Art. 1 : Afin de mettre fin au règne de terreur de l’autoproclamé Ligue des Rêves, le Ministère de la Magie britannique déclare tout rêve entièrement défendu à partir de ce jour.
Art. 2 : Tout individu jugé rêveur, soutenant un individu jugé rêveur ou s’associant à un individu jugé rêveur sera condamnable d’une peine pouvant aller jusqu’au baiser du Détraqueur.
« Endoloris ! »
Je ferme les yeux et tente d’ignorer la douleur, dans le silence. Brogan serait bien trop heureux de m’entendre hurler. Il a mis la dose, l’enfoiré. Je ne sens plus aucun de mes muscles. L’espace d’un instant, rien qu’un millième de seconde, je me demande si je suis mort. La douleur qui parcourt la moindre partie de mon corps et le sang qui pulse à mes temps me rappellent vite que je suis forcement vivant. J’essaye de me concentrer sur la ligne dans ma tête. C’est une ligne imaginaire, c’est la limite à ne pas franchir, la frontière avec la folie. Tout ce qui se trouve avant la ligne, c’est moi, mes souvenirs et mes convictions. Au delà, je ne sais pas ce que c’est. Je sais juste que Brogan m’y pousse un peu plus chaque jour et qu’il me faut doubler d’efforts pour ne pas franchir la ligne. Parce que ça me fout la trouille, ce qu’il y a de l’autre côté. C’est sombre là-bas, y a pas d’avenir, y a pas de rêves.
« Continuer de résister est vain. »
Je relève la tête et fixe Niall Brogan, le procureur. C’est un homme d’une quarantaine d’année, aux traits durs, avec les cheveux grisonnants et une barbe d’une semaine.
« Je finirai bien par te faire parler, Lupin. »
Je garde le silence, surtout parce que j’ai l’impression que Brogan essaye de se convaincre lui-même. Ça fait onze jours que je suis là, onze jours qu’il me travaille pour que je parle, sans succès. N’importe quel autre Auror aurait abandonné au bout de trois ou quatre jours mais pas lui. Il est du genre déterminé.
J’entends des pas dans les couloirs, le bruit résonne dans la petite pièce jusqu’à ce que quelqu’un ouvre la porte. Le regard de l’homme se pose sur moi une fraction de seconde. Le fait que je sois par terre, recroquevillé dans un coin de la pièce, ne le surprend même pas.
« Laisse le, Niall, t’en tireras rien je te dis. Pas aujourd'hui, en tout cas. »
Brogan lance un regard noir à l’Auror qui vient d’entrer puis c’est à mon tour de me faire toiser d’un air dédaigneux. Je soutiens mon regard et il finit par quitter la salle. Je l’entends jurer dans le couloir ; cette pièce est vraiment mal isolée. Le nouvel arrivant s’installe à la table et sort un carnet et une plume.
« C’est la première fois que quelqu’un résiste aussi longtemps à l’interrogatoire de Niall. »
Ron Weasley est totalement différent au travail de ce que j’en avais vu aux réunions familiales. Quand il a remplacé Harry, il y a presque deux semaines, j’ai pensé qu’il fonctionnerait comme mon parrain. Dès son premier jour, j’ai pu me rendre compte du contraire. Cet homme n’a pas la même morale, elle s’en approche juste un peu. Ce ne l’a pas dérangé quand Brogan s’est mis à nous torturer, moi et Spike, au lendemain de la démission d’Harry, et ça n’a toujours pas l’air de le gêner, onze jours plus tard.
« Lily va bien ? » je demande après un court silence.
Ron me fait signe de m’asseoir sur la chaise, en face de lui, puis se met à griffonner sur le carnet. Le corps endolori, je me lève lentement et le rejoins. La page sur laquelle il écrit est vierge mais sa plume continue de gratter le papier.
« Il n’y a que moi qui peut voir l’encre, m’informe-t-il comme s’il avait lu dans mes pensé. C’est mon frère George qui a inventé ça, il y a longtemps. A l’époque, il n’aurait jamais pensé que le ministère aurait pu trouver cette idée brillante. »
L’encre m’est invisible mais je peux quand même voir la trace de la plume sur le papier épais du carnet. Je déchiffre quelques mots. Détermination. Lily Potter. Doloris.
« Lily va bien ? je réitère, inquiet.
— Je suis son oncle, Teddy, je ne laisserai personne lui faire de mal. »
Il se veut réconfortant mais je discerne une pointe de colère dans sa voix. Il a compris ce qu’il y a entre moi et Lily le jour même où il a été en charge de l’affaire. Je crois que c’est pour ça qu’il laisse faire Brogan, jour après jour.
« Elle ne parle toujours pas, soupira Ron. Elle n’a pas dit un mot en deux semaines. »
Je baisse les yeux sur le petit carnet à la couverture de cuir. La plume est à présent posée sur la reliure et Ron a les bras croisés sur sa poitrine, il me fixe longuement, m’observe. Il attend une brèche, une faille dans mon attitude, comme il le fait régulièrement depuis plusieurs jours.
« Et Spike ? je finis par demander.
— Il est mort. »
Surpris, je relève la tête trop vite. Le sortilège de Doloris se ressent encore. J’ai l’impression qu’on m’a brisé la nuque, ou presque.
« Il est mort, mais tu le savais déjà, non ? répète Ron, en savourant la torpeur qui doit se lire sur mon visage. Il ne fait plus partie de ce monde. Depuis longtemps. Ça se voit dans son regard, qu’il n’est plus avec nous. On l’a soumis à tous les sorts de tortures, et rien. Pas la moindre palpitation, pas un battement de cil de trop, rien. Les Médicomages en ont fait une bête de foire puis ils ont finit par le diagnostiquer psychologiquement mort. Et tu sais le pire dans tout ça ? Tous les jours, après chaque interrogatoire, chaque expérience, il demande toujours une cigarette. Tous les jours, la même putain de cigarette. Alors, je te le dis, il est mort. »
Je serre les poings sous la table. Je connais très bien l’état de Spike, il est comme ça depuis des mois. Ron soupire finalement et ferme le carnet. Il me demande si je veux parler à quelqu’un, si je veux écrire à quelqu’un. Il me pose des questions sur ma femme.
« Je ne veux pas qu'elle me voie comme ça », je me justifie.
Et je ne veux que personne ne me voie avec cette dégaine.
« Ils ont fixé une date pour le procès, m’informe Ron en se levant. Vous devriez être fixés sur votre cas le 22 décembre. »
Il ouvre la porte et s’apprête à sortir mais au lieu de ça, il se tourne vers moi et me considère un instant.
« Vous vous en rendez compte, au mois ? Que ce que vous faites c’est mal ? »
Je fais non de la tête ; il soupire, une fois de plus. Il a l’air exténué.
« Ron ? je l’appelle avant qu’il ne ferme la porte derrière lui.
— Hum ?
— Je peux avoir du feu ? »
Cette fois ci, c’est bien de la déception que je lis dans son regard. Résigné, il sort de la poche un vieux briquet et me l’envoie. J’attends que ses pas ne résonnent plus dans le couloir pour sortir le paquet de cigarette de ma poche et en allumer une. Je quitte la chaise et vais m’installer par terre, contre la pierre glacée et tire une taf. Je n’ai même pas fini ma cigarette que je m’endors déjà. La journée a été dure.
« On n’a cru que tu n’arriverais jamais. »
Spike est assis en face de la mer, sur une plage de galets. La lumière des torches de la salle d’interrogatoire a laissé place à un grand soleil, la pierre froide à un ciel bleu.
« Brogan n’a pas voulu me lâcher. »
Spike laisse échapper un rire. Il a l’air heureux ici ; ça m’étonne à chaque fois. Surement parce qu’il est à mille lieux de ce qu’il est dans la vraie vie. Je n’ose pas parler de vraie vie devant lui. C’est ici sa vraie vie, maintenant. Si je lui disais le contraire, je les détruirai, lui et son monde.
« J’ai vu Ron, aujourd’hui. Il a m’a dit que les Médicomages te facilitent pas le séjour. »
Il se mord la lèvre pour ne pas rire. Ça le fait marrer, visiblement. A croire que le mot torture n’a pas la même signification pour lui.
« Je vais bien. »
Je n’essaye pas de le contredire, je m’éloigne, marche quelques minutes sur la plage. A en juger au paysage, on est dans le rêve de Spike. Comme souvent, c’est celui qui s’endort le premier en général. En un clignement d’œil, la plage a disparu. Je me retrouve dans un salon au style victorien. Il pleut dehors et quelqu’un a allumé le feu dans la cheminée. Sur un fauteuil, il y a une femme qui lit un livre. Je ne vois pas son visage, caché derrière le bouquin, seulement ses cheveux auburn, tirant sur le roux. Elle n’est pas comme Spike, elle ne me dit pas qu’elle m’attend depuis un moment. Elle prend le temps de finir son chapitre, me laissant poireauter comme un con au beau milieu du salon. Enfin, bien trop lentement, elle pose son livre, se lève et me signe de la suivre dans la chambre. C’est ce que je fais, sans un mot, parce qu’on a toujours fait comme ça.
Alors que Lily commence à se déshabiller, la question de Ron me revient. Est-ce qu’on se rend compte que ce qu’on fait est mal ? Je lui ai menti,. Je sais que c’est mal. Pas les rêves. Il ne parlait pas des rêves, mais bien de moi et Lily. Les rêves, ce ne sont que des prétextes.