D’un coup sec, Colin frappa le haut du crâne jauni qui trônait sur la cheminée. Le bruit creux ne devait pas être une quelconque preuve d’authenticité, mais à défaut la relique était bien imitée. Enfin pour ce qu’il s’y connaissait en matière de crâne humain.
Il saisit les ossements entre ses doigts et les leva à la hauteur de sa tête, ses yeux clairs visés sur les petites charnières qui retenaient l’os frontal au reste de la boite. Il fit tourner l’objet sur lui-même et écarta la poussière qui s’était logée dans les crevasses des yeux et du nez avec l’ongle de ses pouces, plusieurs retenues avec Rusard lui avaient appris la technique, gratter l’intérieur et pousser vers l’extérieur. Pour les aspérités, la brosse à dents avait ses avantages.
« On t’a pas loupé toi », murmura-t-il en le reposant contre des livres.
Colin fit claquer sa langue contre son palais et effectua un demi-tour rapide sur lui-même, il avait déjà eu bien plus de temps que nécessaire pour inspecter le salon du 221B Baker Street et commençait à trouver le temps long, enfermé entre ces murs. Il devinait les adultes qui bataillaient à l’étage inférieur : partirait, partirait pas. Cela faisait des mois que la même situation se répétait sans cesse, des semaines que les mêmes excuses vides résonnaient là où il posait ses valises.
« Tu es bien gentil Colin, mais comprends nous aussi. Avec le bébé, on ne peut plus te garder ici. » Le bébé, le chien ou le chat, qu’importe. Il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas. Il faut dire que le jeune homme n’y mettait pas vraiment du sien. Depuis qu’il avait quitté Poudlard en juin dernier, il ne désirait qu’une chose, y retourner comme tous les ans, même si cela lui était désormais impossible.
Avec la mort du professeur Dumbledore au début de l’été, tout avait changé dans le monde magique. Ils étaient tous partis en vacances comme si de rien n’était, mais chacun d’eux savait bien ce qui les attendrait à la rentrée. La guerre. Colin n’avait juste pas pensé que cela irait si vite. Il croyait que le professeur McGonagall prendrait la relève du vieux directeur et que Poudlard serait sauf, encore un peu tout du moins.
Colin avait toujours trainé sa naïveté en héritage, c’était devenu sa marque de fabrique au Collège. On s’était longtemps amusé à lui faire croire des choses invraisemblables, à moquer sa crédulité d’enfant, qui s’estompait en grandissant. Il n’était pas dur à tromper car, parfois, il refusait juste d’ouvrir les yeux et de voir. Parce que c’était plus simple d’oublier. Il n’en avait pas parlé avec ses parents au début, parler d’une guerre dans un monde étranger n’aurait fait que les inquiéter inutilement, quand ils avaient déjà leurs propres problèmes à régler.
C’est Dennis qui avait fini par cafter. Il ne voulait pas y retourner et Colin ne pouvait pas lui en vouloir. L’effet avait été immédiat, il n’avait pas eu besoin d’attendre la lettre officielle de Poudlard pour savoir qu’il ne foulerait pas le sol écossais cette année. Alors il restait là, à trainer sa peine dans la maison familiale, faisant claquer son appareil sur son quotidien vide. Les semaines passant, ses parents avaient décidé de l’envoyer au loin pour quelques semaines, le temps qu’il se change les idées et que tout rentre dans l’ordre.
Il avait vu ses cousins en Espagne, visité sa grand-mère au pays de Galles, squatté chez des amis d’amis, sans jamais rester plus que quelques jours. Ses parents finissaient toujours par trouver une solution de rechange, à sortir un vieil oncle du placard où on l’avait rangé. Ou une vieille tante, qu’on avait oubliée dans sa solitude.
À vrai dire, Colin n’avait jamais entendu parler de Mrs Hudson auparavant, peut-être une mention, quand il était jeune, du destin funeste de son mari aux Etats-Unis, mais rien de plus. Il était même incapable de dire quel lien les unissait. Reste que c’était toujours mieux que rien. Au moins, ici, il ne serait un danger pour personne.
Colin s’approcha du montant de la porte qui donnait sur les escaliers et resta dans l’encadrement pendant que le groupe d’adultes continuait à parler en bas. Lorsque sa mère l’avait déposé ce matin, Mrs Hudson lui avait assuré que sa présence ne causerait pas de problème, elle avait juste oublié de mentionner qu’elle n’était pas la seule à décider. Enfin, elle pouvait bien héberger qui elle voulait, après informer n’était qu’une question de savoir vivre.
« Enfin, les garçons ! Ce n’est l’histoire que de quelques jours, il ne vous dérangera pas !
— Nous ne sommes pas baby-sitters, Mrs Hudson. Et depuis quand avez-vous un neveu ? Jamais entendu parler et toi, John ?
— Hum, non, ça ne me dit rien.
— Vous pourriez l’emmener sur une enquête. Il a des problèmes, ça lui fera du bien, dit-elle en baissant la voix. »
Colin entendit un silence gêné s’installer en bas des escaliers et s’installa dans un des fauteuils du salon. Il n’avait pas réfléchi à ce qu’il ferait si personne ne voulait de lui ici. Il pourrait peut-être rentrer chez lui le temps d’une soirée. Oui peut-être.
« On ne va pas emmener un gamin sur une scène de crime, commença le dénommé John.
— Il y a déjà bien assez d’incompétents dans la police comme ça. On n’a pas besoin de quelqu’un qui nous traine dans les pattes en plus.
— Pas ce type d’affaires, voyons ! Une facile, une histoire de vol ou quelque chose…
— Je ne m’occupe pas de ce type de cas, Mrs Hudson. Trop banal, trop ennuyant.
— Et il n’a trouvé aucune affaire à son goût cette semaine.
— Ils vont appeler.
— Je ne suis pas sûr que Lestrade ait apprécié la dernière…
— Ils vont appeler. »
Colin s’enfonça un peu plus dans le dossier et resta immobile. De ce qu’il avait compris, Sherlock Holmes n’était pas un homme ordinaire. Il l’avait su dès l’instant où il avait posé les yeux sur lui. Il y avait une aura particulière qui se dégageait de lui, de sa tignasse mal peignée et de son air pincé, quelque chose que Colin ne pouvait pas expliquer. Mrs Hudson l’avait présenté comme un détective consultant, un homme auquel la police se réfère lorsqu’une enquête se révèle trop compliquée. Elle n’avait pas tari d’éloges à son sujet, mais Colin ne savait pas trop quel crédit accorder à ses paroles. Il ne la connaissait pas et, après tout, ce n’était peut-être qu’une vieille gâteuse.
En revanche John Watson, lui, semblait être un homme ordinaire. Apparemment, il était ou avait été médecin de guerre. Cela le faisait rire : ses propres parents l’éloignaient de son école pour le protéger de la guerre magique et le retenaient dans un monde à peine plus sûr. Ce n’était pas parce qu’elle avait lieu dans un autre pays qu’elle n’existait pas, cette guerre.
Un coup de sonnette le sortit rapidement de ses pensées et fit taire la conversation qui avait repris à l’étage en dessous. Colin se leva, ne sachant guère quelle attitude adopter. John accueillit le couple à la porte et les invita à monter à l’étage où ils s’installèrent dans les fauteuils, pendant que Sherlock et Mrs Hudson avaient repris leur discussion.
« Rien qu’une petite enquête, Sherlock. Une petite enquête et en échange je prends en charge les réparations de ce satané mur là-haut !
— Proposition intéressante. Mais pourquoi tenez-vous tant à vous débarrasser de votre neveu que vous n’avez pas vu depuis si longtemps ?
— J’ai des obligations, fit-elle de sa voix aigüe.
— Oh ! Un rendez-vous ! Pas avec celui qui travaille en bas, il…
— Ce ne sont pas vos affaires, jeune homme ! le coupa-t-elle. Une enquête et je m’occupe des réparations, cela vous va ?
— Non !
— Vous avez peint dessus, Sherlock ! Et tiré dessus !
— Il l’avait bien mérité, répondit-il calmement en haussant les épaules.
— Sherlock, reprit-elle sur un ton accusateur, alors ?
— J’aime ce mur !
— Moi pas. Nous acceptons, Mrs Hudson. Fin du débat. » marmonna-t-il en voyant Sherlock s’apprêter à répliquer.
Colin jeta un coup d’œil au fameux mur. C’est vrai qu’il n’avait pas bonne mine avec ce smiley jaune peint dessus et les impacts de balles visibles, çà et là. Mais il n’avait pas le droit de se plaindre, au moins, grâce à lui, il pourrait rester quelques jours.
Sherlock Holmes entra à son tour dans le salon et s’installa nonchalamment dans un fauteuil au cuir usé. Les jambes croisées, les mains jointes et les coudes enfoncés droit sur les repose-bras, il attendait que l’un des invités se décide à parler. Ils formaient un couple banal à première vue, bien assorti dans leurs vêtements élégants, un peu propret sur les bords.
« Monsieur Holmes, commença l’homme en plantant ses yeux dans ceux de son interlocuteur, mon nom est Andrew Lawford et voici ma fiancée Helena. Nous sommes des amis de Mrs Farmtoch, elle nous a dit que vous pourriez surement nous aider. »
La femme claqua sa langue contre son palais en signe de désapprobation et continua de malmener, du bout de ses ongles manucurés, les touches du mobile qu’elle tenait entre les mains. Elle semblait tenter de minimiser les faits, mais son visage pâle, aux traits tirés, et ses yeux effrayés laissaient transparaitre l’agitation qui régnait en elle. Elle devait avoir un peu moins d’une trentaine d’années et des cheveux prématurément striés de blanc dans sa toison brune. Sherlock Holmes la dévisagea d’un regard rapide auquel rien ne semblait échapper et commença :
« Mrs Farmtoch, oui. Je me rappelle de cette affaire, le vol d’un diadème en opale, si mes souvenirs sont exacts.
— Oui, c’est cela même. Elle nous a…
— Les faits, parlez-nous des faits.
— Malheureusement, il n’y a pas de fait à proprement parlé. Nous avons des soupçons et des craintes, certes, mais rien pour étayer nos dires. »
Il s’interrompit, pinça l’intérieur de sa lèvre entre ses dents et lança un regard inquiet à sa compagne. Presque aussitôt, un petit sourire figé passa sur son visage et elle s’exprima pour la première fois :
« Voyez-vous monsieur Holmes, j’habite actuellement avec mon beau-père Geoffrey Stockton. Peut-être avez-vous entendu parler de lui, il descend d’une vieille famille aristocratique du Surrey. Longtemps, on les compta parmi les plus riches familles d’Angleterre, mais leur fortune s’émoussa rapidement à cause des addictions de chacun, si bien qu’aujourd’hui, il ne leur reste que quelques terres sans valeur et la maison familiale.
— Enfin, peu importe, coupa Andrew. Le fait est que la mère d’Helena s’est remariée avec cet homme après le décès de son mari. Elle possédait elle-même un petit…
— Doux euphémisme !
— Oui disons, un héritage important et elle bénéficiait de quelques rentes grâce à ses parts dans la société familiale. À son décès, tout revenait à Geoffrey, du moins tant qu’Helena résidait avec lui. »
Colin s’appuya contre le mur et observa Sherlock, qui semblait perdu dans une prière muette, les deux mains collées l’une contre l’autre et appuyées contre l’arête de son nez. Il posa ensuite ses yeux sur John qui fronçait les sourcils en silence, les doigts enfoncés dans le vieux cuir de l’accoudoir.
« Ou plutôt tant que je ne suis pas mariée, après une clause de son testament indique que la majeure partie de ses biens me revient.
— Après le mariage ? Ce n’est pas un peu vieux jeu comme idée ? », intervint finalement Colin.
Sherlock Holmes leva les yeux et soupira bruyamment. Il allait parler, probablement laisser un commentaire cynique fondre dans l’air, Colin aurait pu le dire au regard que le détective lui avait lancé, quand John l’interrompit :
« Sherlock, pas maintenant. Et euh, votre mère, elle est, commença-t-il avant de se faire interrompre.
— Morte ? Oui, j’étais encore très jeune à l’époque, je ne me rappelle pas de grand-chose.
— Un meurtre ? demanda John.
— Non, enfin, reprit Helena en hésitant.
— Disons que ça n’a jamais été prouvé, continua Andrew. On n’peut que se baser sur les dires des employés de l’époque, mais…
— Quels employés ?
— Euh oui, en fait la propriété de Geoffrey où nous avons emménagé était un Bed & Breakfast. À l’époque, cela marchait plutôt bien et Geoffrey avait dû engager des employés pour faire tourner l’établissement correctement. Maintenant, il n’en reste que Georgia et son fils. Il faut dire que mon beau-père est devenu imbuvable », soupira Helena en passant la main sur son front.
John Watson fronça les sourcils en silence et à mesure qu’il s’enfonçait dans ses pensées, il laissa des rides profondes s’installer sur son front. Il semblait perdu ou intrigué, Colin n’aurait su dire avec précision. Sherlock, lui, avait repris sa position initiale, l’air étonnamment calme. C’était surement ce qui frappait le plus le jeune sorcier à cet instant, car dès l’instant où il avait posé les pieds dans cet appartement londonien, il avait senti cette fébrilité et cet état d’excitation permanent qui semblait couler dans ses veines.
Ils formaient décidément un drôle de couple.
« Vous nous parliez de la mort de votre mère, reprit rapidement le détective.
— Oui, Helena hésita un moment mais continua néanmoins, elle est morte quelque temps après que nous avons emménagé chez Geoffrey. La domestique d’alors…
— Georgia ? se risqua John.
— Oui. Georgia, elle m’a raconté les événements qui ont eu lieu ce soir-là. Je ne sais pas trop quel crédit y accorder aussi, dit-elle en se pinçant les lèvres. Mon beau-père était allé se coucher tôt, il ne dormait probablement pas, car ma mère incommodée par l’odeur du tabac avait quitté sa propre chambre pour bavarder avec Georgia dans une autre pièce.
— Ils ne dormaient pas ensemble ? demanda John vivement.
— Non, Geoffrey est un gros ronfleur, vous savez, et ma mère avait pris l’habitude de dormir dans la chambre attenante.
— Comment sont disposées les chambres ? demanda Sherlock à son tour.
— Celles que nous utilisons sont situées au rez-de-chaussée de l’aile droite. C’est une assez vieille bâtisse que nous occupons et si l’aile gauche qui regroupe toutes les activités liées au Bed & Breakfast a été rénovée, l’aile droite en état est restée. Après, il y a trois chambres côte à côte dans notre aile. La première est celle de Geoffrey, la deuxième celle de ma mère et la troisième celle que j’occupais petite. Il n’y a pas de communication entre elles, mais elles ouvrent toutes sur le même couloir, Helena marqua une pause et comme personne ne l’interrompait continua son récit. Et donc, après avoir un peu parlé avec Georgia, ma mère est retournée dans sa chambre et a fermé la porte à clé comme à l’accoutumée…
— Vraiment ! dit Sherlock en se redressant subitement. Et pourquoi s’enfermait-elle ?
— Il y avait beaucoup de passage à l’époque dans l’établissement, beaucoup de personnes qui entraient, sortaient en permanence et n’hésitaient pas à “ visiter ” le reste de la maison. C’était une simple mesure de précaution. »
Sherlock Holmes acquiesça silencieusement et l’encouragea à poursuivre son exposition des faits d’un geste de la main. La femme frappa nerveusement son portable du bout de ses ongles et reprit :
« Ce soir-là, ma mère aurait posé une drôle de question à Georgia. Elle voulait savoir si elle n’avait pas entendu siffler au milieu de la nuit.
— Siffler ?
— Oui. Les nuits précédentes, elle disait avoir été réveillée par un sifflement, qu’elle était visiblement la seule à entendre. Ni Georgia, ni Geoffrey ne l’ont entendu.
— Enfin, c’est ce qu’ils prétendent, marmonna Andrew qui s’était fait discret.
— Merci Andrew, mais on se passera de tes insinuations douteuses, fit brusquement Helena en claquant sa langue contre son palais.
— Euh attendez, commença John. Depuis tout à l’heure et si je vous suis bien, vous nous expliquez que, basiquement, votre beau-père essaye de vous tuer. Et là, vous le reprenez pour avoir supposé de même ? »
Helena se crispa presque automatiquement. Un creux se forma dans sa joue à mesure qu’elle mordait l’intérieur de sa joue.
« C’est juste que…
— Qu’il vous a élevée de son mieux, vous a comblée, envoyée dans les meilleures écoles qu’il ait pu trouver, en Allemagne probablement, malgré son peu de moyens et continue encore de vous choyer, la coupa Sherlock agacé. Sois un peu imaginatif, John. »
Colin, toujours immobile à côté du mur, s’avança presque imperceptiblement. Ses yeux se plissèrent et sa bouche s’entrouvrit légèrement. En Allemagne ? Où était-il allé pêcher ça ? Elle n’avait rien dit qui puisse laisser penser qu’elle n’avait pas toujours vécu ici ou que…
« Vous parlez parfaitement anglais, mais vous faites encore parfois des fautes grammaticales typiques aux germanophones. Un “aussi” en fin de phrase, le verbe placé systématiquement en deuxième place dans la phrase relèvent d’automatisme pris très jeune dans l’acquisition du langage, qui vous reviennent lorsque vous êtes stressée ou fatiguée.
— Une erreur ou deux de langage ne veut pas dire qu’elle…
— Le clavier du téléphone est un qwertz pas un qwerty comme le mien ou le tien, John. La touche “Y” est remplacée par la touche “Z”. Ce n’est pas une grosse différence, mais taper sur un clavier agencé différemment de ceux auxquels on est habitué peut être véritablement problématique. Et, ce type de clavier est uniquement utilisé en Allemagne. »
Colin haussa les sourcils. Il n’était pas très doué pour ces choses-là. Sa mère lui avait acheté un téléphone plusieurs années auparavant et hormis pour l’appeler, lorsqu’il sortait seul en ville pendant ses vacances, cet objet ne lui servait pas à grand-chose. Il n’avait personne d’autre à qui envoyé des messages et avec qui échanger. Il fallait être honnête, son entrée à Poudlard l’avait coupé de tous ses amis d’enfance. Ceux avec qui il avait grandi avaient fait leur chemin sans lui et un fossé trop grand les séparait désormais. Avec ses amis sorciers, il communiquait autrement. D’ailleurs, la technologie moldue ne fonctionnait pas à l’école et tout le monde aurait trouvé ça bizarre.
Colin secoua la tête, il ne comprenait décidément rien à cette histoire de portable, mais il supposait que le “si fameux” détective avait vu juste. Helena avait fini par acquiescer gentiment et l’air satisfait de Sherlock Holmes lui sauta aux yeux. Ses lèvres s’étirèrent dans un demi-sourire. Le geste n’était pas amical, ce n’était qu’un pur réflexe de contentement. Il aimait ça.
« Bien sûr, on peut aussi parler des bijoux que votre beau-père vous a offerts. Cette montre par exemple…
— Nous pourrions peut-être en revenir à l’histoire qui nous amène ici, coupa rapidement Andrew. On parlait de la mort de la mère d’Helena. »
Sherlock reprit sa mine renfrognée et s’enfonça nonchalamment dans son fauteuil sans rien dire.
« Ma mère est donc morte ce soir-là. Apparemment, elle a hurlé en plein milieu de la nuit et Georgia alertée par les cris a accouru et, à cet instant précis, elle dit avoir entendu un sifflement suivi du bruit d’une masse de métal qui tombe. Le temps qu’elle arrive, la porte de la chambre s’était ouverte et ma mère était sortie de la pièce, le visage blanc comme un linge. Elle vacilla avant de s’effondrer et de se tordre de douleur. Elle balbutia quelque chose à propos d’une bande mouchetée et désigna la chambre de Geoffrey avec sa main. Elle survécut encore quelques minutes avant de s’éteindre définitivement.
— Et votre beau-père est resté dans sa chambre tout le temps ?
— Non, Georgia l’a appelé pour qu’il vienne à son secours et il les a rejointes dans le couloir.
— Une enquête a dû être menée, quelles en ont été les conclusions ?
— Aucune.
— Pardon ?
— Je vous assure. Le rapport fait état d’une mort naturelle, je crois que c’était pour protéger la réputation de l’établissement. Vous savez, c’était un peu grâce à l’hôtel que la ville avait trouvé un second souffle. Les clients étaient nombreux, les employés aussi. Une mort inexpliquée aurait causé de nombreux problèmes à tout le monde.
— Il y a eu une autopsie ?
— Non, ce n’était pas tellement à la “mode” à l’époque.
— Quels incapables ! pesta le détective en passant une main sur son front. Et d’après vous, c’est votre beau-père le meurtrier. »
Helena ne répondit rien et s’enfonça à son tour dans son fauteuil. Elle aurait aimé prétendre et faire semblant, Colin le lisait sur son visage, mais la vérité sautait aux yeux. Même lui, il comprenait ça. Geoffrey était issu d’une vieille famille noble qui avait perdu sa fortune, l’appât du gain l’avait poussé à assassiner sa femme pour percevoir l’héritage. Il avait eu des remords par la suite et avait choyé sa belle-fille pour se faire pardonner. Fin de l’histoire.
« Et vous avez peur qu’il fasse de même avec vous aujourd’hui, c’est cela ? demanda John.
— Oui. Depuis mon dernier retour en Angleterre séjournais je chez Geoffrey, dans la chambre de ma mère, la mienne étant en rénovation. Je lui ai annoncé mes fiançailles avec Andrew et deux nuits plus tard, j’ai entendu ce sifflement alors que j’étais encore éveillée dans mon lit. Celui que ma mère a entendu juste avant de mourir ! C’est arrivé trois nuits de suite déjà, mais à chaque fois, une fois la lumière allumée, je ne voyais rien d’anormal. C’est pour ça que nous sommes venus vous voir. J’ai un profond respect pour Geoffrey et j’ai du mal à croire qu’il en veuille à ma vie mais, pardonnez-moi cette franchise, je ne veux pas mourir.
— Hum, marmonna Sherlock les mains réunies en geste de prière, j’aurais besoin d’aller sur place pour confirmer certains détails. »
Helena leur nota son adresse sur un bout de papier et il était convenu que le détective s’y rendrait dans l’après-midi. Le couple s’éclipsa rapidement et Colin resta seul avec les habitants du 221B Baker Street, immobiles dans leurs fauteuils et ayant visiblement oublié jusqu’à sa présence.
« John ? commença Sherlock en tapotant ses accoudoirs.
— Hum ?
— Que penses-tu de tout cela ? demanda-t-il.
— Sombre affaire. Un meurtre en chambre close d’après ce qu’elle nous a dit. Il pourrait toujours y avoir quelque chose au niveau des murs ou du plancher, je ne sais pas.
— Il y a, trancha Sherlock visiblement sûr de lui-même. La mère a quitté sa chambre, car elle était importunée par une odeur de tabac, venant de la chambre attenante.
— Les fenêtres étaient peut-être ouvertes ?
— Alors elle aurait fermé la sienne, elle n’aurait pas eu à sortir sur le palier. De plus, quand on rapproche ceci des sifflements nocturnes, le fait que nous avons toutes les raisons de croire que le beau-père a intérêt à empêcher le mariage de sa belle-fille, l’allusion de la mourante à une bande et un bruit de métal qui tombe, j’ai envie de croire que le mystère peut être éclairci en partant de ces données et en allant sur place. »
Le groupe s’était rendu à la gare, direction le Surrey. Et Colin était là, juste là. Mrs Hudson était partie Dieu seul savait où, et les deux hommes ne pouvait pas le laisser gambader comme un cheval fou dans la nature. Il avait saisi son sac, un peu surpris de ne pas rester là dans son coin, un sourire aux lèvres. Il aimait bien. C’était grisant, il se sentait presque important. Il avait posé un dernier regard sur le crâne de la cheminée et, c’était peut-être stupide, mais il aurait juré qu’il souriait.
« … les allées les plus malfamées de Londres ne valent pas la belle campagne anglaise en matière de crimes. »
John ne semblait pas convaincu et continuait de marcher le long du sentier qui traversait les champs pour rejoindre la vieille demeure des Stockton. Helena et Andrew les attendaient sur le pas de la porte. Le jeune homme faisait tache dans ce décor campagnard avec son costume trois-pièces, ses chaussures cirées et sa cravate. On les accueillit avec de franches poignées de main, même Colin y eut droit, le couple devait surement le prendre pour un jeune « associé ».
« Nous vous attendions avec impatiente, monsieur Holmes, commença Helena le visage moins marqué que le matin même. Mon beau-père est assoupi dans le salon, c’est peut-être le moment meilleur pour que vous puissiez examiner les chambres. »
Le bâtiment en vieilles pierres grises était composé d’un corps central et de deux ailes circulaires projetées de chaque côté. Le corps central ainsi que l’aile gauche étaient en parfait état vu de l’extérieur. L’aile droite, elle, était dans un moins bon état et des échafaudages étaient dressés et de grandes bâches à l’extrémité du mur. Sherlock fit lentement les cent pas sur la pelouse mal entretenue, puis il examina l’extérieur des fenêtres. Il gratta la pierre du bout des doigts et essaya de faire bouger les montants de l’extérieur. Il se fit confirmer quelle chambre correspondait avec quelle fenêtre par Helena avant de demander :
« La nuit de sa mort, la fenêtre de la chambre de votre mère était bien fermée ?
— Oui, c’est ce que Georgia affirme. »
Colin s’approcha à son tour et regarda attentivement le mur en réparation. Il essaya de casser un morceau de pierre avec ses doigts, mais la roche ne s’effrita pas.
« C’est bizarre, ces réparations quand même. L’aspect n’est certes pas très esthétique, mais un coup karcher et de peinture devrait suffire. Il n’y avait pas de besoin urgent pour ce mur, non ? Mon père est maçon, il connait ces choses-là, fit-il à voix haute.
— C’est vrai, confirma Helena. Je crois que c’était seulement un prétexte pour me faire changer de chambre. »
Colin laissa échapper un petit sourire fier et sentit le regard de Sherlock qui le considérait pour la première fois. À cet instant, il aurait bien aimé avoir son appareil photo.
Sherlock vérifia ensuite que les volets ne pouvaient être forcés de l’extérieur et dut se résoudre à admettre qu’il n’y avait aucune fente, aucun accès permettant leur ouverture.
Le groupe se rendit ensuite à l’intérieur et commença par examiner la chambre occupée actuellement par Helena.
La chambre était petite, très simple et au plafond bas. La décoration était sommaire et le mobilier tout autant. Le lit prenait quasiment l’intégralité de la pièce et laissait à peine assez de place pour loger un bureau, une chaise et une armoire en chêne massif.
John Watson laissa ses yeux vagabonder d’un point à l’autre et essaya de trouver une quelconque anormalité, mais rien ne semblait lui aux yeux. Colin ne comprenait pas plus. Pas de porte communicante, rien, il n’y avait rien.
« Nous vous avons bien dit qu’il n’y avait rien, fit Andrew adossé au chambranle de la porte.
— Laissez-moi examiner votre parquet avant d’être si catégorique ! »
Le détective se jeta alors à plat ventre, une loupe de poche en main, et se traîna, rampa sur toute la surface pour inspecter minutieusement les fentes entres les différentes lames du parquet. Il examina ensuite les boiseries et les jointures qui couvraient les murs.
« Vous devriez aller voir ce que fait votre beau-père Helena ! Ça fait déjà un bout de temps que nous sommes arrivés, on risquerait d’avoir des problèmes s’il nous surprenait », intima-t-il froidement.
La femme acquiesça et s’éclipsa avec Andrew. À peine étaient-ils partis qu’il reprit :
« Il y a un courant d’air ici, juste entre le bureau et le coin du mur. Il n’y avait pas d’ouverture dans le mur à l’extérieur, donc il y a une aération ou une ouverture, qu’on ne voit pas à cause du bureau trop massif fixé au sol, avec la chambre voisine.
— La chambre de Geoffrey, compléta John rapidement.
— Exactement. »
Colin se baissa pour tenter d’apercevoir quelque chose et posa sa main sur le parquet.
« Ça colle.
— Quoi ? demande Sherlock.
— Le sol, y a quelque chose de collant dessus, continua Colin en se frottant les doigts ensemble.
— J’ai inspecté le sol, je n’ai rien senti, trancha l’autre.
— Sherlock, reprit John, tes gants. »
Le détective ôta ses gants en cuir et reposa sa main sur le sol.
« Effectivement. »
Il porta ses doigts à son nez et renifla bruyamment.
« Sucre ou miel, peut-être empoisonné.
— Ça va jusqu’à la tête de lit, fit Colin qui avait suivi le tracé du bout des doigts.
— De la tête de lit à l’ouverture, une ligne droite, pas très épaisse, invisible à moins de toucher le parquet, réfléchit Sherlock à voix haute.
— Et comme Helena vit rarement ici et qu’à part dormir, elle ne doit pas y faire grand-chose, la probabilité qu’elle l’ait remarqué est quasiment nulle », dit John à son tour.
Le silence tomba lourdement dans la pièce, chacun essayant de connecter les différentes informations entre elles, quand soudain un léger cri les sortit de leur torpeur.
« Qui diable êtes-vous ?! Et que faites-vous ici, cette aile est strictement privée et interdite aux invités !
— Euh non ! Nous ne sommes pas, nous sommes avec Miss Stockton ! C’est elle qui nous a permis d’entrer, se justifia John aussitôt.
— Helena vous a laissé entrer ? Mais pourquoi ? Et qui êtes-vous ?
— Oh, elle pense juste qu’elle va mourir comme sa pauvre mère à l’époque et nous sommes là pour éviter que cela se reproduise. C’est vous qui nettoyez les chambres, Georgia ? questionna Sherlock avec précipitation.
— Vous me connaissez ?
— S’il-vous plait, râla le détective en levant les yeux au ciel, ne perdons pas de temps sur des détails inutiles. C’est une vie qui est en jeu ! »
Il écarquilla les yeux et se pencha en avant, vers elle, pour la pousser à réagir et à répondre au plus vite. Colin se pencha vers John et chuchota :
« Il n’en fait pas un peu trop là ?
— C’est ce que je croyais au début, mais ce sont ses méthodes et elles sont plutôt efficaces.
— J’en ai pas tellement l’impression, fit Colin en jetant un œil à la fameuse Georgia qui semblait complètement perdue.
— Ce n’est peut-être pas toujours évident à notre niveau, mais Sherlock ne réfléchit pas comme nous. »
Georgia Biggs était une petite femme au visage rond et aux cheveux blancs. D’autant qu’elle s’en souvienne, elle avait toujours travaillé ici. Déjà quand elle était plus jeune, elle venait aider sa mère qui y était gouvernante et elle s’était attachée à l’endroit et à ses habitants. Enfin à Geoffrey surtout, ils avaient grandi ensemble après tout. Et depuis tout ce temps, elle était restée au service de la famille Stockton.
Elle affirma s’occuper du nettoyage des chambres elles-mêmes et avec précaution. S’il y avait bien une trace collante au sol, c’était surement car Helena avait fait tomber quelque chose par terre et oublié de ramasser.
« Que pouvez-vous nous dire sur la mort de la mère d’Helena ? »
Georgia ne leur apprit guère plus de chose sur les conditions du drame et s’éclipsa aussi vite.
« Je croyais que, commença John en posant deux doigts sur sa bouche, qu’elle avait dit à Helena que Geoffrey était venu une fois qu’elle avait appelé à l’aide.
— Et elle vient de nous dire qu’après avoir raccompagné la victime à sa chambre, elle a passé le reste de sa soirée, jusqu’à la découverte du corps, avec Geoffrey. Geoffrey qui est mystérieusement sorti de sa chambre entre temps, continua Sherlock.
— Elle ment bien, fit brusquement Colin comme pour justifier sa place dans ce duo d’enquêteurs.
— Bien ? Non. Sa version des faits a visiblement changé avec le temps, elle le couvre.
— Mais pourquoi ? Quel intérêt a-t-elle à faire ça ? questionna Colin à nouveau.
— L’argent ? suggéra John.
— Mais ce n’est pas logique ! s’exclama le jeune sorcier. Helena nous a certes dit que l’hôtel avait bien marché pendant un temps, mais plus maintenant. Elle nous a parlé de la famille de Geoffrey complètement déshéritée, néanmoins vous avez dit qu’il lui a payé des études à l’étranger et des bijoux, et maintenant des pots de vin à la femme de chambre ?
— L’argent n’est pas le problème ici. Il lui a probablement promis un emploi à vie où quelque chose de semblable.
— Un travail ?
— Regardez un peu cette femme ! Elle est si vieille qu’elle peut à peine soulever un aspirateur sans être essoufflée ! C’est pas ce que j’appelle une employée efficace.
— Est-ce qu’on peut en déduire que c’est bien Geoffrey qui a tué la mère d’Helena ?
— Probablement oui. »
Leur conversation fut interrompue par le retour d’Helena qui vint les prévenir que son beau-père allait retourner dans sa chambre et qu’ils feraient mieux de sortir d’ici avant d’être vus à fouiner dans les parages. Elle les invita à prendre une tasse de thé dans le salon, tout en leur assurant qu’ils auraient l’occasion de visiter la chambre de Geoffrey plus tard dans la soirée, son beau-père ayant des habitudes presque immuables.
Il sortait se promener dans la campagne vers six heures et rejoignait la maison une heure plus tard. Geoffrey, Helena et Andrew mangeaient ensemble, puis les hommes allaient fumer un cigare. Le soir, il regardait la télé dans le salon. Depuis quatre ou cinq jours néanmoins, il semblait être fatigué et allait se coucher tôt.
Sherlock Holmes s’assit sur une vieille une chaise en bois qui trainait là et resta prostré de longues minutes, tandis qu’Helena et Andrew se taquinaient gentiment sur le canapé. Elle tirait sur sa cravate serrée en se moquant un peu :
« Où est passé monsieur le débraillé ? Il fait une chaleur du diable, tu devrais desserrer ta cravate avant d’étouffer !
— Pas aujourd’hui, on a de la visite, il faut faire bonne impression. De quoi j’aurais l’air devant monsieur Holmes sans cravate, avec une chemise mal boutonnée et les manches remontées ?
— Ça t’irait bien, je pense ».
Andrew esquissa un sourire et tira sur le nœud qui fixait le tissu autour de son cou.
« Satisfaite ?
— C’est mieux. »
Les heures passèrent lentement. Georgia s’affairait dans la maison et faisait de multiples aller-retour dans le salon, et tandis qu’Andrew s’était éclipsé pour régler quelques affaires dans sa propre chambre de l’hôtel, Helena, John et Colin s’occupèrent en jouant aux cartes. Ils enchainèrent les parties en parlant de tout et de rien, jusqu’à ce qu’Helena s’adresse directement au détective qui était encore planté sur sa chaise. Elle continua de fixer ses cartes et demanda d’une voix forte :
« Alors monsieur Holmes, avez-vous découvert comment ma mère est morte ?
— Disons qu’il me reste quelques détails à confirmer, répondit-il après une hésitation.
— Et pensez-vous que Geoffrey soit impliqué ? demanda-t-elle sur le même ton.
— Oui. »
Helena ne cilla pas et ne montra aucune émotion particulière. Néanmoins, elle éprouva le besoin de prendre l’air et sortit de la pièce après avoir terminé la partie en cours. Colin la comprenait. Après tout, ça ne devait pas être facile d’apprendre que l’homme en qui on avait toute confiance était, probablement, le meurtrier de sa mère et qu’il essayait aussi de vous tuer.
L’attente se faisait longue dans le salon. Aucun des habitants ne semblait décidé à se montrer alors que le jour se couchait dehors. Même Colin, qui avait tant apprécié d’être plongé dans l’enquête du détective, ne sentait plus l’adrénaline et le frisson lui courir dans les veines. En quelques heures, il avait saisi toute la monotonie et l’ennui qui émanaient de cette vie campagnarde.
« Qu’est-ce qu’on fait maintenant, Sherlock ? On ne va pas rester ici toute la nuit !
— Pourquoi voudrait-il la tuer ? répondit-il. Il est évident qu’il est responsable du meurtre du beau-père, mais pourquoi tuer la fille ?
— Elle va se marier, il n’aura plus… tenta John.
— Oui, l’héritage, je sais, trancha-t-il sèchement. Il a choyé cette gamine ! S’il voulait l’empêcher de se marier, il n’avait qu’à l’enfermer ici, lui interdire de voir du monde, ça aurait été tout aussi efficace !
— Je… »
Soudain, John fut interrompu par un grand cri qui résonna dans le couloir.
« Helena ! »
John, Sherlock et Colin se précipitèrent à l’extérieur du salon. Devant la chambre de Geoffrey, Georgia se tenait immobile, les yeux écarquillés et l’expression figée par l’horreur. À l’intérieur, Geoffrey Stockton était étendu sur le sol, un couteau enfoncé dans le cœur. Andrew et Helena étaient accroupis à ses côtés, leurs mains pleines de sang tentant de compresser une plaie béante.
Mais il était déjà trop tard, le vieil homme était déjà mort.
Colin déglutit lentement et laissa passer plusieurs minutes avant d’oser faire un pas dans la pièce. Il était presque certain d’avoir lâché un cri en apercevant le cadavre gisant sur le sol. Il n’en avait jamais vu. Il avait bien fini pétrifié une fois, mais ce n’était pas pareil. Il ne s’en souvenait pas et il n’y avait pas l’image du sang associée autour.
C’était la guerre dehors, c’est Dennis qui l’avait dit. Colin en avait bien conscience, pourtant il n’avait encore jamais vu de corps tomber. Il n’avait pas encore subi de perte réelle ou directe. Même lorsque le professeur Dumbledore était mort, il avait encaissé et accepté que son enfance venait probablement de se terminer, mais cela lui semblait encore bien trop abstrait.
C’était la guerre et il n’y était pas. Il avait beau tenter de se convaincre, quand il voyait le visage vide du vieil homme, il savait, il sentait que quelque part, c’était les siens qui tombaient.
« Il faudrait appeler la police.
— Je me fiche de ces incapables ! s’énerva Sherlock. L’un d’entre vous a eu le culot de commettre un meurtre sous mes yeux !
— Nous ne…, protesta Andrew avant d’être interrompu.
— Taisez-vous ! Ne dites rien et sortez de cette pièce tous les trois. Vous restez ici, sur le pas de la porte, je veux vous voir en permanence.
— John ? »
Le docteur John Watson s’avança et s’accroupit au niveau du corps. Il confirma rapidement la mort de l’individu par arme blanche et évalua le décès comme remontant à quelques heures déjà. Malgré le sang qui coulait encore le long de la plaie, le liquide avait néanmoins commencé à coller au parquet.
« Je doute que l’on trouve des empreintes sur le couteau, fit-il en observant le manche attentivement.
— Au contraire, c’est un couteau de cuisine, accessible à tous, reprit Sherlock automatiquement. On pourrait y trouver les empreintes de Georgia la femme à tout faire, probablement cuisinière, que ce ne serait pas une preuve irréfutable. On pourrait y trouver celles d'Helena qui a voulu se faire un sandwich un jour qu’elle avait un petit creux et même celles d’Andrew, il vivait ici après tout.
— Hum, par contre il y a quelque chose d’étrange au niveau de ses doigts, indiqua John en retournant la main de la victime. Il a du sang les deux derniers doigts, mais on dirait que le pouce, l’index et le majeur ont été essuyés. On voit bien qu’il y avait du sang aussi dessus et qu’il y a eu frottement contre quelque chose après.
— Il a probablement dû toucher sa blessure et saisir quelque chose après. Mais il n’y a rien à portée de main, ni avec de telles traces dessus », conclut Colin.
Mais Sherlock n’écoutait plus. Les bras suspendus dans le vide, il était captivé par le tableau accroché au mur. La peinture dans le cadre n’était certainement qu’une vulgaire reproduction et ce n’était pas ce qui semblait l’intéresser.
« Sherlock ?
— Tout dans cette pièce est rangé avec précision, alignée. Tout sauf ce tableau, vous voyez il est décalé sur la gauche. Ce qui veut dire, fit-il en décrochant le tableau, que quelqu’un y a touché sans le remettre correctement.
— Dans la précipitation du meurtre ? interrogea Colin.
— Peut-être, peut-être pas. En tout cas, cet homme avait des choses à cacher, continua-t-il en démontant le fond du tableau et en extirpant des papiers cachés derrière la toile.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda John.
— L’explication de comment Geoffrey a fait sa fortune, blanchiment d’argent, précisa-t-il, et quelques créances.
— Rien qui concerne l’un de ces trois-là ?
— Non. »
La chambre de Geoffrey était plus spacieuse que celle d’Helena, mais aussi simplement meublée. Un lit, une armoire, une table ronde avec un grand coffre en fer et une chaise constituaient l’ensemble du mobilier. Sherlock Holmes remit le tableau en place et fit le tour de la pièce pour attendre le coffre. Une petite soucoupe de lait se trouvait sur le dessus du coffre, il la décala et frappa le dessus, avant d’essayer de l’ouvrir sans succès.
« Vous savez où est la clé ? demanda-t-il aux personnes qui attendaient sur le pas de la porte.
— Euh, Geoffrey avait l’habitude de la conserver autour du cou, répondit Helena. Mais il n’y a que des papiers d’affaires dedans, je les ai vus une fois.
— Il n’y aurait pas un animal dedans ?
— Non, quelle idée ! s’exclama Helena. Nous n’avons jamais eu d’animaux à la maison. Enfin si, une fois. Mon beau-père avait ramené un babouin d’Inde. Je n’ai jamais su comment il avait pu rentrer et passer la douane avec. Surtout qu’Andrew y est allé, il y a un an ou deux, et les touristes seraient vraiment très contrôlés, n’est-ce pas ? »
L’homme confirma.
Malgré un examen minutieux de Geoffrey, la clé restait introuvable et personne ne pouvait affirmer avec précision le contenu du coffre. Sherlock marmonna et examina alors le parquet de la chambre. Il découvrit facilement l’endroit par lequel les deux chambres communiquaient. C’était un trou dans la plinthe en bois, un trou à peine plus gros qu’un trou de souris, facilement dissimulable grâce à la chaise. Dissimulé sous le lit, il découvrit un fouet, roulé et noué de manière à former une boucle. Le visage du détective se ferma et il s’assit sur le lit sans rien ajouter.
Colin s’approcha du coffre à son tour. Il colla son oreille contre le métal et jeta ensuite un regard par le trou de la serrure. Il faisait noir, mais il crut apercevoir un éclat jaune qui bougeait à l’intérieur. Il se recula brusquement. Un animal ? C’est pour ça qu’il avait demandé.
« Alors monsieur Holmes, que fait-on maintenant ? demanda Andrew. Il faut appeler une ambulance et la police avant que le coupable ne s’enfuie !
— Qu’il ne s’enfuie ? le coupa Helena. Il est parti depuis longtemps, ton meurtrier !
— Monsieur Holmes a dit…
— Que c’était l’un de nous, oui ! s’énerva-t-elle. Sauf que nous ne sommes pas des meurtriers, ni Georgia, ni toi, ni moi. Et je trouve ça triste que tu doutes de l’une de nous.
— Je n’ai accusé personne !
— Reste que tu l’as fortement insinué !
— C’est bon Helena ! Ce n’est vraiment pas le moment approprié pour une de tes crises de nerfs !
— Excuse-moi de réagir, mais tu nous traites de criminelles là !
— Et alors ? Ça aurait pu arriver, non ? Tu viens d’apprendre que Geoffrey a tué ta mère et te réserve le même, non ne nie pas, c’est ce que tu m’as dit tout à l’heure. Tu étais bouleversée, tu as très bien pu aller le voir et te venger sous le coup de la peur ou de la colère !
— Mais écoute-toi ! cria-t-elle en l’empoignant par le haut de sa chemise. Tu n’es pas tout blanc dans l’histoire non plus ! Tu devais de l’argent à mon père, non ? Où est passée la créance que tu as signée hein ?
— Je l’ai remboursé depuis longtemps, merci bien.
— Tu es bien sûr de ça ? »
Les deux amants continuèrent de se disputer jusqu’à ce que la police vienne retirer le corps. Les enquêteurs interrogèrent les différents témoins, mais ceci n’apporta guère d’informations supplémentaires. Les trois suspects n’avaient aucun alibi et personne pour confirmer leur présence au moment du meurtre. Et les policiers ne négligeaient pas, non plus, la possibilité que le coupable vienne de l’extérieur.
« Ils veulent emmener Helena au poste, j’ai entendu l’inspecteur parlé, murmura John alors qu’ils étaient tous rassemblés dans le salon.
— Quoi ? lâcha Sherlock. C’est bien la dernière chose à faire.
— Oui, mais tout l’accuse. Elle a découvert le corps, ses bras sont couverts de sang et elle avait un mobile ! C’était un coup de folie, avec la peur ça arrive à tout le monde, Sherlock.
— Ouais, mais c’est pas style, interrompit Colin. Elle est comme ma mère, bien trop réfléchie, trop…
— Mais tu vas arrêter de te mêler de tout, un peu ! s’exclama Sherlock. Même si je suis d’accord avec l’idée. Elle attendu quatre jours avant de venir nous voir, même si elle savait ce que le sifflement signifiait. Elle a attendu. Surement le temps d’être certaine, qu’elle n’hallucinait pas. Et je ne lui ai donné que des réponses évasives tout à l’heure, aucune certitude. S’il elle projetait de tuer son beau-père, elle aurait attendu qu’on lui prouve sa culpabilité par A + B.
— Alors, c’est lui. C’est Andrew. Georgia n’aurait pas pu bouger le tableau seule.
— On ne peut pas affirmer que ce tableau ait été bougé à cet instant précis, peut-être que Geoffrey l’avait simplement mal remis. Les deux ont un mobile néanmoins, visiblement Andrew a des dettes et Georgia… Disons qu’on peut imaginer qu’elle ne voulait pas voir cette histoire se reproduire. Elle avait l’air très attaché à la mère d’Helena. Ou peut-être que notre présence lui a fait peur et qu’elle est venue réclamer une nouvelle compensation, en échange de son silence, et qu’il a refusé. Tout est possible. »
Sherlock laissa tomber un silence après sa longue tirade et reprit :
« J’appelle Lestrade. J’ai besoin qu’ils restent ici ce soir.
— Qui est Lestrade ? »
John expliqua à Colin que Lestrade était un inspecteur de Scotland Yard qui travaillait fréquemment avec Sherlock. Il n’était pas nécessairement très influent, mais apparemment Sherlock pensait pouvoir obtenir ce qu’il voulait.
Et à son air satisfait, Colin sut qu’il l’obtint.
Les forces de l’ordre étaient parties avec précipitation, non sans les convoquer le lendemain pour un interrogatoire plus officiel, et l’ambiance était tendue depuis.
« Ne dormez pas, votre vie en dépend. Et ne faites pas un bruit.
— On peut respirer ?
— Oui, mais le moins possible. »
D’un signe de tête, John et Colin acquiescèrent. Sherlock éteignit la lampe de chevet et un dernier grincement du lit indiqua qu’il s’y était assis. La chambre d’Helena semblait plus petite encore dans la pénombre, surtout que hormis Sherlock personne ne semblait vraiment à quoi s’attendre. Il leur fallait rester assis sans lumière sans quoi ils risquaient d’être découverts. Chacun avait improvisé des armes pour contrer un ennemi inconnu. Un bâton de bois, un tisonnier, une baguette.
Colin pressa un plus ses doigts contre elle. Il ne comptait pas s’en servir, il ne devait pas s’en servir, mais un homme était mort cet après-midi et ils étaient peut-être les prochains sur la liste. Et puis, ce ne serait pas un crime, il était majeur depuis octobre dernier. Au pire, il écoperait d’un avertissement du Ministère. Le Ministère était bien trop occupé à traquer Harry Potter, pour se soucier d’un acte de magie réalisé devant des moldus. Ils auraient dû emprisonner tout le gouvernement pour respecter cette loi.
La veillée fut longue et angoissante pour le jeune homme. Il ne pouvait entendre aucun bruit, à peine le souffle d’une respiration, pourtant il savait que John et Sherlock se tenaient à deux pas de lui, dans un état de tension nerveuse similaire. Parfois, ils entendaient le cri d’un oiseau à l’extérieur et la cloche du village en contrebas qui sonnait.
Soudain, ils aperçurent un peu de lumière dissimulée dans l’ombre du bureau. Quelqu’un venait de pénétrer dans la pièce voisine, malgré les scellés qui y étaient posés. Au bout de quelques minutes, le bruit d’un mouvement très doux se fit entendre. Aussi tôt, Sherlock ralluma la lumière, sauta sur ses pieds et abattit son tisonnier contre la plinthe du mur.
« Vous le voyez ? hurla-t-il. Vous le voyez ? »
Leurs yeux mirent du temps à se réhabituer à la lumière et ils ne comprirent pas tout de suite de quoi Sherlock parlait. Un sifflement bas et clair se fit entendre et, par pur réflexe, Colin brandit sa baguette en l’air.
« Petrificus… ! »
Il n’eut pas le temps de finir son sortilège que John abattit son morceau de bois sur le serpent qui était sorti de nulle part, enfin du trou communiquant plus exactement. Immobile, on aurait dit une bande jaune aux taches brunâtres.
« La bande, murmura Colin, c’est la bande mouchetée !
— N’approchez pas ! C’est un serpent des marais ! cria Holmes. L’un des plus dangereux d’Inde. »
Il s’assura que l’animal était bien mort avant de bouger et entraîna John et Colin dans la pièce attenante. Helena attendait devant la porte, les bras croisés et l’air pincé :
« J’ai fait comme vous avez dit. J’ai bloqué les volets de l’extérieur pour que personne ne puisse sortir et j’ai fermé la porte à clé, enfin peu importe… tenez, murmura-t-elle en donnait la clé de la porte.
— Je suis désolé.
— Moi aussi. »
Sherlock inséra l’objet dans la fente et fit plusieurs tours pour déverrouiller la porte. Ce fut un spectacle singulier qui s’offrit à leurs yeux, le coffre en fer sur la table était entrouvert et Andrew se tenait assis sur la chaise à les attendre, les jambes croisées et un cigare coincé entre les dents.
« C’est fini, Andrew. Vous avez perdu. Vous sentiez malin en vous adressant à nous, vous étiez si sûr de vous. Fatale petite gloriole. »
Colin fronça les sourcils et plissa les yeux, tout se mélangeait dans sa tête. Evidemment, ils avaient abordé la question du potentiel assassin auparavant. Evidemment, ils l’avaient soupçonné. Mais, c’est lui qui semblait l’avoir convaincu d’aller demander de l’aide à Sherlock Holmes, c’était tellement stupide de sa part.
« Vous savez ce qui vous a trahi, Andrew ? demanda le détective. Non, vraiment ? Depuis, ce matin vous vous efforcez de nous montrer à quel point Geoffrey est, non, fut un homme horrible. Comment il est quasiment prouvé qu’il a tué sa femme et veut faire de même pour sa belle-fille, tout ça. Vous ne sembliez pas l’aimer beaucoup, pourtant vous avez vraiment fait votre maximum pour le sauver cet après-midi. Pourtant, pour ce qui est de le sauver, vous n’avez pas ménagé vos moyens. Vous aviez du sang sur presque tous les avant-bras gauche et droit de votre chemise. Etrange. À croire que vous aviez posé vos bras exprès sur le corps pour camoufler d’autres taches, que fous auriez fait en tuant Geoffrey, par exemple.
— C’est vrai que Geoffrey n’avait jamais provoqué autant de passion chez lui, remarqua Colin.
— C’était finement joué de reprendre l’astuce qu’il avait mise en place pour éliminer sa femme. Je suppose que vous n’avez pas eu de mal à l’obtenir, après un ou deux verres de scotch et quelques cigares. Il regrettait profondément son acte, comme le prouve la gentillesse dont il fait égard avec sa belle-fille après ça, et devait avoir besoin de soulager sa conscience. Alors, vous avez suivi les mêmes étapes. Vous avez subtilisé la clé du coffre et enfermé un serpent dressé à l’intérieur. C’était là le bruit métallique entendu la nuit où est morte la mère d’Helena. Comme Geoffrey a son époque, vous vous êtes rendu en Inde, surement pour en apprendre plus sur cette espèce et sur comment vous en servir et le manipuler.
— Mais Sherlock, Geoffrey dormait dans la pièce chaque nuit. Il se serait rendu compte si quelqu’un était rentré et… coupa John.
— Non pas nécessairement. Geoffrey a visiblement regagné sa chambre plutôt qu’à son habitude, les soirs où Helena a entendu le sifflement. On pourrait croire qu’il préparait son plan, mais je dirais plutôt qu’il était sous l’effet des somnifères qu’Andrew avait mis dans son verre pendant qu’ils fumaient ensemble. Geoffrey n’était alors plus un problème. Le fouet lui servait alors à sortir, et remettre, le serpent dans sa boite. Il le dirigeait vers l’ouverture dans le mur et avec l’espèce de ligne sucrée, qu’il avait tracée de l’autre côté, il était certain que l’animal ramperait jusqu’au lit et, qu’un jour, il finirait par mordre la personne endormie.
— Et le sifflement ? demanda Colin.
— Pour rappeler le serpent quand il voyait de la lumière par l’ouverture ou qu’il entendait un bruit. J’imagine qu’il utilisait aussi la soucoupe de lait à cet effet.
— Mais pourquoi voulait-il la tuer ? interrogea John.
— Il ne voulait pas, enfin pas vraiment. L’objectif était ailleurs.
— Mais, pourquoi se serait-il donné autant de mal pour ça, alors ?
— Disons que cela lui importait peu qu’Helena meure ou non. Sa véritable victime était Geoffrey. Si Helena mourait, il y aurait eu une enquête approfondie. Le serpent aurait été découvert et Geoffrey emprisonné lui laissant le champ libre. Si Helena ne mourait pas, ma foi, nous avons bien le plan qu’il comptait suivre. Il assassinait le patriarche et accusait ouvertement sa compagne prise d’un coup de folie. La police aurait découvert le serpent et conclut qu’Helena était coupable.
— J’y comprends rien, marmonna Colin.
— Andrew avait des dettes.
— Je croyais qu’il n’y avait rien à leur nom dans le tableau ? s’étonna Colin.
— C’est vrai, je pense que c’est Helena qui a dû la subtiliser à son père y a quelque temps déjà. Il y avait des morceaux de vernis sur le fond de la toile, rouge écarlate. Je doute que Georgia en porte. »
Helena acquiesça et confirma avoir volé le titre dans le bureau de son père. Elle l’avait déjà vu cacher des choses à cet endroit et lorsque son fiancé lui avait avoué être dans une situation difficile, elle était allée la récupérer. Elle n’en avait parlé à personne, car cela risquait de créer quelques tensions, mais comptait bien l’offrir à Andrew comme cadeau de mariage.
« Je pensais que ça lui plairait, surtout quand on sait comment ses parents sont morts, finit-elle lentement.
— Ha, ha ! Ça devient intéressant ! Alors Andrew, comment vos parents sont-ils morts ? » demanda Sherlock brusquement.
Andrew ne répondit rien.
« J’ai appelé Scotland Yard tout à l’heure. Très honnêtement, je n’étais pas sûr de mes conclusions, mais après une vérification de votre entourage, on m’a dit que vos parents s’étaient suicidés après une sombre, sombre histoire de blanchiment d’argent. Drôle de coïncidences, non ? »
Colin croisa ses bras contre sa poitrine, un peu déçu. Il aurait aimé découvrir le coupable par lui-même. Mais comment pouvait-il trouver, s’il n’était pas au courant des tenants et des aboutissants de l’histoire, s’il n’avait pas toutes les données. L’idée même de passer son temps à simplement suivre Sherlock Holmes, à le voir faire des déductions en servant simplement de faire-valoir et de stimulant intellectuel, le dérangeait particulièrement. Ça ne devait pas être si loin de la réalité. Sherlock laissait des gens l’observer, l’approcher, l’admirer même parce qu’il avait besoin de ça, de cette reconnaissance et de cette attention. Cependant, c’était son enquête et celle de personne d’autre.
« C’est pour ça que vous vouliez que Geoffrey paye, pour vos parents. Vous auriez pu en rester là, mais quand Helena a évoqué la créance à votre nom tout à l’heure, vous avez compris qu’elle cachait quelque chose et votre esprit s’est emballé. Peut-être qu’elle allait vous dénoncer, vous faire chanter ? Qui sait. Et puis vous avez réalisé quelque chose. Helena avait vu quelque chose qui pouvait vous incriminer…
— Non, je n’ai rien vu de…, protesta-t-elle.
— Si ! Quand Geoffrey est mort, il vous a agrippé par l’encolure et comme vous aviez desserré votre cravate pendant l’après-midi, il a posé ses doigts sur votre belle chemise blanche. C'est pourquoi le sang avait disparu sur certains doigts, parce qu’il était sur votre chemise. Vous avez remis votre cravate correctement et cela pouvait faisait illusion. Sauf qu’Helena vous a empoigné par le col de votre chemise, votre cravate a peut-être bougé et, sous le cou de la colère, n’a peut-être pas porté attention aux…
— Aux traces de sang », finit-elle.
Andrew n’avait rien dit et n’avait pas protesté quand la police l’avait embarqué le lendemain. John et Sherlock étaient rentrés à Londres et Colin avait repris sa route. Il n’avait pas la carrure d’un enquêteur, pas plus qu’il n’avait l’envie de voir les morts s’inviter dans sa vie. Car c’était bien ça, non ? Le quotidien de Sherlock Holmes.
Colin s’y était trouvé plongé par hasard, le temps d’une affaire et de sa résolution. Le reste de ses journées devait être long. Sherlock Holmes. Colin avait longtemps tourné son nom dans sa bouche. Ça sonnait bien, ça lui flattait l’oreille et attirait l’attention quand on le disait. Il s’en souviendrait, mais Colin n’était pas certain que l’on se souvienne de lui.
Sa journée, il l’avait passé en parasite. Peut-être que c’était comme ça, qu’il n’y avait juste pas sa place, que ce n’était pas son monde. Ou peut-être était-ce simplement Sherlock Holmes qui refusait que l’on rentre dans sa bulle. John Watson était un privilégié. Après c’était bien la seule personne dont le détective s’était inquiété, avant d’entrer dans la « chambre au serpent », avant qu’un d’eux ne risque de se faire mordre. Il avait dit qu’il y avait un grave danger et qu’il regrettait presque de l’avoir emmené. Sherlock n’avait pas eu un mot pour lui, le gamin de 17 ans, qui s’était retrouvé embarqué dans une histoire plus grosse que lui. Il n’était pas important.
Ils ne menaient pas la même guerre et si la leur était de se battre contre les criminels, la sienne était ailleurs.