Merci à Hugo pour la bêta!
Tout à JKR hormis moi, le vieux et Priscilla.
Priscilla fumait de l'herbe et boire c'était lui montrer que je n'étais pas comme elle, qu'il y avait une toute petite partie de moi qu'elle n'avait pas corrompue. On était totalement défoncées et je dessinais des lignes lumineuses entre ses grains de beauté. Je me noyais dans le triangle des Bermudes de sa joue gauche. Les cheveux secs, abîmés par le peroxyde, chatouillaient mon visage et le triangle des Bermudes m'engloutissait.
À l'hôpital, ils m'ont dit que c'était un coma éthylique, ils n'ont pas eu l'air de me croire lorsque je leur ai affirmé que je n'avais pas touché à l'alcool. Je suis restée à l'hôpital, dans ma grande chambre trop blanche, Priscilla m'attendait, lumineuse, comme à chaque fois qu'elle poussait quelqu'un dans ses retranchements. Ses yeux noirs dévoraient son visage et ses cheveux blonds étaient plus cassants que jamais dans la lumière aveuglante de ma lampe de chevet. Elle était magnifique quand même, ses joues creusées se gonflaient avant d'expirer lentement sa cigarette. Elle savait qu'elle n'avait pas le droit de fumer, c'était ça qu'elle aimait, bafouer les règles. C'était pour ça que je l'aimais.
« Comment te sens-tu ?
-J'ai soif. Mais je n'ai pas envie de boire de l'eau.»
Elle riait d'une façon si jolie, Priscilla, comme si elle se retenait de montrer à quel point j'étais ridicule. Elle n'avait jamais été aussi proche de moi.
«Je suis fatiguée.»
Elle est partie, son sourire moqueur cousu aux lèvres.
Mes chaînes cliquetaient, comme celle des autres prisonniers, nous avancions sur un sol jonché de corps en putréfaction et personne n'osait baisser les yeux. Parfois, je reconnaissais un visage ami, ou un membre de la famille de ma mère. Le vieillard de devant haletait en pestant.
Je me réveillai brusquement, Priscilla n'était plus là. Mon rêve, mon cauchemar restait coincé sous mes paupières, j'ai failli demander un chausse-pied pour le décrocher. Je frissonnais, jamais auparavant je n'avais entendu qui que ce soit faire le moindre bruit dans mes rêves, ce n'était que des chuchotis aussi grinçants que le sourire de Priscilla. L'alcool m'avait sûrement détraqué le cerveau.
Priscilla m'a apporté une tasse de thé, avec de la tequila à l'intérieur, c'était à gerber, elle le savait, elle souriait. En attendant, c'était ma seule source d'alcool. Ma mère avait un proverbe, quelque chose qui parlait de fortune et de coeur qui aurait été parfait dans ma situation, seulement ma mémoire était trop embrouillée et je n'avais pas envie de faire l'effort de m'en souvenir.
Le vieux se retourna.
«Vous faites pas de mouron, mam'zelle, ça va vite, ils disent que c'est pour le plus grand bien et ils ne font pas trop mal à c'qui paraît.»
Je ne répondit que par un "Euh..." particulièrement brillant qui dut me faire passer pour une érudite.
Il faisait froid et le sol coupait la plante de mes pieds comme l'auraient fait des lames de rasoir.
Vite, je vérifiais mes pieds qui étaient évidemment intacts.
«Pourquoi est-ce que tu regardes tes pieds ?
- Pour savoir si tu ne me les avais pas mangés durant mon sommeil.
- Tu devrais voir un psychologue, dit-elle, pleine de faux semblants.
- Ou un psychiatre" répondis-je sur le même ton.
Priscilla sourit. Cela faisait trois fois aujourd'hui et je décidai que c'était un bon signe et que peut-être elle pourrait m'aimer.
J'avais cessé d'avancer, épuisée par cette marche forcée gargantuesque. Un homme immense s'approcha. Tatoué sur le front de l'homme, un triangle dans lequel était inscrit un cercle et une barre qui passait en médiatrice. Il me prit le menton, l'examina sous toutes ses coutures, sûrement un fétichiste des mentons. Il me lança un sort qui tordit mes entrailles et qui brûla tout autour de moi, mes yeux se révulsaient de douleur. Un sorcier, c'est un sorcier, en tout cas c'est ce qu'a dit le vieux de devant, un sorcier avec un triangle bien moins élégant que celui de Priscilla.
Priscilla me prit la main lorsque je me réveillai.
«Tu fais des cauchemars ?»
Ses yeux s'allumèrent, comme à chaque fois qu'elle parlait de cauchemar, peut-être parce que sa vie toute entière en était un.
«Oui, un cauchemar. Je ne l'aime pas, c'est toujours le même. Je deviens aussi folle que toi.
- C'est bien possible. On fondera un hôpital psychiatrique.
- Tu veux bien m'empêcher de me rendormir ?
- Tu ne veux pas connaître la suite ?
- Non, pas tant que ça. Je suis sûre que ça va mal finir, je n'ai jamais eu aussi peur et aussi mal.»
Elle m'a laissé sombrer.
Ils voulaient utiliser nos cadavres, en tout cas c'est ce que le vieux de devant m'avait dit, il était moins con qu'il en avait l'air et il a appelé ça de la nécromancie. La file d'humains avançait lentement mais tout de même assez pour que je puisse voir ce qui m'attendait. Une exécution. Le cauchemar déployait ses tentacules d'irréalisme, j'étais si fatiguée, je m'endormais dans le rêve et fermais frénétiquement mes yeux pour me réveiller.
Le sourire de Priscilla était bienveillant pour la première fois.
«Tu es une garce, tu m'as laissé dormir.
- Tu es méchante. Tu es trop jolie pour réussir être gentille. On est un peu pareilles, toutes les deux.
- Tu aimes l'Autre.
- J'aime l'Autre.
- Ne me laisse pas dormir.»
Et mes paupières papillonnèrent. Cette fois-ci, en voyant ma détresse, elle me secoua le bras.
Le vieux m'adressa un pauvre sourire édenté.
«Nous allons mourir ?
- Nous allons mourir.
- Pourquoi ?
- Vous êtes une moldue, v'la pourquoi.»
Je fermais les yeux.
«Priscilla ? Tu sais ce qu'est une moldue ?
- Non, pourquoi ?
- Ne me laisse pas dormir.»
«Vous savez, mam'zelle, Dumbledore viendra nous sauver.
- Qui ?
- Un grand homme.»
Pourtant nous étions tous petits, nous ployions sous les chaines et les sorts des sorciers, pas de grand homme en vue, seulement des petites fourmis apeurées et condamnées.
Priscilla me gifla.
«Hé ! Debout !»
Je lui lançais un regard des plus stupides, elle parut peinée, et moi, avec mon orgueil mal placé, je fermais les yeux, je faisais tomber le rideau rouge sur cette fille qui ne voulait pas m'aimer. C'était la fin, mesdames et messieurs.
Le vieux me lança son pauvre sourire à la gueule, la file avançait lentement dans un cliquetis de chaînes insupportable. L'attente d'une mort proche était aussi insupportable que le bruit que se frayait un chemin dans ma cervelle, faisant des trous partout.
«Vous savez comment on rebouche les trous avec de la magie ?
-Vous parlez de quels trous ?
-Ceux qui sont dans la tête. Ceux que le bruit des chaînes creuse.»
Pauvre sourire édenté.
«Désolé, mam'zelle, vous devenez folle. Y a d'quoi. D'ailleurs moi aussi je suis zinzin.»
Je n'insistais pas.
J'appris qu'il s'appelait Grindewald, l'homme qui allait m'assassiner, il fit des moulinets avec une baguette des plus singulières. Je fermai alors les yeux, attendis de me réveiller, de retrouver Priscilla et ses caresses, de me bourrer la gueule à nouveau, l'homme s'approchait dangereusement et je faisais tout pour retourner dans ma chambre. Clignements d'yeux frénétiques. La baguette se pencha vers moi, presque d'une volonté propre.
Il n'y avait pas de Priscilla, il n'existait pas d'hôpital aussi moderne, ni de lit aussi confortable. Il n'y avait que cette file sans fin, dans laquelle j'avais évolué à moitié assoupie. Mon avant-dernière pensée fut que j'aurais aimé rencontrer Priscilla dans un autre rêve et vivre dans cet endroit plein d'alcool.
La dernière fut les paroles du sorcier :
«Pour le plus grand bien.»
C'est inspiré de La nuit face au ciel de Julio Cortazar.
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