Les yeux de son fils étaient braqués sur lui et exprimaient un désir plus que normal : découvrir, savoir, comprendre. Enfin… Dans son regard se mêlaient la joie à cette idée et la défiance de se voir refuser des explications. Harry ne savait pas quoi faire : ces lettres étaient son journal intime, sa vie, une correspondance à sens unique qui l’avait fait croire en un avenir normal, un avenir auquel il aspirait tant.
« A table ! »
Les nœuds qui s’étaient formés dans l’estomac de Harry se dénouèrent quelque peu. Il n’avait pas encore faim mais pourtant ces deux mots arrivaient au moment propice. Harry tenta d’esquisser un sourire convaincant à son fils.
« Tu viens ? On en reparlera après.
— Tu dis toujours ça ! rétorqua le garçon avant de tourner les talons.
— James, attends !
— Quoi ? Tu vas m’expliquer cette fois ? lança James, railleur. »
Harry ne trouvait pas ses mots, ce qui ne passa pas inaperçu pour James qui sortit en trombe et descendit trois par trois les marches de l’escalier.
Harry soupira un grand coup, regarda les lettres qui étaient restées dans sa main et tenta de se convaincre que ce qu’il faisait était la bonne chose à faire. Sans succès… Rien ne pouvait plus justifier ses actes. Il fit un détour par sa chambre et déposa les lettres sous son oreiller. Il sortit et commença à descendre l’escalier, accompagné par des pensées qu’il aurait voulu remettre à plus tard, une énième fois.
Harry connaissait l’escalier par cœur et il ne fit pas défaut à ses habitudes en posant son pied directement sur la deuxième marche, évitant ainsi de faire craquer la première. L’esprit ailleurs, il descendait lentement, sans même le remarquer.
Il était à un tournant de sa vie familiale. La famille… Ce dont il avait toujours rêvé à l’époque où il avait écrit ces lettres, il y a si longtemps déjà. Aujourd’hui, il savait qu’il allait bientôt devoir dire au revoir à certains aspects de sa vie auquel il aspirait tant. Il allait lire dans les yeux de ses enfants une fierté qu’il n’avait que trop vue chez les autres. La célébrité ne l’avait jamais quitté, à part ici, chez lui, avec eux. Jusqu’à maintenant en tout cas…
Bien sûr, Harry savait que ses enfants ne réagiraient pas comme le monde extérieur mais il craignait tout de même d’observer des différences. Il aurait tant voulu que jamais son passé ne vienne ternir la famille qu’il avait tant désirée et qui était sienne désormais.
Tellement de temps et de choses s’étaient écoulés depuis ces lettres que les détails de leur contenu lui étaient comme inconnus. Il redoutait ce que son fils pouvait y découvrir. Il devait les relire d’abord, pour lui même.
Son pied se posa sur le carrelage froid de la cuisine. Les yeux de Ginny, Albus et Lily étaient rivés vers lui. James, lui, semblait trouver son assiette vide particulièrement intéressante.
« On t’attendait, lui fit remarquer Ginny.
— Désolé chérie, répondit-il, en déposant distraitement un baiser sur le crâne de sa femme. »
Le dîner n’était pas de tout repos. L’esprit de Harry continuait de vagabonder et il ne prenait guère part aux conversations. Ginny s’était occupée seule de réprimander Albus et Lily qui se chamaillaient sans cesse ces derniers jours. Albus, qui avait lui aussi hérité de l’esprit farceur de son grand-père et des jumeaux, taquinait sa petite sœur en lui disant qu’elle n’irait pas à Poudlard. Contrairement à ses deux frères, Lily n’avait encore jamais fait de magie et sa mère tentait de la rassurer tant bien que mal. James n’avait même pas pris part à cette discussion bien qu’il devait avoir, lui aussi, envie d’embêter sa petite sœur. Mais il semblait déterminé à montrer à son père que leur légère altercation n’était pas finie et ne prononça que quelques paroles pendant tout le repas.
Harry s’allongea sur son lit et ouvrit délicatement la lettre portant le numéro un. Il remarqua immédiatement que l’écriture était brouillonne et mal assurée.
« A Privet Drive, juin 1991
Cher Harry,
Je crois que les adultes commencent les lettres comme cela. Je ne sais pas. Je n’en ai jamais écrites.
Aujourd’hui, pour la fin de l'école primaire, le maître a demandé que l'on écrive une lettre à soi-même. Je ne sais pas par où commencer, il n’a pas vraiment expliqué. Il croit peut être que tous les enfants ont déjà écrit une lettre, mais pas moi. Je ne suis pas comme les autres. Mes camarades s'écrivent souvent entre eux pour raconter leurs secrets, mais pas moi. Je n’ai pas d’amis. Ils ont trop peur de s'approcher de moi à cause de Dudley.
Le maître a dit de commencer par dire son âge : j’ai dix ans, bientôt onze. Les gens sourient quand je dis ça et me disent que c’est un bon âge. Je ne sais pas pourquoi mais ça doit être vrai puisque Dudley était heureux le jour de ses dix ans. Il avait compté ses cadeaux. Trente-huit. Je n'ai jamais vraiment eu de cadeaux. Souvent, tante Pétunia emballe dans du papier journal des vieux vêtements de Dudley. Je fais semblant d'être heureux parce que la dernière fois, j'étais déçu et oncle Vernon l'a remarqué. J'ai passé la fin de mon anniversaire dans mon placard.
Ensuite, le maître veut que l’on dise ce que l’on veut faire plus tard. Je ne sais pas vraiment mais je sais que plus tard, je ne veux pas vivre à Privet Drive. Les autres enfants veulent être pompiers ou astronautes. Moi, je ne sais pas, je veux juste être courageux et que Dudley ne me frappe plus.
Pour finir, je dois te parler, Harry du futur mais je ne sais pas quoi te dire. Tu ne te moqueras pas en lisant ma lettre, d’accord ? Je ne sais pas comment on écrit à des gens mais je suis sûr que toi tu sais. Tu es sûrement un adulte et peut être même que tu as des amis et un métier. Si c’est le cas, je veux être toi tout de suite !
A dans quelques années,
Harry Potter. »
Il avait lu la lettre d’une seule traite, laissant l’émotion le gagner au fur et à mesure que ses yeux glissaient le long des mots. Harry n’avait pas oublié son enfance, il avait simplement refusé d’y repenser. Cette lettre était une ouverture sur l’enfer que son cousin lui avait fait vivre. Il était triste, non pas pour lui mais pour le garçon qui avait écrit cette lettre. Pourtant ce garçon, c’était lui. D’une manière ou d’une autre, il était toujours ce garçon.
Pas une seconde, il n’avait eu envie de rire. Pourtant son ignorance passée et le décalage marquant dont faisait preuve la lettre aurait pu avoir un effet comique. Mais non, Harry ne sourit même pas. Il se rassura en se disant qu’il avait eu des amis par la suite, un métier, tout ce qu’il avait souhaité étant petit. Il avait même une famille qu’il aimait plus que tout, il avait réussi à changer de vie et pourtant, en y repensant, ce n’était pas que pour le petit garçon qu’il était triste.
La lecture de cette lettre avait rouvert un vide en lui, un vide que seul l’adulte qu’il était pouvait ressentir. Il avait délaissé sa famille pour la protéger du passé qu’il avait eu mais il n’avait rendu service à personne en agissant ainsi.
Il se pencha sur ces quelques phrases maladroites, ces mots d’enfants qui avaient été les siens quelques années plus tôt et ce qu’il vit le conforta dans l’idée qu’il était plus que temps… Il allait tout partager maintenant et c’est à travers ces lettres qu’il en trouverait le courage.
A moins que… Non, pas tout de suite. Il devait d’abord les lire seul, se replonger intégralement dans cette période de sa vie.
Harry déposa la lettre portant le numéro un sur sa table de nuit et prit la deuxième qu’il déplia. Il n’eut cependant pas le temps de la lire car Ginny entra dans la chambre à ce moment là. Elle ne remarqua pas immédiatement ce que faisait Harry et entreprit de se changer tout en discutant.
« Ils étaient vraiment agités ces deux-là. C’est bizarre que James n’y ait pas pris part. Je m’attendais à ce qu’il soit beaucoup plus excité que cela ce soir. Comment s’est passé… »
Ginny s’arrêta soudainement. En effet, après avoir enfilé sa chemise de nuit, elle s’apprêtait à replier ses vêtements lorsqu’elle remarqua que Harry tenait dans sa main un petit morceau de parchemin.
« Qu’est-ce que tu lisais ? demanda-t-elle en venant s’allonger à ses côtés, curieuse. »
Le jeune homme hésita un instant, un très court instant. Ginny savait déjà tout de lui et bien que ces lettres étaient jusqu’alors privées, il n’avait pas de raison de les cacher à sa femme. Il lui tendit le premier morceau de parchemin qu’elle prit, l’interrogeant du regard. Il expliqua pourquoi il avait écrit ces lettres et comment il les avait retrouvées.
Contrairement à ce qu’il aurait pu prévoir, Ginny ne le réprimanda pas d’avoir caché ces lettres à son fils mais elle demanda quand même si Harry avait l’intention de les lui montrer.
« Oui. Je pense que oui. Je veux juste m’assurer qu’elles ne soient pas trop sombres. »
Il allait tout avouer, enfin. Heureuse, Ginny esquissa un léger sourire et embrassa tendrement Harry avant de se pencher par dessus-lui. Elle déposa délicatement le bout de parchemin sur la table de nuit sans lâcher Harry des yeux.
« Tu as le droit de les lire, tu sais ? fit remarquer Harry d’une voix douce.
— Je sais. »
Ces deux mots avaient été prononcés dans un souffle que Ginny avait accompagné d’un magnifique sourire. Les lèvres de Harry s’étirèrent à son tour ; cela faisait si longtemps qu’elle ne l’avait pas regardé ainsi. Ses yeux reflétaient une fierté non dissimulée ainsi qu’une complicité et un amour qui, en ce moment précis, semblaient aussi forts qu’au premier jour.
Le couple se contempla comme si ils venaient de retrouver leur jeunesse en même temps que les lettres. Bien que Ginny ne les ait jamais lues, elle imaginait sans peine leur contenu et elle en oublia un moment sa vie actuelle et les quelques tensions qu’il y avait encore quelques minutes auparavant. Il allait redevenir celui qu’elle aimait, à part entière, sans mensonges et sans déguisements.
Elle se revoyait beaucoup plus de dix ans plus tôt, ses longs cheveux tombant en cascade sur ses épaules. Avec lui. Plus rien d’autre ne comptait que lui. Lui et elle. Ensemble. Elle le revoyait lui sourire, décaler ses mèches rousses pour accoler ses lèvres contre les siennes. Leur premier baiser.
Elle était toujours penchée au dessus de lui. Elle le regardait, heureuse. Il la dévorait du regard. Elle se sentait avoir quinze ans à nouveau. Mais elle avait bien plus. Suffisamment pour faire ce qu’elle allait faire. Son corps se rapprocha doucement de celui de son mari et vint exercer une délicate pression sur ses membres musclés.
Harry tenait encore la deuxième lettre dans sa main et vint la déposer à son tour sur la table de nuit. Les écritures face contre le bois. Le garçon qui avait écrit cette lettre n’avait que onze ans. Ce n’était pas encore de son âge. Les lèvres de Harry vinrent rencontrer celles de Ginny et ses mains commencèrent à remonter le long de ses hanches enlevant délicatement sa chemise de nuit.
« Maman ! »
Ginny balança la tête en arrière et soupira. Elle n’avait plus quinze ans.