Teddy,

Je suis désolée, tellement désolée. Désolée de quoi ? De tout sans doute, de tout ce que j’ai pu faire, de toute la souffrance que j’ai pu causer. Je t’imagine sourire en lisant ces mots que tu ne verras pourtant jamais. Oui, Teddy ! Je me rends compte du mal que je t’ai fait, du mal que je nous ai fait. Peut-être, sans doute même est-ce trop tard ! Mais tu sais qu’il n’est pas facile pour moi de me remettre en question. Une des nombreuses choses que tu me reprochais avant notre séparation. Il m’a fallu du temps, beaucoup de temps pour comprendre et surtout le déclic. La douleur de te voir au bras de ma cousine, de Lily. Moi qui ai toujours cru que ce serait Eurydice qui te ferait m’oublier. Il semblerait que je me sois lourdement trompée. Je me sens si stupide maintenant lorsque je la vois avec mon frère et leurs deux petites filles. Une famille si parfaite ! Paraît-il qu’elle en attendrait un troisième. Je ne sais même pas si mon frère va avoir un troisième enfant, te rends-tu compte ? Il refuse de me parler depuis… depuis l’incident. Toi aussi, tu ne veux plus me voir. Toutes les nouvelles qui me parviennent viennent de notre fils.

Je sais que j’ai une grande part de responsabilité dans cette situation. Ma jalousie, ma haine à l’encontre d’Eurydice. D’après mon psychomage, il s’agirait d’un complexe d’infériorité. Je n’ai pu m’empêcher de rire en entendant cela. La seule chose que j’aurais pu lui envier c’est le lien qui vous liait elle et toi. Pas un lien fabriqué par les multiples rencontres familiales comme le nôtre, pas un lien que pendant de nombreuse années tu t’es senti obligé d’entretenir. Un lien de deux personnes qui s’attirent et s’attachent sans que rien ne puisse le défaire. J’ai essayé pourtant de vous éloigner l’un de l’autre, de te retourner contre elle. En écrivant cela, je me rends compte que je dois en effet avoir un sacré complexe d’infériorité vis-à-vis d’elle.

Tu sais, je ne la détestais pas au début. C’était juste Eurydice Flint, la meilleure amie de Teddy. Et puis, il y a eu ma deuxième année, mon envie de te préparer une fête digne de ce nom et elle. Elle qui me disait que je n’étais pour toi rien que la nièce de ton parrain. Mon cœur d’enfant s’est brisé à cet instant-là et je crois… Non, j’en suis sûre que c’est à partir là que j’ai commencé à la haïr. Je me rends compte maintenant qu’elle ne pensait sans doute pas à mal lorsqu’elle m’a dit ça, qu’elle voulait juste passer la soirée de tes quinze ans sans une gamine de douze ans dans les pattes. Après tout, Eurydice a toujours été sèche avec tout le monde, sans s’en rendre compte me disais-tu lorsque je m’énervais de son comportement.

Et puis, il n’est pas juste de lui imputer la fin de notre mariage comme je l’ai fait. Je m’en rends compte seulement maintenant mais Eurydice n’était pas le problème mais seulement une partie de celui-ci. Quand, je pense maintenant à mon comportement, à ma paranoïa, la peur de te perdre, de te voir partir avec une autre. Tout cela ne venait pas d’Eurydice mais de moi. Moi qui n’étais pas capable d’avoir confiance en moi. Peut-être croyais-je que tu ne t’étais intéressée à moi seulement pour mes origines. Sans doute même. Moi et ce foutu problème d’infériorité !

Maintenant, lorsque je pense à tout ce que j’ai pu te faire subir, à ces interrogatoires, à cette non-confiance que j’avais en toi, je comprends pourquoi tu as préféré partir.

Je sais qu’il est dur pour toi de songer au pardon après tout ce que je t’ai fait Teddy mais je te le demande toute de même : pardonne-moi !

Victoire.


La femme ferma les yeux pour empêcher les larmes qui menaçaient de couler sur ses joues bien trop pâles. Les mains tremblantes, elle plia le parchemin, se leva et alla le ranger comme tous les autres dans la boîte cachée dans le placard sous l’escalier. Elle revint s’asseoir dans son fauteuil près du feu. Un jour, elle irait lui dire tout cela pour de vrai, mais ce jour n’était pas encore arrivé.