En quatrième année, Parvati avait aidé Hagrid à ramener les Scrouts à Pétard alors que l’immense majorité des élèves s’était réfugiée dans sa cabane. Elle avait ensuite soutenue Harry lors du Tournoi des Trois Sorciers. Puis, en cinquième année, elle avait cru Harry et rejoint l’Armée de Dumbledore à son fondation. Elle n’avait pas hésité à se battre contre Ombrage. Pourtant, Parvati n’a jamais eu l’impression d’être courageuse. Du courage, elle n’en avait pas à revendre comme certains. Elle n’était pas une Gryffondor jusqu’au bout des ongles, elle n’était pas Harry, Ron ou Hermione. Même Luna, pourtant à Serdaigle, avait plus de courage qu’elle. Elle, Parvati, elle qui se contentait de suivre.
Du moins, jusqu’à ce que sa septième année ne commence.
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Parvati ravale ses larmes. Elle en a fait le serment, jamais elle ne pleurera devant eux. Alors elle ferme les yeux, elle ferme les yeux pour ne pas voir les horribles sourires des Carrow, la mine triomphante des Serpentard qui l’ont attrapé dans un couloir et surtout, la baguette qui la fait tant souffrir. Elle ne sait pas à qui appartient cette baguette, elle a cessé de regarder depuis un moment déjà. Elle sait juste qu’à chaque nouvelle parole d’un des êtres présents dans cette pièce, sa peau s’entaille une nouvelle fois et son sang coule.
Elle ferme les yeux. Elle n’a même plus vraiment mal, maintenant. Elle est passée au-dessus, elle ne sent plus rien, son corps ne répond plus. Plus tard elle aura mal, et plus tard elle pleurera. Quand elle sera de retour dans sa salle commune, avec Lavande, avec Seamus, avec Neville et Ginny. Eux ils s’occuperont bien d’elle, ou du moins ils feront ce qu’ils pourront : si elle ne veut pas qu’ils soient torturés à leur tour, elle devra faire comme si ses plaies n’avaient pas été soignées. Mais au moins, elle pleurera. Elle pleurera comme un enfant apeuré qui ne sait pas très bien comment il en est arrivé là. Elle pleurera pour oublier qu’elle est une Gryffondor, pour oublier qu’elle doit être courageuse, pour oublier tous ses amis à l'extérieur qui doivent souffrir bien plus qu’elle s’ils ne sont pas déjà morts.
Il y a longtemps qu’elle n’est plus une Gryffondor de toute façon. Tous comme les Poufsouffle ne sont plus des Poufsouffle et les Serdaigle plus des Serdaigle. Aucun d’eux n’est plus intelligent, plus courageux, plus loyal. Ils sont tous logés à la même enseigne, désormais. Ils sont tous de simples soldats.
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-Je suis désolée Parvati, dit Lavande d’une voix qu’elle ne lui connaissait pas.
-Ne le soit pas. Et puis, je l’ai bien cherché. J’étais tout sauf discrète ce soir, ça m’apprendra.
-Ça t’apprendra quoi ? rétorque Lavande. A être silencieuse lorsque tu sors dans les couloirs pour savoir où est Michael Corner et s’il est encore vivant ?
Lavande va craquer, Parvati le sait. Elle aussi elle n’est pas loin de craquer. De craquer parce que certains de ses amis ont disparu depuis des mois et ne sont peut-être plus vivants. De craquer parce que les autres, elle les voit souffrir chaque jour tout comme elle elle a souffert. De craquer parce qu’installées dans leur dortoir, Parvati et Lavande ne sont que toutes les deux et personne d’autre ne viendra les rejoindre : les autres lits sont vides depuis le début de l’année scolaire. De craquer parce qu’elle est horrible, parce qu’elle est mutilée, parce qu’elle se fait peur en se regardant dans le miroir et parce qu’elle se trouve affreuse de ne penser qu’à son physique. Comme si c’était le plus important et comme si le reste ne comptait pas.
-On a dix-sept ans putain, dit finalement Lavande en se laissant tomber sur son lit.
-On est des Gryffondor.
-Et alors ? Y’a des Gryffondor qui foutent rien depuis le début de l’année. Et des Serdaigle et des Poufsouffle mille fois plus courageux que nous. Tu le sais en plus.
-Oui. Mais les autres ils ne le savent pas.
-Quels autres ?
-Tous. Tout ceux qui, si la guerre se termine un jour, distribueront les médailles et nous diront « Vous vous êtes des Gryffondor, il est normal que vous vous soyez battus ».
-Tu t’en fous Parvati. De toute façon les gens qui en disent le plus, ce sont toujours ceux qui en ont fait le moins. Si t’as plus envie de te battre, arrête. On te mettra pas le couteau sous la gorge parce que t’es à Gryffondor. Personne devrait avoir à se battre à notre âge.
-Non, non je vais… je vais continuer mais…
Elle sent les larmes couler le long de ses joues et elle se rappelle alors qu’elle est en droit de pleurer maintenant. Elle n’est plus dans la minuscule salle sombre où ouvrir la bouche pour respirer est une torture. Elle n’est plus enfermée par ses ennemis, soumise à leurs lubies. Elle est avec Lavande et elle a le droit de pleurer. Elle a le droit parce qu’elle a peur, parce qu’elle a mal, parce qu’elle se demande combien de temps cela va durer encore et si elle s’en sortira vivante, parce que le lit d’Hermione est vide, parce qu’il n’y a plus Colin pour détendre l’atmosphère, parce que tout ceux qu’elle aime sont en danger et parce que sa vie n’est plus vraiment une vie.
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Parvati passe une main sur son front avant de se laisser glisser le long d’un mur. Une heure. Elle a une heure pour compter les morts, pour ramasser les blessés, pour voir qui viendra prendre de ses nouvelles et qui ne viendra jamais plus. Elle a une heure pour trouver un quelconque moyen d’aller mieux, une heure pour puiser au fond d’elle-même et rassembler les quelques forces qu’il lui reste.
-Parvati…
Seamus se tient devant elle, les larmes aux yeux. Alors elle prend peur et elle pleure elle aussi. Elle pleure parce qu’elle sait qu’il va forcément lui annoncer une mauvaise nouvelle et qu’elle ne voudrait entendre plus que des choses joyeuses. Elle est recroquevillée sur elle-même au milieu des gravats et se balance d’avant en arrière au rythme de ses sanglots, parce qu’elle n’en peut plus, parce que sa place n’est pas ici, parce qu’elle est dans une école et pas dans un cimetière.
-T’es vivante par Merlin, dit Seamus. On a trouvé Lavande. Elle est blessée mais ça ira. On ne t’a pas vu avec elle alors on a pensé que…
Parvati relève la tête. Si Lavande est vivante, elle a encore une raison de se lever. Elle doit aller voir son amie et la soutenir, lui donner la force de survivre. Alors elle attrape la main que lui tend Seamus et se laisse guider jusqu’à la Grande salle. Elle essaie de ne pas trop faire attention aux corps sur lesquels ils marchent quand ils n’ont pas d’autres choix, parce que les gravats et les pierres les empêchent de faire autrement. Elle se dit que ce sont des Mangemorts et qu’elle n’a aucune raison de se sentir mal. Mais lorsqu’Olivier Dubois pénètre avec eux dans la Grande salle, le corps de Colin dans les bras et qu’au loin, elle reconnaît les Weasley devant le corps d’un des leurs, Parvati s’effondre. Seule la pensée de retrouver Lavande lui permet de tenir alors elle tient, pour se précipiter au chevet de son amie. Mais elle sait que quelque chose ne va pas, que rien ne sera plus jamais comme avant et elle se sent si nauséeuse qu’elle quitte la Grande salle un moment pour aller vomir.
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-L’Armée de Dumbledore !
Comme tous les autres, Parvati brandit sa baguette et lève le poing en l’air. Elle n’a plus de larmes, plus de tristesse, plus d’autres sentiments en elle que celui de la colère. Les morts, elle les pleurera plus tard. Pour l’instant, elle va les venger.
Tout s’enchaîne si vite qu’elle ne comprend pas bien. A peine Neville a-t-il tranché la tête de Nagini et Voldemort poussé un hurlement de colère qu’elle est de nouveau dans la bataille et lance des sortilèges à tout va, essayant tout de même de ne pas viser ses amis. A ses côtés, Lavande, malgré ses blessures, est elle aussi déchaînée et enchaîne les sortilèges. Le mouvement de la foule les ramène peu à peu vers la Grande salle et elles voient les Mangemorts tomber un à un. Elles voient même Molly Weasley abattre Bellatrix et lorsqu’Harry surgit de sous la cape, un grand silence enveloppe la salle. Parvati n’entend plus très bien et ne se rend qu’à peine compte que du sang coule en abondance de l’une de ses oreilles. Du sang, elle ne voit que ça autour d’elle alors ce n’est pas bien grave. Mais quand Voldemort tombe en arrière, les bras en croix, et que passé le court moment de flottement les combattants explosent de joie, Parvati entend tout. Elle entend tout et elle sourit, elle cri elle aussi. Elle cri parce que c’est fini, parce qu’elle est profondément heureuse mais aussi complètement détruite. Parce qu’elle ne sait plus bien si elle est vivante et s’il y a encore quelque chose d’humain en elle.
-Parvati ! Parvati ! hurle Lavande avant de se jeter dans ses bras. C’est fini ! Par Merlin c’est fini !
Parvati ne cri plus. Elle ne pleure pas non plus. Elle est pour l’instant bien trop fatiguée, puis trop exténuée pour vraiment réaliser. C’est comme si elle était à des lieux d’ici. Quand Lavande lui prit la main et l’entraîna hors de la Grande salle, Parvati lui en fut plus que reconnaissante. Elle se laissa guider jusqu’à ses parents, jusqu’à sa sœur, et elle n’eut alors plus rien d’autre à faire, plus rien d’autre à penser, qu’elle était soulagée que tout soit terminé.
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Quand les premiers journalistes arrivèrent sur place à peine quelques minutes plus tard et que l’un d'eux dit à Parvati que toute l’Angleterre brûlait de savoir qui étaient ces courageux guerriers qui s’étaient battus contre Voldemort et ses sbires en personne, la jeune fille lui répondit qu’ils n’avaient jamais été autre chose que des gosses et que ça n’auraient pas dû être à eux de se battre. Elle lui dit aussi qu’on les avait transformé en soldats, de simples soldats de plomb qui naïvement, étaient partis au combat de l’espoir plein le cœur et reposaient désormais au champ d’honneur. Quand enfin il lui demanda si elle appartenait à la maison des courageux, à Gryffondor, elle lui répondit simplement qu’elle n’avait pas été plus Gryffondor que ses camarades de Serdaigle et de Poufsouffle qui avaient payé de leur vie leurs rêves et leurs espoirs de paix.