Samedi 1er juillet 2000

Olivia maudissait intérieurement tous ses clients tardifs, les uns après les autres. Ils avaient eu toute la journée pour venir acheter leurs pâtisseries, et voilà qu’ils étaient tous agglutinés derrière la vitrine, à peine deux minutes avant l’heure de fermeture. Et le pire, c’était qu’à chaque fois qu’un client sortait, deux autres profitaient de la porte ouverte, montrant leurs Gallions, bien en évidence, pour indiquer à la pâtissière qu’ils étaient prêts à tout pour grappiller les derniers morceaux de tarte aux pommes ou d’éclair au chocolat.

Elle était bien trop intimidée pour les laisser à la porte et leur dire qu’elle fermait. Et surtout, elle avait bien trop peur que l’un d’eux hurle dans tout le quartier que c’était inadmissible de refuser la vente à cinq minutes près. Ce n’était pas le moment d’avoir un mauvais coup de pub. Et puis de toute façon, elle était parfaitement incapable de dire quoique ce soit à ses clients.

Elle ne serait jamais à l’heure à King’s Cross, c’était certain. Elle n’allait quand même pas rater ça ? Jamais une seule fois elle n’avait manqué ce rendez-vous avec son frère. Certes, elle aurait une toute dernière occasion l’année suivante, lors de son ultime retour de Poudlard. D’ailleurs, elle avait déjà calculé : le premier juillet tomberait un dimanche, donc la pâtisserie serait fermée, et rien ne pourrait l’empêcher d’être là, cette fois.

Elle ne se gêna pas pour râler ouvertement, une fois la boutique fermée. Elle ne prit pas le temps de se changer mais attrapa son chat sous le bras et une boîte contenant les quelques pâtisseries invendues, puis elle Transplana de la petite arrière-cour. Elle aurait voulu arriver directement sur le quai de la Voie 9 ¾, mais c’était impossible. Elle avait été obligée de se contenter d’une salle d’attente abandonnée et, une fois remise de son atterrissage plus que moyen, elle commença à courir et manqua de se perdre parmi les Moldus. Heureusement, elle retrouva la barrière en quelques minutes et fonça tête baissée dans le mur.

« Et flûte ! »

Le quai était désert : elle était arrivée trop tard. Même le Poudlard Express avait quitté la voie. Dégoûtée, elle avait envie de pleurer, mais inspira un grand coup et rebroussa chemin.

Elle Transplana jusqu’à Swansea, ignorant les miaulements de Médoc qui détestait cette façon barbare de voyager, et longea la digue avant de s’engouffrer dans le passage qui conduisait directement au centre du quartier. Avec une pensée pour la sorcière qu’elle avait rencontrée à cet endroit même quelques mois auparavant, et qui devait avoir accouché à présent, elle passa devant le primeur Moldu à qui elle acheta un kilo de pommes granny et deux beaux ananas. Trois minutes plus tard, elle poussait la porte de la maison de ses parents.

« C’est moi ! »

Elle se dirigea directement vers la cuisine pour déposer ses paquets. Médoc parvint à s’extirper de son emprise et bondit sur le premier fauteuil qui entra dans son champ de vision.

« Ollie, ma chérie ! »

Sa mère l’attendait devant les fourneaux, un tablier noué autour de la taille pour ne pas tâcher sa robe neuve.

« Désolée, il y avait un monde fou à la boutique, je n’ai pas pu me libérer. Owain m’en veut ? »

Elle était terrifiée à l’idée que son frère soit fâché contre elle.

« Non, je ne pense pas, » admit sa mère en l’aidant à ranger ses paquets. « Il sait à quel point ton boulot est prenant… Oh, c’est tout ce qu’il te restait ? »

Olivia tourna la tête, voyant que sa mère désignait avec une mine déçue les trois brownies et la religieuse au café de la boîte qu’elle lui avait prise.

« Excuse-moi d’avoir du succès, » rétorqua-t-elle sèchement avant de quitter la cuisine et de grimper les escaliers quatre à quatre, ignorant la réponse de sa mère.

Elle avança prudemment jusqu’au fond du couloir, où se trouvait la chambre d’Owain.

« Hey, » fit-elle en s’adossant à l’encadrement de la porte.

Son frère était en train de ranger sa malle. Il y avait une énorme pile de vêtements sales juste à côté, et ses manuels étaient posés les uns sur les autres sur son bureau, formant une tour dangereusement brinquebalante.

Owain lui adressa un sourire radieux, et avant qu’elle ne puisse exprimer son soulagement, il s’était jeté sur elle et l’avait serrée dans ses bras.

« Qu’est-ce que je suis content de te revoir, p’tite sœur ! »

Olivia avait envie de se mettre à le chatouiller jusqu’à ce qu’il la supplie à genoux, mais elle savait qu’il cherchait la provocation, aussi choisit-elle de ne pas relever le fait qu’il l’avait appelée « petite », alors qu’elle avait cinq ans de plus que lui. Certes, il était bien plus grand qu’elle, il la dépassait désormais d’une bonne demi-tête. Mais ça n’était pas une raison, d’après Olivia.

« Je suis désolée de ne pas avoir pu être à King’s Cross, » dit-elle une fois qu’il brisa l’étreinte.

« T’inquiète pas… »

« Chaque fois que j’ouvrais la porte pour faire sortir un client… »

« T’en fais pas, c’est pas… »

« … Il y en avait un autre qui rentrait, c’était l’enfer ! Ce n’est pas comme s’ils n’avaient pas eu toute la journée pour passer, il faut toujours qu’ils se décident à la dernière minute, comme s’ils venaient de réaliser qu’il leur fallait un dessert… »

Owain lui plaqua la main sur la bouche.

« C’est pas grave, je te dis, » parvint-il enfin à déclarer. Puis il ôta sa main et poursuivit : « Papa s’est douté que tu serais trop occupée. On t’a attendue quand même un peu, le temps que les parents de Martin arrivent, mais bon, on ne pouvait pas attendre éternellement. »

Olivia hocha la tête et entra enfin dans la chambre de son frère tandis que celui-ci plongeait une nouvelle fois à l’intérieur de sa malle.

« Tu veux que je t’aide à trier ton linge ? » proposa-t-elle en sortant sa baguette.

« Non, ça va aller, on a appris un sortilège à Poudlard cette année. »

Olivia sourit. Elle avait oublié qu’il le lui avait raconté dans l’une de ses nombreuses lettres. Les elfes avaient quitté Poudlard et les élèves avaient été contraints de s’inscrire à tour de rôle pour assurer la lessive et le ménage.

« Oui, dis surtout que tu vas prendre un immense plaisir à pouvoir lancer des sortilèges comme tu veux, maintenant que tu es majeur… »

« Tu as tout compris, » avoua Owain en lui adressant un clin d’œil complice.

Il sortit de sa malle une bonne douzaine de vieilles fioles, toutes cassées, qu’il lança directement dans la poubelle. Olivia s’assit sur son lit et le regarda finir de ranger ses affaires en silence. Elle était juste heureuse de profiter de sa présence, lui qu’elle n’avait pas vu depuis les vacances de Pâques.

Quelques minutes plus tard, leur mère passa la tête par l’ouverture de la porte.

« Wayne, tu me descendras une lessive pour que je fasse tourner la machine ce soir, s’il te plaît ? »

Elle avait apporté un panier qu’elle déposa sur son lit.

« Ollie, je n’avais pas vu que tu étais là. Tu es allée dans ta chambre ? »

« Non pourquoi ? »

« J’ai retrouvé un carton d’affaires t’appartenant dans le grenier, ce serait bien que tu fasses le tri… »

Olivia leva les yeux au plafond. A chaque fois qu’elle revenait pour le week-end, c’était la même chose : sa mère avait déterré de vieilles choses, et il fallait qu’elle gâche ses deux jours de repos pour l’aider à faire du rangement.

« Je ne peux pas faire ça pendant mes vacances ? » se plaignit-elle.

« Ah, parce que tu as enfin décidé de prendre des vacances ? Il va pleuvoir, ce n’est pas possible autrement… »

Olivia choisit d’ignorer le cynisme de sa mère. Elle savait que celle-ci pensait qu’elle travaillait beaucoup trop.

« On ferme la boutique du 15 juillet au 21 août, » annonça-t-elle. « Donc ton carton, je le rangerai à ce moment-là. »

« Et ça va traîner deux semaines dans ta chambre ? » protesta sa mère en croisant les bras.

« Tu ne vis pas dans ma chambre, à ce que je sache ! »

La réponse était sortie de sa bouche sans qu’elle s’en rende réellement compte. Elle ne voulait pas se fâcher avec sa mère, mais là, elle ne comprenait pas pourquoi elle insistait à ce point. Le silence s’installa quelques minutes, ponctué des bruits de pas d’Owain qui faisait des allers-retours entre sa malle et son bureau.

« Bon, je vous laisse, » déclara leur mère subitement. « Ollie, ton père est dans la serre, ça serait sympa de ta part d’aller lui dire bonjour avant que je vous appelle pour le dîner. »

« Je prends une douche et j’y vais. »

« Je te descends le linge dans une minute, M’man, » ajouta Owain.

Olivia se leva et fit pour sortir à son tour.

« Hey, » l’interpela son frère.

Elle se retourna, et attrapa de justesse l’objet qu’il lui avait lancé. C’était un Vif d’Or.

« Celui que j’ai attrapé pendant le match contre Gryffondor. Pour toi. »

Il lui fit un nouveau clin d’œil, et Olivia le remercia d’un sourire. Elle était très touchée qu’il le lui donne, et était persuadée qu’il ne manquerait pas de se vanter pendant le dîner d’avoir battu l’équipe de la maison dans laquelle leur père avait été lorsqu’il était à Poudlard.

Traversant à nouveau le couloir, Olivia entra dans sa chambre pour choisir des vêtements propres avant d’aller sous la douche. Elle avait laissé une partie de sa garde-robe chez ses parents, ce qui lui permettait de ne pas avoir à faire une valise à chaque fois qu’elle venait passer la nuit. Elle remarqua l’énorme carton que sa mère avait posé près de la fenêtre et la curiosité la poussa à aller jeter un œil à l’intérieur afin de prendre connaissance de son contenu.

C’étaient des lettres. Il y en avait certainement une centaine, la plupart écrites par ses parents, dont elle recevait du courrier au moins une fois par semaine lorsqu’elle était à Poudlard. Elle en déplia quelques-unes pour lire la date, puis elle se contenta de passer à la suivante. Elle n’était pas sûre de vouloir les relire, parce qu’elle savait très bien ce qu’elles contenaient : des encouragements.

Olivia n’avait pas été ce qu’on pouvait appeler une élève populaire à Poudlard. Elle n’avait presque pas eu d’amis. En fait, elle n’en avait eu qu’une, Eurydice Clearwater, qu’elle avait perdue au début de leur sixième année. Elle souffrait beaucoup de la solitude et se confiait ouvertement à ses parents à ce sujet. Pendant les deux premières années, les lettres de sa mère l’avaient incitée à aller vers les autres, mais une fois qu’elle avait réalisé que sa fille était bien trop réservée pour ça, elle s’était contentée de la rassurer et de l’encourager à bien travailler.

Après quelques minutes de fouille, elle tomba sur une écriture différente : c’était la sienne. Elle pensa tout d’abord que sa mère avait pu également y ranger les lettres qu’elle leur envoyait de Poudlard, mais en voyant qu’aucune adresse n’était inscrite sur l’enveloppe, elle fronça les sourcils de curiosité et l’ouvrit.

Ce fut en voyant que la lettre était adressée à elle-même qu’elle se souvint de l’avoir écrite.