Si vous lisez cette lettre, je serai probablement déjà morte. Je ne sais en quelles circonstances vous serez amenés à la trouver, je prie pour vous que vous ne soyez pas à ma place à l’heure qu’il est. Des menottes astreignant vos poignets comme vos chevilles, au point de vous en écorcher la peau. Oui. Je prie pour vous, à ce que vous soyez une personne libre…
Je m’appelle Charity Burbage. Vous ne me connaissez peut-être pas, mais les Mangemorts eux, semblent ne pas partager cet avis collectif. Si je suis enfermée ici, c’est à cause de ma plume. De mes principes. De mes valeurs. D’un engagement trop lourd à porter.
Il y a quelques mois de cela, j’ai rédigé un article encourageant le métissage entre sorciers et humains. Peut-être grimacerez-vous en lisant ces lignes. Peut-être me souhaiterez-vous d’endurer plus de souffrances encore pour avoir osé pousser un tel blasphème. Cependant, la mort m’est si proche que votre rancune aveugle ne me fera pas taire. Je vous en implore. Lisez jusqu’au bout ce qui semblent être mes dernières paroles, adressées à quelqu’un de sensé. À quelqu’un d’humain.
Je n’avais pas idée du danger que je bravais à l’époque, en écrivant un tel article. À mes yeux, jamais les représailles n’auraient été à ce point meurtrières. Je me sentais valeureuse. Courageuse. Une rebelle du nouvel âge. Un égoïsme qui m’a tant coûté. Plus que ma liberté, plus que la discréditation de mon article, j’y ai perdu mon fils, Eliot, et mon mari, Peter. Tout, pourtant, m’avait mis en garde. Pourquoi n’ai-je pas réagi à ces avertissements… Pourquoi étais-je tant irraisonnée, au point de commettre ce pas qui mettait leurs têtes à prix, tout autant que la mienne ? J’ai sacrifié ma famille pour un article défendant la légitimité de personnes qui n’auraient jamais su mon existence en ce monde, pour un article controversé dont ils ont effacé toute l’encre…
Je me souviens du jour où ma vie a basculé, comme étant le dernier qu’il me reste à vivre dans des souvenirs à l’état de lambeaux, comme le dernier où je fus celle que j’étais. Cinq juillet. Depuis que les Mangemorts avaient franchi le seuil de la maison quelques mois auparavant pour s’en prendre à Eliot et à ma nièce, nous vivions dans la peur. Retranchés derrière nos derniers espoirs, derrière notre déni. Dans la solitude de nos craintes, ma famille survivait, comme une flammèche résignée se prépare à l’ouragan. Imminent. Puissant. Funeste.
Vous pourriez penser que Peter, mon époux, ne m’ait jamais pardonné, vis-à-vis de mon hardiesse irrationnelle.
« Souviens-toi, me disait-il tout le temps, souviens-toi que tu te bats pour nous. »
Et ce jour-là, je ne suis pas parvenue à me battre pour eux. Quand ils m’ont obligé à assister à la torture de mon fils, quand ils ont tué Peter après lui avoir tailladé le visage. Quand plus rien en moi ne semblait vivre, si ce n’était l’ombre d’une folie grandissante. Une part de mon âme a péri ce même jour.
Depuis, je suis enfermée, ici. Depuis vingt-deux jours, que je compte comme des aiguilles dans mon cœur. Dans ce cachot, plongé dans l’obscurité et l’humidité. Je sais que je ne retrouverai jamais les rayons du soleil. Que je ne reverrai plus jamais le monde de l’extérieur. Que je ne goûterai plus aux saveurs d’un repas chaud.
Les Mangemorts me nourrissent comme un chien. Certains m’apportent du pain, d’autres des assiettes de restes, truffés de bouts d’os et de morceaux que même un animal serait amené à refuser. Mes geôliers, lorsqu’ils ne m’ignorent pas, jouissent de leur supériorité. Quel est le plaisir à se sentir plus puissant qu’une épave ? Quel est l’honneur à meurtrir l’intégrité d’un être humain pour se croire meilleur qu’il ne l’est ?
J’en reconnais certains. Dont quelques-uns sont encore à Poudlard, j’en ai la certitude… Ceux-là préfèrent rester à l’écart. À leurs yeux, je ne suis qu’une pestiférée. Je lis leur répulsion et leur crainte à travers leurs regards qui ne s’attardent jamais sur moi. Ils sont encore trop jeunes pour assumer leurs actes et la situation qu’ils me font endurer par leur soumission. Les plus âgés, en revanche, ne se privent pas de me rappeler mon incartade. Il y a celui qui se plait à retourner mon assiette du bout du pied, sous mes yeux, espérant me faire réagir à la vision de ma seule pitance, répandue sur la vieille paille putride qui tapisse ma cellule. Un autre s’entraîne, chaque matin et chaque soir. Toutes les nuits, ses Endoloris me percent encore les os. Mais il sait qu’il ne doit pas dépasser cette limite de deux exercices journaliers, au risque de me voir trépasser avant l’heure. Cela rendrait son maître furieux. Le dernier enfin me parle de mon frère, qu’il a fréquenté par le passé. Il lui arrive de me brutaliser et de me mutiler pour que je lui révèle l’endroit où il se trouve. La trace de Phil me suivra où que j’aille, me semble-t-il, même dans la mort… J’espère que cet idiot aura assez de raison pour ne pas tenter de venir me chercher. Je sais qu’ils en ont après lui et sa propre famille. Oui. J’espère qu’ils n’ont pas déjà disloqué la leur, comme ils l’ont fait avec la mienne. Mais les allées et venues du Mangemort, qui chaque fois renouvelle son interrogatoire, me laissent entendre qu’ils sont toujours en vie… Je me réjouis presque de le voir quotidiennement, pour me conforter dans cette hypothèse. Si le nom des Burbage est voué à disparaître à tout jamais du monde des sorciers, celui des Whisper persistera, j’en ai la certitude…
Je sais ce qui m’attend. Mais ils pensent me donner la mort. En réalité, morte, je le suis depuis plus de trois semaines. J’ai été dépossédée de mon nom. De l’essence même de mon existence. D’appartenance au règne humain. Ni l’espoir, ni mes rêves achevés, ni la magie ne peuvent me sortir de cet endroit. Et je suis destinée à succomber aux délires de mes détracteurs. Je n’ai pas peur. En moi, ne vit plus aucune émotion. Beaucoup s’imaginent que les derniers mots d’un condamné sont chargés de colère, d’un sentiment d’injustice, ou bien d’un élan d’amour rédempteur, d’un message d’espoir infrangible. La vérité est toute autre. Je n’ai plus rien qui vive en moi qui puisse s’apparenter à une telle émotion. Quelle qu’elle soit.
Vous qui lisez cette lettre, écrite sur un morceau égaré, griffonnée avec du charbon, faites en sorte de me faire vivre. De me faire revivre. D’animer en moi les sensations perdues. Voyez en moi la femme perdue, la femme bouleversée, la femme impétueuse. Que vous soyez moldu ou sorcier, vous en avez le pouvoir. Rendez-moi mon humanité. Celle dont ils se sont sustentés, au nom d’un idéal.
Rendez-moi le nom de Charity.
Sous le préau de la cour centrale, Luna observait la pluie se déverser sans fin sur les pelouses de Poudlard. Les élèves courraient en tous sens, se protégeant de leurs capuches ou de leurs sacs, pour rejoindre leurs salles de cours. Lorsqu’elle vit la petite Kate Whisper prendre leur suite. Dans un réflexe, suivi d’un haut-le-cœur, Luna porta la main à sa poche, dans laquelle se trouvait une lettre qu’elle avait déniché entre deux pierres dans sa cellule, lorsqu’elle avait été enfermée dans le manoir des Malefoy, quelques mois auparavant.
La jeune Kate, victime de son habituelle maladresse, trébucha et tomba à genoux dans une flaque d’eau, sans même broncher. Pourtant, elle releva la tête quand, par surprise, elle remarqua que la pluie se tombait plus sur ses cheveux déjà trempés. Luna se tenait à côté d’elle, sa baguette dirigée vers le ciel nuageux, repoussant l’eau dans une aura bleutée.
— M-merci Luna, bredouilla la petite fille en ramassant ses affaires, avant de se relever.
— De rien, Kate. Il faut toujours savoir faire preuve de… charité…
Et toutes deux s’éloignèrent, sans remarquer que derrière leurs pas, une lettre était tombée et que son encre se diluait à sa surface, se déversait sur l’herbe, jusqu’à n’en laisser qu’une carcasse de ce qui fut les derniers mots de Charity Burbage.