Elle a entendu un boucan inhabituel dans le château, et très vite, elle a compris qu’ils étaient attaqués. Avec les autres professeurs, elle s’est ruée au devant des envahisseurs, elle a vu ces jeunes, ces enfants, se précipiter au combat sans même y songer, elle a vu les murs de Poudlard trembler. Ils ont repoussé les ennemis, ils ont tout donné pour défendre leurs peurs. Et puis, la nouvelle s’est murmurée. Stupeur. Albus est mort. Elle ne cesse de se répéter cette phrase, incapable de raisonner plus avant. Albus est mort. Il a été tué. Elle ne sait pas comment cela a pu arriver, ni qui est coupable du forfait. Elle revoit juste son corps jeté au bas de la tour, sans vie. Brisé. Un trou dans la poitrine, un tremblement. Bourrasque et vertige. Elle se cramponne au bureau, un cri dans la gorge. Albus est mort.
Elle a donné des ordres et envoyé tout le monde à l’infirmerie. Plus tard, l’Ordre, la guerre. Maintenant, elle a juste besoin d’air. Elle se sent suffoquer, incapable d’imaginer de ne plus voir Albus à ses côtés. Ils pleureront le génie, ils pleureront le guide. Elle pleure déjà l’ami. A l’abri des regards, elle s’autorise à flancher. Juste cette fois. Elle accuse le coup, sent ses entrailles se tordre. Albus est mort. Comment est-ce seulement possible ? Bien sûr, elle a toujours su qu’il disparaitrait un jour. Mais pas maintenant, et pas comme cela. Elle l’a toujours cru plus fort que les morts banales. Mais il est bel et bien tombé, mort, presque enterré.
Elle était son bras droit, celle qui agissait dans l’ombre. Et ses sentiments aussi, dans l’ombre. Tout le monde pouvait se douter de l’affection qui les liait, mais personne ne la savait vraiment. Minerva n’est pas de ceux qui minaudent et se complaisent. Des décennies qu’ils travaillaient ensemble, des décennies qu’ils vivaient sous le même toit. Elle n’est pas toujours d’accord avec lui, le trouve souvent trop indulgent. Mais cela n’a pas d’importance, car Albus est sa famille. Etait sa famille. Maintenant, elle est seule. Seule dans l’ombre. Et elle tente de se ressaisir, de ne pas montrer aux autres à quel point la disparition de Dumbledore l’affecte. Elle ne veut pas qu’ils sachent tous qu’elle sent une partie d’elle-même se taire, s’éteindre et disparaître. Sans un bruit. Sans témoin.
Elle s’enfonce dans la douleur, elle tremble encore. Elle se rend compte que ses mains commencent à être fragiles, ridées, inutiles. Elle vieillit, et elle ne sait pas si elle sera à la hauteur de ce qui l’attend désormais. Elle n’aura pas le temps de faire son deuil. Les responsabilités l’écrasent déjà : Poudlard, l’Ordre, la guerre. La mort. Et le temps, qui toujours s’enfuit. Alors, elle s’accorde cet instant qui n’est pas celui du répit. Elle s’accorde le droit de fléchir. Quelques minutes pour toute une vie. Loin des yeux qui ne comprendraient pas, loin de ceux qui voudraient compatir. La nuit est noire, et le jour en partir. Albus est mort.
Elle repense à tant de choses. A leurs jours de jeunesse, à leurs victoires, et surtout à leurs défaites. Ce ne sont pas des souvenirs précis, seulement des impressions qui demeurent avec le temps. Elle essaie de le retenir un peu plus longtemps auprès d’elle. Pourquoi se trouvait-il là-haut ? Qu’avait-il en tête ? Qui avait osé ? Si seulement il n’avait pas été aussi têtu, si seulement il avait pris l’habitude de partager ses plans. Mais ils restaient toujours flous, dans l’ombre. Et son corps aussi, dans l’ombre, sous terre. Cette idée était atroce, anormale, immorale. Dumbledore était fait pour vivre. Il avait cette force, cette sagesse dont le monde avait besoin, y compris lorsqu’il se moque d’elle. Et toutes ces personnes qui ont suivi ses pas ? Toutes ces personnes qui ont remis leur destin entre ses mains ? Que vont-elles devenir ? Vont-elles rester, maintenant qu’il n’est plus ? Ont-elles foi en l’homme, ou dans le combat ? Les vérités éclateront bientôt, et avec elles, des écorchures. Albus est mort. Le monde se vide.
Minerva prend une grande inspiration pour se calmer. Elle ferme les yeux comme elle referme une porte. Derrière, elle y met tout ce qu’elle n’a pas le temps de regretter. Toutes ses peurs, et toute la lâcheté qui pourrait la saisir en cet instant. Il y a encore tant à faire, et tant à espérer. Elle ne peut se permettre de rester en retrait. La guerre n’attend pas, les jeunes non plus. Ils ont besoin d’une nouvelle stature, d’une envergure qu’elle n’atteindra jamais. Mais il lui faut essayer. Il lui faut montrer l’exemple. Se dresser, fière, ne pas flancher, et remettre à plus tard les larmes non versées. D’une manière ou d’une autre, ils auront tous le temps de se laisser aller lorsque la fin viendra. Et elle viendra. Elle vient toujours.
Un bruissement d’ailes attire son attention. Sur son perchoir, Fumseck lui adresse un regard pénétrant. Cet oiseau a tellement fait partie de Dumbledore qu’elle a mal en le voyant. Il est majestueux, indécent. Compagnon quotidien, figure d’une résistance. Albus ne renaîtra pas de ses cendres. Il est mort, et leurs chances de l’emporter s’amenuisent. Elle a le sentiment qu’elle ne survivra pas à cette guerre. Si Albus ne l’a pas pu, comment le pourrait-elle ? Elle se sent vieille, lasse, épuisée. Elle a déjà trop souffert, et elle sait que le pire reste à venir. Il ne lui reste plus qu’à l’embrasser.
Lentement, Minerva se dirige vers les fenêtres du bureau. Elle en ouvre une, et s’écarte pour que Fumseck puisse s’y engouffrer de quelques battements d’ailes superbes. Décidée, meurtrie, préservée, elle fait quelques pas vers la porte, et soudain, elle se fige. Dehors, un chant s’élève. Poignant, terrible. Son cœur se déchire. Elle voudrait s’écrouler, tout abandonner, laisser la colère déferler. Mais elle n’est pas seule, et la guerre n’est pas terminée. Alors elle se redresse, elle lève la tête.
Elle continue d’avancer.