La nouvelle était tombée comme un couperet. Voldemort était tombé, terrassé par un enfant d’un an dont le nom était désormais sur toutes les lèvres : Harry Potter avait vaincu le Mage Noir le plus puissant de tous les temps. Wizard Radio avait interrompu son programme spécial Halloween pour annoncer la nouvelle. L’évènement ferait à coup sûr la Une de la Gazette du Sorcier le lendemain : Harry Potter, le Héros orphelin.
Dans toutes les habitations sorcières on était à la fois heureux de la chute de Voldemort, enfin soulagés de savoir qu’il ne nuirait plus, mais également profondément touchés par le sacrifice de James et Lily Potter. Ils laissaient un bambin dont la seule blessure, une plaie en forme d’éclair sur le front, ferait de lui le sorcier le plus célèbre de sa génération.
Chez les Mangemorts, la désolation régnait, ainsi que l’incompréhension. Tous étaient abasourdis par la nouvelle, choqués par la disparition de celui qu’ils pensaient invincible. Ils n’avaient pas eu besoin d’écouter le Flash Spécial à la radio pour apprendre la mort de leur Maître. Une horrible douleur était apparue d’un coup à l’endroit même de leurs Marques. Celle-ci s’était ensuite effacée, ne laissant guère qu’un vague contour de la tête de mort et du serpent, et tous avaient su que leur Guide était tombé.
Certains avaient décidé de fuir et d’autres de se venger en torturant des Moldus et des sorciers donc le sang était, selon eux, douteux.
Quelque part dans l’Impasse du Tisseur, bien loin de ce mélange d’émotions et de l’agitation qu’avait provoqué la nouvelle, Severus Rogue, jeune Mangemort mystérieux mais prometteur, s’était assoupi dans le fauteuil du salon, et était en plein rêve agité dans lequel se mélangeaient les cris d’une femme, des pleurs de bébé et deux yeux verts étincelants, suppliant un autre regard, rouge celui-ci. Il se réveilla alors en sursaut, sa Marque le brûlant comme jamais. Voyant les traits de celle-ci s’effacer, il comprit aussitôt et transplana à Godric’s Hollow.
Ses pires craintes se confirmèrent lorsqu’il vit le toit du cottage des Potter complètement défoncé. Le cœur battant la chamade, il entra à la hâte, prenant à peine le soin de vérifier que personne ne le verrait, et se dirigea directement à l’étage, évitant de justesse de trébucher sur le corps de James.
En arrivant sur le palier, il eut un maigre espoir en entendant des pleurs de bébé. Si l’enfant a survécu, peut être que Lily aussi. Mais il comprit que son souhait était vain, lorsqu’il aperçut sous les gravas, sa Lily étendue sans vie.
L’homme, habituellement si froid, tomba à genoux devant le corps de la jeune femme au visage angélique et la prit dans ses bras, la berçant tendrement, comme on le ferait pour consoler un enfant. L’étreinte était d’autant plus douloureuse qu’il l’avait espérée maintes fois, mais dans ses rêves les plus fous, de leurs corps serrés l’un contre l’autre, il émanait une chaleur exquise. A présent, Lily reposait, endormie à jamais, et il pouvait sentir la froideur qui commençait à l’envelopper doucement. Il resta ainsi, immobile, il ne sut combien de temps, jusqu’à ce qu’un bruit de moteur retentisse. Apercevant le side-car de Sirius Black, Severus déposa un dernier baiser sur le front de Lily et transplana vers l’Impasse du Tisseur.
En ce soir du 31 octobre 1981, alors que les sorciers se retrouvaient, levant leur verre en dernier hommage aux Potter, et que la plupart des Mangemorts s’unissaient pour venger la mort de leur Maitre, un homme tout de noir vêtu arrivait chez lui en claudiquant tel un corbeau blessé, la douleur terrassant ses membres.
Il entra et rejoignit directement le salon. La pièce était semblable à une bibliothèque géante. Des livres prenaient place sur tous les murs, posés sur des étagères. De l’air. Il lui fallait de l’air. Faisant fi du froid glacial de la nuit, il ouvrit les fenêtres, laissant le vent s’engouffrer sous les rideaux. Il tomba ensuite sur un vieux rocking chair bleu. Encore choqué de l’image de Lily, il se servit un verre de Whisky Pur Feu qu’il avala d’une traite. Tout était désormais silencieux. Le vacarme de son cœur, palpitant dans ses entrailles, s’était atténué. Il se sentait vide. Plus rien qu’une détresse sans nom qui allumait chaque parcelle de son cerveau.
Dehors, quelques gamins moldus déguisés pour Halloween riaient aux éclats dans la cité ouvrière, bien loin de se douter que juste dernière la fenêtre, un homme qui avait rêvé de gloire venait de se brûler les ailes dans sa quête.
Il savait que Voldemort attaquerait les Potter. Il savait qu’il s’en prendrait à Harry, et inconsciemment, il se doutait que Lily se sacrifierait pour sauver son fils. Une Gryffondor. Au fond de lui, il s’attendait même à ce que sa décision de rejoindre les Mangemorts se retourne contre lui un jour. Il se détestait d’avoir agit aussi stupidement. D’avoir entendu la prophétie et de l’avoir transmise à son Maître. Qu’avait il gagné ? Rien. Absolument rien. Qu’avait il perdu ? Un espoir sans doute. Un espoir qu’il le faisait rire, de temps en temps et qui nouait sa gorge à d’autres. Un espoir de la retrouver un jour, et de lui dire tout ce qu’il n’avait jamais pu. Que lui restait-il, à présent ? Des souvenirs. Simplement des souvenirs. Leurs rires d’enfants lorsqu’il lui racontait le Monde Sorcier, son sourire à elle, le jour où elle lui avait appris à jouer aux osselets. Leurs différences aussi. Elle douce et rayonnante, comme une colombe. Lui, le gamin mal aimé, toujours sur la défensive. Et sa crinière rousse… Il la revoyait tournoyer alors qu’elle s’éloignait après leur dispute qui avait tout changé.
Perdu dans ses pensées, fixant la valse des rideaux gonflés par le vent, il cru un instant la voir traverser le salon, habillée d’une longue robe crème, ses cheveux ondulant selon le mouvement de ses hanches. Il tressaillit et reprit ses esprits. Rien. Il avait dû s’assoupir juste assez pour que son cerveau lui envoie l’image de son dernier souvenir d’elle. Souvenir de deux ans auparavant, où, voulant vérifier par lui-même les rumeurs, il s’était caché à l’angle d’une rue donnant sur la maison des Evans, et qu’il l’avait vue sortir de chez ses parents, magnifique dans sa robe de mariée. Il l’avait trouvée encore plus belle que d’habitude, mais n’avait pu retenir la douleur opulente qui avait traversé tout son être. Les bruits de couloirs avaient raison. Elle allait épouser James Potter. Le même James Potter qu’il avait détesté. Lui et son arrogance. Ce stupide Potter qui n’avait toujours compté que sur sa belle gueule, et qui avait fini par conquérir sa Lily, l’épouser, et, comble de la douleur, lui faire un enfant. Un enfant qui grandirait avec la célébrité que son père avait toujours aimé. Elle s’était unie à lui jusqu’à ce que la mort les sépare, et comble de l’ironie, la mort les avait emportés le même jour, et ils seraient maintenant ensemble à jamais. Un mélange de haine et de jalousie traversa son esprit. Il aurait tout donné pour revenir en arrière et être à la place de James. Etre le mari de Lily et le père de l’enfant qu’elle aurait porté. La rendre heureuse, la protéger. Et mourir avec elle. L’avoir à lui pour l’éternité.
L’horloge sonna une heure du matin et le ramena à la réalité. La douleur réapparut aussitôt. Une douleur sans égale. Une lente agonie l’aurait moins fait souffrir. La blessure qui fissurait son cœur était un gouffre sans fond, et la culpabilité qui le rongeait, désormais gigantesque semblait s’être greffée à lui tel un parasite collé au plus profond de son âme, et il le savait à présent, ce poids ne le quitterait plus. Il ne le voulait pas d’ailleurs, il voulait se rappeler chaque seconde de cette douleur. Vivre éternellement avec le souvenir du visage endormi à jamais de Lily. Tout le monde vit avec les fantômes de son passé, Severus devrait dorénavant faire de même.
Différentes questions se mélangèrent dans sa tête.
Que se passerait-il demain ? Qui guiderait à présent les Mangemorts dont il faisait partie. Mangemorts qu’il haïssait, à l’heure actuelle. Eux et leurs belles promesses de gloire et de reconnaissance, qui ne lui avait apporté que solitude et dégoût de lui-même. Comment pourrait-il faire semblant d’être atterré par la mort du meurtrier de sa Lily ? Il savait au fond de lui qu’il y arriverait, mais à cet instant, tout lui semblait insurmontable.
Il se sentait pris au piège. On ne quittait pas le cercle des Mangemorts, il en était conscient, mais il ne pourrait plus jamais servir pour le mal. Son âme avait changé d’allégeance dès qu’il avait vu le corps de Lily à terre. Il souhaitait se racheter, nettoyer un peu le sang, invisible mais tenace, qu’il avait désormais sur les mains, et pourtant tout lui semblait impossible.
Il ne voyait rien. Pas d’avenir serein. Plus de chance de bonheur maintenant qu’elle était morte.
Cette dernière pensée lui laissa un goût amer. Alors, pour la première fois depuis les coups de son père, Severus laissa son chagrin le submerger, et, assis dans ce vieux fauteuil, il prit sa tête entre ses mains et autorisa ses larmes à inonder ses joues. Des larmes qui, il le savait, entretiendraient la plaie béante au fond de son cœur. Des larmes qui laisseraient une part d’Elle au fond de lui. Les larmes du Corbeau, qui arroseraient à jamais le souvenir du Lys, de Lily.
Lorsque ses larmes se tarirent et qu’il retrouva un peu de lucidité, le nom de Dumbledore lui traversa l’esprit. Ce vieux fou avait dit qu’il les protègerait, il lui avait promis mais n’avait rien fait. Malgré sa colère envers le directeur de Poudlard, il sut à l’instant même où son nom résonna dans sa tête, qu’il était le seul à pouvoir l’aider.
Alors en dépit de l’heure tardive et du risque de croiser des Mangemorts, Rogue ravala pour un instant son chagrin, se leva et transplana en direction de Pré au Lard. Il se sentait démuni, complètement dévasté. La culpabilité lui rongeait les os. Il aurait préféré mille fois donner sa vie pour sauver Lily. Il avait besoin d’une oreille pour l’écouter, et, il devait bien le reconnaître, Dumbledore était bien le seul à pouvoir le faire.
Arrivé à destination, il prit le chemin de Poudlard. C’était maintenant ou jamais. Severus Rogue filait en direction du château, sa démarche gauche et mal assurée traduisant sa tristesse.
Il filait, il le savait maintenant, faire face à son destin.