Cette journée aurait dû être une belle journée, peut-être même une magnifique journée. Les jours de rentrée avaient toujours été synonymes de félicité pour Justin. Seulement, jusqu’à présent, les jours de rentrée, il avait été autorisé à les vivre. Ce qui cette année, n’était plus le cas.
Oh ! Il n’avait qu’à fermer les yeux pour s’imaginer cette si parfaite journée qui ne se déroulerait jamais que dans son imagination ! Il se serait levé aux aurores le matin, fébrile, et aurait agacé ses parents en tournant en rond dans la maison jusqu’à ce que vienne l’heure de partir pour le gare. Puis, après avoir laissé ses parents le serrer dans leurs bras en protestant gentiment pour la forme, il aurait regagné un compartiment rempli de Poufsouffle, un compartiment rempli d’amis. Ces amis, ses amis, lui auraient demandé comment s’étaient déroulées ses vacances malgré les nombreuses lettres qu’ils s’étaient échangé. Puis ils auraient commencé à discuter de leur futur emploi du temps, de ce qu’ils allaient bien pouvoir faire lors des sorties à Pré-au-Lard, et peut-être auraient-ils abordé le sujet qui fâche, le sujet que personne ne voudrait entendre. Peut-être auraient-ils parlé de la guerre. Mais cela n’aurait pas duré longtemps, parce que Justin et ses amis préféraient voir le bon côté des choses. Il y avait la guerre, certes, mais Poudlard était toujours là, et dans le pire des cas, l’Armée de Dumbledore pourrait reprendre du service. Ils l’auraient dit sans trop y croire, d’ailleurs, convaincu que rien ne pouvait leur arriver tant qu’ils seraient dans le vieux château.
Et ils se seraient bien trompés.
Justin n’ira pas à la gare cette année. Justin n’enlacera pas ses parents devant le train cette année. Justin ne verra pas ses amis cette année. Et Justin ne retournera pas à Poudlard cette année.
Parce que Justin est Né-Moldu. Et cette année, il ne fait plus très bon d’être Né-Moldu. Bien sûr, Justin avait déjà eu à subir des insultes ou des moqueries de la part des Serpentard. Il avait même été pétrifié lors de sa deuxième année à cause de ses origines Moldues. Mais à part cette année-là, il n’avait jamais eu réellement peur. Il n’avait jamais été terrifié. En tout cas, pas comme il l’était à cet instant. Pas comme il était terrifié, littéralement terrifié, alors qu’il arpentait seul les landes du nord de l’Angleterre depuis plusieurs heures déjà, sans savoir où aller.
Il n’avait pas attendu que le Ministère lui envoie une invitation pour décamper. Alors qu’il rangeait des affaires dans sa chambre quelques jours avant la rentrée, caressant encore l’illusion qu’il allait retourner à Poudlard, il avait reçu un message de Ginny lui annonçant que le Ministère était tombé. Et peu de temps après, un message de Dean qui expliquait qu’il avait dû s’en aller après avoir reçu une convocation de la part du Ministère, mais qu’il était sain et sauf. Alors Justin était partit à son tour. Il n’avait pas pris le temps de dire au revoir à ses parents. Ça aurait été trop difficile et, il n’aurait pas été sûr de pouvoir partir après ça. D’ailleurs, ses parents auraient tout fait pour le garder près d’eux : ils n’auraient pas compris. Il n’avait pas été assez idiot pour leur raconter ce qu’il se passait dans son monde, pour leur raconter la peur, pour leur raconter la guerre, pour leur raconter la mort du directeur de son école. Non, il n’avait rien dit, il avait tout gardé pour lui. Comme il le faisait depuis bon nombre d’années, déjà, comme il le faisait depuis qu’il avait compris que ses parents ne pourraient pas comprendre la situation dans le monde sorcier -et que quand bien même ils le pourraient, ils ne voudraient pas la comprendre.
Le seul petit problème auquel Justin n’avait pas pensé, était qu’il n’avait aucun endroit où aller. Qu’il ne connaissait personne qui pourrait l’héberger, et qu’il ne savait absolument pas où il pourrait bien se cacher. Tout ce qu’il avait sur lui était sa baguette, que Merlin soit loué il pouvait utiliser librement depuis quatre mois -date à laquelle il avait atteint sa majorité-, ainsi qu’un petit sac de voyage qu’il avait agrandi à l’intérieur à l’aide d’un sortilège pour caser des vêtements chauds. Rien d’autre. Pas même une tente, et encore moins quelque chose à manger.
Alors Justin soupira et Justin se laissa tomber. Ses jambes ne le portaient plus de toute façon, depuis quatre heures qu’il marchait. Il espéra que ses parents comprendraient le mot qu’il leur avait laissé et n’appelleraient pas la police -inutile d’attirer l’attention sur son cas. Il espéra aussi que les Mangemorts n’auraient pas l’idée de se rendre chez lui et de s’en prendre à ses parents. Cette simple pensée le faisait frémir.
Sans qu’il ne puisse rien faire, Justin sentit les larmes couler le long de ses joues, les dévaler comme elles auraient dévalé un torrent, et il n’essayait pas de le retenir et ni-même de les essuyer. Il avait peur, il avait froid, il avait faim, mais surtout, il avait peur. Il avait peur et il savait, il savait qu’à partir de cet instant, il aurait toujours peur. Toujours jusqu’à ce que la guerre se termine. Et la simple perspective de devoir vivre avec cette sensation au creux du ventre pendant de longs mois encore au minimum ne fit qu’accroître ses larmes. En cet instant, il aurait simplement voulu ne pas être un sorcier. Être un Moldu, être un garçon normal, qui aurait fait sa rentrée dans un lycée sans avoir d’autres soucis que de sortir avec la fille de ses rêves.
Il aurait voulu ne pas être là, assis seul sur une colline au beau milieu de nulle part, à contempler les oiseaux noirs haut dans le ciel et à écouter leurs cris. Leurs cris qui, pour lui, avaient toujours été annonciateurs de peine, de douleur, de mort. Leurs cris qu’il aurait voulu ne plus entendre.
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?