— Rusard est… mort ?! hoqueta Kate en attrapant la Gazette du Sorcier laissée ouverte à cette page sur la table de la cuisine.
— Faut croire qu’il y a encore des miracles dans ce bas monde, lui lança Phil lui passait un coup de baguette magique sur les plans de travail sales.
— Assassiné ?! Tu te rends compte ?
— Oui, c’est presque trop beau pour être vrai.
— On sait ce qu’est devenue Miss Teigne ?
— Aucune idée et je ne tiens pas à le savoir.
— Dans l’enceinte même de Poudlard ! Ça craint… !
— Tu vas arrêter d’essayer de pourrir ma joie, moujingue ? Va plutôt ranger le salon, tiens.
Après un bruyant soupir, Kate s’y rendit en traînant des pieds et commença à empiler les magazines sur la table basse, regrettant de ne pas pouvoir faire usage de la magie à domicile avant sa majorité encore bien lointaine. Tout serait tellement plus simple avec sa baguette magique ou même avec l’Immatériel, son père aussi pouvait s’en charger sans ciller. Alors pourquoi lui donnait-on cette tâche ingrate ?
Elle entendit les pas de sa mère qui descendait l’escalier, accompagnés de gazouillis de bébé.
— Coucou ma chérie, la salua-t-elle dans l’encadrement de la porte en verre du séjour. Tu as bien dormi ?
— Non, figure-toi que je me suis encore fait réveillé par ce monstre !
Kate pointa d’un doigt accusateur sa petite sœur qui souriait en tentant d’attraper le menton de sa mère avec ses mains boudinées et peu adroites.
— Il faut toujours un peu de temps pour les bébés avant qu’ils fassent leur nuit, lui expliqua Grace avec placidité alors qu’elle-même portait de lourds cernes sous ses yeux. Toi aussi tu es passée par là !
— Bah j’espère pour vous que je gueulais moins fort !
— Ne sois pas aussi vulgaire, Kate ! s’étonna Grace en fronçant les sourcils. Tiens, occupe-toi d’elle, plutôt !
Elle déposa Abigail dans son siège bébé, près des fauteuils, avant d’aller rejoindre son mari dans la cuisine.
Mais Kate avait de quoi être de mauvaise humeur. À vrai dire, toute la maison était sur les nerfs en attendant l’arrivée des Matthews, les parents de Grace. Après plusieurs années de silence, le lien s’était reformé avec la naissance d’Abigail et des retrouvailles avaient été prévues pour la dernière semaine de juillet, ce qui n’enchantait qu’à moitié les deux clans : depuis toujours, les Matthews vouaient une animosité aveugle à l’égard de Phil, prêchant que leur fille cadette ne méritait pas ce pitre. La réciproque était tout aussi valable, leur gendre les trouvant condescendants et intolérants, ce qui mettait Grace dans une position particulièrement inconfortable, partagée entre les deux camps. De son côté, Kate avait apprécié les visites d’occasion de ses grands-parents maternels, qui ne lui avaient jamais causé de torts directs, bien au contraire, puisqu’ils s’appliquaient à la gâter chaque fois, cette dernière étant, jusqu’à aujourd’hui, leur unique petite-fille.
Le babillage d’Abigail, qui remuait dans son siège, détourna Kate de sa tâche, la petite observant attentivement sa sœur repositionner les coussins sur les canapés avec ses grands yeux gris. Elle continua de rire par à-coups en se balançant d’avant en arrière et malgré sa rancune de ne pas avoir pu passer une nuit paisible depuis trois semaines, Kate se surprit à en sourire.
— Comme l’a dit papa, t’es vraiment un monstre toi !
Elle se précipita vers le bébé et la chatouilla, ce qui provoqua l’hilarité d’Abigail, qui se mangeait les mains dans un même temps, avant que Kate ne la porte.
— Attention, Abby, t’es sur un balai volant super rapide !
Tenant sa sœur à bras tendus par les aisselles, elle imita le vol improvisé en sifflant entre ses dents tout en courant à travers le séjour, sous les rires intarissables d’Abby, qui rempliait ses jambes boudinées.
— Ah, un cognard ! Vite, baisse la tête !
Elle relâcha la pression, simulant une légère chute, avant de la rehausser de nouveau.
— Mais qu’elle est balèze, Abby Whisper ! Une championne !
Et la ramenant contre elle, Kate la secoua lentement avant que son visage ne se décompose.
— Oho.
Se précipitant, toute blême, vers le couloir, elle passa la tête par la porte et lança un appel de détresse :
— Maman ! Il y a Abby qui a fait dans sa couche !
— Encore ?! Mais je viens de lui changer ! Tu ne peux pas t’en charger ?
— Quoi ? Moi ?! Mais c’est dégueulasse ! Et papa, il ne peut pas…
— Ton paternel, il subit déjà assez de pression comme ça depuis le réveil et il se prépare à endurer l’apocalypse alors tant qu’à faire, ça ne sera pas le nez dans de la chiasse verte ! lança le concerné d’une voix forte.
Grommelant dans sa barbe qu’il était un sorcier de pacotille et un père indigne, Kate grimpa les escaliers tout en portant sa sœur qui gazouillait d’un air ravi.
Quelques minutes plus tard, on sonna à la porte d’entrée.
— Pas de commentaires désobligeants, hein, rappela Grace à son époux en lui rajustant son col avant qu’il n’aille ouvrir la porte, caressant au passage le coin de sa joue qu’il s’était rasé.
— Oh, ça, ça dépendra d’eux, hein ! Je veux bien faire des efforts, mais s’ils n’en font pas pendant une semaine, je ne garantis pas qu’ils sortiront entiers de cette baraque… !
— Vous êtes des adultes, bon sang, pas de enfants !
Puis, il ouvrit la porte en affichant un large sourire forcé. Ellen Matthews, la mère de Grace, n’y répondit même pas. Il s’agissait d’une petite dame aux cheveux bruns, comme sa fille, à l’air fermé et au regard tranchant, parée de mille bijoux fantaisistes parfois trop exubérants et colorés qui contrastaient de manière déroutante avec son expression. Derrière elle dépassait la large tête de Robert, son mari, homme robuste, quoique bedonnant, ses cheveux gris perdant chaque année du terrain sur son crâne ponctué de taches brunes, sa barbe taillé frissonnant à chacune de ses bruyantes respirations.
— Bien le bonjour, Ellen ! la salua Phil en s’écartant de l’entrée pour la laisser passer. Comment allez-vous ?
— Eh bien, ça n’a pas été de la tarte de la trouver, votre maison ! lança-t-elle sans cérémonie. Avec le chiffre qui est tombé, on a dû tourner au moins quatre fois avant que l’on se décide à regarder les noms sur les boîtes aux lettres ! Il faudrait vraiment le raccrocher, ce 5 !
La réalité était que Grace avait en effet demandé à son mari de recoller le chiffre manquant pour que ses parents puissent se repérer, mais Phil, irrécupérable, avait omis de manière pleinement délibérée cette tâche dans l’espoir que les Matthews n’arrivent jamais !
— Oh, et voici la plus belle ! s’exclama-t-elle en s’avançant vers Grace, tout à coup radieuse, les bras tendus vers elle.
— Bonjour maman ! Comment tu vas ? l’accueillit-elle en lui partageant son accolade.
— Et toi alors, mon ange, ça fait tellement longtemps !
— Oh oui, avec le voyage, les enfants, tout ça… ! Que de temps !
Grace chassait toute question d’un large sourire. La guerre des sorciers ayant échappé à l’attention des moldus britanniques, les Matthews n’avaient jamais su ce que les Whisper avaient dû endurer durant les quelques années qui les séparaient de leur dernière rencontre. Dès le début des hostilités côté sorcier, Grace avait prétexté un long voyage à l’étranger pour le travail de Phil qui risquait de leur faire perdre tout contact.
Robert entra à son tour dans la maison et son gendre lui tendit une main accorte qu’il fixa d’un regard peu enthousiasmé durant quelques secondes avant d’accepter de la lui serrer.
— Vous avez fait bon voyage ? le questionna Phil qui espérait apaiser les premières tensions palpables.
— Si on est arrivés vivants, c’est que oui, lui répondit-il, pragmatique, en observant son environnement. Dites-moi, elle n’est pas un peu plus petite que cette précédente, la maison ?
— Ah, la flambée de l’immobilier, vous savez, grinça Phil en refermant la porte derrière lui, ne faisant que sous-entendre que leur dernière véritable maison avait été incendiée et réduite à l’état de cendres par les Mangemorts.
— Possible. Ah, ma princesse !
— Papa ! s’enthousiasma Grace en partageant l’accolade de son père. Quel plaisir ! Ah, attends, tu me serres un peu trop fort, tu me fais mal !
— Oh, excuse-moi ma chérie ! Mais… c’est que tu es pâle !
— La fatigue, papa ! Tu as du connaître ça quand nous étions enfants !
En entendant du bruit provenant de l’entrée, Kate termina de scotcher la couche propre d’Abigail de manière un peu négligée, avant de la rhabiller, sans parvenir à séparer ses deux jambes qui se plaçaient toujours au même endroit. Puis, estimant qu’elle avait terminé sa tâche digne des travaux d’Hercule, ceci sur l’expression indifférente d’Abigail qui semblait redécouvrir ses propres mains, elle la porta contre elle, sortit de la chambre de ses parents et descendit les escaliers. Tous les regards se tournèrent vers elles.
— Et voici nos deux vedettes ! s’exclama Robert Matthews en laissant tressaillir son sourire sur sa barbe.
— Mamine ! Papi Bobby !
Depuis son plus jeune âge, Kate avait été mise à l’écart des rivalités entre Whisper et Matthews ; elle avait été celle qui avait permis d’enterrer un temps la hache de guerre. Jamais ses grands-parents ne lui avait fait pesé le prix de son héritage paternel fort réprouvé par ces derniers et Kate le leur rendait bien. Elle appréciait les Matthews mais les années faisant et en connaissance de ce qu’ils avaient fait subir au couple de ses parents, son jugement en avait été influencé avec le temps.
— Oh, mais regardez-moi ce petit bout de chou ! s’émerveilla Robert en examinant la bouille d’Abigail que Kate avait rendu à sa mère. C’est qu’elle te ressemble un peu, quand tu avais le même âge !
— Mais qu’est-ce que tu as grandi, ma biche ! s’étonna Ellen en embrassant Kate sur la joue. Bientôt, je devrai me mettre sur la pointe des pieds !
Kate ricana en réponse, alors que Phil les invita à rejoindre le salon, ce qu’ils firent seulement lorsque Grace elle-même les y sollicita.
— Ils me gavent déjà, soupira son père alors qu’il préparait le thé dans la cuisine, Kate organisant le plateau sur lequel était disposé le service à thé.
— Je ne sais pas ce que tu leur as fait pour qu’ils t’ignorent et te détestent à ce point, mais c’est très fort ! approuva-t-elle.
— Soit disant que je ne mériterai pas ta mère. Pouah. Elle me pleurerait si elle ne m’avait pas.
— T’imagines, si maman avait épousé un médecin moldu ?
— S’il te plait, Kate, j’ai déjà la gerbe depuis que ta grand-mère est entrée dans cette baraque, alors tu serais gentille d’arrêter avant qu’un accident se produise.
— C’est vrai que son parfum est un peu fort… !
Devant la bouilloire, Phil peinait à en comprendre le fonctionnement.
— Comment ça marche déjà cette chose ? grommela-t-il en fronçant les sourcils.
— Tu appuies sur le bouton, là, et tu attends que l’eau boue, lui montra sa fille.
— Trop compliqué la vie de moldu. C’est tellement plus pratique, une baguette magique. Ils doivent être malheureux, les moldus… !
— Pourquoi tu ne l’utilises pas ? Ta baguette ?
— J’ai promis à ta mère de ne pas en faire usage tant que tes grands-parents sont dans la maison. Quand je te dis que je vis actuellement en enfer, ce n’est pas à demi-mot.
— Tu vas y arriver ? nasilla Kate, moqueuse.
— Je vais me contenter de prier dans l’attente d’un miracle. Je n’ai pas trop le choix, à ce stade… !
Ils rejoignirent le séjour avec le breuvage bouillant et le plateau de vaisselle, tandis que Grace et ses parents discutaient à propos de son poste d’enseignant à l’école primaire.
— Et vous, alors, Phil, que faites-vous de beau dans la vie, maintenant ? lança Ellen, sèche, croisant ses jambes. Toujours en vadrouille ? Obligé de faire des tours du monde ?
— Je me suis posé, figurez-vous, objecta-t-il d’un ton qu’il voulut placide, croisant du coin de l’œil le regard de Grace assise à côté de lui dans le canapé. Je suis vendeur de disques, spécialisé dans le rock. Et la boutique marche très bien en ce moment !
— Vendeur de disque, voyez-vous ça… grinça la belle-mère avant de siroter une gorgée de thé.
— En parlant de musique, je constate que vous n’avez aucun instrument ici ! fit remarquer Robert en malaxant les accoudoirs du fauteuil. Tu dois être malheureuse, ma petite Grace ! Toi qui adorais jouer du piano et de la guitare !
— Phil compte m’offrir un piano pour mon anniversaire, avec sa dernière promotion ! lui répondit avec un sourire serein, attrapant la main de son mari, qui fulminait intérieurement. Et il y a une guitare électrique à l’étage, mais personne ne l’utilise en ce moment…
Kate éprouva un pincement au cœur en visualisant dans sa tête la guitare d’Eliot, parquée dans son carton. Son cousin lui manquait…
— Et toi, chaton, tu fais de la musique ?
La question de sa grand-mère la détourna de ses sombres pensées.
— Maman avait essayé de m’apprendre le piano, mais je n’ai jamais été très assidue ! avoua-t-elle en haussant les épaules, assise à même le vieux plancher rayé. Donc je n’ai jamais continué… !
— Et l’école, comment ça se passe ?
— Euh… bien !
— Kate a de très bons résultats ! souligna sa mère qui lui partagea un clin d’œil.
— Vraiment ? Tu es en quelle classe, maintenant ?
— Elle va rentrer en quatrième, répondit Grace avant que Kate ne puisse prononcer le moindre mot.
— Ah ! Tu as donc appris le fonctionnement du cœur cette année, en biologie ! s’exclama Robert, tout sourire de pouvoir parler de son domaine de prédilection, lui-même étant un grand médecin.
— Exactement ! bredouilla Kate dans un grand sourire forcé.
Pas de biologie. Pas de physique, encore moins de mathématiques ou d’histoire britannique. Les matières que l’on enseignait à Poudlard étaient sensiblement différentes de celles dispensées aux jeunes moldus. Et Kate se demanda si cette perte était bien grande ou si elle pouvait se passer des connaissances sur l’anatomie humaine pour vivre pleinement sa vie de sorcière.
À côté, Abigail gazouilla d’une joie insoupçonnée en secouant ses jambes dans son siège bébé, que Grace berçait d’une main machinale.
— Approche, ma biche, lui sourit Ellen en lui faisant un signe de la main.
Kate s’exécuta en se traînant sur le parquet et lorsqu’elle parvint aux côtés de sa grand-mère, celle-ci, l’expression relâchée, attrapa du bout des doigts le collier qui pendait au cou de sa petite-fille ; le disque mauve miroita à la lumière du jour.
— Oui. Je me disais bien que j’avais reconnu le pendentif de Grace. Ta mère t’a-t-elle raconté comment elle s’est procurée ?
— C’est toi qui lui as offert, mamine.
— Exact. Quand elle avait ton âge – un peu plus jeune, peut-être – ta maman était très souvent malade, sa santé était fort fragile. Un jour, on a dû l’emmener à l’hôpital et nous étions tous très inquiets. Alors, je suis allée chez un antiquaire, pour lui trouver un petit cadeau qui lui remonterait le moral, qui lui redonnerait le sourire et pour qu’elle sache que même si elle se sentait seule, nous serions toujours avec elle. Et la vendeuse m’a montré ce vieux bijou et m’a dit qu’il s’agissait d’un talisman ancien qui chassait le mauvais œil. Alors je l’ai acheté. Et quand je l’ai donné à ta mère, elle s’est rétablie et plus jamais elle n’est retournée à l’hôpital pour ses problèmes de santé.
Elle lâcha avec délicatesse le pendant qui rebondit sur la peau pâle de Kate alors que tout le monde s’était tu, Abigail comprise, pour écouter l’histoire d’Ellen.
— Tu comprends, chaton ? Ce collier est magique. C’est un très grand cadeau que ta mère t’ait fait, elle t’a offert un symbole très puissant. Prends-en soin comme la prunelle de tes yeux.
— Oui, mamine.
Les objets magiques étaient le lot quotidien des sorciers, pourtant, le fait que cela sorte de la bouche de sa grand-mère moldue donna une toute autre dimension à ses paroles. Les doigts de Kate se refermèrent sur le pendentif de sa couleur fétiche, comme n’ayant jamais douté de ses vertus…
Le dîner, le soir, fut le plus atroce des repas que la maison de Carlton connut jusqu’à ce jour. Une séance de torture aurait été bien préférable pour certains. Ce n’était pas tant la superficie des paroles qui pouvaient prêter à penser que des disputes violentes éclatèrent à la table, mais le fait qu’aucun propos ne pouvait être tenu sans allusion. Désormais âgée de treize ans, Kate, éloignée de son innocence d’enfant, parvenait à capter ces sous-entendus aigris qui s’échangeaient, en particulier entre Phil et Ellen.
— Ces brochettes étaient délicieuses ! Vraiment exquises, marinées comme il le fallait ! Je suppose que c’est Grace qui les a préparées ! avait lancé Ellen en essuyant la bouche avec sa serviette de table.
— Je suis contente qu’elles t’aient plu, maman !
— Tu as toujours été une grande cuisinière assidue, ma chérie, renchérit Robert en reposant son verre de vin vide, avant de s’en faire resservir par sa fille en le lui désignant d’un regard significatif.
— En tout cas, plus que certains… Il me semble que vous ne cuisinez pas beaucoup Phil.
— Je n’en ai pas trop l’occasion, en effet… !
— Vous pourriez aider Grace, de temps en temps ! Même si la famille risque d’être au régime un moment, sans vouloir être désobligeante ! Rares sont les gens qui cuisinent bien dès leur première préparation.
— Je travaille beaucoup, donc… j’ai assez peu le temps de m’en soucier. Et en effet, Grace serait fort mécontente d’avoir un repas médiocre ! Pour l’instant, je n’essaie de pas prendre de risque de la décevoir, mais qui sait, un jour… !
— Enfin, de ce que j’en sais, même si vous mettez tout votre… cœur, ce n’est pas le métier de vendeur de disques qui vous fera devenir Crésus ! ricana-t-elle, secouant ses grandes boucles d’oreilles lourdes et dorées.
— Pour l’instant, on se suffit de ce que l’on gagne et ma promotion aboutira peut-être sur de meilleurs horizons. Mais vous savez, Ellen…
Le regard gris et perçant de Phil s’accompagna peu à peu d’un sourire facétieux dont il avait le secret : à la fois complice, plaisantin, engageant, mais aussi porteur de menaces… Sa belle-mère accueillit ce rictus fort singulier avec une expression résolument fermée.
— L’argent ne fait pas tout le bonheur d’une femme, heureusement pour elles d’ailleurs, sinon beaucoup seraient malheureuses ! Tu reveux une saucisse, chérie ? la questionna-t-il d’un air fluet en se penchant vers le plat central.
— Oh, non merci ! Je suis rassasiée, c’était très bon !
Toutes les discussions prenaient une tout autre dimension dans la tête de Kate, qui blêmit en saisissant désormais le sens de l’apocalypse selon son père. Heureux soient les enfants qui ne comprennent pas les litiges entre adultes, pensa-t-elle. Ce constat lui prouva qu’elle avait franchi un cap dans son évolution, désormais plus proche des grands que des petits. Elle en vint presque à regretter l’absence d’Abigail, que sa mère avait mise au lit une heure plus tôt après une furieuse crise de pleurs qui avait ébranlé la maison.
— Je peux avoir le sel, s’il vous plaît ? bafouilla-t-elle d’une petite voix, espérant faire changer les tenants de la conversation par le biais de cette interruption.
— Bien sûr, princesse ! Tiens.
— Merci, Papi Bobby.
Une fois qu’ils eurent terminé le plat principal, Kate aida son père à débarrasser puis à préparer le dessert.
— Heureusement que ta mère a préparé une tarte aux pommes, pour m’aider à survivre ! souffla-t-il quand ils furent dans la cuisine, à l’écart des oreilles des Matthews.
— Et tu n’imagines pas ma place !
— J’avoue, tu dégustes aussi ! Et ta grand-mère te donne des surnoms hideux. « Ma biche », « chaton »… ça sera quoi demain, « mon bichon » ?!
— Il faudrait que je les note dans un carnet.
Phil ouvrit la porte du four, manqua de se brûler trois fois en sortant le plat de l’antre ardente de cette machine du démon à ses yeux et soupira d’aise devant la beauté qui émanait de la régularité des tranches de pommes caramélisées et disposées en spirale.
— Quand est-ce qu’on ira faire les courses sur le Chemin de Traverse ? lui demanda-t-elle, l’impatience pétillant dans ses yeux.
— Et pourquoi pas cette semaine ? Oh, c’est parfait ! Ça serait une excellente excuse pour éviter tes grands-parents ! Bien joué, chipie, papa est fier de toi !
Kate voulut pouffer de désespoir, cependant il n’en sortit qu’un gloussement alors qu’elle portait les assiettes à dessert empilées dans ses bras pour les porter à table. À deux reprises, elle faillit trébucher ou faire tomber la pile en basculant vers l’avant, mais parvint à chaque fois à se rattraper de justesse.
— Non mais normalement, il n’en a plus que pour une année et tout devrait bien se passer, expliquait Ellen alors que Kate distribuait les petites assiettes à chaque convive.
— Avec l’assurance d’un bon poste dans le même hôpital d’ici quelques mois ! compléta Robert.
— Eh bien, il doit être vraiment content ! souffla Grace, ravie. Enfin l’aboutissement d’un long chemin !
— Vous parlez de James ? s’intéressa Kate.
James était le benjamin et seul garçon de la fratrie des Matthews. Comme tous les membres de la famille, à l’exception de Grace, il avait suivi de prestigieuses études de médecine et se préparait désormais à accéder à un véritable poste dans un grand hôpital londonien. Même si James et Grace demeuraient très proches l’un de l’autre, Kate n’avait pas eu beaucoup d’occasions pour le rencontrer, moins encore pour lui parler. Ses plus récents souvenirs la ramenaient à l’image d’un tout jeune vingtenaire aux boucles châtaines, au sourire fugitif et peu loquace, attaché à sa sœur et virulent à l’égard de son beau-frère, comme une majorité parmi la famille Matthews.
— Oui, il va bientôt terminer son internat.
— Il se prédestine aux urgences, c’est beaucoup de responsabilités ! appuya Robert en hochant la tête, avec de grands yeux rougis.
— Et toi, ma biche, qu’est-ce que tu aimerais faire plus tard ? demanda Ellen à Kate dans un sourire sincère, en lui attrapant la main après qu’elle se soit rassise.
— Je, euh… Je n’y ai pas encore beaucoup réfléchi ! balbutia-t-elle, pris au dépourvu.
— Tu es plus penchée sciences ? Ou peut-être lettres, comme ta mère ! Tu parles des langues étrangères, d’ailleurs ?
— Je ne suis pas trop langues, non… !
— Allons, avec une mère qui parle aussi bien le Français, même pas ? Grace était très douée ! Elle doit toujours l’être autant aujourd’hui !
— Quelques mots, mais…c’est tout ! C’est compliqué comme langue !
— En tout cas, si tu te lances dans des études de médecine, nous serons ravis de t’épauler ! s’exclama Robert avec un grand sourire qui ne camouflait pas sa fierté.
— J’ai… des facilités un peu partout, mais te dire ce qui me plairait le plus… ! poursuivit Kate en s’empourprant d’embarras.
— Elle a encore tout le temps pour réfléchir, elle est encore jeune, s’immisça Phil qui coupait la tarte. Belle-maman, je vous mets la plus petite part ?
— Seriez-vous radin, Phil ? Soyez équitable !
— Ah non mais je pensais que… bon.
Il préféra ne pas manquer l’occasion de se taire plutôt que de commettre une bourde irréparable en pointant du doigt le léger surpoids d’Ellen, qui n’était cependant en rien comparable à celui de son mari. En face de Kate, sa mère lui lança un discret clin d’œil complice qui lui fit comprendre qu’elle n’avait aucune inquiétude à ressasser tant qu’elle jouait bien son jeu.
— Comme l’a si bien dit Robert, s’il y a besoin, à l’avenir, nous serons heureux de subvenir financièrement aux études de Kate ! C’est toujours mieux pour elle qu’elle fasse des études prestigieuses, qu’elle ne loupe pas cette chance !
— C’est généreux, maman, grimaça Grace, mais…
— Nous pouvons le faire nous-même, trancha Phil. S’il y a besoin de fonds importants pour les études de Kate, nous les fournirons.
— Avouez que votre situation n’est pas la plus aisée qui soit ! se haussa Ellen, presque d’un ton railleur. Nous, nous avons les moyens ! Consacrez votre argent à d’autres priorités pour le moment, sans épargner pour l’avenir, et on s’occupe de Kate !
— Il en est hors de question.
Grace posa une main sur celle de son mari en sentant la tension monter d’un cran à la table. Kate n’osa même pas avaler le morceau de pomme qu’elle avait en bouche de peur de déclencher une guerre.
— C’est important pour nous de pouvoir nous-même nous occuper de l’avenir de nos enfants, expliqua avec plus de diplomatie la mère de famille. Kate dans quelques années, Abigail, quand il sera temps. J’apprécie vraiment que tu proposes cela, maman, vraiment, c’est très gentil, mais nous sommes des adultes responsables, avec des postes honorables. Nous pouvons très bien nous en occuper.
Les sourcils d’Ellen tressaillirent d’amusement alors qu’elle leva son verre de vin après avoir fait pivoter d’un tour de poignet, pour le vider cul-sec :
— Si tu le dis…
— Tu peux monter te coucher, si tu es fatiguée, Kate, lui suggéra son père pour ne pas l’enchaîner avec lui dans cet enfer insupportable.
— V-volontiers !
Après avoir souhaité la bonne nuit à chacun, tout en distribuant des bises sur la joue, Kate grimpa l’étage deux à deux comme fuyant au plus vite l’atmosphère pesante du séjour.
— Moins de bruit, Kate, s’il te plaît ! lui rappela Grace qui craignit que son boucan ne réveille sa toute jeune sœur.
Des regards noirs et chargés de menaces s’échangèrent entre Phil et Ellen, alors que Robert, qui préférait écarter la dispute, réclama une deuxième part de tarte à sa fille.
— Pourquoi vous ne la laisseriez pas choisir, elle ? Après tout, Kate est la principale concernée par ce problème…
— Je refuse que Kate soit placée au milieu de nos querelles, là n’est pas sa place. En tant que ses grands-parents, vous devriez avoir honte de tenter de la prendre à partie…
— Phil ! s’exclama à voix basse Grace, interloquée.
— Mais non, ne t’inquiète pas, chérie, on ne fait que s’échauffer, lui lança Phil avec son sourire rusé.
— Et vous, vous osez m’accuser, persiffla Ellen, plissant les paupières sur ses yeux noirs.
— Je n’accuse pas, je constate, nuança-t-il en papillonnant des yeux, l’air innocent.
— Phil… le priait Grace à côté, avec insistance.
— Et moi je constate que vous n’avez pas conscience de votre obstination aveugle ! répliqua Ellen, laissant sa colère croissante teinter ses propos. Vendeur de disques… ! Sur tout le respect que je vous dois, vous pensez vraiment que ça suffira à nourrir quatre bouches et à payer des études respectables, celles que vos filles doivent mériter ?!
Elle jeta sa serviette sur la table en retenant au possible sa hargne, avant de reculer sa chaise dans un grincement.
— Je n’ai plus rien à faire ici ce soir, je retourne dans ma chambre, décréta-t-elle sèchement. Des choses sûrement bien plus dignes d’intérêt m’y attendent. Je n’ai pas envie de passer ma soirée dans une telle ambiance. Surtout pas en présence d’un individu tel que vous !
— Un… individu tel que moi ?! se haussa Phil, qui serra le poing sous la table, faisant craquer ses phalanges.
— Ellen, calme-toi, tenta de l’apaiser Robert d’une voix à moitié autoritaire.
Cependant, elle n’en fit rien et poursuivit sa tirade acrimonieuse :
— Oui, tel que vous ! Sorti de nulle part, sans le moindre diplôme attesté, qui éloignez notre fille de sa famille ! Je ne comprends même pas pourquoi Kate vous admire autant alors que vous n’avez qu’un comportement de gamin…
Si la main de Grace ne serrait pas aussi fort son poignet dans l’ombre de la table, Phil se serait probablement levé pour dégainer sa baguette et jeter un sortilège à la hauteur du mal que cette harpie lui avait causé par ses mots. Elle ne connaissait rien de sa vie. Rien des sorciers. Rien de Poudlard, de laquelle il était sorti avec d’excellentes notes, pour certaines les meilleures de sa promotion. Rien de la guerre qui avait fait rage. Phil avait risqué sa vie pour celles de sa femme et de sa fille, et ce, plus d’une fois. Il leur avait tout donné et était prêt à plus encore si nécessaire. Mais tout ça à cause de ce satané secret, il ne pouvait rien justifier, réduit à l’état de lâche incompétent dans son rôle de père de famille.
Remarquant son absence de réponse, malgré son visage figé dans une expression d’animosité furieuse, Ellen quitta donc le séjour en laissant planer un silence de mort. Phil parvint à reprendre son souffle, seulement car le regard tendre et reconnaissant de Grace dissipait toute colère. Il esquissa même un léger sourire. Oui, il était prêt à tout pour elle, cette Moldue qui lui avait pris son cœur.
En remontant dans sa chambre, Kate peina à la reconnaître. Contrainte à ranger intégralement la pièce et à dissimuler toute trace de magie, il lui semblait dormir désormais dans un mouroir. Plus de livres de Quidditch ouverts à la page des Pies de Montrose – son équipe préférée – les joueurs parcourant les pages dans leurs tenues noires et blanches, plus de Gazettes découpées pour compiler les meilleurs articles dans un carnet, plus de dessin animé gribouillé par les bons soins de Suzanna. Pliées et rangées les lettres de Terry et Maggie, sous le lit l’uniforme de l’école, parquée au fond de son tiroir sa baguette magique en bois de lierre. Seul Mister Minnows, qui dormait en boule sur l’oreiller lui rappelait l’existence du monde des sorciers.
« Une semaine, pensa-t-elle en soupirant. Une semaine à supporter tout ça… »
Revêtant son pyjama, Kate se glissa sous ses draps après avoir chassé son chat qui cracha avant de rejoindre le haut de l’armoire, son repaire d’observation, et éteignit la lumière de la chambre. Celle du couloir cependant pénétrait encore dans la pièce par l’entrebâillement de la porte, dans un rayon doré plaqué sur la moquette. Ce dernier fut grignoté par l’ombre, lorsque des pas s’approchèrent, puis, il s’épaissit lorsque la porte s’ouvrit plus largement. Assez pour que la carrure de son père lui apparaisse.
— Bonne nuit, ma grande, lui souhaita-t-il.
— Bonne nuit, papa.
— Bravo pour ton self-control de ce soir, en tout cas. Tu m’as épaté.
— Je t’apprendrai.
— Quand tu veux, lui sourit-il. Allez, fais de beaux rêves. Là où tu as le droit d’avoir des licornes et du Quidditch. Et de la Biéraubeurre, bien entendu.
Il s’apprêta à repartir, mais préféra s’assurer :
— Je laisse la porte entrouverte et la lumière du couloir allumé ?
Depuis leur emménagement à Carlton, Kate n’était jamais parvenue à s’endormir dans le noir complet. Des reliques de ses peurs enfantines et des traumatismes de la guerre. La porte restait entrouverte et la lumière allumée jusqu’à ce que ses parents aillent se coucher et éteignent tout après avoir vérifié que leur fille dormait à poings fermés.
— Non, c’est bon, je peux dormir sans ! lui attesta-t-elle pourtant.
— Certaine ?
— Tu me prends pour quoi, une gamine ?! C’est bon, j’ai treize ans, je peux arrêter d’être bordée et je n’ai pas besoin d’une lumière !
— Très bien, pas la peine d’être aussi agressive que ta mégère de grand-mère ! Ça sera fait ! Allez, dors bien, chipie !
Sur ces mots, il ferma la porte avec délicatesse, faisant le moins de bruit possible pour ne pas réveiller Abigail qui dormait dans la chambre parentale, en face.
Un temps, Kate se recroquevilla dans ses draps, guettant les ombres qui bougeaient à la fenêtre, celles des rameaux et des oiseaux de nuit. Rien n’y faisait, même en se concentrant sur des pensées positives, des visions défilaient devant ses yeux. Les Mangemorts, Morgana, Eliot. La Sorcière Bleue… Sa voix grave résonnait encore dans son crâne.
D’un geste malhabile, Kate chercha à tâtons le fil conducteur de sa lampe de chevet et appuya sur l’interrupteur. La lumière allumée, elle se retourna dans son lit et ferma les paupières. Elle arriverait à dormir maintenant…
Le réveil fut particulièrement pénible, le lendemain matin, lorsque les pleurs d’Abigail lui percèrent les tympans, résonnant dans les murs. Ceci accompagné des suppliques stridentes de Mister Minnows qui lui-même ne supportait pas un tel boucan douloureux, si tôt dès le matin.
« Bon… Ce n’est pas aujourd’hui que j’aurais ma grasse mat’ de vacances… » songea Kate, en extrayant sa tête de l’abri que lui fournissait sa couverture.
Après quelques secondes de flottement léthargique, Kate se redressa et t’étira en bâillant, ce que son félin imita. Avant qu’elle ne se rende compte que la petite lampe de chevet avait été éteinte. Ses parents avaient dû passer pendant la nuit…
Elle entendit des pas dans le couloir et les hurlements d’Abigail qui s’éloignaient. Hésitant à se recoucher, Kate resta quelques minutes immobile sur son lit, mais elle savait qu’elle ne parviendrait pas à se rendormir. Elle regrettait beaucoup de ne pas être encore majeure pour se servir de la magie pour isoler sa chambre du bruit extérieur. Viendrait un jour, elle craquerait et peut-être tenterait d’en faire de même avec l’Immatériel, sûrement au risque de faire brûler sa maison et qu’on lui confisque sa baguette. Cela ferait la une de la Gazette à coup sûr… !
Les escaliers ne grinçaient plus depuis que Phil avait renforcé le bois à l’aide d’un sortilège la semaine dernière, afin de limiter les accidents fortuits qui provoqueraient le réveil d’Abigail ou même le risque de Kate de dévaler les marches sur les fesses en glissant sur la plus haute, comme elle l’avait fait déjà tant de fois depuis leur arrivée à Carlton. Le doux bruit des œufs rissolant dans leur poêle parvint aux oreilles de Kate, de même que la délicieuse odeur de bacon qui les accompagnaient. Dans la cuisine au bout du couloir, elle ne découvrit pourtant que deux personnes : installée dans son siège, mis en hauteur à même la table, Abigail dévorait goulument ses orteils sur lesquels elle se contentait en réalité de baver ; Phil maniait le manche des différentes poêles avec sa baguette magique tout en se prêtant à quelques pas de danse matinaux sur un air marmonné de Poison, d’Alice Cooper. En entendant sa fille entrer dans la cuisine, le pyjama débraillé et les cheveux en pétard encadrant son regard pas frais, il étira un large sourire :
— Tombée du lit ? Ou rêve particulièrement exalté ?
— Un spectre de la mort et un coq mêlé dans le corps d’un bébé, voilà la raison, grommela Kate en s’avançant tel un mort-vivant vers la chaise la plus proche pour s’y affaler, sous le regard amusé d’Abby, qui gonfla une bulle de bave de ravissement tout en gardant son pied gauche en bouche.
— Non, vraiment. Blond ou brun ?
— T’es con, papa…
— Quoi ? s’offusqua-t-il, pourtant radieux. À ton âge, je rêvais déjà de belles filles ! Ce n’est pas normal que tu n’en fasses pas de même avec les gens de mon espèce ! Même si je t’avouerai que tu m’amènes déjà un petit copain… ! … T’as pas de petit copain, hein ?
— Moi ? Pff, non ! Tu rigoles !
— Ah, ouf !
Phil sifflota en ouvrant les placards, toujours à l’aide de la magie, alors que sortirent simultanément son mug fétiche au griffon, le café et le lait. D’un tour de baguette, l’eau qui s’était versée dans la tasse se mit à bouillir – le griffon s’éveilla d’un bond et commença à galoper – et, d’un adroit sortilège, se mélangea au café dans un tourbillon qui dépassait des rebords en céramique, avant de s’évanouir et que les résidus de café volent d’eux-mêmes jusque dans la poubelle.
— Tu utilises ta baguette ? s’étonna sa fille. Je veux dire… même en présence de Mamine et papi Bobby ?
— Ils pioncent, ils ne peuvent rien en savoir. D’ailleurs, le calme est appréciable, je n’ai jamais autant aimé un dimanche matin. Littleclaws est postée à leur fenêtre. S’ils se réveillent, elle me prévient.
Kate ne put s’empêcher de sourire en secouant la tête : son père était incorrigible.
— Tu penses qu’un jour, on pourra partir en vacances ? lui demanda-t-elle une fois qu’elle fut servie.
— Hm, qu’esch-tu veux dire par vacanches ? s’interrogea-t-il en mâchant son bout de bacon.
— Tu sais, partir en famille, quelque part. Tous mes amis voyagent ! Suzanna est en France, Terry est parti faire le tour de l’Irlande… On pourrait faire quelque chose nous aussi, même si ce n’est pas loin ! Juste que je m’ennuie ici !
— J’en ai bien conscience. Mais on ne va pas se trimballer un bébé de trois mois !
Phil désigna Abby du pouce et cette dernière émit un gazouillis, comme si elle avait deviné que l’on parlait d’elle. D’un déliement de poignet, la baguette magique de Phil fit apparaître des petits moutons vaporeux qui bondirent autour de la tête de sa fille benjamine pour la distraire, alors qu’elle tentait de les attraper.
— Non mais c’est trop tard cette année, c’est mort, je sais, soupira Kate en buvant une gorgée de son verre de jus de citrouille, métamorphosé par Phil à partir de jus d’orange. Mais l’an prochain !
— Pourquoi pas… On peut y réfléchir.
— C’est vrai ?! s’exclama Kate, les yeux écarquillés, ne parvenant à croire que son père acceptait aussi rapidement.
— Bah oui, ça peut être une idée. J’irai bien visiter les donjons des châteaux écossais, il paraît qu’il y a de belles histoires à propos des tortures sur les sorciers de l’époque ! Et partir à la chasse au fantôme ! On laisse maman et Abby à l’hôtel, évidemment !
Les yeux de Kate s’illuminèrent en rêvant de ce moment.
— Ça serait tellement génial !
— Ravi que l’idée te plaise, lui sourit-il en brandissant son mug vers elle, avant de le porter à ses lèvres.
Les discussions allèrent bon train, à propos du monde magique, père et fille le sourire aux lèvres alors qu’Abby continuait de secouer les mains pour se saisir des moutons de fumée qui tournaient autour du siège bébé, jusqu’à ce qu’une petite boule de plume se mette à taper frénétiquement à la fenêtre de la porte-vitre.
— Oh non, ne me dis pas que c’est Littleclaws qui vient m’avertir que la réincarnation de cerbère s’est réveillée ?
— J’aimerais beaucoup, mais c’est le cas, déplora Kate en se pinçant les lèvres dans un sourire, jetant un coup d’œil derrière l’épaule de son père.
— Eh merde, soupira Phil, se levant pour se diriger vers l’évier dans lequel il déposa sa tasse vide, son griffon retombé dans son sommeil.
Puis, il rangea à contrecœur sa baguette dans sa poche et cacha le manche qui dépassait sous son tee-shirt d’une teinte bleue ardoise.
— Je me sens une envie pressante d’aller laver Abby, figure-toi ! déclara-t-il à sa fille, en attrapant l’arc en plastique pour porter le siège de la petite qui s’indigna un temps que les moutons aient disparu sans avoir pu en attraper un seul, des larmes de colère au bord de ses yeux ronds. À plus tard !
Il décampa alors qu’Abby recommença à pleurer, mais Kate ne tarda pas à suivre son exemple après avoir placé son assiette et ses couverts dans le lave-vaisselle pour aller s’habiller. Elle n’avait pas encore idée de la journée qu’elle allait passer…
Car sur le coup de onze heures, un poing frappa à la porte. Les Matthews étaient réunis dans la cuisine, pour assister Grace dans la préparation du repas, Abigail dormait dans la chambre de ses parents, Phil s’était enfermé dans son bureau en prétextant avoir du travail à boucler – ce qui était d’ailleurs vrai –, quant à Kate, elle lisait l’un des magazines moldus de sa mère sur les conséquences indésirables de la grossesse et de l’accouchement, lecture qui la dégoûta au plus haut point.
— Tu peux aller ouvrir, Kate, s’il te plaît ? lui lança Grace depuis la cuisine.
Sa fille souffla, agacée de toujours devoir exécuter les tâches ingrates. Jetant le magazine sur la pile, qui s’effondra littéralement au milieu du salon, elle se traîna jusqu’à la porte d’entrée, se jurant intérieurement de torturer dans sa tête le rigolo qui trouvait charmante l’idée de toquer un dimanche matin.
Sur le seuil, deux hommes, deux âges, deux carrures. Mais des accoutrements bien particuliers que Kate n’eut aucun mal à reconnaître : c’était des sorciers. Le plus grand, d’une taille si impressionnante que Kate douta un instant s’il lui était possible de passer la porte sans se baisser, semblait aussi le plus jeune, avec de larges épaules chatouillées par ses cheveux mi- longs, visiblement très soignés par son propriétaire. Il dégageait de lui un certain magnétisme nimbé de timidité. Le second, quant à lui, s’apparentait davantage à l’archétype du sorcier fonctionnaire ou professeur quarantenaire rajeuni, avec son visage totalement dénué d’expression, rasé au détail près, ses cheveux noirs coupés courts.
Lorsque tous deux baissèrent leur regard sur Kate qui les dévisageait avec curiosité, bien plus petite qu’eux, le plus jeune esquissa un sourire tressaillant et embarrassé, mais son compagnon, impavide, prit la parole avant qu’il ne le puisse :
— Bonjour, petite fille, connaîtrais-tu un homme répondant au nom de Philippus Whisper ? demanda-t-il sans ambages d’une voix grave. Nous cherchons sa demeure.
Surprise par son type de discours, Kate grimaça d’incompréhension en fronçant les sourcils.
— Excuse-le, il n’est pas très familier aux conventions sociales… ! intervint l’autre, plus gêné encore, quoiqu’éprouvant quelque peu de désespoir à l’égard de son camarade.
— Phil est mon père, oui, répondit Kate, suspecte. Et vous êtes… ?
— Ses collègues de travail, l’éclaira le plus jeune, avec un sourire franc. Nous avons besoin de lui parler de toute urgence. Serait-il possible de le voir ?
— Je vais aller le lui dire.
Et sur ces mots, elle leur referma la porte au nez, sans qu’ils ne s’y attendent. Au pas de course, Kate grimpa à l’étage et tambourina à la porte du bureau de son père.
— Occupé, lança-t-il. Je ne sortirai d’ici que si quelqu’un est mort dans la maison ! Et si le trépassé est Ellen, appelez le caviste et commandez le champagne le plus cher pour fêter ça !
— Papa, il y a tes collègues de boulot à la porte !
— Mes collègues ? On est dimanche !
— C’est ce qu’ils disent. Et ce sont bien des sorciers !
— Il y a un grand baraqué avec des favoris et des cheveux de princesse et un mec avec un air tellement sérieux qu’on a l’impression qu’il a un balai entre les fesses ?
— C’est exactement ça.
— Et tu les as laissés devant la porte ?!
— Bah ouais… Je ne savais pas s’ils disaient vrai !
— Bon bah dépêche-toi de les faire entrer avant que tes grands-parents s’en chargent, mets-les dans le salon et fais-leur la discussion ! J’arrive dans deux minutes.
Aussitôt, Kate s’exécuta et dévala les marches à la même vitesse avec laquelle elle venait de les monter. En rouvrant la porte, elle se retrouva nez-à-nez avec les deux énergumènes.
— C’est bon, vous pouvez entrer !
Cependant, alors que le plus grand s’apprêtait à franchir le seuil, elle les arrêta dans leur élan en se rappelant d’un détail :
— Par contre… il y a mes grands-parents qui sont là et ce sont des… Moldus. Vos tenues ne risquent pas de leur plaire s’ils vous croisent… !
— Ah, effectivement !
Tous deux dégainèrent leur baguette magique et, d’un tour de main et d’une formule, changèrent de vêtements, plus adaptés à la situation.
— Au fait, nous ne nous sommes pas présentés, fit remarquer le plus jeune en lui tendant son énorme main comparée à la sienne. Je m’appelle Jack Wayne.
— Kate, dit-elle en répondant à sa poignée de main, affichant un léger sourire charmé.
— Enchanté, Kate !
— Jimmy Page, se présenta l’autre sans la moindre expression, les bras raides contre son corps.
Le nom prononcé estomaqua la jeune fille, qui commença à rire alors qu’il entrait avec un regard interrogatif.
— Non, sérieux ? Jimmy Page ?! Comme le guitariste de Led Zeppelin ?!
— Je ne comprends pas la référence.
— Ton père le lui a déjà faite, se rappela Jack après avoir observé le petit hall d’entrée avec attention.
— Ah, le groupe moldu qu’il nous a fait écouter dans son char noir qui roule seul ?
— C’est cela.
D’une main, Kate les invita à entrer dans le salon tandis que Grace passa une tête depuis la porte de la cuisine, ses longs cheveux bruns tombant sous l’effet de la gravité.
— Tout va bien, Kate ?
— Des collègues de papa, je m’en occupe !
La mère de famille hocha le menton après quelques secondes de surprise, puis retourna s’affairer à ses plats et à ses parents. La fascination de Kate n’eut rarement d’égal que celle qu’elle alimenta en voyant les deux sorciers détailler leur environnement, dans ce salon de style moldu.
— Qu’est-ce que cette boîte mystérieuse ? demanda Jimmy, grave, en caressant le rebord supérieur du poste de télévision. Un bac pour laver les habits noirs, afin qu’ils ne délavent pas ?
— Non, c’est une télé, l’éclaira Kate en fermant la porte vitrée qui séparait le salon et le couloir, évitant l’intrusion de ses grands-parents. Il y a des images, quand on allume.
— Oh, je vois. Un cadre photo géant, en quelque sorte. C’est astucieux.
Kate préféra abandonner plutôt que de se lancer dans des explications qui leur seraient hors de portée, tandis que Jimmy s’était rabattu sur la figurine en porcelaine de chat japonais de Grace à côté de l’écran, l’étudiant sous toutes les coutures entre ses doigts. Quand elle pensait que son père était passé par ce stade d’apprentissage dans le monde des moldus !
— Je vous en prie, asseyez-vous ! les sollicita-t-elle en s’installant sur le pouf.
Si Jack prit place sans encombre sur le canapé, les mains liées sur ses genoux, Jimmy parut plus suspicieux en se posant dans le fauteuil à une place, reculant centimètre par centimètre, comme par peur qu’il ne le mange s’il bougeait de manière trop brusque, toujours aussi raide.
— Alors, comme ça, c’est vous qui chassez les créatures avec papa ?
— C’est exact ! Je suis entré en fonction grade 1 en même temps que lui ! lui raconta Jack, avenant. Mais Jimmy est nettoyeur gradé depuis bien plus longtemps que nous.
En observant l’homme de la tête aux pieds, Kate avait du mal à imaginer cet individu coincé et inexpressif traquer les détraqueurs et les inferis.
— C’est vrai ?
— Je suis nettoyeur depuis bientôt vingt ans et je suis grade 1 depuis plus de dix. Mais sur tous les compagnons d’équipe que j’ai connu, votre… père est certainement l’un des plus courageux que j’ai rencontré.
— Ah bah euh… il sera content de le savoir ! bredouilla Kate, déconcertée par ses propos sortis sans raison.
Le regard profond de Jimmy la dérangeait. Il lui semblait presque qu’il sondait son être. Jack préféra alors détendre l’atmosphère en prenant la parole :
— Ton père t’a-t-il déjà expliqué comment fonctionnait nos équipes ?
— Pas vraiment. Il ne me parle jamais en détail de ce qu’il fait au boulot !
— Nous sommes par équipes de trois. Ou en tout cas, c’est assez rare qu’elles soient composées de moins de trois personnes, à cause des risques de conduire des missions seuls en grade 1. Chaque personne de l’équipe a son rôle. Il y a celui qui mène des recherches sur la cible et qui s’informe de tous les paramètres et risques que comporte la mission – c’est moi qui m’en charge, de cette partie – ce qui ne nous empêche pas de participer sur le terrain. Un autre est spécialisé dans la traque des créatures et les sortilèges de défense, soigner au besoin. Ça, c’est Jimmy qui s’en occupe.
L’intéressé hocha la tête de manière lente, les mains implantées sur l’accoudoir comme un roi, sans détacher son regard de Kate, qui tremblait en le croisant.
— Et enfin, le dernier est plus l’homme de terrain, efficace au combat, pour neutraliser la créature, termina Jack. C’est plutôt le rôle de ton père. Et il nous a plusieurs fois sortis de sacrées impasses… !
— Oui. Sans Phil, nous serions dans des mottes de terre humides, des asticots se repaissant de…
— Oui, c’est bon, Jim, on a compris l’idée, merci, l’interrompit Jack calme et légèrement embarrassé.
Confus d’avoir été coupé dans son élan, Jimmy se rabattit avec un air de chaton battu. Au même moment, des pas tambourinèrent les marches de l’escalier et tous tournèrent le regard vers la porte vitrée lorsque Phil entra dans le séjour, un peu surpris de voir débarquer ses collègues de travail un jour de congé. Mais cela restait préférable à la présence de la belle-mère !
— Qu’est-ce que vous faites là, les mecs ? s’étonna-t-il dans un large sourire. On est dimanche, c’est le moment de glander !
— Bonjour, Phil, le salua Jimmy de sa voix grave.
— Je peux savoir ce que tu fais dans cette tenue, Jim ?! s’exclama Phil après un temps de surprise.
— Ta fille nous a demandé de revêtir des costumes moldus. Alors, c’est ce que j’ai fait.
— Eh bien, évite l’imper qui arrive aux mollets la prochaine fois, il n’y a que les exhibitionnistes qui en portent chez les Moldus !
— Tu n’as pas reçu la lettre du Ministère, ce matin ? le questionna Jack.
— J’ai bloqué tous les accès par hibou pour le moment, avec les beaux-parents qui se tapent le squat du siècle à la maison. Et comme on est dimanche, je ne m’attendais pas à recevoir quelque chose… !
Phil prit place dans un autre fauteuil, à l’opposé de celui de Jimmy, et se prépara à recueillir les informations de son co-équipier, qui jeta un coup d’œil en direction de Kate, très attentive à propos de tout ce qui s’échangeait.
— Tu peux parler sans problème devant elle, elle ne mord pas.
— Aha. Très ironique. Il s’agit de ton travail, ça ne te gêne pas que…
— Ca fait l’occasion pour Kate de savoir sur quoi je planche. Bon, accouche, qu’est-ce qu’il y a de si urgent ?
Très sérieux, Jack fouilla dans la poche de sa veste et en sortit un billet violet qu’il tendit à Phil.
— Un vampire a été aperçu dans la ville de Grimsby, cette nuit.
— Ah, je comprends mieux l’histoire de l’ironie. Et en quoi cela mérite urgence un dimanche matin ?
— Il a déjà tué trois Moldus en l’espace de six heures…
Épaté, Phil siffla tout en relisant le message du Département des Régulations. Un frisson parcourut le dos de Kate, recroquevillée sur son pouf, ses genoux ramenés contre elle. Elle n’avait pas encore étudié les vampires en cours de Défense contre les Forces du Mal, mais les légendes et les films de son père se suffisaient à eux-mêmes. Elle se souvenait encore de celui que Phil avait tenté de lui faire voir, sous prétexte que l’un des personnages s’appelait Kate, mais quelques images avaient suffi à alimenter les pires cauchemars de la petite fille. Depuis, elle n’arrivait toujours pas à regarder le rayonnage des cassettes vidéo sans devoir éviter celle d’une Nuit en Enfer.
— Et si on veut éviter qu’il continue à commettre un tel massacre, nous devrions nous y mettre dès maintenant et…
Des bruits s’approchèrent dans le couloir, ce qui valut leur silence immédiat, et, la porte vitrée ayant été laissée ouverte, les trois hommes et la petite fille virent passer le couple des Matthews, parés à sortir.
— Eh bien, que de monde, s’étonna Ellen d’un regard presque dédaigneux. Mais il n’est pas question pour vous de rater l’apéro du dimanche midi, je présume, Phil.
— Jack, Jim, je vous présente mes beaux-parents, Robert et Ellen Matthews, soupira Phil qui aurait certainement préféré se jeter dans un bocal de strangulots que de supporter un tel moment. Ellen, Robert, voici Jack et Jimmy.
— Enchanté, hocha Jack de la tête d’un ton courtois.
Cependant, Jimmy Page n’eut tout à fait la réaction que l’on aurait escomptée : il se leva d’un bond et se précipita en direction des Matthews qui le fixèrent d’un œil suspicieux. Puis, attrapa la main d’Ellen et s’inclina en la baisant, sous la stupéfaction générale.
— Madame… la salua-t-il d’une voix suave.
— Eh bien, monsieur, vous… vous en faites de telles manières ! souffla Ellen, à la fois surprise et séduite.
— Votre parfum est délicieux.
— Oh, vous trouvez ? rougit-elle en gloussant.
— Oui bon, hein, ça va, s’agaça Robert en prenant sa femme par les épaules, allons chercher ce fichu pain et laissons donc ces hommes en paix !
Les Matthews s’éclipsèrent, laissant l’assemblée sous le choc. Phil ne parvenait à en fermer sa mâchoire, renversé par la scène à laquelle il venait d’assister.
— Tu te rends compte que tu viens de taper un baisemain à ma harpie de belle-mère ?! éclata-t-il alors que le moteur de la voiture des Matthews vrombit dans la rue.
— J’ai lu dans un livre que c’était ainsi que les Moldus honoraient les femmes pour leur souhaiter le bonjour, objecta Jimmy, sans comprendre.
— Il y a cinq siècles de cela, quand les hommes portaient encore des collants ! Remets à jour tes sources, Jim !
Dubitatif, Jimmy Page souleva alors les pans de son pantalon noir, dévoilant ses chaussettes tombantes.
— Tu penses alors qu’il faudrait que je porte des collants ?
— Si tu veux mon avis, l’imper suffit amplement, sourit Jack, embêté et ironique, en se raclant la gorge.
Quelque part, la naïveté de Jimmy touchait Kate, qui camoufla un ricanement un peu moqueur. Ça devait être ainsi que paraissaient des nés-moldus à des sorciers de sang-pur ! Sauf que peu se laissaient attendrir par ce genre d’ignorance.
— Je disais qu’il faudrait intervenir le plus vite possible sur place, pour éviter de se retrouver avec un bain de sang, poursuivit Jack.
— Bon, bien, qu’est-ce qu’on attend ? On a des informations sur le vampire en question ?
— Très peu. Toutes les victimes sont des hommes, des pêcheurs de Grimsby pour la plupart. D’après les expériences, on pense alors qu’il s’agirait non pas d’un vampire, mais d’une vampirette.
— On sait d’ailleurs où cela s’est produit ? intervint Jimmy, paraissant tout de suite plus sérieux. Je veux dire… l’endroit précis ?
— Heum, oui, réfléchit Jack en farfouillant dans ses papiers. J’ai fait la recherche ce matin juste après avoir reçu la lettre, on aurait retrouvé les corps le long de Marrowbone Lane,
— D’accord, je m’y rends tout de suite voir s’il n’y a pas des indices qui pourraient nous mettre sur la piste.
Aussitôt, il y eut un son succinct, semblable au claquement d’un fouet, et Jimmy disparut, Kate faisant un bond en hoquetant sur son pouf, manquant de tomber à la renverse. Sans préavis aucun, il venait de transplaner.
— Je déteste quand il fait ça, grommela Phil.
— Oh bah, ce n’est pas demain que tu le changeras !
— Euh, dites, il est souvent comme ça ? s’intéressa Kate, par rapport au bel aperçu qu’elle avait eu de l’énergumène.
— Oh, là, il était en forme ! l’éclaira Jack, les commissures de ses lèvres vers le bas.
— Il est un peu timbré, mais très utile et efficace, compléta Phil avec la même expression que son collègue. C’est un excellent nettoyeur. Pourquoi, il t’a fait peur ?
— Non, juste qu’il est… bizarre !
— Il n’a aucune idée de comment se comporter en société. Il faut lui pardonner, c’est un brave gars au fond !
Kate hocha la tête, la bouche en « o », et continua d’écouter la conversation qui dériva sur des sujets bien moins intéressants que la chasse au vampire :
— Tiens, au fait, j’y pense ! Avec ton déménagement, tout ça, je ne t’ai pas souhaité ton anniversaire ! se rappela Phil en tapant l’épaule de son collègue. Alors, ça te fait quel âge ?
— Vingt-neuf ans ! Merci, vieux ! le remercia Jack avec un large sourire.
— Et la nouvelle maison, alors ?
— Parfaite ! Il y a beaucoup de sorciers à Chesterwhite et Alison est ravie qu’on ait un si grand jardin pour installer son poney à son aise, à l’écart des gnomes qui lui volent son foin !
— Certains sorciers ont des chouettes ou des chats, d’autres ont des poneys, lança Phil à sa fille, interdite. C’est un hobbie comme un autre, hein… !
En seule réponse, Kate grimaça en espérant sourire. Les sorciers formaient décidemment un peuple bien étrange. Puis, dans un soupir bruyant, Phil se leva de son fauteuil, Jack l’imitant :
— Très bien, toussota-t-il. On fait quoi maintenant que l’autre andouille est partie ?
— Je vais le rejoindre d’ici quelques minutes. Juste le temps pour moi d’aller prévenir ma douce et tendre, de préparer les bagages de Kate et de garer la voiture en dehors de la ville.
— Parfait, je vais continuer mes recherches et je vous retrouve quand j’ai du nouveau alors.
— Une minute… Mes bagages ?! intervint Kate en articulant chaque syllabe, qui crut mal entendre dans un premier temps.
— Eh bien oui ! Si j’ai du boulot urgent, que maman doit s’occuper et d’Abby et de ses parents, il vaut mieux que tu partes passer des vacances ailleurs pour ne pas la surcharger !
Les yeux de Kate s’illuminèrent de joie. Elle allait enfin quitter Carlton pour d’autres horizons lorsque la saison le souhaitait !
— Mais où ? s’enquit-elle, retenant sa surexcitation intérieure.
— Tu n’as pas une amie qui peut t’accueillir le temps que je boucle ça ? Juste une semaine…
— Je peux demander à Maggie !
— Super ! File lui écrire !
Croyant voler tant elle se sentait légère chaque fois qu’elle bondissait sur un pied, Kate regagna sa chambre et se rua sur son matériel d’écriture planqué au fond du tiroir de son bureau pour écrire à sa meilleure amie. Le premier essai se solda d’un échec quand dans la précipitation, elle renversa la bouteille d’encre sur la tablette. Phil, qui était entré dans la chambre à sa suite pour boucler ses affaires plus vite à l’aide de la magie, avait rattrapé de justesse l’accident avant que l’encre ne touche la moquette.
Kate avait en effet reçu un excellent cadeau de la part de sa meilleure amie à l’occasion des vacances estivales : il s’agissait d’un petit carnet en cuir, d’apparence vétuste, la tranche incrustée de petites turquoises. Les trente premières pages noires et remplies par Kate témoignaient de son utilité depuis le début des congés. Et il se trouvait qu’à l’autre bout du pays, son amie Maggie possédait le même, au détail près, mais aussi à l’écriture prête. Car lorsque l’une des deux rédigeait un mot sur son carnet, il apparaissait instantanément sur celui de l’autre. Les correspondances étaient alors immédiates, pour peu que l’une des filles remarque la présence d’un nouveau message. Pour cela, elles s’en référaient aux petites pierres sur la tranche. Les turquoises mates signifiaient qu’il n’y avait rien de nouveau à l’horizon, cependant, lorsqu’elles se mettaient à briller, cela indiquait qu’un nouveau message s’était affiché à la suite des précédents. Un objet fort rare que Maggie avait obtenu, disait-elle, à très bon prix tout en usant des bons procédés à l’égard de ses parents, ce qui signifiait sans nul doute un regard embué de larmes.
En ouvrant le carnet à la dernière page utilisée, sur laquelle elle avait discuté de la mort de leur concierge tant abominé, Kate prit sa plume et rédigea un court message :
Hey Maggie !
J’ai une très bonne nouvelle à t’annoncer, enfin, j’espère qu’elle le sera pour toi aussi ! Mon père doit s’occuper d’un vampire qui boit le sang des moldus près des côtes est et ma mère est débordée en ce moment avec Abby et mes grands-parents qui dorment chez moi (tu sais, ceux qui sont moldus). Aussi, papa pense que c’est préférable que je parte de la maison un moment pour revenir quand ça sera plus calme.
Tu serais d’accord (enfin… les parents seraient d’accord) pour que je vienne chez toi cette semaine ?
Réponds-moi vite, c’est assez urgent.
J’ai hâte que l’on se revoie !
Kate
La réponse ne se fit pas désirer, puisqu’elle apparut exactement six minutes après que Kate eut reposé la plume, et semblait assez explicite :
J’ai envie de te consacrer un culte comme les Moldus le font avec leur gars mort sur leur croix, mais je vais plutôt dire que je n’ai jamais lu une aussi bonne nouvelle depuis l’article de Rusard (ce qui doit remonter à trente heures, maximum…)
Je t’attends au manoir de Thinkshold, demain, et sois à l’heure pour le déjeuner !
Et si tu changes d’avis et que tu ne viens pas, je te traquerai jusqu’au bout du monde et piétinerai tes os jusqu’à pouvoir te donner à manger aux Scrouts d’Hagrid sous l’état de bouillie ! J’espère que nous nous sommes comprises… !
Le tout signé d’un cœur. Du Maggie tout craché.