Tu es assise sur ce banc depuis de longues minutes maintenant. Tu as froid mais tu ne trembles pas. Sans doute ne réalises-tu pas que tu as si froid. Et tu réfléchis.
Tu as décidé de partir. Tu as quitté ta douce France et pris part à une aventure extraordinaire, tellement extraordinaire. Tu as été mise à l’épreuve et forcée plus d’une fois à rassembler tout le courage dont tu disposais pour braver tes plus grandes peurs. Mais tu n’aurais jamais pu imaginer la façon dont tout ça s’est terminé. Personne ne l’aurait pu.
Tu étais Fleur. Fleur, l’élève de Beauxbâtons qui maîtrisait les sortilèges d’une main de maître. Fleur, celle qui fut choisie comme championne de son école. Fleur, la jolie fille dont tous les garçons tombaient amoureux.
Tu étais l’insaisissable Fleur, celle qui ne se laissait jamais cueillir. Pas même ton cavalier Roger Davies, tu te souviens ? Tu aimais cette réputation qu’on te donnait. Ça entretenait le mystère sur celle que tu étais vraiment. Mais tout ça, ça n’était qu’une façade.
Tu as ouvert ton cœur à ceux qui étaient dans le même bateau que toi : Cédric et Victor. Pas Harry, il était bien trop jeune, et bien trop à part. Mais les deux autres et toi, vous formiez un joli trio de champions. Et puis, il y a eu le labyrinthe. Vous n’étiez plus trois. Vous n’étiez plus que deux.
Et tout a changé.
Le lendemain de la troisième tâche, tu as naïvement pensé que tu pourrais reprendre ta vie d’avant. Retourner en France et passer ton diplôme pour être admise à l’académie française de sorcellerie. Retrouver ta famille et continuer à briller dans tes études pour que ton avenir soit couronné de succès. Tu es rentrée chez toi et tu as réussi à obtenir d’excellentes notes à tes examens. Deux étapes sur trois. Et puis tu as plaqué l’académie, et tu es repartie. Parce que tu as pris goût à la liberté de ne pas faire ce qu’on attend de toi, sans doute.
Mais la liberté semble éphémère dans ce pays. Et alors que tu foules à nouveau ta terre natale, tu fais le point sur les cinq mois que tu as passés là-bas. Pas une journée sans se demander si le Ministère ne va pas imploser, si Poudlard ne va pas être restructuré, si le sort de tous ne va pas basculer…
Tu te dis que tout aurait été plus simple si tu étais restée chez toi au départ. Avoir traversé la Manche t’oblige à choisir un camp. Non pas choisir entre le bien et le mal, ce serait bien trop facile. Tu dois décider si tu repars à l’aventure, sachant que les plus grandes peurs que tu as vécues lors du tournoi ne seront rien à côté de ce qui t’attend, ou si tu restes ici pour de bon, loin des prémices d’une guerre bien trop complexe et bien trop horrible. Tu ne serais même pas obligée d’aller à l’académie. Le village de Beauxbâtons est si paisible… Madame Maxime t’offrirait un poste à l’école, tu y verrais Gabrielle tous les jours et tu n’aurais plus à te soucier de ce qui se passe en Angleterre.
Mais là-bas, tu as déjà fait un pas vers ton avenir. Là-bas, il y a Gringott’s. Et là-bas, il y a Bill. Bill dont la famille est directement impliquée dans le tournant que l’histoire a pris depuis le labyrinthe. Tu as écouté Bill t’en parler pendant des heures et ça t’affecte bien plus que tu ne le pensais. Et ça, tu ne peux pas l’ignorer.
To get to know your heart
Time to show your face
Time to take your place
Tu lèves la tête. A quelques pas de là, Viktor fait les cent pas comme pour tenter de se réchauffer, et tu sais que lui aussi est en plein réflexion. Il t’a fait la surprise de venir te rendre visite alors qu’il a un match très important dans deux jours, et son geste te touche beaucoup. Votre amitié s’est renforcée depuis la disparition de Cédric. D’un côté ça t’attriste qu’il ait fallu ce drame pour que vous vous rapprochiez ainsi. De l’autre, tu es heureuse parce que dans cette amitié improbable, vous y gagnez tous les deux à vous confier à l’autre. C’est si facile de se confier quand on ne connaît pas encore tout le passé de son interlocuteur, on n’a pas à se demander si on en dit trop ou pas assez. Vous avez rattrapé le temps perdu en bavardant une bonne partie de l’après-midi chez Madame Vertefeuille, mais vous avez tout de même fini par aborder des sujets plus sérieux. C’est lui qui a amorcé la conversation sur la situation en Angleterre, et il l’a fait de façon à ce que tu ne parviennes pas à deviner ce qu’il pensait de tout ça. Tu t’es dit que c’était facile pour lui ; à peine rentré en Bulgarie, son quotidien de star internationale est bien loin de ce que tu vis à Londres.
Mais tu t’es trompée. Karkaroff et son état d’esprit sombre et presque cruel n’étaient rien à côté de ceux qui l’entourent dans son club de Quidditch. Viktor t’a dit que beaucoup d’entre eux parlent dans l’ombre de rejoindre les forces du Seigneur des Ténèbres et ça l’inquiète. Parce que ce ne sera pas long avant qu’on en attende autant de lui. Lui n’a pas envie de se mêler à tout ça, comme toi.
Et puis, il se tourne subitement vers toi. Il te dit que tout ça finira par vous rattraper, d’une façon ou d’une autre, d’un jour à l’autre. Que ça ne sert à rien de fuir. Que s’il faut se battre, autant le faire non pas en étant traîné dans l’arène mais en y étant préparé.
A cet instant, tu comprends qu’il a choisi son camp, et tu en fais autant. Tu réalises que votre vie d’avant est derrière vous, que vous ne pourrez plus jamais vivre sur le chemin par lequel vous êtes arrivés.
Désormais, tu dois aller de l’avant en suivant la route que le destin a tracée pour toi. Le temps n’est plus aux frivolités des bals de Noël et aux flirts dans les couloirs entre les cours. Aujourd’hui, tu n’es plus une élève. Tu es une adulte et tu dois faire des choix qui seront déterminants pour le restant de ta vie.