— Et tu vas me rapporter Kate Whisper…
Kate manqua de s’étouffer avec la grande bouffée d’air qu’elle venait d’avaler, la tête s’enfonçant davantage dans son oreiller, ses paupières s’ouvrant sitôt sur ses prunelles grises. Un réveil pour le moins brutal. Peu agréable. À l’image du rêve qu’elle venait de traverser. Elle reprit ses esprits, l’instant de quelques secondes, respirant par ahans fébriles, les yeux encore lourds de sommeil. Puis, après avoir jeté un rapide coup d’œil vers la fenêtre, elle roula dans son lit et attrapa à tâtons le réveil sur sa table de chevet. Les chiffres ternes de son vieil appareil lui indiquaient 8:24 AM. Kate grogna avant de reposer l’objet et de gesticuler sous ses draps, refusant de s’en extirper. Cependant, elle savait fort bien qu’elle ne parviendrait pas à se rendormir…
Se résignant d’un soupir, elle se leva d’un pas maladroit sur le plancher grinçant et déambula dans sa chambre en direction de la fenêtre, dont elle tira le rideau. La lumière éclatante de l’aurore estivale éclaira la petite pièce, que la nuit avait rendue poussiéreuse, de petites particules voletant dans les airs. Kate dévia son visage, étiré dans une grimace d’inconfort, quelques secondes avant de constater la présence d’un oiseau sur son petit balconnet en fer rouillé. Ce n’était ni une mésange désireuse de lui chanter une ode matinale ou un rouge-gorge quémandeur de pain, mais un hibou grand-duc, à la tenue hiératique, ses cornes de plumes droites sur sa tête carrée. Un sourire s’élargit sur les lèvres de Kate, les yeux encore pesants :
— Goliath ?
Kate souleva le cadre de la fenêtre et invita le hibou à entrer. Ce dernier dut se faire prier pour entrer, se juchant sur l’une des étagères. À ses serres était accrochée une petite lettre coquette. La qualité du parchemin était telle, marbré de reflets d’or, que Kate n’eut plus aucun doute sur l’expéditeur. Elle détacha le message qui lui était adressé et le déplia. Au fil des mots qu’elle lisait, la petite fille sentit son cœur s’alléger de bonheur. Avant qu’elle ne se précipite dans le couloir et ne descende les escaliers en trombe.
Dans la cuisine bercée par les grésillements d’une radio, Grace titillait d’une spatule en bois les œufs qui cuisaient dans sa poêle, tandis que Phil, assis à la table, lisait attentivement la Gazette du Sorcier qu’il venait de recevoir. Ses parents ne devaient pas être levés depuis très longtemps ; ce fut le café de son père qui le lui indiqua. Car devant lui se tenait son vieux mug magique, à la surface duquel galopait un griffon cracheur de feu. Lorsque la tasse se vidait ou que son contenu devenait tiède, l’image de la bête légendaire s’endormait dans un sommeil paisible.
Kate entra en trombe dans la cuisine, excitée comme une puce :
— Vous ne devinerez jamais ce que je viens de recevoir !
Son père lui jeta un regard malicieux par-dessus son journal.
— Bonjour ma grande, tu as bien dormi en cette nuit du 12 août ? Fais de beaux rêves ? Moi oui, je te remercie. C’est toujours gentil de me demander comment je vais de bon matin, ma chipie, j’apprécie tes convenances chaleureuses. Tu veux ton English Breakfast ? Ta mère vient juste de mettre de l’eau à bouillir.
Pour remédier à sa remarque sarcastique, Kate se précipita vers lui pour lui offrir la bise avant d’en faire de même avec sa mère.
— Désolée ! Mais je suis si heureuse !
— Eh bien ! Tu as beaucoup de chance d’être aussi pétulante dès le saut du lit, s’étonna Phil en délaissant sa gazette. Beaucoup en rêveraient… Moi le premier…
— Tu as reçu une bonne nouvelle ? s’intéressa sa mère, qui lui servit ses œufs au plat. Ta lettre de Poudlard ?
— Non, tu n’y es pas du tout ! Maggie m’invite à aller voir la coupe du monde de Quidditch avec elle ! C’est merveilleux, non ?
Mais alors qu’elle s’attendait à une réaction enjouée de ses parents, ou tout du moins positive, elle se retrouva face au sourire maladroit de sa mère qui ne connaissait pas grand-chose au Quidditch et aux tressaillements des sourcils de son père.
— Que je me rappelle bien… La coupe du monde se déroule à Singapour cette année… souffla Phil, englobant son mug au griffon de ses deux grandes mains.
— O-oui, bredouilla Kate, encore crainte et joie.
Phil adopta une expression étrange, affichant un sourire grimaçant étrangement peu rassurant.
— Il est hors de question que tu t’y rendes, ricana-t-il en secouant la tête.
— Quoi ?! s’étrangla Kate. M-mais papa ! C’est la coupe du monde de Quidditch ! Je ne peux pas rater ça !
— Bon, laisse-moi réfléchir deux secondes. Hmm. Non.
— Ton père a raison, Kate, intervint Grace en revenant vers la table, serrant la ceinture de sa robe de chambre bleu clair. Tu es encore jeune. Singapour est à l’autre bout du monde… ! Ce n’est pas la plus sage des idées.
— Rien n’est loin pour des sorciers ! se défendit-elle. Je suis sûre qu’il y a des moyens rapides pour s’y rendre !
Elle attaqua avec une rage retenue les pauvres œufs de son assiette, perçant l’opercule flasque du jaune qui se répandit.
— Tu as l’air d’oublier, ma chère fille, que ton âge n’est pas forcément l’idéal pour te rendre seule à ce genre de festivité…
— Mais je ne serai pas seule ! Il y aura Maggie et sûrement ses parents.
— C’est censé me rassurer ?
— Tu n’as qu’à venir avec moi papa ! Je suis sûr que ça te plairait ! Tu verras, ça sera génial ! Carrément inoubliable !
— Au temps pour moi, je ne savais pas que tu avais trouvé un sac de gallions sous ton oreiller entre hier et aujourd’hui…
— Papa, écoute-moi, arrête de faire l’idiot…
— Ah. Bien, d’accord.
Le visage de Phil se figea une expression si froide, le regard appuyé par le gris acéré de ses yeux, que Kate vint à en regretter ses paroles.
— J’écoute tes arguments, moujingue.
— Les parents de Maggie sont très… euh. Ils ont les moyens ! Ils pourront nous payer le voyage ! Et le logis sur place !
— Je n’ai pas envie de dépendre de quiconque pour des frais, asséna Phil, grave en se pinçant les lèvres. Il est hors de question qu’ils nous paient quoi que ce soit…
— Mais Maggie m’a dit que ça ne leur poserait pas de problèmes… !
— C’est à moi que ça en pose un… ! Si on part, ça sera avec notre argent. Or, comme tu l’as remarqué… Nous n’en sommes pas à louer un dragon pour notre chambre fort à Gringotts… Nous n’avons même pas assez pour nous offrir un elfe de maison cul-de-jatte… !
— Tu auras sûrement l’occasion d’aller à d’autres coupes du monde, ma chérie, la raisonna sa mère en frictionnant son épaule. Qui seront moins loin que Singapour…
— M-mais… c’est Maggie qui m’a invitée ! clamait Kate, acharnée et déçue. Je ne peux pas refuser ça !
— Si tu veux, je peux m’occuper d’écrire moi-même la réponse, elle sera mieux en mesure de comprendre, marmonna Phil en avalant une grande gorgée de café. En attendant, il n’est même pas envisageable que tu t’y rendes… D’autant plus que le monde sorcier reste encore dangereux et imprévisible en ce moment…
Saisie par un élan de colère qui empourprait son visage, Kate se leva et, ne prenant même pas la peine de terminer son petit-déjeuner, quitta la table sur quelques mots criés :
— Au cas où tu ne saurais pas, papa, la guerre est terminée ! J’ai le droit de vivre ma vie !
— Bah voyons…
La fillette retourna dans sa chambre, essuyant quelques sanglots disséminés le long de ses pas. Perplexe, Phil souffla.
— Elle comprendra, l’accompagna sa femme dans un même soupir en haussant des épaules. Elle est encore jeune pour se rendre compte de la réalité du monde, encore plus en ce qui concerne celui des sorciers.
— Oh, je ne m’inquiète pas, elle s’en remettra.
Au même instant, comme une flèche brune, Littleclaws, qui s’était introduite par la fenêtre entrouverte dans un pic de vitesse, tournoya dans la cuisine avant de se poser sur la table, ses griffes dérapant à la surface du bois alors qu’elle tentait de s’approcher de son maître.
— Toujours aussi hygiénique que de voir un oiseau qui se nourrit de charognes de souris sur la table du petit-déjeuner, nasilla Grace pour taquiner son mari.
— Parce que tu penses qu’il existe mieux ?
— Chez les pauvres Moldus que nous sommes, cela s’appelle le service postal. Ça nous épargne les plumes dans l’assiette et les piaillements intempestifs !
— Ne l’écoute pas, ricanait Phil en retirant les lettres portant le sceau du ministère que Littleclaws lui apportait en s’adressant à sa petite chouette. Elle ne profère que des vilénies…
— Encore et toujours ! lança Grace dans un unique éclat de rire, tout en débarrassant la table.
Phil passa en revue le courriel adressé par le ministère, plus précisément du Service des Nuisibles du département de contrôle et de régulation des créatures magiques : il s’agissait des renseignements collectés par les sorciers afin de l’orienter vers les affaires sur lesquelles il aurait à régler ce jour-là dans la circonscription dont il avait la responsabilité en tant que Nettoyeur. Des incidents impliquant le plus souvent d’innocents Moldus… Les urgences demeuraient rares, mais il arrivait à Phil d’être réveillé au beau milieu de la nuit par une lettre de Littleclaws concernant l’attaque d’une Banshee sur une ville entière peuplée de Moldus. Ce à quoi il fallait impérativement réagir dans l’immédiat, au risque de se retrouver le lendemain avec une banderole défilante aux informations moldues à propos de nombreuses disparitions inquiétantes !
— Tiens, un Licheur, ça fait bien longtemps que je n’en ai pas eu… !
— C’est tout ce que tu as comme mission pour aujourd’hui ?
— Oh non, d’autres petites commodités. Invasion de gnomes, un Niffleur qui s’est attaqué à un bijoutier… La routine, ma brave femme !
Lorsqu’il fut fin prêt à partir, Grace le rejoignit dans l’entrée et accompagna son baiser d’au revoir de quelques mots :
— Cesse de te faire du mouron, elle ne t’en veut pas… Elle comprendra ton choix vis-à-vis d’elle. Ce soir, ça ne sera que de l’histoire ancienne et elle te sautera dessus quand tu reviendras… !
— De qui me parles-tu ?
— De ta fille, grand dadais ! Je te connais trop bien depuis le temps…
— Ah, mes excuses. J’ai cru un instant que tu parlais de ma maîtresse !
Phil encaissa le poing que son épouse, aussi bien amusée qu’offusquée, lui avait enfoncé dans les côtes avec un sourire narquois.
— File avant que je ne pointe le fusil de chasse moldu de mon père sur ta tempe, vil sorcier !
— Oui, bonne journée à toi aussi, ma chérie !
***
Sa matinée, Kate la consacra à ruminer dans sa chambre de toutes les manières possibles que ce soit. Elle rédigea bon nombre de lettres à l’intention de Maggie, mais aucune ne lui convenait, craignant que son amie prenne mal le refus de son père, qu’elle pensait malgré tout légitime. Après tout, l’opportunité se présenterait de nouveau à elle un jour, elle avait toute sa vie devant elle pour assister à la finale d’une coupe du monde de Quidditch. Elle s’en fit la promesse.
Le poing timide de sa mère contre sa porte la détourna un moment de ses pensées.
— Une petite partie de dame avec du thé ? lui proposa-t-elle, d’un sourire maternel.
— Oh oui, pourquoi pas…
Après tout, elle pouvait bien laisser cette affaire de côté quelques instants. Son père, peut-être, changerait-il d’avis en revenant. Bien que les chances lui paraissent fort maigres, Kate ne perdit pas espoir.
Elle descendit, ses pas rebondissant sur les marches de l’escalier, et rejoignit Grace qui disposait le plateau sur la table basse du séjour. En voyant sa mère agencer les pions sur le damier, Kate fut rappelée à des souvenirs qui n’étaient pas bien lointains. À l’époque où la guerre faisait encore rage et que les froides journées de la cave se déroulaient à force de s’immerger dans d’interminables jeux de société. Et le jeu de dames avait toujours été le favori de sa mère. Kate regretta cependant de ne pas pouvoir expérimenter ce jour-là la version sorcier, où les palets se gobaient les uns les autres, lâchant quelques fois un rot de contentement.
— Je prends les rouges, décida-t-elle.
— Très bien. Je commence alors.
Malgré tout ce qu’elles eurent vécu ensemble, Grace et sa fille n’avaient jamais été de grandes confidentes réciproques. Kate avait toujours pensé que la barrière de son ignorance moldue la rendait plus proche de son père que de sa mère, qui ne pouvait parvenir à la comprendre entièrement. Seul le jeu, tel que les dames, permettait de délier les langues.
— J’espère que ma lettre de Poudlard arrivera vite… soupira Kate qui fit rebondir son pion sur le plateau.
— Tu as hâte de faire tes courses de rentrée, je présume… !
— Et même d’y retourner… !
— Ça fait plaisir à voir. Quand je pense qu’à ton âge, j’avais horreur de la rentrée. Aujourd’hui encore d’ailleurs !
Depuis la cessation des combats dans le monde des sorciers, Grace avait retrouvé un emploi stable et enseignait à de jeunes élèves de l’âge de sa fille dans une école publique.
— C’est sûr qu’apprendre la magie doit être bien plus palpitant que de plancher sur des mathématiques !
— Complètement !
Kate eut un accès de rage bien vite dissipé lorsque Grace rafla ses pions d’un passage destructeur de sa dame.
— Dis, maman…
— Oui ?
— Comment tu as réagi, exactement, quand tu as su que la magie était réelle ? Que les sorciers existaient ?
— J’ai bien été forcée d’y croire ! ricana-t-elle. Lorsque papa m’a sauvée d’un botruc. Au départ, je suis restée très suspicieuse. Mais tu sais, quand il s’agit d’un beau jeune homme comme l’était ton père à l’époque, tu es prête à croire à tout… ! J’ai été jusqu’à provoquer une nouvelle fois la créature qui m’avait attaquée pour le revoir !
— La magie du coup de foudre, sourit Kate, rêveuse.
— Quand on est une jeune fille moldue et que notre existence est morne, sans magie, on rêve toutes d’être une princesse et de pouvoir tomber sur un prince charmant montant un fier destrier blanc. Sur un espion secret séduisant, comme James Bond. Je pouvais croire à tout, mais sûrement pas à rencontrer un sorcier !
Pendant que Kate réorganisait les pions à la fin de cette première partie échouée, Grace alla chercher la théière.
— J’étais loin du compte avec tous les projets que j’avais pu planifier quand j’étais plus jeune, poursuivit-elle après avoir servi du thé à sa fille. Ce n’était certes pas une vie de tout repos que ton père m’a apportée ! C’est sûr. Mais je ne regrette rien. Si ce n’est le fait de ne pas avoir pu être une sorcière moi aussi…
— Tu aurais voulu aller à Poudlard, maman ?
— Oh que oui… Profite de ta chance…
Bien que le sourire de Grace fût éclatant, Kate reconnaissait dans sa voix un brin de regret. Elle profita de l’hésitation de son prochain coup pour glisser une proposition :
— Pourquoi tu ne viendrais pas avec moi et papa pour faire les courses sur le chemin de Traverse ?
— C’est un moment que tu dois partager avec lui. Aux sorciers les instants des sorciers.
Kate s’apprêta à répliquer afin de convaincre sa mère de les accompagner, lorsqu’une ombre traversa le rai de lumière qui provenait de la grande fenêtre du séjour, accompagnée d’un bruit d’ailes battantes.
— Un hibou ! s’exclama-t-elle.
— À cette heure-là ? s’étonna Grace en se retournant sur le canapé.
Kate bondit sur ses pieds et accourut vers la fenêtre, qu’elle souleva brusquement. L’oiseau s’engouffra dans la pièce et effectua plusieurs tours dans le salon, éparpillant des plumes dans les airs, avant de se poser sur le dossier du siège sur lequel était assise Kate quelques instants auparavant. Il s’agissait d’un hibou strié, sa tête ronde encadrée de brun et son thorax tacheté de blanc et de noir. À sa patte était ficelée une enveloppe brunie.
— Ça doit être pour ton père…
— Non, maman…
Le cachet vert avait gravé en relief à la cire un os et une baguette magique. Symbole que Kate reconnut immédiatement.
— Ça vient de Ste Mangouste !
— L’hôpital ?
Aussitôt, Grace s’inquiéta et se précipita vers sa fille qui venait de détacher la lettre des griffes de l’oiseau de proie, qui criailla de satisfaction. Kate trembla en donnant le message à sa mère. Était-ce un simple courrier pour donner des nouvelles régulières d’Eliot ? Ou pour annoncer… qu’il était mort suite à son trop long sommeil ?
L’appréhension épinglée au cœur, Grace détacha le sceau et déplia la lettre avec précipitation, le regard angoissé de sa fille fixé sur ses expressions. Pourtant, c’est un sourire qui s’étira sur les lèvres.
— Qu’y a-t-il, maman ?
— Eliot… il s’est réveillé !
***
Alors que Kate se remettait de ses émotions, paralysée dans le canapé, un sourire immuable cousu sur son visage, Grace tentait désespérément de contacter son époux.
— Pourquoi les sorciers ne peuvent-ils pas porter de téléphone portable sur eux, comme tout le monde ?! rageait-elle. Il a encore dû oublier le sien quelque part, au fond de sa satanée bagnole…
— Tu en demandes trop pour un sorcier, maman ! J’ai une idée !
Mue par sa joie, Kate rejoignit le bureau de son père, à l’étage, à toute allure, tambourinant les marches de son pas rapide. La pièce était peu éclairée, baignée dans la poussière, le froid et l’odeur âcre du papier, de la fumée et du bois vieilli. Dans un coin de la pièce somnolait Littleclaws, qui se réfugia entre ses ailes lorsque Kate pénétra dans le bureau avec brusquerie.
Elle se mit alors à la recherche d’un morceau de parchemin et d’une plume sur le bureau négligé de son père, sur lequel ce dernier avait accumulé un chaos si démesuré que l’équilibre de chaque feuille semblait tenir sur le fil du rasoir. Des recherches sur des attaques de créatures, ses lettres de missions, les courriers du ministère, des notes griffonnées à la va-vite, des cartes de la circonscription, une liste des futurs jugés pour Azkaban… Hein ?
Kate s’attarda sur le parchemin qu’elle déchiffra le nez presque accolé aux lettres. Des dizaines de noms y étaient inscrits, manuscrits, par la main de Phil. Certains avaient été biffés. Comme celui de Walden MacNair. Rayés. Ratifiés. Envoyés à Azkaban pour un aller simple avec logement compris dans les services. Pourquoi son père, plus d’un an après la guerre, avait-il dressé une telle liste malsaine, regroupant les noms de Mangemorts, de criminels… À côté de leur patronyme, les raisons de leur condamnation. Certains termes étaient récurrents : meurtre, torture, complice, soumission à l’Imperium, délation… Des mots qui faisaient froid dans le dos.
Le cri perçant de Littleclaws, qui surveillait la petite fille d’un œil vif, la détourna de ses pensées. Attrapant un morceau de feuille vierge et la plume d’aigle de son père, elle écrivit un bref message :
« Eliot s’est réveillé. Reviens le plus vite possible à la maison !
Kate »
Elle roula le message, enrubanna et l’accrocha à la patte de Littleclaws, indifférent.
—Va ! lui intima la fille de son maître en lui ouvrant la fenêtre. Dépêche-toi, trouve papa !
Sans un piaillement, la minuscule chouette nyctale fila comme une flèche vers le dehors et plana en s’élevant dans le ciel gris, à la recherche de Phil. Kate la regarda s’éloigner et disparaître en un point noir. Tout n’était qu’une question de minutes…
***
En effet, moins d’une heure plus tard, la voiture noire de son père se gara devant la maison. Son véhicule n’était qu’une couverture qui lui permettait de faire croire aux Moldus voisins que Phil se rendait tous les matins au travail, alors qu’en réalité, il ne s’arrêtait qu’au bout de cinq-cents mètres, le temps de parquer sa voiture à l’égard du regard de quiconque et transplanait à son gré à travers la circonscription. Étrangement, Phil avait pris goût à la conduite moldue et au confort qu’offraient les sièges en cuir, remolletonné grâce à la magie. Avec l’arrivée du tout nouveau phénomène internet, il n’y aurait bientôt plus besoin de se créer un prétexte puisqu’il paraissait de plus en plus normal de travailler à domicile, depuis un ordinateur. Seule machine que Phil avait encore beaucoup de mal à manipuler, la considérant, la première fois qu’il l’eut vu, pour un instrument de musique typiquement moldu...
Grace lui ouvrit la porte d’entrée avant même que Phil n’ait encore eu le temps de s’extirper de la voiture. Ce dernier semblait particulièrement nerveux.
— Bien, grinça-t-il. Si c’est une blague issue de la frustration de Kate, elle n’est pas de bon goût !
— Non, c’est vrai ! Tiens, regarde !
Sa femme lui fourra la lettre de Ste Mangouste dans les mains. Et au fil des mots, un sourire s’étira sur son visage.
— C-c’est… incroyable ! Je n’en reviens pas… Préparons vite nos bagages, nous partons à Londres sur le champ !
***
Dans le cœur de Kate crépitait le même sentiment qui l’avait habité durant le trajet vers Londres avant sa première rentrée, pour effectuer ses achats sur le chemin de traverse. Un mélange de joie, d’appréhension, de questions et d’une étrange familiarité. Après tant d’épreuves, elle allait enfin revoir son unique cousin, l’unique être proche, par l’âge et par le sang. Deux jeunes sorciers, les seuls de leur génération dans cette famille. Elle se souvenait de leurs jeux alors que tous deux n’étaient pas encore en âge d’entrer à Poudlard, dans des jeux de rôles où les peluches magiques d’Eliot faisaient office d’élèves pour leurs cours magistraux. Avant même de s’asseoir sur les bancs de l’école, ils n’avaient qu’un seul rêve : s’y rendre.
« — 10 points en moins pour Poufsouffle, mister Bear ! clamait Kate autoritaire, alors âgée de cinq ans, en désignant l’ours en peluche en dernier rang. On ne met pas ses doigts dans le nez ! Et je vous ai vu mettre votre crotte de nez dans la potion de miss Dolly !
— Mais pourquoi tu ne fais qu’enlever les points à Poufsouffle depuis tout à l’heure ? s’indignait Eliot.
— Parce que d’abord, les Poufsouffle, ils ne servent à rien !
— C’est pas vrai !
— Ils ont rien de spécial ! Le jaune, c’est moche, la dame qui a créé Poufsouffle était une grosse qui pensait qu’à manger, et en plus, ils ont un blaireau comme animal ! C’est nul !
— Tu préfères peut-être les Serpentard ? Ils sont méchants et stupides ! Ils ont un ver de terre vert comme animal !
— Mon papa a été à Serpentard et il n’est ni méchant, ni stupide, comme toi ! se défendit Kate, rouge de colère.
— Et moi, ma maman était Poufsouffle alors t’as plus le droit de dire que les Poufsouffle sont nuls ! »
Les disputes du même genre avait toujours été monnaie courante entre les deux cousins. Une sorte de rivalité qui avait débuté bien des années plus tôt entre une grande sœur appliquée et un petit frère roublard et qui s’était perpétuée jusqu’à la génération suivante. Jusqu’à ce qu’Eliot n’entre à Poudlard, quelques mois après le retour du Seigneur des Ténèbres, à l’issue du Tournoi des Trois Sorciers qui avait ému tout le pays. Depuis la mort de Cédric Diggory et l’assignation d’Eliot à sa maison, Kate avait enterré tous ses préjugés à propos de Poufsouffle. Elle était persuadée qu’il était enfin chez lui, là où il aurait été le jeune sorcier le plus heureux et le plus épanoui. Qu’il était un parfait représentant de son blason : gentil, généreux, farceur et optimiste. Mais cela, c’était sans compter la guerre… Et le sort qui l’avait cloué, inconscient, dans un lit durant deux ans…
Kate retrouva, non sans fascination, les rues bondées de Londres. Lors de cohues touristiques, Phil poussait sa fille par l’épaule, lui évitant d’être aspirée par la masse des visiteurs venus découvrir les places incontournables de la capitale britannique durant les vacances d’été.
— Tu as déjà été à Ste Mangouste, maman ?
— Non. Et ton père ne m’a jamais parlé. Tu le connais, il a une sainte horreur des hôpitaux !
Depuis qu’il avait appris la nouvelle, Phil s’était fait étonnamment très silencieux, ne lâchant que quelques rares mots dans la voiture alors qu’il conduisait. Même si Kate l’avait connu souvent badin et de bonne humeur, elle n’avait jamais vu son père sauter de joie ou exprimer des émotions trop fortes. Et alors que le réveil d’Eliot était une chose qui méritait d’être accueillie avec euphorie, Phil se contentait d’afficher l’expression d’une armoire à glace.
Kate retrouva la fameuse vitrine crasseuse dans laquelle de vieux mannequins poussiéreux observaient les passants, accoutrés d’antiques habits démodés qui n’étaient plus sur le marché de la mode depuis une vingtaine d’années. L’absence de faciès des grands pantins en plastiques renforçait le mal-être que l’on ressentait en les observant trop longtemps. Comme lors des vacances de Noël dernier, Phil se pencha devant la vitre souillée par des traces de mains et murmura :
— On vient voir Eliot Burbage.
Le geste lent du mannequin provoqua un frisson, tant bien chez la mère que chez la fille, alors que ce dernier les invitait à avancer.
— C’est… horriblement glauque ! déglutit Grace avant que son mari ne disparaisse dans la vitrine qu’il traversa.
La fillette attrapa la main de sa mère et la força à suivre ses pas, la tête la première dans la vitrine, qui épousa dans une caresse volatile les courbes de son visage, avant de métamorphoser sa vision. Grace en demeura interloquée, alors que défilaient devant eux, dans l’immense hall d’entrée bruyant, de futurs patients en attente.
— Je ne comprends pas, bredouillait un vieux sorcier à la guérisseuse postée derrière le comptoir. J’ai simplement voulu lancer un innocent petit Lumos et… c’est mon nez qui s’est mis à clignoter ! Regardez ! Vous voyez ?! Quand je m’énerve, il émet de la lumière !
— Couloir de droite, service des accidents matériels. Puis vous prendrez la troisième porte à gauche, ça vous sera indiqué : « Court-circuit de baguettes ». Réfléchissez à vous en acheter une nouvelle !
Comme toujours, Phil doubla allégrement la file d’attente et franchit la double-porte qui séparait le hall des entrailles blanches et profondes de l’hôpital. Kate remarqua bien vite que les lieux avaient été rénovés : plus aucune trace noire sur les murs, plus de dégâts, plus de chambres fermées. La guerre avait été définitivement été effacée à Ste Mangouste. Avec de la peinture blanche. La jeune fille sentait la main tremblante de sa mère serrer fort la sienne entre ses doigts ; Grace semblait à la fois fascinée et effrayée.
— Hmm, vous avez le teint bien pâle, madame, l’interpella un tableau qui représentait un gros homme en pourpoint marron, faisant rebondir sa pipe en articulant ses mots sur ses lèvres rosies et charnues, encadrées par un bouc grisonnant. Auriez-vous contracté la diarrhée du troll, dernièrement ?
— C’est… c’est à moi que vous vous adressez ? s’immobilisa Grace, victime d’un soudain sursaut.
Elle se tourna vers son mari qui avait pris de l’avance sur elles :
— Phil ! Il y a… il y a un tableau… qui me parle !
— Eh bien, réponds-lui ! lui lança-t-il.
Le regard troublé de Kate recroisa celui de la peinture, qui crapautait de petites volutes blanches qui prenaient la forme de libellule en s’évaporant de la pipe.
— Non monsieur, je vous remercie de votre sollicitude, statua-t-elle avant de continuer son chemin, tête baissée, traînant la petite Kate fort amusée de la situation.
— Songez toutefois à consommer régulièrement des décoctions de fientes de chauves-souris, c’est peut-être mauvais pour l’haleine, mais c’est excellent à titre de prévention !
— C’est un truc de fou ! chuchota dans un large sourire Grace à sa fille, devant s’avouer que la situation prêtait au divertissement.
Et alors qu’elles gravissaient les escaliers, Kate croisa au détour d’une entrée d’étage une personne qu’elle ne s’attendait pas à voir ce jour-là :
— Smethwyck ?!
La petite fille, assise sur une marche et le nez plongé dans un livre, se redressa subitement, secouant les mèches blondes qui encadraient son visage encore poupin et affichant de grands yeux écarquillés. Sa camarade lui adressa un sourire sincère :
— Ca alors ! Si je pensais te trouver là !
— Bonjour… Whisper… marmonna Hygie d’une imperceptible voix aiguë, osant à peine regarder son interlocutrice dans les yeux, avant de se lever, serrant son livre fermé contre elle.
— Pourquoi tu es là ? s’intéressa Kate, curieuse.
— J’aide un peu… mon père. Je fais toujours ça… durant les vacances.
Jamais Hygie n’avait tenu de propos aussi longs et Kate s’en ravit, rehaussant davantage son sourire. Puis, elle présenta la jeune fille à sa mère :
— Maman, voici Hygie Smethwyck, elle est à Serdaigle.
— Enchantée, Hygie, lui sourit Grace en lui serrant la main.
— C’est l’élève la plus douée de notre classe ! Tu aurais vu le bouquet de fleurs qu’elle a métamorphosé à l’examen, l’an passé ! C’était incroyable !
Le visage de Hygie s’empourpra subitement tandis que la fillette enroulait ses bras autour de son livre sans resserrer son étreinte.
— C’est vrai ? Eh bien, ravie de l’apprendre ! Hem, Kate… Je crois que ton père nous a semées ! Nous ferions mieux de le rattraper !
Après de brefs au-revoir à sa camarade, Kate reprit l’ascension des étages circulaires de Sainte Mangouste. Au quatrième étage régnait une ambiance malsaine et inquiétante. L’air charriait des relents de folie, de magie corrompue et d’esprits malades. Comme une couveuse de la déraison.
— Où étiez-vous donc passées ? s’interrogea Phil, arrêté au milieu du couloir, qui avait dû se rendre compte à ce stade de son avancée que sa femme et sa fille ne lui suivaient plus.
— Nous avons croisé une amie de Kate, nous avons été un peu retardées…
Lorsque Grace parvint à ses côtés, Phil la sentit nerveuse et lui attrapa la main pour la rassurer, alors que des cris violents retentirent dans l’une des chambres attenantes.
— Eliot est ici… ? s’interrogea Grace, en distinguant des ombres dans les petites vitres opacifiées incrustées dans chaque porte. Mais… c’est un asile psychiatrique, ma parole !
— C’est l’étage des sortilèges qui ont mal tourné, maman, lui expliqua Kate à voix basse, elle-même peu réconfortée par l’endroit. Ceux qui sont devenus fous à cause de la torture, à cause de la guerre. Ceux qui ne s’en sont jamais réveillés, comme Eliot…
Certaines portes de chambre ouvertes laissaient entrevoir des sorciers, affairés à leurs mysticismes déments ou leurs pensées absentes qu’ils observaient, postés devant la blanche lumière de la fenêtre. Lorsqu’un guérisseur qui s’occupait de l’un d’entre eux les vit passer dans le couloir et les rattrapa.
— Philippus Whisper ?
Kate reconnut immédiatement le jeune stagiaire qu’elle avait croisé quelques mois auparavant, affublé de lunettes carrés et d’une tignasse blonde bien fournie.
— C’est exact.
— Bonjour, monsieur, nous nous sommes déjà rencontrés, me semble-t-il, fit-il remarquer en lui serrant la main avant de saluer brièvement Grace et Kate. Je suis Asclépios Sting. C’est moi qui avais à charge Eliot jusqu’à son réveil.
— C’est donc vrai ? Eliot s’est réveillé ?
— En effet, c’est bien le cas. Suivez-moi, je vais vous guider jusqu’à sa chambre.
Le guérisseur prit la tête du petit groupe et Kate semblait calculer chaque pas en moins qui la séparait de son cousin. Son cœur palpitait à la surface de ses lèvres entrouvertes.
— Comment cela s’est-il produit ? s’intéressa Phil d’une voix grave, sourcils froncés.
— Rien de plausible ne pourrait expliquer le réveil d’Eliot.
— Plausible ? C’est bien que vous avez tout de même une idée folle derrière la tête, non ?
— Eh bien… Eliot a repris connaissance hier, à 11h54, exactement.
— Je ne vous suis pas…
— L’éclipse, papa ! percuta Kate qui s’exclama de vive voix. C’était l’éclipse solaire !
Le 11 août 1999 avait vu défiler dans un rayon de lune un écran noir qui avait englouti une grande partie de l’Europe ; l’une des plus spectaculaires éclipse totale de soleil que le monde avait connue depuis plusieurs siècles. Le jour avait été avalé par les ténèbres les plus sombres ; la nuit avait repris possession de ses terres durant quelques minutes clandestines.
— Les maîtres de l’astromancie n’ont jamais su les exactes propriétés des éclipses solaires sur la magie, mais certains supposent que l’interaction de la lune et du soleil émet un champ magnétique qui influence la magie… Peut-être a-t-elle libéré l’esprit d’Eliot et lui a permis de se réveiller !
— L’important, c’est qu’il le soit… soupira Phil, ne croyant pas un traître mot de l’hypothèse du guérisseur.
Pourtant, lorsqu’ils parvinrent à la porte de la chambre Cliodna, il retint Asclépios encore quelques instants :
— Une dernière question…
Son regard gris se fit plus sombre et Kate y vit défiler de nombreuses craintes.
— Eliot… est-il au courant, pour ses parents ?
— Vous voulez dire… du fait qu’ils ne soient plus… ?
Le stagiaire blêmit et bredouilla :
— I-il nous a posé la question mais… il les croit toujours en vie. Je ne suis pas le mieux placé pour lui expliquer ce qui s’est produit, d’autant plus que je ne connais aucune des circonstances de l’incident…
Kate aperçut un muscle se contracter dans une ombre au coin de la mâchoire carrée de son père, signe de contrariété.
— Vous avez bien fait, souffla-t-il. Peut-on entrer ?
— Bien sûr !
Sans ajouter un seul mot, Phil ouvrit la porte et pénétra dans la chambre tiède, presque froide, suivie par sa fille qui faillit percuter ses jambes en avançant d’un pas rapide. Dans le premier lit, un jeune garçon assis pivota brusquement la tête, arraché à sa contemplation de la fenêtre lointaine et lumineuse. Tout vêtu de blanc, en tenue d’hôpital, un bracelet de soins au poignet. Eliot avait toujours eu cette espèce de regard hagard et cette expression caractéristique, lèvres entrouvertes, menton tombant. À de nombreuses reprises durant son enfance, Kate ne s’était pas privée de le traiter de « débile comme chez les Moldus » lors de leurs disputes, avec comme fin prétexte cette face hébétée qui lui collait à la peau, telle un masque. Mais maintenant qu’elle revoyait enfin ce visage qui avait hanté certains de ses cauchemars, la fillette se sentit étrangement transportée de joie. Eliot était revenu…
— Phil ? s’étonna-t-il.
— Hey, salut, petit gars ! Content de te voir en forme !
— Eliot !
Kate ne put se retenir plus longtemps de se précipiter vers lui et de lui sauter au cou.
— Tu nous as tellement manqué, lui murmura-t-elle en l’étreignant fort contre elle.
Interloqué par son geste, Eliot hoqueta avant de la dévisager lorsqu’elle s’écarta de lui.
— K-Kate ? Tu as sacrément changé !
— Il faut dire que tu as hiberné longtemps, Belle au Bois Dormant ! plaisanta Phil en prenant place sur l’une des chaises.
— Les guérisseurs m’ont dit que j’avais été inconscient pendant… deux ans ! C’est vrai ?
— Ça fait un petit bout de temps, n’est-ce pas ?
— Que s’est-il passé ? commença-t-il à s’affoler. La guerre ? Vous-savez-qui ? Et mes parents, où sont-ils ?
Les émotions de Kate se coincèrent dans sa gorge à l’idée de faire ressurgir de sombres souvenirs qu’elle avait enfouis au plus profond de son être. Mais elle éprouvait également le chagrin du deuil encore récent de son oncle et de sa tante, dont Eliot n’avait pas encore connaissance… Grace la rejoignit et posa une tendre main sur son épaule, comme lisant ses pensées et cherchant à lui apporter le réconfort de sa présence maternelle.
— La guerre est terminée, lui déclara Phil, plus sérieux, liant ses mains sur ses genoux. Cela fait déjà plus d’une année… Il n’y a plus de Seigneur des Ténèbres, plus de Mangemorts, plus de traque, plus rien de cela… Le monde des sorciers est libre.
Un sourire fugitif se dessina sur les lèvres frémissantes d’Eliot, avant que ce dernier ne répète :
— Et mes parents… ? Pourquoi ne sont-ils pas venus encore me voir ? Ils devraient savoir que je suis réveillé !
Kate déglutit difficilement, le souffle court. Devait-on le lui dévoiler ? N’était-ce pas appesantir sa peine que de lui avouer la mort de ses parents dans un lit d’hôpital, à peine se fut-il éveillé d’un coma de deux années ? De la torture. La cruauté de la vérité.
— Viens, Kate, lui marmonna sa mère en la tirant doucement en arrière après que cette dernière ait échangé un bref regard significatif avec son mari. Allons chercher quelque chose à boire pour Eliot.
Le dernier regard que Kate partagea avec Eliot lui brésilla le cœur. Elle lisait dans ses yeux ternes le sentiment qu’on lui dissimulait quelque chose. Et qu’il désirait à tout prix que sa cousine ne le quitte pas si tôt, ne l’abandonne de nouveau…
La mère et la fille quittèrent la chambre, la gorge serrée. Pourtant, elles demeurèrent derrière la porte, sans un mot et le visage rembruni. Kate observait du coin de l’œil les ombres qui se mouvaient par-delà la petite vitre en verre ondoyant incrustée dans la porte. Elle redoutait l’instant prochain où la vie de son cousin allait basculer…
Il y eut d’abord des cris. En crescendo. Et un fracas terrible, nimbé de hurlements. Le cœur de Kate se déchirait dans sa poitrine alors qu’elle entendait son père tenter de calmer Eliot, effondré dans des pleurs bruyants. Ses propres larmes saillirent au coin de ses yeux avant de se blottir contre sa mère, qui enroula ses bras tremblants autour d’elle.
La guerre était peut-être terminée. Depuis longtemps. Mais ses conséquences resteraient à jamais gravées dans la mémoire de chacun. Brûlées dans la chair des enfants…