Cependant, elle ne peut pas s’empêcher d’avoir mal, au plus profond d’elle-même. Sa grand-mère avait donc raison, les chagrins d’amour laissent à plat.
The loser standing small
Beside the victory
That’s her destiny
Le gagnant emporte tout. L’amour, la haine, il vous laisse vide, sans aucune force pour vous relever. Pourtant, elle en a connu des drames, sa vie en est même jonchée. La douleur et elle sont de vieilles amies après tout.
D’Hynek, elle n’avait pu s’empêcher d’espérer plus. Ce n’était pas calculé et c’était la première fois qu’elle aimait vraiment. Bien sûr, il avait vingt ans de plus qu’elle, bien sûr, il était marié, bien sûr, il avait deux enfants, bien sûr… Mais au fond, qu’est-ce que ça changeait ? Quand l’amour est là, ce n’est jamais à moitié.
C’était le travail qui l’avait ramenée à Prague. Son grand-père avait demandé à Hynek de veiller sur elle pendant son séjour. Et même si elle avait râlé pour la forme, elle avait accepté. Elle comprenait, elle aussi n’avait plus que lui. Il ne voulait que son bien. Comment aurait-il pu deviner qu’ils tomberaient dans les bras l’un de l’autre ?
Hynek l’attendait dans l’aire de transplanage international. Leurs regards s’étaient croisés. Et quelque chose avait changé. La dernière fois qu’ils s’étaient vus, elle n’était pas encore entrée à Poudlard. Lors de l’enterrement de sa grand-mère, son visage était caché par un grand voile et obnubilée par sa douleur, elle n’avait même pas remarqué sa présence. Ce jour-là, elle l’avait regardé, et elle avait vu un homme.
Et toute à sa gêne, elle avait vite compris qu’il n’avait pas vu une petite fille. Il devait se passer quelque chose. C’était couru d’avance, presque un coup du destin. Ils ne pouvaient pas l’empêcher. Et cette fin était inévitable.
The loser has to fall
It’s simple and it’s plain
Why should I complain?
C’était une folie, le genre de folie qu’on commet à son âge, à vingt ans, quand on est encore romantique. Aneta avait compris, peut-être même avant son mari. C’est sans doute pour cela qu’elles ne se sont jamais aimées.
Elle n’avait jamais vraiment su ce qui l’avait attiré chez elle. Il aurait dû la détester. A moins que ce ne soit cela qui l’ait justement attiré. Une vengeance sur ceux qui avaient tué ses parents, à travers elle. Ce serait si simple si c’était vrai.
Leur relation avaient ravivé leurs cauchemars, chacun le leur, chacun avec ses propres démons. Pourtant, quand c’était lui qui avait le sommeil perturbé, elle ressentait une pointe de culpabilité. Elle n’y était pourtant pour rien, mais quelque chose lui disait que c’était de sa faute. C’était son sang qui avait causé cette douleur.
Peut-être est-ce ce qu’il est en train de dire à sa femme.
Aneta ne lui en voudra pas. Ne lui fera peut-être même pas de remarques sur ces quelques semaines. Personne ne viendra jamais lui dire quoi que ce soit. C’est Melina la fautive, elle seule. Qu’elle souffre donc, en silence. De toute façon, qu’est-ce qu’elle pourrait dire ?
C’est si simple que c’en est à pleurer. Combien de femmes ont-elles vécu ce qu’elle est en train de vivre ? Des centaines ? Des milliers ? Combien de larmes ont-elles été versées par celles qu’on abandonne comme ça, aussi simplement ? Combien de rues ont-elles été parcourues ? Combien de chaussures a-t-on usé ?
Combien de cœurs a-t-on brisé ?
A lover or a friend
A big thing or a small
The winner takes it all
Ils n’en ont pas fini. Hynek et Melina le savent. Bientôt, elle sera contrainte de revenir à Prague, de continuer le combat. L’Ordre du Phénix n’a pas besoin de leurs histoires de cœur et de leurs questions existentielles. La lutte continuera, ils en ont tous les deux fait le serment. Leurs baguettes se lèveront côte à côte. Il y aura d’autres drames, d’autres larmes, d’autres chagrins. Qui se soucierait de celui-là ? Pourquoi se plaindrait-elle ? Personne n’est mort, non ?
En Angleterre, on lui demandera ce qui se sera passé à Prague. Que pourra-t-elle répondre ? Qu’elle est devenue la maîtresse de leur seul contact sur place et qu’il l’a quitté en lui demandant de rester amis ? Que ça lui fait mal à en crever ? Qu’est-ce qu’ils comprendraient à tout ça ?
Emmeline Vance la jugerait, lui dirait qu’elle a bien merdé. Elle aurait raison. Maugrey qu’elle devrait se secouer, se remuer. Il aurait raison aussi. Et tous les autres… Et Marlene ? En partageant le même appartement, elle ne pourra pas le lui cacher. Oui, elle a honte. Honte d’elle-même au point qu’elle a l’impression qu’elle ne se regardera jamais plus dans une glace.
Melina se baisse pour ramasser un caillou qu’elle jette dans l’eau. Elle ne s’était même pas aperçue qu’elle était arrivée près de la Vlatva. Les passants la regardent, intrigués. C’est vrai qu’une jeune femme en longue cape et les joues mouillées de larmes passe rarement inaperçue. Aujourd’hui, elle s’en fout. Qu’est-ce que ça peut bien lui faire maintenant qu’un Moldu la regarde comme une bête curieuse ? Il sera de toute façon moins sévère que les sorciers qui l’avaient jugée avant même qu’elle ne sache écrire correctement son nom.
Même cela, on le lui avait volé. Melinda Prescott… Ce n’est pas son nom. C’est celui qu’on lui a donné pour que personne ne s’attaque à elle lors de son enfance. Et maintenant, elle voudrait crier au monde qu’elle s’appelle Novakova. Melina Novakova. La fille de deux lieutenants de Grindelwald. Peut-être se trouverait-il quelqu’un pour lui assener le coup de grâce.
Elle avance le long de la rive, se baisse pour ramasser un nouveau caillou qui subit le même sort que le précédent. Patience, le coup de grâce ne tardera pas. Un jour ou l’autre, que ce soit un Mangemort ou un brave homme, on se dressera contre elle et elle ne pourra rien faire. C’est comme ça, c’est sa destinée. Pas de pitié pour les salopes, elle est déjà jugée et condamnée. Ne reste plus qu’à appliquer la sentence.
If it makes me feel sad
And I understand
You've come to shake my hand
Elle les voit parfaitement. Hynek et Aneta, tranquilles, à la table de la salle à manger. Le repas du pardon. Aneta fera comme si rien ne s’était passé. Peut-être même qu’elle l’accueillera bien quand Melina viendra leur rendre visite. Après tout, c’est une vieille amie de la famille. Chacun a son rôle, comme une mécanique bien huilée de politesse et de bonnes manières, comme il est convenable que les choses se passent. Ils le savent tous. Ce n’est pas pour ça qu’ils ne souffrent pas.
Melina est une écorchée vive. Peut-être est-ce ça qui incite à lui faire du mal.
Ses larmes continuent de couler, son maquillage est gâché. Elle s’en fout.
Elle ne veut pas rentrer. C’est au-dessus de ses forces. Elle ne veut pas retourner à l’hôtel. Elle ne veut rien faire. Elle voudrait revenir en arrière, effacer ce qui a été dit un peu plus tôt, recommencer cette comédie. Parce qu’au moins, ça ne faisait pas aussi mal.
Ce soir, dans la chambre, elle sera seule. Le lit lui paraîtra vide et froid. Les rires ne résonneront plus entre les murs. Ses bras ne la serreront pas contre lui. Ses lèvres ne se poseront plus sur les siennes. C’est fini. Seule entre les draps, peut-être qu’elle pleurera encore.
Le lendemain, elle se lèvera comme d’habitude. Dissimulera ses yeux rouges, se maquillera, s’habillera, prendra son petit-déjeuner en face de lui, le laissera la conduire au Ministère, le laissera l’aider à accomplir sa mission, puis ils passeront par chez lui pour prendre un café ou le repas du soir. Il embrassera sa femme devant elle. Elle sourira en faisant taire les hurlements qu’elle voudrait pousser, ravalera les larmes qu’elle devrait laisser couler. Melina fera ce qu’on attend d’elle.
Mais pour l’instant, elle pleure, seule. Après tout, qui se soucie des maîtresses abandonnées ?
The winner takes it all…