Le départ n’était plus que dans quelques heures. Ils savaient qu’ils resteraient éveillés jusqu’à très tard le soir, comme pour se rassurer mutuellement de leur présence. Mais il était maintenant très tôt le matin, et aucun d’eux n’avait vraiment réussi à oublier sa peur.
Les quelques bouteilles et friandises que les garçons avaient ramené des cuisines, risquant par la même occasion d’être puni une dernière fois avant Noël, avaient à peine été entamés. Tout au plus deux ou trois bouteilles étaient ouvertes, encore à moitié pleines sur une des tables de la salle. Personne n’avait eu le cœur à y toucher. Personne n’avait même eu le cœur à faire semblant.
Faire semblant que tout allait bien, faire semblant d’être heureux pour les fêtes de Noël qui approchaient. Faire semblant de penser qu’il ne s’agissait que d’un banal départ en vacances qui serait suivi d’un retour dans deux semaines.
-On devrait peut-être y aller, murmura Hannah.
Sa voix était à peine audible, mais il régnait un tel silence dans la salle que personne n’eut véritablement de mal à l’entendre.
La petite vingtaine d’élèves présente parut alors se réveiller d’un long sommeil. Ceux qui encore quelques secondes auparavant avaient les yeux rivés au sol et semblaient presque soumis à un sortilège échangeait désormais des regards mi-inquiets, mi-rassurés. Comme s’ils n’avaient passé leur soirée qu’à attendre que quelqu’un ose enfin prendre la parole.
Dans un coin de la pièce, Ginny reposa son verre presque vide à côté d’elle. Ils étaient peu à s’en être servi un, encore moins à y avoir touché.
-Qui a l’intention de revenir ? demanda-t-elle alors d’une voix haute, claire et distincte.
Sa question eut l’effet d’une bombe. Sans chercher à prendre le moindre raccourci, elle venait de dire tout haut ce que tout le monde se demandait tout bas. Et pas seulement depuis le début de la soirée, mais depuis presque le début de l’année scolaire.
Qui avait l’intention de revenir ? Qui avait l’intention de revenir, après les vacances de Noël, dans une école où presque tout était maintenant interdit ? Qui avait l’intention de revenir dans une école où l’on pouvait être torturé pour ses simples idées ? Qui avait l’intention de revenir dans une école où tant de gens, tant d’amis manquaient déjà à l’appel ?
Voyant que malgré les murmures qui parcouraient la salle, personne ne semblait décidé à répondre à sa question, Ginny reprit la parole avec autant d’assurance que la première fois :
-Moi je vais revenir.
Et d’ajouter, face aux mines ébahis de ses camarades :
-Bien sûr.
Neville esquissa un bref sourire. Il admirait depuis le début de l’année la capacité qu’avait Ginny à mettre les gens au pied du mur. Elle était talentueuse. Tous les gens présents dans cette pièce allaient non seulement devoir se justifier sur leurs intentions, mais ils allaient en plus être fortement incités à rester eux aussi, s’ils ne voulaient pas passer pour les lâcheurs.
Rien que pour cela, il était sûr que tous les Gryffondor allaient rester. Question de fierté mal placée sans doute. Les Poufsouffle suivraient, ils n’abandonneraient pas leurs amis. Et les Serdaigle ne voudraient pas être laissés de côté.
Seuls les Serpentard seraient sûrement partis. Cela tombait bien, il n’y en avait pas un.
-Est-ce que c’est vraiment utile ? se risqua à demander Ernie.
Il avait posé la question, mais il cherchait du regard l’appui de ses amis. Qui eux-mêmes semblaient hésiter entre le regarder lui ou regarder Ginny.
Talentueuse, Ginny.
-Seamus te répondra mieux que moi, dit celle-ci en lançant un regard appuyé vers le jeune homme.
Lui aussi avait un verre à la main. Il était d’ailleurs le seul à l’avoir fini. Lavande, à côté de lui, n’avait pas touché au sien. Mais elle n’était pas Irlandaise et Neville s’était suffisamment retrouvé seul avec Seamus depuis le début de l’année pour savoir que cela justifiait, selon lui en tout cas, un certain attrait pour la bière.
-Il y a bien un truc que je peux dire, oui, confirma celui-ci.
Le regard entendu qu’il jeta à Ginny et Neville ne trompa pas ce dernier. Il était prêt à parier que Seamus allait leur raconter une certaine anecdote de début d’année.
-Un discours, Seamus, dirent en chœur Lavande et Parvati.
Il leur répondit d’un clin d’œil, mais c’était vers Lavande que son regard était tourné. Malgré cela, il réussissait tout de même à se croire discret. Il était bien le seul.
Tous les élèves présents étaient maintenant parfaitement réveillés. Avant que Seamus ne prenne la parole, certains se servirent même un verre à leur tour. Ce fut comme un signal. En à peine quelques minutes, tout le monde avait désormais un verre à la main, et ceux qui s’en étaient servi un sans y toucher le buvaient maintenant sans hésiter. Seamus en profita pour se resservir aussi, avant de se placer au milieu de la pièce.
-Vous voulez savoir pourquoi Neville a peur de moi ? lança-t-il à la cantonade, le regard cette fois dirigé vers son ami.
Tout le monde rigola franchement, pour la première fois depuis le début de la soirée. C’était arrivé une seule fois, il y avait déjà plusieurs mois. Neville et Seamus n’étaient pas d’accord sur le fait de taguer des murs en pleine nuit. Le ton était monté et Seamus avait fini par crier pour se faire entendre, et Neville avait alors accepté immédiatement, soucieux de ne pas déclencher une dispute comme il l’avait justifié par la suite. Evidemment, Seamus l’avait rappelé à chaque fois, toujours enclin à le taquiner. Même si en réalité, tout le monde faisait suffisamment confiance à Neville pour que ses idées deviennent le plus souvent réalité.
-C’était en début d’année, reprit Seamus. J’avais bien vu que Neville et Ginny conspiraient quelque fois. Un soir, Neville est rentré à pas d’heure dans le dortoir. Je lui ai dit que je voulais en être. Il m’a pris pour un con et a fait comme s’il ne préparait rien.
-J’aurais utilisé « hurler » plutôt que « dire », Seamus, précisa Neville.
-Peu importe. Il m’a quand même fallu une bonne heure pour lui faire avouer qu’il voulait faire quelque chose avec Ginny. Encore une autre pour qu’il accepte que j’en fasse partie, moi aussi. Au bout d’un moment, je commençais même à me demander si ce n’était pas moi qui me faisais des idées, et Ginny qui trompait simplement Harry avec Neville !
Nouveau fou rire dans la salle, le deuxième de la soirée. Mais cette fois-ci, Seamus ne laissa pas ses camarades rire aussi longtemps. Il reprit bien vite la parole, l’air beaucoup plus sérieux.
-Il a fini par accepter. Alors voilà. Trois. On était trois. On était seulement trois.
Plus personne ne riait. Chacun regardait son voisin, ses voisins, comptait du regard le nombre de personnes présentes dans la pièce.
-On est une vingtaine maintenant. On en a bavé, sérieusement. Et on en bavera sûrement encore. Mais à chaque fois, on est plus nombreux. Et ça peut continuer encore.
Il aurait aimé ajouter quelque chose, une dernière phrase peut-être qui aurait achevé de convaincre les récalcitrants, mais il n’a jamais été vraiment doué pour les discours. Alors il préféra se rassoir à côté de Lavande, laissant chacun des élèves présents réfléchir à ce qu’il venait de dire. Pendant un moment, le silence sembla devoir s’imposer de nouveau. Sauf que cette fois-ci, il y avait des sourires qui se dessinaient sur les visages dans la salle.
Et finalement, ce fut Neville qui fit le premier geste. Ginny avait réveillé les consciences, Seamus leur avait donné une raison de rester, c’était à Neville de donner un sens à cette raison.
-A l’armée de Dumbledore.
C’était la première fois que son Patronus avait une forme corporelle. Il regarda le grand chien blanc, qui ressemblait à un berger allemand, s’envoler vers le ciel étoilé qu’avait revêtu la Salle sur Demande ce soir-là.
-A Dean, dit alors Seamus.
Un renard rejoignit le berger dans le ciel étoilé. Neville ne se souvenait pas avoir jamais vu Seamus produire un Patronus corporel non plus.
-A Harry.
-A Justin.
-A Hermione.
-A Ron.
-A Colin.
Un cheval, un lapin, une belette, un aigle, un chat, une chèvre, un ours, un sanglier, et bien d’autres animaux encore, rejoignirent à leur tour le renard et le berger dans le ciel étoilé. Le ciel où les Patronus brillaient désormais plus forts que toutes les étoiles réunies.
Le ciel où brillait leur amitié, où brillait ces liens qui les unissaient, où brillait leur foi en un avenir meilleur.
Et l’espoir jamais parti.