Au lever du rideau, Ginny est assise sur le sofa. Son bras droit posé sur l'accoudoir, ses jambes nues sous sa robe de sorcier vaguement étendues sur les deux places, elle ronge ses ongles. Elle a le regard perdu, et le silence pèse pendant un instant.
Soudain, comme un bruit de froissement, d'aspiration, de glissade.
GINNY
Harry... ?
GINNY
Ça va ? Tu as passé une bonne journée ?
Se sert une bonne rasade, puis va s'asseoir dans le fauteuil tandis que Ginny se réinstalle dans le canapé
Bof, la routine. J'avais un tas de paperasse innommable. Avec Jefferson en maladie et l'Inspection des Aurors demain, fallait que je sois à jour.
en aparté, sardonique
Ouais, quinze jours que tu en parles, de cette inspection, et que tu mets tes gars et la famille sous-tension, je crois que je situe ce dont tu parles.
Ah oui, effectivement... J'imagine que ça devait être difficile au Ministère, aujourd'hui.
Moi, sinon, c'était sympa... Tiens, j'ai revu Drago Malefoy ! Tu savais qu'il possédait des actions dans la moitié des clubs d'Angleterre ? Il est bien, il leur a fourni à tous le meilleur équipement possible. C'était marrant, de le revoir, depuis le temps...
Ouais, tiens, c'est drôle... C'est fou comme il ne change pas, il croit toujours qu'avec l'argent, on peut acheter le succès.
En même temps, tu peux pas nier que les Cafards de Carlisle sont les leaders du championnat, et les plus forts du moment.
Hausse légèrement la voix, dans l'emportement
Ah bah oui, bien sûr ! Avec Ziegler qui empoche juste 15 000 Gallions par an, ils peuvent être forts... Et y'a pas que Ziegler, d'ailleurs. Navré, mais c'est pas avec des fortes têtes d'affiche qu'on forme une équipe .
Couvre la voix de Harry
Ah bon ? Parce que Tommy Langdon n'est pas supposé être la forte tête des Canons ? C'est censé être le meilleur joueur, et il est incroyablement inconstant...
Bon, on va pas s'engueuler pour du Quidditch, si ? Les enfants dorment, en plus.
Ah oui ? Et comment sais-tu qu'ils dorment ?
Parce qu'il est dix heures et demi, et qu'ils ont intérêt, sinon ils vont m'entendre.
En soupirant
Harry, Jimmy a quinze ans, tu crois qu'il dormirait à cette heure ? En plus, ils sont chez Ron et Hermione. Ils ont réclamé, après avoir passé la journée avec Rose et Hugo.
Arrête de l'appeler comme ça, c'est James, pas Jimmy. C'est bien de famille, ça, de donner des surnoms à tout le monde. Et puis c'est bien, deux mois de vacances, et tout cumulé, je les aurai vus à peine deux semaines.
La faute à qui ?
Quoi, tu vas pas nier que t'as quand même pas été super présent ces deux derniers mois, si ?
Non mais attends, moi aussi j'aimerais bien que le Bureau ferme pendant un mois, histoire de prendre un peu de repos en famille... Sauf que les meurtriers ne s'arrêtent pas vraiment parce que c'est l'été.
Alors ça c'est typique ! Harry James Potter, l'éternelle victime !
Non mais je te demande pardon ?! C'est quoi, cette scène ? Tu crois que j'ai décidé, d'être chef du Bureau ? Tu crois que c'est mon choix, de rentrer si tard ?
Je sais pas, Harry. T'as juste trente-six ans, des gosses que t'as à peine vus grandir sans parler d'élever, une maison que t'as pas fini de construire, et puis une femme à qui il manque juste une toute petite excuse pour demander le divorce !
Elle finit par sortir en trombe et on entend des marches d'escalier grincer sous ses pas
Alors ça... C'est juste... Putain, mais j'ai décidé, moi, d'être Harry Potter ? De devoir défendre la veuve, l'orphelin, et les putains de civils sorciers d'Angleterre ? J'ai un boulot contraignant, d'accord, mais je lui ai demandé dix mille fois en nos jeunes années si ça la dérangeait pas, si elle voulait que je fasse jouer ma réputation et que je ne prenne pas cette opportunité parce qu'après tout, moi je m'en foutais. Mais non, c'était important, c'était le monde Sorcier, et c'était mon devoir, et j'aimais ça après tout, et j'étais bon alors pourquoi pas ? Elle avait raison, mais... Pourquoi me dire tout ça à vingt ans si c'est pour me le reprocher à trente-six, bordel ? Elle m'a toujours suivi, elle croit toujours que c'est facile, elle, de se traîner l'image de Harry Potter au quotidien ? Comme si j'avais pu devenir... Je sais pas, libraire, ou herboriste après avoir mené la Bataille Finale et tout ce délire autour des Horcruxes. Comme si j'avais pu démissionner de mon destin. Elle se rend pas compte. Elle, elle peut se permettre de mener une carrière dans le Quidditch, de changer subitement de voie... Ron peut voyager, être commercial d'une boutique de Farces et Attrapes. Eh bah moi je peux pas. Les gens veulent, ont besoin, me demandent, m'ordonnent presque de les défendre. Pourquoi ferais-je autre chose ? Ai-je le choix ?
Pour ma famille? Elle en a de bonnes. J'ai toujours voulu, être père, et vivre une vie de famille. Être lié à Molly, Charlie, Ron. Avoir des enfants, et les élever dans cet esprit. Mais elle se rend pas compte que cette famille, c'est pas ma famille ? Que nos gosses, à aucun moment ne sont des Potter, et encore moins elle ? Elle se rend pas compte, à quel point je dénote dans cette famille qui n'est pas la mienne, à quel point je ne m'y sens pas totalement lié ? Des Weasley. Ce sont tous des Weasley, et quoiqu'il t'arrive, tout le monde, jusqu'à cet abruti de Percy, est au courant. Tu peux galérer à bander que Molly Weasley t'achètera une potion soi-disant miracle chez l'apothicaire du coin. Parce que c'est la famille, y'a pas de secret. C'est la famille, on va pas passer l'été loin les uns des autres, t'es fou Harry, ou alors on part avec Ron et Hermione, ça sera marrant ! Putain, si vous saviez comme j'en ai ma claque, des Weasley. Elle me semblait la famille idéale, quand j'étais ado. Tous ces enfants, cette joie de vivre, ce partage... On était loin de mon placard et du 4, Privet Drive.
L'autre jour, j'ai voulu reprendre contact avec Dudley. Ginny s'est scandalisée. « Quoi ?! Tu veux reprendre contact avec cette famille qui t'a maltraité ? Mais... Il se passe quoi, dans la tête, parfois ? » Elle se rend pas compte, que j'ai besoin de contacts avec quelqu'un qui soit de mon sang. Mon parent. Qui m'appartienne à moi, pas aux Weasley, même s'il s'agit de Dudley. Mais bon, c'était effectivement probablement une erreur. Je vois déjà les yeux emplis de dégoût de Pétunia.
Je suis fatigué. J'ai l'impression d'être fatigué depuis seize ans. Je crois qu'en fait, c'est bien, qu'on ait cette engueulade ce soir. Ça fait trop longtemps qu'on n'a pas eu d'engueulade, on est si parfaits. Je suis même surpris qu'elle ait demandé le divorce, ce soir. Attendez, des vagues chez les Weasley ? Divorce ? Sonnez le glas, une si vieille famille, ça fait mauvais genre ! Puis, pas de gosse sans mariage, c'est bien pour ça qu'on s'est mariés à même pas vingt-cinq ans. Enfin, je suis d'une mauvaise foi terrible, je le voulais aussi. J'avais l'impression que comme ça, je serais en sécurité.
Non mais parce que ce que vous savez pas, vous, c'est ce que ça fait d'être moi. Ginny encore moins. Vous savez pas ce que c'est, que de vivre chaque jour en vous demandant quelle prochaine galère vous tombera dessus. Qui sera le prochain à vouloir vous tuer. Vous demander de le sauver.
A vous abandonner.
Probablement pour ça que je me suis si vite lié aux Weasley... Avec l'ampleur de la famille, sûr au moins que l'un d'entre eux restera à mes côtés s'ils en viennent à m'abandonner. Putain, trente-six piges, et toujours mes vieux démons... C'est affolant. Je vais aller voir les enfants, ça va me faire du bien.
Ah merde, j'avais oublié. Bon...
Faudrait peut-être que j'aille voir Ginny... J'espère qu'elle ne pleure pas trop. Je déteste, quand elle pleure.