Il avait tout de suite su que cette année ne serait pas comme les autres. C’était évident. Mais jamais, pas même dans ses cauchemars, il ne s’était imaginé que ce serait à ce point différent.
Le plus dur avait été le premier soir. Quand Neville était monté dans son dortoir et s’était retrouvé face à trois lits vides. Harry, Ron et Dean manquaient à l’appel. Ils manqueraient à l’appel toute l’année. Seamus était arrivé peu après et avait comme lui jeter un regard impuissant aux lits de ses amis. Lui et Neville n’avaient pas échangé un mot, cette soirée-là. Aucun n’avait le cœur à essayer de combler les blancs.
Pendant quelques jours, Neville avait vécu dans une sorte de songe. Il avait l’impression de flotter, sans cesse. Que rien n’était réel. Mais le premier cours d’Etudes des Moldus lui avait ramené les pieds sur terre. Et comme pour être sûr qu’il avait bien compris la gravité de la situation, Ginny revint le soir même dans la salle commune des Gryffondor avec une profonde entaille à la joue, pour avoir répliqué à l’un des professeurs Carrow que ceux qui n’étaient pas dignes d’être des sorciers, c’étaient eux. Neville ne pouvait plus faire semblant. La guerre était déclarée.
C’est Ginny qui lança l’idée la première. Qui évoqua l’Armée de Dumbledore. Mais c’est Neville qui se chargea de prévenir chacun des anciens membres, la plupart étant de la même année de lui. Il leur conseilla à chacun de surveiller leur argent : tous comprirent le message. Ils se retrouvèrent peu de temps après dans la Salle sur Demande. Comme si rien n’avait changé.
Sauf que beaucoup manquaient à l’appel. Et leur absence se faisait durement sentir.
-Bon, vous savez tous pourquoi nous sommes là, avait dit Neville, prenant la parole en premier.
Personne ne prononça un mot.
-Y a-t-il quelqu’un dans cette salle, qui n’a pas été choqué par les propos des Carrow, qui n’a pas eu envie de leur lancer un sort ou même, de leur casser la figure ?
Une fois encore, tout le monde resta silencieux. Tout le monde à l’exception de Seamus.
-Je crois que cela résume parfaitement la situation, dit-il avec un petit sourire.
-Que proposez-vous alors ? demanda Ernie qui avait l’air, comme à son habitude, plus que concentré.
-On va leur faire comprendre.
-Leur faire comprendre quoi ? lança Zacharias Smith. Vous avez vu ce qu’ils font à ceux qui s’opposent à eux ?
-Oui nous avons vu ! dit Ginny en montrant son visage du doigt. Et alors ? Tu crois que l’on va s’arrêter pour ça ? Avec Ombrage aussi il y avait des risques !
-Pas autant, dit Padma Patil en fronçant les sourcils.
-Et alors ? répéta Ginny.
-Et alors rien Ginny, dit Padma en haussant la voix. Je dis simplement que cette fois, on va s’engager dans quelque chose de beaucoup plus dangereux. Et autant que tout le monde en ait bien conscience avant de se lancer, si ça peut nous éviter d’avoir des traîtres dans nos rangs.
Ginny, forcée d’admettre qu’elle avait raison, fronça les sourcils et croisa les bras contre sa poitrine. Neville, lui, était plongé dans une intense réflexion.
-Peut-être pourrait-on commencer… dit-il à voix basse, par leur faire comprendre ça.
-Pardon ?
-Je disais, dit Neville en se redressant, que l’on pourrait leur faire comprendre qu’il y a des réfractaires. Qu’ils ne pourront pas nous débiter toutes leurs âneries pendant l’année sans que personne n’intervienne, qu’on n’est pas des gentils petits soldats qui suivent les yeux fermés.
-Et comment on leur fait comprendra ça ?
-En commençant par répondre. On ne les laisse pas dire tout ce qu’ils veulent sans intervenir. Si nous sommes plusieurs à protester à chaque cours, ils ne pourront pas tous nous punir.
-Pas tous, nota Zacharias.
-Ceux qui s’engagent à faire ça savent très bien ce qu’ils risquent Smith, répondit Ginny du tac au tac.
Une fois encore, un grand silence enveloppa la salle. Chacun semblait peser le pour et le contre, se demandait si cela en valait le coup. Mais ce qui décida un à un les élèves, ce furent ceux qui n’étaient pas là. Ceux qui n’avaient pas eu la chance de revenir à Poudlard. Ceux qui auraient dû être là ce soir. Et ceux qui, en plus, n’étaient pas des moindres. Harry, le meneur. Hermione et Ron, qui avaient eu cette idée. Dean, un des premiers membres. Justin, qui faisait partie des plus doués. Les frères Crivey, qui malgré leur jeune âge progressaient tout aussi vite que les autres et faisaient toujours preuve d’enthousiasme. Tous, tous avaient été privé de Poudlard. Et tous, tous ne le méritaient pas.
-Peu importe ce que l’on fera, j’en suis ! dit Seamus le premier.
-De même ! lancèrent presque simultanément Lavande et Parvati, et Padma un instant après.
Ainsi, en à peine une minute, tous les anciens membres de l’Armée de Dumbledore avaient accepté de reprendre le flambeau. Ils ne laisseraient pas les Carrow gâcher complètement leur année. Ça, au moins, c’était dans leurs cordes.
Neville était fier.
Le lendemain, alors qu’il déjeunait avec Seamus dans la Grande salle, Neville vit Ginny foncer vers eux. Elle se laissa tomber sur le banc à leurs côtés, la mine défaite. Seamus cessa immédiatement de parler pour regarder la jeune fille, l’air inquiet. Neville, lui, avait déjà compris. Ginny sortait d’un cours d’Etudes des Moldus avec les Serdaigle.
Et Luna n’était pas là.
-Que se passe-t-il ? demanda-t-il, la gorge déjà nouée.
-Luna, répondit-elle sans que ça l’étonne. Il… il lui a demandé de réciter un texte que nous avions vu la dernière fois, un truc… ignoble, qui rabaisse les Moldus. Elle a refusé. Il a insisté, elle continuait de refuser. Il l’a emmené avec lui à la fin du cours.
-Et… tu… tu sais où elle est ? demanda prudemment Seamus.
-Je n’en ai pas la moindre idée, murmura Ginny. Neville !
Neville s’était levé et se tenait face à ses deux amis, la mine grave.
-Je vais aller la chercher.
-Tu ne sais même pas où elle est ! protesta Seamus. Et tu risques de t’attirer des ennuis…
-Et alors ? Luna est mon amie !
-Sauf que ton amie, tu pourrais aussi lui attirer des ennuis !
Neville n’avait pas vu les choses sous cet angle-là.
-Je vais déjà essayer de savoir où elle est. Pour voir si elle va bien…
-Tu penses franchement que c’est le cas ? demanda Ginny, exaspérée.
-Non, mais j’ai besoin de savoir si ce n’est pas trop…
Ne trouvant pas ses mots, Neville renonça. Il tourna les talons et allait sortir de la Grande salle lorsqu’il entendit quelqu’un crier son nom. Quelqu’un qui d’ordinaire ne lui adressait jamais la parole. Quelqu’un qu’il n’avait pas intérêt à ignorer au beau milieu de la Grande salle, devant Rogue et l’un des Carrow.
Drago Malefoy.
-Londubat, quand je te parle tu baisses les yeux, dit-il de son habituel voix traînante sous les exclamations indignées des Gryffondor.
-C’est beau de rêver Malefoy, répondit Neville en le regardant droit dans les yeux.
-C’est cela, fais le malin Londubat. Tu riras sûrement moins quand tu verras l’état de ta précieuse Lovegood.
Neville sera les poings. Du coin de l’œil, il vit Seamus retenir fermement Ginny par le poignet, Ginny qui semblait furieuse et prête à se jeter sur Malefoy. Il n’y avait plus le moindre bruit dans la Grande salle. Tout le monde avait les yeux rivés sur Neville et Drago.
-Enfin, elle ne s’en sortira pas si mal je pense, poursuivit Malefoy. Certainement beaucoup mieux que tes parents en tout cas.
C’était comme si Neville n’avait plus d’entrailles. Comme s’il n’y avait rien, absolument rien à l’intérieur de lui, à l’exception d’un poids. D’un immense poids. Sa tête lui faisait mal tout à coup. Malefoy ne venait tout de même pas de…
-Oui, je parle bien de tes parents Londubat, dit Malefoy en haussant la voix, faisant profiter toute la salle de la conversation. Ceux qui sont enfermés à Sainte-Mangouste depuis ton plus jeune âge parce qu’ils sont complètement fous.
-Ça suffit ! lança le professeur McGonagall depuis l’autre bout de la salle en venant droit vers Malefoy.
Mais le mal était fait. Neville semblait ne plus être là. Il regardait Malefoy, la bouche légèrement entrouverte, sans savoir quoi dire. Ce fut Ginny, qui le sortit de sa torpeur. Profitant d’un moment d’inattention de la part de Seamus, elle s’était jetée sur Malefoy et plutôt que de sortir sa baguette et de lui lancer un sortilège, lui avait directement mit un coup de poing sur le visage. Le coup fut si fort que Malefoy se mit à saigner du nez. Avant que McGonagall n’ait le temps d’arriver, Ginny avait de nouveau frappé Malefoy qui en tomba à terre et plus de la moitié des Gryffondor s’était levé. S’ils ne comprenaient pas ce qu’avait dit Malefoy, ils avaient en revanche très bien compris qu’il avait fait du mal à l’un des leurs. Et seule l’arrivée des deux Carrow sauva Malefoy d’une vengeance collective.
-QU’EST-CE QUE C’EST QUE ÇA ! hurla Alecto. QUI A OSE FAIRE ÇA ?
Tout en criant, elle pointait sa baguette sur les différents élèves présents autour de Malefoy. Amycus, lui, se dirigea vers la table des Serpentard.
-Qui a fait ça ? demanda-t-il aux élèves.
-C’est la petite Weasley ! La rouquine là-bas ! lancèrent plusieurs Serpentard en même temps.
Les Carrow s’empressèrent d’empoigner Ginny par le bras. Elle n’opposa aucune résistance. Elle continuait à regarder Malefoy avec une lueur malveillante dans les yeux. De temps à autre, son regard déviait vers Neville qui était toujours immobile, donnant l’air d’avoir été assommé.
-Tu vas voir ce qu’il va t’arriver toi, lança Amycus à Ginny.
Pour toute réponse, elle lui cracha au visage. L’instant d’après, chacun retournait à sa place et Malefoy partait vers l’infirmerie tandis que les Carrow emmenaient Ginny avec eux. Une fois qu’ils eurent franchis les portes de la Grande salle, le professeur McGonagall se tourna vers la table des Serpentard.
-J’enlève cent points à Serpentard ! dit-elle d’une voix forte avant de retourner à la table des professeurs.
Tout le monde jubilait, en oubliant Ginny. Mais Neville, lui, était toujours immobile. Ce fut Seamus qui l’attrapa doucement par le bras et le traîna en dehors de la Grande salle.
Neville s’en voulait. Sa tête bouillonnait à force d’imaginer toute sorte de scénarios, des scénarios dans lesquels Neville ne se laissait pas faire, répliquait face à Malefoy, des scénarios dans lesquels c’était lui qui le frappait. Pas Ginny. Pas Ginny qui allait passer un très mauvais moment à cause de lui. Parce que lui n’avait pas su quoi répondre. Il était un Gryffondor, mais face à un Serpentard il s’était tout simplement incliné. Devant tous les élèves de Poudlard. Il avait été incapable de se défendre seul et c’était cela, plus que le fait que tout Poudlard savait désormais ce qui était arrivé à ses parents, qui lui laissait un goût amer. Quand lui et Seamus arrivèrent dans une salle de classe vide, Neville regarda son ami qui n’était pas au courant non plus de son passé avant aujourd’hui. Et sans trop savoir pourquoi, il ouvrit immédiatement la bouche et se mit à parler, à parler, à parler. Et à pleurer aussi.
Il ne savait pas vraiment s’il pleurait de la douleur que lui avait infligée Bellatrix en torturant ses parents, ou s’il pleurait de la honte que lui avait infligé Malefoy.