles de leur classe, mais ils avaient quand même quelques cours en commun, et Olivia avait vite pris l’habitude de leurs farces quasiment quotidiennes.

Elle soutint le regard de Cookie, impatiente de connaître son avis. Mais il choisit momentanément d’éluder la question.

« Viens, rentrons. Il commence à faire froid. »

Olivia le suivit à l’intérieur et, une fois que la porte fut refermée, il se retourna vivement et lui agrippa le bras.

« Ne t’en fais pas pour eux, je suis sûr qu’ils vont très bien. Allez, pensons à autre chose, ça ne va pas… »

Mais elle ne l’entendait pas de cette oreille.

« Ils font partie de la résistance ! » le coupa-t-elle. « Comment peux-tu être sûr qu’ils n’ont pas fini par leur mettre la main dessus ? »

Elle semblait hors d’elle, mais en fait, elle avait surtout peur. Elle le regarda presser ses doigts sur ses lèvres et son nez pour profiter des dernières odeurs de tabac avant de déclarer :

« Je crois qu’on le saurait, s’ils avaient des problèmes. Leur boutique est intacte, ils ont dû utiliser des sortilèges pour empêcher quiconque d’entrer. »

Il tendit le cou vers la fenêtre pour suivre du regard un passant qui ralentissait devant la boutique. Lorsque celui-ci disparut de leur champ de vision, Olivia reprit :

« Mais imagine qu’une bande de rafleurs les a retrouvés là où ils font leur émission… Tu sais, celle que tu as captée hier ? »

Cookie hocha la tête en soupirant. La veille, il était en train de réparer sa radio dans la boutique tout en discutant avec Olivia des dernières nouvelles, et ils en étaient venus à parler de Dumbledore, quand subitement, ils avaient entendu la voix de Fred Weasley (à moins que ce ne fût celle de George ?) dans le transistor, ainsi que celle de plusieurs sorciers qu’ils supposaient faire partie de la résistance.

« Ça m’étonnerait qu’ils aient fait leur petite réunion au beau milieu de la boutique… »

Olivia ne put s’empêcher de sourire face au ton désinvolte de son patron. Elle aimait quand il prenait les choses sérieuses à la légère, ça lui permettait de décompresser un peu… Enfin, c’était tout ou rien. Parfois, elle n’était pas vraiment d’humeur à accepter son humour, et de plus en plus souvent, elle ne se retenait pas de le lui dire. Elle se souvint de l’époque où il l’avait embauchée, où elle était extrêmement timide et n’osait pas faire un pas de travers… Alors que maintenant, elle était très à l’aise en sa présence, il lui arrivait régulièrement de chanter (à moitié faux, bien sûr) en confectionnant ses pâtisseries et même de tournoyer sur elle-même avec un plateau de brownies dans chaque main pour tester son habilité. Eh bien elle pouvait se vanter de n’avoir jamais fait tomber une seule pâtisserie depuis qu’elle était là, et ça faisait plus d’un an qu’elle travaillait comme pâtissière au Cookie’s Delights.

« Tu sais, nous aussi, on est hors-la-loi pour avoir écouté cette émission… »

Subitement, Olivia prit peur. Cookie avait raison, et ça ne la rassurait vraiment pas.

« Enfin, » reprit-il, « je crois qu’on devrait plus s’inquiéter de notre petit trafic de pâtisseries que de cette émission sur laquelle on est tombé qu’une seule fois… »

Il passa un bras autour des épaules de sa petite protégée et l’emmena dans la cuisine. Olivia garda le silence, plongée dans ses pensées, se remémorant de leur dernière expédition dans le monde moldu, qui avait eu lieu la semaine précédente.