Il y avait encore deux semaines, Seamus discutait tranquillement avec Dean autour d’une bonne bière. De filles, bien sûr. Les regards que Seamus lançaient à Lavande n’avaient pas échappé à son ami. Quant à lui, il savait depuis longtemps que Dean avait un faible pour Parvati. Leur vie était alors simple, malgré la peur qui les habitait assez souvent, la peur qui habitait chaque étudiant de Poudlard depuis la mort de Dumbledore. Oh, ils avaient toujours eu un peu peur, leur scolarité n’avait pas été des plus reposantes et chaque année avait amené son lot de dangers, mais dans l’ensemble, ils avaient vécu une adolescence normale. Les après-midi sous les arbres du parc en compagnie de Lavande et Parvati, les baignades dans le lac, les jeux dans la neige en hiver, les histoires de cœur et les paris sur les futurs couples. Une vie d’adolescents. Il y avait encore deux semaines.
Mais deux semaines étaient passées, et tout était terminé. Il n’y avait plus de discussion de filles. Il ne pouvait plus y en avoir de toute façon, puisqu’il n’y avait plus de Dean autorisé à se rendre à Poudlard non plus. Il n’y avait plus d’après-midi sous les arbres du parc, remplacés par des après-midi en retenue. Il n’y avait plus de baignade dans le lac, cette activité étant réservée aux seuls élèves modèles de Serpentard. Et Seamus savait très bien que, quand l’hiver viendrait, il n’y aurait probablement pas de jeux dans la neige non plus. Il serait en retenue de toute façon, enchaîné dans les cachots ou, peut-être même, en train d’être torturé.
Seamus aurait pu ne rien dire. Il aurait pu baisser les yeux, suivre silencieusement les ordres de Carrow, se soumettre comme le faisait la plupart des élèves. C’était d’ailleurs ce qu’il avait eu l’intention de faire au début. Mais cette volonté de soumission avait vite été remplacé pas de la colère, par de la haine même, et ce dès le premier soir. Le discours des Carrow avait été horrible, certes. Celui de Rogue, pire encore. Mais ce n’était pas pour ça que Seamus avait déchanté. Non, ce qui l’avait réellement mis en rage, ça avait été de pénétrer dans son dortoir. Cinq lits. Trois vides. Et, au milieu de la pièce, seul Neville qui le regardait, l’air aussi perdu que lui.
Alors il ne pouvait pas y avoir de paix. Les Carrow, Rogue, les Mangemorts, et Voldemort lui-même, ils n’obtiendraient pas ce qu’ils voulaient. Seamus ne resterait pas à Poudlard toute sa vie. Il savait bien que dès la fin de l’année, il foutrait le camp. En essayant de retrouver Dean, d’abord. Il n’était pas fou : si à la fin de l’année Voldemort était toujours vivant, alors il n’y aurait plus d’espoir. Mais, au moins le temps d’une année scolaire, Seamus voulait se battre, refuser de se soumettre, ne pas faire partie de ses élèves qui craignent, qui refoulent leurs idées, leurs opinions, parce qu’ils ont peur.
Neville lui avait demandé de ne pas juger les autres : la peur est un sentiment humain, et il est normal d’en éprouver. C’est d’autant plus normal d’en éprouver, même, quand on voit des élèves se faire torturer. Ginny, la première, en avait fait les frais, pour avoir craché au visage d’un des Carrow alors que celui-ci lui demandait si elle savait où était Harry. Endoloris. Le sort avait été lancé, avec froideur, et Ginny s’était effondrée au sol. Sans crier. Sa fierté était encore plus forte que sa douleur à ce moment-là. Mais même sans hurler, Ginny avait effrayé les autres élèves. Personne n’avait eu envie de subir la même chose.
Mais Seamus ne pouvait pas comprendre. Il était habité par la rage, par la haine, il voulait faire le plus de mal possible aux Carrow, il souhaitait même leur mort. Ses parents lui avaient toujours dit qu’il ne fallait jamais souhaiter la mort de quelqu’un, aussi méchant soit-il : personne ne mérite la mort. Mais Seamus n’était pas d’accord. Il était certain que si les Carrow venaient à mourir sous ses yeux, il en serait immensément heureux, il en rirait même, probablement. Et puis, mourir, c’était bien peu cher payé pour ce que faisaient les Carrow. Les moqueries, la torture psychologique des élèves qui n’étaient pas Sang-Pur, et la torture tout court pour ceux qui osaient se rebeller.
Tôt ou tard, la haine le quitterait. Tôt ou tard, la peur l’habiterait. Il le savait bien. Il le savait bien qu’il ne pourrait être un guerrier toute sa vie, ni même quelques mois, que ce n’était pas lui et qu’au final, il préférait être quelqu’un de sympathique, le bon ami qui raconte des blagues et est toujours attentif aux confidences de ses proches. Mais il ne pouvait pas être sympathique. Pas pour le moment. Pas alors que Dean était dehors, alors qu’Harry était dehors, alors que Ron était dehors -il n’était pas complètement idiot, il se doutait bien que Ron n’était pas malade-, pas alors qu’Hermione était dehors, pas alors que l’Armée de Dumbledore pleurait ses membres qui n’étaient pas revenu. Même ceux dont ils étaient moins proches lui manquaient. Que faisait Justin en cet instant ? Où se trouvait Colin en ce moment ?
Par colère, par haine, peut-être, mais surtout pour eux, sûrement, Seamus avait hurlé un juron à l’intention d’Alecto quand cette dernière avait commencé son cours d’Etudes des Moldus, comme elle appelait ça. Et, par colère, par haine, peut-être, mais surtout pour eux, sûrement, Seamus avait catégoriquement refusé de s’excuser. Même quand elle lui avait dit de venir dans son bureau le soir-même. Et que s’il ne le faisait pas, elle viendrait le chercher.
Il pouvait voir le hochement de tête presque imperceptible de Neville, le visage inquiet de Lavande qui en même temps lui souriait faiblement, Parvati qui dévisageait Alecto avec une méchanceté que Seamus n’avait jamais lu dans son regard. Mais il ne pouvait croiser le regard de Dean.
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ?