« Madame Prescott, je ne sais pas si c’était une bonne idée d’aller à pied à la Confédération Internationale…
- Miss Thompson, j’apprécie votre dévouement, mais dites-moi comment je pourrais me prononcer sur les évènements de Tchécoslovaquie sans me rendre compte par moi-même de ce qui se passe» coupa sa supérieure.
La jeune femme grommela mais Octavia Prescott n’en avait cure. Vêtue d’un costume moldu masculin et un béret solidement enfoncé sur ses cheveux blancs comme neige, elle parcourait impunément les rues, faisant fi des chars et autres menaces. Depuis 1945 et la chute de Grindelwald, elle s’exprimait sur divers évènements moldus et sorciers intervenant en Europe de l’Est, et son influence au niveau international n’était plus à démontrer après des années d’exercice en tant qu’ambassadrice d’Angleterre. Elle était également connue pour être une proche amie du professeur Dumbledore et pour partager son avis dans un certain nombre de situations.
« Combien de temps nous reste-t-il avant le début des délibérations ? »
Miss Thompson jeta un coup d’œil sur sa montre.
« Encore deux bonnes heures Madame. Mais vous devez vous changer avant le début de la séance, vous ferez sans doute une apparition en tribune.
- Ce qui nous laisse encore du temps. Cessez de vous inquiéter, nous serons à l’heure. »
La jeune femme blêmit.
« Parce que vous avez l’intention de rester là-dedans encore longtemps ? »
Des coups de feu retentirent quelques rues plus loin.
« Oui » répondit Octavia comme si elle discutait calmement autour d’une bonne tasse de thé.
La présence de Miss Thompson la gênait. Imposée de force par le Ministre de la Magie, la jeune traductrice lui faisait figure d’espionne et sa présence à ses côtés était d’autant plus injustifiée qu’Octavia parlait parfaitement le tchèque. Aussi avait-elle fait exprès de les placer dans cette situation, entre les manifestants et l’armée russe.
« Madame, je vous en prie… Retournons à l’abri, ce combat ne nous concerne pas.
- S’il ne nous concernait pas, nous n’aurions pas besoin de tenir une séance extraordinaire de la Confédération en Bohême sur ce même problème. »
Et alors que Miss Thompson commençait à trembler de tous ses membres, elle s’exclama :
« Au nom de Merlin, vous avez quelque chose qui s’appelle une baguette magique dans votre poche ! Servez-vous-en si vous avez peur ! Les balles moldues passent rarement un sortilège de bouclier ! »
La traductrice déglutit, visiblement terrifiée tandis que son interlocutrice continuait inlassablement sa marche.
« Je crois que je vais y aller directement et vous attendre là-bas, murmura-t-elle.
- Je vous en prie, faites. Je vous trouverai bien quand j’aurai besoin de vous. »
Sans demander son reste, la jeune femme transplana et Octavia soupira. Elle détestait devoir effrayer d’une manière ou d’une autre les petits espions que le Ministère s’entêtait à lui mettre dans les jambes. Même si elle savait qu’ils cherchaient invariablement une information pouvant la discréditer, cela restait contraire à ses principes.
Cette petite tradition avait commencé à ses débuts en politique, comme ambassadrice, et on aurait pu croire qu’elle se serait essoufflée au bout de quelques années. Pourtant, chaque évènement important et chaque changement de ministre lui amenait un nouveau chaperon qu’elle s’empressait d’écarter, la plupart du temps en lui faisant une peur bleue. Cela n’empêchait jamais un autre jeune loup de prendre le relais. Et pourtant, depuis tout ce temps, ils passaient tous à côté de l’évidence avec une facilité déconcertante. Si la situation n’avait pas été aussi critique et gênante, le ballet de ces acrobates ambitieux aurait pu être comique.
Après avoir vérifié qu’elle n’était pas observée, Octavia disparut dans un pop sonore.
La campagne tchèque était beaucoup plus calme que Prague en ces temps troublés. Et même la proximité de la petite bourgade de Doksy ne semblait pas pouvoir rompre la tranquillité de l’endroit. Les hautes flèches du manoir Novak s’élevait vers le ciel, encore plus délabrées qu’à sa dernière visite. Octavia plongea la main dans sa poche pour ouvrir la grille qui empêchait l’entrée dans la propriété. La serrure claqua et les gonds grincèrent lorsqu’elle poussa l’un des battants du portail.
Quand Yvan Novak et sa femme Lucinda étaient encore au sommet de leur puissance, l’endroit devait être magnifique avec son grand parc, ses hauts arbres et son architecture délicate, typiquement tchèque. Désormais, il aurait fallu de gros travaux pour rendre le bâtiment habitable.
Le cœur lourd, Octavia traversa le parc sans plus accorder de regard au manoir. Sa vue ne lui rappelait que cette nuit horrible où un de ses amis l’avaient jointe par cheminée pour lui annoncer la mort de Lucinda et de son mari. Elle s’arrêta devant les deux pierres tombales abandonnées, au pied d’un orme centenaire dont les branches s’élevaient au-dessus du mur d’enceinte. Au moins les sépultures n’étaient pas profanées, c’était sa seule consolation.
Un mouvement du poignet et l’on put à nouveau déchiffrer les inscriptions. Octavia avait longuement hésité quand on lui avait demandé de composer une épitaphe en leur honneur. Comment écrire quelque chose de juste sur eux ? Comment ne pas exprimer sa haine et son intense déception ? Comment ne pas graver son amertume sur une pierre que sa petite-fille finirait par voir un jour ou l’autre ?
Ils dorment, ceux qui furent attirés vers les profondeurs de la magie et qui en ont un jour payé le prix. Qu’ils reposent en paix ceux qui ont sacrifié leur vie pour préserver celle de leur fille unique.
Elle n’avait pas pu faire mieux et espérait que cela suffirait pour Melinda. De toute façon, elle le saurait rapidement. Avec un soupir, Octavia s’assit péniblement en face des deux tombes et les fixa durant de longues minutes sans bouger.
Lucinda. Le temps n’avait jamais effacé la blessure que lui avait causé la trahison de sa fille. Elle ne pouvait même pas mettre de mots sur sa souffrance et sa honte. Octavia s’était dressée contre Grindelwald dès 1923, alors que son enfant venait juste de naître. Au fil des années de lutte, elle était devenue l’une des images emblématiques de ce combat. Et s’était éloignée de sa fille. Etait-ce cette solitude qui avait poussé Lucinda dans les bras d’Yvan Novak ? Les choses auraient-elles été différentes si elle ne s’était jamais engagée dans ce conflit ? Aurait-elle pu s’en empêcher ?
Quelque part, ce qui s’était passé était de sa faute, il n’y avait pas à en douter. Cependant, avec le temps, Octavia avait fini par comprendre que Lucinda avait fait un choix et que si elle avait une part de responsabilité dans les évènements qui avaient conduit sa fille dans cette tombe, elle ne méritait pas ce que cette dernière lui avait craché au visage, la dernière fois qu’elle l’avait vue vivante. Malgré tous ses efforts, ces quelques phrases resteraient gravées dans ses souvenirs en lettres de feu jusqu’à sa mort.
C’est toi et toi seule qui est responsable de tout ça. C’est toi qui a une vie décousue, qui a laissé tomber ton fiancé et jeter l’opprobre sur ta famille. C’est toi encore qui t’es mariée par convenance après t’être fait mettre en cloque par je ne sais qui. Il était temps que quelqu’un lave l’honneur de notre famille. Je suis une héroïne et je suis fière du combat que j’ai mené. Et jamais, JAMAIS, je ne trahirai Grindelwald, tu m’entends ? JAMAIS. Je ne veux plus te voir, tu n’es plus ma mère !
Merlin… Repenser à ces mots était bien trop horrible. Comment la petite fille qu’elle avait bercée avait-elle pu devenir la femme menaçante qui lui avait alors fait face ? Comment pouvait-elle vivre après ça ? Comment supporter d’être reniée par sa propre enfant ?
Les larmes coulaient sans discontinuer sur ses joues ridées et elle ne chercha pas à les arrêter. Ces questions, elle se les était posées mille fois, elle avait crié, pleuré, aurait voulu tout casser pour avoir au moins un début de réponse. Mais il n’y avait toujours que le vide, cet horrible vide que Lucinda avait laissé derrière elle en se détournant de sa famille. Pour Myrrdin, son mari, le choc avait été encore plus violent. Trop violent.
Certes, il n’était pas son père par le sang. Pourtant, n’était-ce pas lui qui l’avait élevé, qui s’était tenu à son chevet quand elle était malade, qui lui avait tenu la main quand elle avait commencé à marcher, qui l’avait accompagné au Poudlard Express pour son premier départ ? Et qu’avait-elle fait ?
« Qu’as-tu fait Lucinda ? Myrrdin est ton père, bien plus que n’importe quel homme aurait pu l’être. Tu l’as rejeté parce que tu étais incapable de comprendre ce qui l’unissait à ton oncle Felix, ce qui l’unissait à moi. C’était de l’amour, pas du vice. On t’a tous aimé Lucinda, aussi fort que des parents peuvent aimer leur enfant. Myrrdin ne méritait pas ça. Felix ne méritait pas ça. Moi… J’aurais peut-être du être plus présente. Mais par Merlin, je restais ta mère ! Et tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour toi ! »
Lorsque Lucinda l’avait repoussé en l’insultant et en l’accusant de tous les maux de la terre, Myrrdin s’était tu. Elle avait pris cela pour un aveu de culpabilité de ce qu’il était.
« Tu étais juste incapable de voir que tu lui faisais mal, que tu le tuais aussi sûrement que si tu lui enfonçait un de tes poignards dans le corps, dans le cœur ! »
Felix s’était emporté et avait chassé sa nièce. Et même si Octavia lui avait rapidement pardonné, son frère avait passé la décennie suivante à s’excuser et à s’en vouloir. Myrrdin avait peu à peu dépéri. Lentement, progressivement, il semblait aller vers sa mort, à chaque annonce des exactions de Lucinda Novakova.
« Si tu savais comme je te haïssais de nous faire subir cela, comme je te haïssais de le tuer à petits feux ! As-tu la moindre idée de ce que nous pouvions ressentir Felix et moi ? Tu lui enlevais son amour, tu m’enlevais mon meilleur ami, toi l’enfant que nous avions élevé. Tout cela parce que tu considérais que nous n’avions pas bien distribué les rôles ! Merlin ! »
Octavia se leva en faisant craquer ses vieilles articulations et prit sa tête dans ses mains. Beaucoup trop d’émotions se bousculaient dans son esprit, la colère, la tristesse et malgré tout l’amour.
« Voilà que je parle à une tombe maintenant ! »
Elle soupira et donna un coup de pied dans un bâton qui se trouvait opportunément à côté des sépultures, comme s’il était responsable du drame qui s’était joué.
Les années passaient, elle combattait, Myrrdin dépérissait, Felix le soutenait et essayait tant bien que mal de faire taire sa douleur pour qu’il reprenne goût à la vie.
« Je t’aimais Lucinda. Nous n’avons jamais cessé de t’aimer, jamais. Je t’ai aimé aussi fort que je te haïssais, même si tu me faisais mal. Tu étais mon enfant. Alors, oui, j’ai été heureuse qu’on ne te retrouve jamais après la chute de Grindelwald. Myrrdin aussi. Un procès aurait achevé le travail de destruction que tu avais commencé. Oui, moi qui ai poursuivi tous les partisans de Grindelwald, je t’ai laissée tranquille. Je ne pouvais pas te mettre en procès, je t’aimais trop pour ça. »
Ils avaient repris goût à la vie, peu à peu, en espérant que Lucinda allait bien. Jusqu’au jour où on les avait appelés pour leur annoncer sa mort, un décès applaudi par presque tout le monde sorcier. Cela aurait pu les achever. Pourtant, cet évènement avait fait arriver Melinda dans leurs vies.
« Bien sûr, cela n’a pas été simple au début. Tu comprends, elle vous avait vu mourir. La Médicomage de Sainte-Mangouste a dit qu’elle était profondément traumatisée. Elle a mis des mois à reparler, on a cru qu’elle n’allait jamais arriver à prononcer le moindre mot. Et puis, un jour, elle m’a dit "attends grand-mère". J’étais si heureuse que j’ai failli fondre en larmes sur-le-champ. »
Melinda avait été leur miracle, l’étoile qui leur avait apporté la lumière et avait donné un sens à leurs vies brisées. Melinda, l’enfant réservé qu’il fallait apprivoiser, qu’il fallait rassurer, à qui l’on avait envie d’apprendre tout ce que l’on savait. Melinda et son rire, ses yeux innocents et son air fragile qui donnait envie de la protéger de toutes leurs forces. Melinda, leur petite-fille.
« Je lui ai parlé de toi, de comment tu étais, plus jeune. J’ai essayé de répondre à toutes ses questions, mais il y a certaines choses que je ne savais pas. Et d’autres qu’elle était beaucoup trop petite pour comprendre. Elle m’a accompagnée, elle est là aujourd’hui, à Prague. Dès que je le pourrais, je l’amènerai ici. Elle va avoir onze ans, je pense qu’elle est en âge de comprendre certaines choses. Je préfère qu’elle ait un peu de temps pour comprendre qui elle est et comment se comporter vis-à-vis de ton histoire et la sienne avant d’entrer à Poudlard. Ce sera à elle et à elle seule de décider de ses sentiments envers vous. Je ne peux pas le faire pour elle, il lui faudra peut-être des années. Mais j’essaierai de faire en sorte qu’elle n’ait pas honte de toi, qu’elle n’ait pas honte de vous. Vous l’avez sauvée, et je le lui dirai. Vous avez une fille formidable. Elle comprendra. »
Octavia s’essuya les yeux du revers de la main et jeta un coup d’œil sur sa montre.
« Par les caleçons de Merlin, je suis en retard ! »
Après un dernier regard vers les tombes, elle tourna les talons, trottina à travers le parc, referma la grille et transplana sans attendre dans le hall du Conseil Magique de Bohême.
« Madame Prescott, on ne vous attendait plus. Dépêchez-vous, vous n’avez plus beaucoup de temps pour vous changer.
- Ne vous en faites pas, je crois que cela va aller Miss Thompson. »
Depuis qu’elle n’était plus entre deux feux ennemis, la jeune traductrice semblait avoir retrouvé toute sa verve. Ce qui n’était pas le cas d’Octavia, dont le cœur battait la chamade et dont les jambes tremblaient. Il lui fallait tout son self-control pour que sa voix ne vacille pas. Les visites sur la tombe de sa fille étaient toujours éprouvantes.
« J’ai plus de temps qu’il n’en faut pour me changer, dit-elle en empruntant l’escalier menant aux étages.
- Toutes vos affaires sont…
- Dans la loge numéro 2, je les ai moi-même apportées ce matin, la coupa Octavia, agacée, tandis que la jeune femme lui emboîtait le pas. Autre chose ?
- Non, rien Madame… »
Miss Thompson s’arrêta et scruta le visage de sa supérieure.
« Excusez-moi, je vais vous paraître indiscrète, mais… On dirait que vous avez pleuré…
- C’est en général ce qui arrive quand on respire des gaz lacrymogènes » répondit-elle d’un ton docte.
Laissant là la sangsue du Ministère, elle gravit les trois étages qui menaient aux différentes pièces mises à la disposition des intervenants du monde entier par les sorciers tchèques et s’engouffra dans celle qu’on lui avait allouée. Tandis qu’elle tournait la clé dans la serrure, une voix parvint du fauteuil se trouvant à l’extrémité de la pièce.
« Eh bien, je pensais ne plus te voir Tavy, tu as beaucoup tardé. Quelque chose d’intéressant ? »
Octavia se retourna et s’adossa contre la porte pour répondre au regard bleu inquisiteur de Dumbledore et pour calmer la vague d’émotions qui déferlaient en elle.
« Tu sais qu’il ne manquerait plus que le chat pour que tu ressembles au grand méchant d’une bande dessinée moldue ?
- Ah bon, laquelle ? Je serai curieux de la lire. »
Albus souriait, un air narquois sur le visage. Elle était contente de le voir, il fallait qu’elle se change un peu les idées avant de repartir travailler.
« Je ne me souviens plus du titre, répondit-elle en se dirigeant vers le paravent qui lui permettrait de se changer. Tu sais que j’ai une nouvelle adjointe ?
- Miss Thompson, oui. J’ai eu l’occasion de faire plus amplement sa connaissance tout à l’heure. Charmante jeune femme. Parle-t-elle correctement le tchèque ?
- Je n’ai pas eu l’occasion de vérifier. Elle a eu trop peur pour m’accompagner au bout de mon exploration.
- Et où l’as-tu emmenée ? » demanda-t-il alors qu’elle se lavait le visage en face d’un miroir.
Elle espérait dissimuler efficacement ses yeux rouges d’avoir pleuré. Au pire, l’excuse des gaz lacrymogènes lui servirait à nouveau. Elle prit une grande inspiration pour se calmer avant de répondre.
« Oh, tu me connais. Là où on avait le plus de chance d’obtenir des informations…
- Oh, oui, je te connais. J’espère juste que tu ne l’as pas embarquée dans une situation inextricable.
- Tu me déçois Albus. Je te pensais plus imaginatif, le taquina-t-elle en déboutonnant sa propre chemise.
- Telle que je te connais, tu l’auras placée entre le marteau et l’enclume. Pauvre gosse.
- Ne t’en fais pas, elle s’en remettra. D’ailleurs, elle n’avait pas l’air si mal que ça quand je l’ai croisée dans l’escalier.
- D’après Minerva McGonagall, Amanda Thompson est beaucoup moins fragile qu’elle n’en a l’air. Et surtout, elle est très intelligente. Pour une fois, le Ministère t’a gâtée.
- Oh, tu attises ma curiosité mon cher Albus. Allez, combien d’ASPIC ?
- Cinq Optimal et trois Efforts Exceptionnels. »
Octavia siffla pendant qu’elle déposait son pantalon sur le paravent.
« Effectivement, on sort de la reine de beauté un peu gourde et du jeune loup qui se demande comment contenir autant d’ambition dans un nombre aussi réduit de neurones.
- J’aime beaucoup la façon dont tu parles de mes élèves, ironisa Albus.
- Je déteste qu’on me mette quelqu’un dans les pattes. »
Elle revêtit une chemise plus convenable tandis qu’un cliquetis de vaisselle lui parvenait du fauteuil de Dumbledore. Octavia s’aperçut soudain qu’elle manquait à tous ses devoirs d’hôtesse.
« Au fait, n’hésite pas à te servir en thé.
- Je l’ai déjà fait ma chère. Il n’aurait pas fallu qu’il refroidisse.
- En effet, il aurait été dommage de se priver. Je me demande pourquoi je persiste à te poser la question étant donné que tu ne m’attends jamais pour profiter de mon thé.
- Ma foi, il te suffirait de ne faire monter qu’une seule tasse.
- Je n’aurais pas le plaisir de ta compagnie si je ne le faisais pas.
- Le thé n’est pas le seul plaisir que je tire de ta compagnie » murmura-t-il dans un souffle.
Octavia eut un temps d’arrêt alors qu’elle finissait de boutonner sa chemise ornée de dentelle.
« Mais je l’espère. La vie te paraîtrait bien trop fade si je n’étais pas là pour répondre à tes réparties, finit-elle par répliquer.
- Je ne l’aurais pas mieux dit moi-même. Désires-tu que je te serve en thé ?
- Je veux bien » dit-elle d’un ton léger en revêtant une robe de sorcière bleue brodée d’or.
Pendant quelques instants, le silence ne fut interrompu que par le bruit du liquide brûlant versé dans la tasse de porcelaine.
« Il faut que je te dise… Les tchèques…Ils t’ont servi de l’Earl Grey… Avec du lait » lui annonça-t-il avec un rire dans la voix.
Octavia sourit franchement.
« Ils n’ont pas osé quand même ! fit-elle d’une voix faussement menaçante.
- Je crois bien que si, il va falloir sévir, dit-il avec une gravité bien trop exagérée pour être vraie pendant qu’elle mettait une touche finale à sa toilette avec des pendants d’oreille ornés d’aigue-marine.
- Quelle honte ! L’Earl Grey…
- C’est avec du citron » finit Albus dans une parfaite imitation de la voix du professeur Phineas Black.
Il y eut un bref moment de silence puis tous deux rirent aux éclats. Octavia en avait les larmes aux yeux quand elle prit place dans le deuxième fauteuil de la loge. Albus était l’un de ses plus vieux amis et l’un des seuls à lui redonner le sourire après une visite à la tombe de sa fille.
« Merlin, ce qu’il pouvait être ridicule ! »
Avec ses manies et ses idées absolues sur tout, leur ancien directeur avait un haut potentiel comique, surtout quand Elphias Doge l’imitait devant toute leur bande d’amis à Poudlard. Une fois, leur hilarité avait été telle qu’ils n’avaient pu s’empêcher d’éclater de rire en plein milieu de la bibliothèque, ce qui n’avait pas été du goût de tout le monde et leur avait valu leur première retenue un mois après le début des cours.
Albus reposa sa tasse quand la gaîté du moment fut retombée.
« Octavia, que penses-tu de la situation ? »
L’ambassadrice prit sa tasse et but une gorgée de thé avant de lui répondre.
« Aucun sorcier n’est derrière tout ça si tu veux mon avis. Les Moldus n’ont pas forcément besoin d’être entraînés par quelqu’un de notre monde pour se faire la guerre, et mes informations vont plutôt dans ce sens-là.
- Je suppose que tu as entendu la dernière hypothèse émise par les Rytíř.
- Totalement irréalisable et totalement hors de propos. Melina Novakova… Pourquoi pas Grindelwald pendant qu’on y est ! »
Albus pencha la tête en arrière et sourit jusqu’aux oreilles. Tous les deux savaient que les autorités tchèques, en particulier le Conseiller ducal et ses partisans, voulaient montrer qu’ils avaient trouvé un coupable aux derniers évènements en ordonnant aux Rytíř, les chasseurs de mages noirs de Bohême, d’ouvrir une enquête. Depuis, les hypothèses officielles variaient encore plus vite que la rumeur populaire, ce qui ne manquait pas d’entretenir un climat tendu au possible.
« Il est parfois bon d’avoir un bouc émissaire ma chère Octavia.
- J’aimerais beaucoup qu’ils cessent avec cette histoire. C’est une petite fille, elle n’a même pas encore onze ans !
- Ce n’est pas à toi que je vais apprendre que les parchemins officiels lui en donnent dix-sept, l’âge auquel Grindelwald a fait parler de lui.
- Je le sais bien, mais pour accuser ainsi, il faut des preuves, ou au moins une rumeur solide. Melina Novakova a disparu de la circulation depuis quelques années déjà.
- Justement, ce serait l’occasion d’un retour… »
Octavia haussa les épaules avec dédain.
« Tout autre partisan de Grindelwald ferait l’affaire Albus. C’est simplement lié au fait que Lucinda Novakova fasse très peur, encore aujourd’hui. Le Conseiller ducal veut simplement assurer ses arrières. Honnêtement, je pencherais plus pour une intervention de ce mage noir dont tu me parles tout le temps…
- Tom ? »
Elle hocha la tête en guettant sa réaction. Celle-ci ne se fit pas attendre. Dumbledore croisa les bras sur sa poitrine et prit une expression grave pour la première fois depuis le début de la conversation.
« Je sais qu’il est actif en Europe de l’Est, mais je n’arrive pas à savoir ce qu’il fait exactement.
- Il est dangereux ?
- Je pense qu’il a ouvert la Chambre des Secrets il y a quelques années » répondit calmement Albus.
Octavia laissa échapper sa tasse qui roula sur le sol en déversant son contenu. Elle jura et agita sa baguette pour réparer les dégâts avant de fixer à nouveau son regard dans celui de Dumbledore. Elle espérait sincèrement que la dernière affirmation de son ami soit une plaisanterie.
« Tu es absolument sûr de toi ? Je veux dire, Tom Jedusor a été récompensé il y a des années pour avoir mis fin à la série de meurtres et de pétrifications à Poudlard… Qu’est-ce qui te fait croire ça ?
- Hagrid m’a dit que l’animal qu’il avait nourri et accueilli était une Acromentula. Et je pense qu’on peut le croire.
- Une Acromentula n’a jamais eu le pouvoir de pétrifier ses victimes, exposa lentement Octavia. Donc, le monstre de la Chambre n’a jamais vu Hagrid.
- Exactement. »
Elle ricana.
« Tu es conscient que Jedusor s’est peut-être tout simplement trompé ?
- Bien sûr que c’est possible. Mais j’ai fait quelques recherches sur lui. Je l’ai toujours soupçonné, il y avait quelque chose en lui qui me gênait…
- Ne me fais pas languir je te prie… Qu’est-ce que tu as découvert qui appuie ta théorie ? »
Elle savait qu’Albus n’accusait jamais sans preuves et c’était un trait qu’elle appréciait particulièrement chez lui.
« Jedusor est le dernier descendant vivant de Salazar Serpentard. »
Octavia essaya d’intégrer l’information. Si elle avait encore eu une tasse de thé à la main, elle l’aurait probablement faite échapper sur le champ. Le descendant de Salazar Serpentard… C’était un argument de taille contre ce garçon. Et si Albus avait raison, il avait commis son premier crime à un très jeune âge… Peut-être même plus jeune que Grindelwald lorsqu’il avait causé l’accident qui avait entraîné la mort de Dimitri Uzukoff à Durmstrang.
« Quel âge avait-il au moment des agressions ?
- Seize ans. Et l’été qui a suivi, un moldu nommé Jedusor et ses parents ont été retrouvés morts. L’année même où Tom a quitté son orphelinat pour retrouver sa famille.
- Ils étaient parents ?
- Oui. Je pense que Tom Jedusor Senior était le père du Tom que j’ai eu comme élève à Poudlard. »
Octavia était sidérée.
« Il a tué son propre père ! » s’exclama-t-elle.
Albus acquiesça. L’ambassadrice grimaça. Un parricide à un si jeune âge faisait froid dans le dos et, si tout cela s’avérait exact, ce garçon réunissait toutes les caractéristiques d’un futur mage noir.
« Tom n’a aucune considération pour les gens ayant la moindre goutte de sang moldu dans les veines. Son père était moldu et l’a abandonné avant même sa naissance. Je pense qu’il a trouvé cet affront suffisamment intolérable pour désirer sa mort…
- Mais, s’il l’a tué, il a du être soupçonné ?
- Non. La police moldue a arrêté et interrogé un certain Bryce et les Aurors avaient Morfin Gaunt sous la main. Je ne sais pas si tu en as entendu parler.
- Je n’ai jamais rencontré Morfin, mais j’ai eu l’occasion de parler à quelques membres de la famille Gaunt et ce n’est pas un bon souvenir. Je crois que Felix a été à Poudlard en même temps que la fille, Merope. Elvis Gaunt n’a jamais eu vraiment bonne presse auprès de la bonne société sorcière. La pauvreté de la famille ne les aidait pas, sans compter qu’ils faisaient vraiment figure de dégénérés, et je suis polie ! Les ravages de la consanguinité… Pourtant, je doute qu’aucune des grandes familles de sorciers d’Angleterre puisse se vanter d’avoir le sang aussi pur que les Gaunt. »
Octavia finit son discours en haussant les épaules avec dédain.
« Ca ne m’étonnerait pas plus que cela que le fils Gaunt ait réellement commis ce meurtre, Albus. D’autant qu’il a déjà été condamné pour une agression sur des moldus.
- Moi non plus. Seulement, j’ai quelques doutes…
- Mais aucune preuve. » finit Octavia en se versant un peu de thé.
Elle s’enfonça dans son fauteuil pour réfléchir, sa tasse à la main. Albus n’avait pas de preuves. Cependant, elle le connaissait depuis suffisamment longtemps pour savoir qu’il ne lançait jamais d’accusations à la légère. Rien n’étayait sa version… Pourtant, s’il avait vu juste, il y avait de fortes chances pour que ce Tom Jedusor devienne un mage noir encore plus terrible que ne l’était Grindelwald... Ils ne pouvaient pas se permettre de prendre ce risque.
« Que désires-tu savoir au juste ? demanda-t-elle.
- Certains ex-partisans de Grindelwald sont morts ou ont mystérieusement disparu ces dernières années. J’ai besoin de savoir si Tom est responsable de tout cela. »
Octavia eut soudain du mal à respirer.
« Lucinda ?parvint-elle à articuler dans un souffle.
- Je ne sais pas » répondit Albus d’un air gêné.
Elle posa sa tasse sur la table, se leva et alla se poster devant la fenêtre. Sa fille, tuée par un nouveau mage noir ?... Elle n’arrivait pas à le croire.
« Lucinda et Yvan Novak sont morts dans un règlement de compte d’après les rytíř… Le trafic d’objets servant à la magie noire n’a jamais été sûr, objecta-t-elle.
- Oui, mais il n’y a pas qu’eux Tavy. Andreï Nabukoff s’est noyé dans la Volga, un stupide accident à en croire les journaux. Anastasia Alexandrovna est morte dans l’explosion de son apothicairerie dans les Carpates. Et tu m’as toi-même avoué que tu avais perdu la trace de Borislav et de sa famille.
- Aucun élément ne prouve que tout ceci soit lié Albus.
- Je le sais. Et c’est ce que je te demande de trouver, un début de preuve. Crois-moi Tavy, je ne te demanderais pas ça si je n’avais pas d’autre choix.
- Et avec ton tact habituel envers moi, tu m’annonces cela juste avant la tenue d’une assemblée extraordinaire de la Confédération Internationale des Mages et Sorciers » répliqua-t-elle la voix pleine d’amertume et de colère.
Octavia fit une moue dégoûtée et serra les poings. Albus avait dépassé les bornes, il n’avait pas à lui annoncer une telle nouvelle entre deux plaisanteries. Elle se retournait pour lui faire face et lui dire sa façon de penser quand on frappa à sa porte.
« Madame Prescott, il est temps. Tous les dignitaires doivent reprendre leur siège, annonça la voix de Miss Thompson à travers la porte.
- J’arrive » répondit durement l’ambassadrice.
Elle se tourna vers Albus, ses yeux lançant des éclairs.
« Sauvé par le gong à ce que je vois. Ne t’inquiète pas, nous reparlerons de tout cela.
- Mais je n’en doute pas » lui répondit-il avec un grand sourire.
Octavia attrapa sa sacoche emplie de dossiers d’une main rageuse. Cet imbécile l’avait fait exprès. Maintenant, elle allait avoir les nerfs en pelote. Il n’avait pas à remuer le couteau dans la plaie que lui avait causé la mort de sa fille. Et surtout, il n’avait pas à sourire de cette façon après l’avoir fait.
Elle se retourna, la main sur la porte, et lui lança :
« Je n’ai pas reçu de gaz lacrymogènes. Je suis allée sur la tombe de Lucinda aujourd’hui. »
Le sourire d’Albus s’effaça et il blêmit. C’était bien fait pour lui.