Merope regarda une fois de plus la potion. Bleue, parfaitement bleue. Le plus beau bleu qu'elle n'ait jamais vu.
Le test était positif. Tom et elle allaient avoir un enfant. Un bébé rien qu'à eux, né de leur amour.
A cette pensée, une pointe d'amertume se glissa en elle. Elle la contint vite, la force de l'habitude. Toujours, ce poison de savoir que Tom était tenu par le philtre. Cette petite bouteille qu'elle n'avait jamais oubliée, en un an, de secouer une fois par semaine au-dessus de sa tasse de thé. Mais maintenant qu'elle était enceinte, tout pouvait changer. Tom aimerait forcément cet enfant, ce don. Il verrait à quel point ils étaient heureux ensemble, et se rendrait compte à quel point elle lui était chère. Le philtre, d'ailleurs, n'était-il pas inutile depuis plusieurs mois ? Ce n'était pas de la magie noire, après tout, mais une simple potion. La force morale de son mari aurait sans doute pu l'en libérer bien plus tôt.
Petit à petit, l'idée d'arrêter faisait son chemin. Merope caressa son ventre d'un air rêveur. Tom était un homme d'honneur, il resterait au moins s'occuper de l'enfant et elle pourrait lui prouver qu'elle était celle qu'il lui fallait.
— Ma chérie ?
Elle sursauta. Son mari l'enlaça, les yeux plein d'amour.
— Quelque chose ne va pas ?
Ce regard... ce regard décida Merope. Il ne pouvait pas être feint. Elle refusait qu'il le soit. Il ne l'était pas.
Elle releva la tête de la potion bleue, sourit.
— Tout va bien mon amour. J'ai pris une grande décision aujourd'hui.
Le jour �tait venu o� Merope devait agir. Ou plut�t ne pas agir. Si elle ne donnait pas la potion � son mari, les effets seraient annul�s vingt-quatre heures plus tard. Pour se donner du courage, la main serr�e sur la petite bouteille, elle repensa � ses yeux. Mais d�autres souvenirs remont�rent.
� Ce cottage est la propri��t� d�un vieux mis�reux du nom de Gaunt qui habite l� avec ses enfants. Le fils est compl�tement fou, tu devrais entendre les histoire qu�on raconte sur lui au village�
� Tom, je me trompe peut-�tre, mais j�ai l�impression que quelqu�un a clou� un serpent � la porte.
� Grand Dieu, tu as raison ! C�est s�rement le fils, je te l�avais dit qu�il �tait d�rang�. Ne regarde pas, C�cilia ch�ri �.
Et la voix de son fr�re�
� Ch�rie, il l�a appel�e � ch�rie �. Donc, il ne voudrait pas de toi, de toute fa�on.
***
Son sourire quand il la prenait dans ses bras�
***
Leur premi�re rencontre.
Merope avait attendu des heures pr�s de la porte. En entendant le bruit de son cheval, elle avait pri� pour qu�il soit seul. Il l��tait. Elle avait pris son courage � deux mains et, sans plus r�fl�chir, avait ouvert la porte et cri� � Monsieur ! �
Il l�avait regard�� d�un air mi-d�go�t� mi-intrigu�. Pourtant, nul serpent n�ornait plus la porte d�entr�e et elle s��tait particuli�rement bien soign�e. Mais elle restait la fille Gaunt. Elle �tait tout juste parvenue � b�gayer :
� Il fait� tr�s tr�s chaud� Un verre d�eau ?
Tom l�avait regard�e de haut en bas, avait h�sit�, puis �tait finalement descendu de son cheval. Elle avait frissonn�e sous son regard m�prisant, � mille lieux de celui qu�il posait sur cette femme, celle qu�il appelait � ch�rie �, qu�elle ha�ssait de toute son �me.
Il entra dans la maison sans y �tre invit�, regardant � peine autour de lui, comme si elle lui appartenait. Merope s��tait pr�cipit�e sur le verre qu�elle avait pr�par� et le lui avait tendu. C�est sans lui jeter un regard qu�il avait aval� le philtre d�un trait.
Et ce n��tait que quand il avait rouvert les yeux que, de vermine, elle �tait devenue une reine.
Son rire heureux quand ils �voquaient leurs projets d�enfants�
Une petite phrase qu�il avait un jour prononc�e, en passant une fois de plus devant leur maison. � La pauvre fille qui vit l�� Je l�ai vue faire les courses au village une fois. Elle ne m�rite pas �a. � mais avant que son c�ur ne puisse bondir, il avait ajout� � elle est hideuse en plus. Je ne vois pas comment elle pourrait s�en sortir. �
Elle versa la potion dans le th�. Plus tard, ce serait pour plus tard. Bien s�r, elle arr�terait le philtre. Mais c��tait encore trop t�t. Quand � trois ils fonderaient une famille, il aurait un amour authentique pour leur enfant, il n�y aurait plus aucun risque. Il valait mieux attendre. Oui. Encore quelques mois. Quelques petits mois. Un an maximum. Ce n��tait pas grave, il �tait heureux n�est-ce pas ? Alors pourquoi se presser. Elle ne pouvait jouer le futur de son fils sur un coup de t�te� Un an, une seule petite ann�e, et leur bonheur serait assur�.
Elle prit quelques minutes pour se calmer et sortit de la cuisine pour poser le plateau devant Tom.
� Boit ton th� mon ch�ri. J�ai une excellente nouvelle � t�annoncer.
***
Quarante ans plus tard
Tom et Merope se regardaient. Ils avaient bien vieilli � pr�sent, mais ne regrettaient aucune des ann�es pass�es ensemble. Ils avaient �t� heureux, tous les deux. Merope avait r�ussi son bonheur, comme un pied-de nez � son fr�re qui lui avait pr�dit que Tom ne s�int�resserait jamais � elle. Toutes ses craintes avaient disparues. Leurs enfants �taient loin � pr�sent, mais ils allaient bien. Et leur amour �tait toujours aussi fort.
Merope, vo�t�e par l��ge, se leva pour aller chercher le th� de son mari. Avant de sortir de la cuisine, elle sortit une petite bouteille de sa poche et fit tomber quelques gouttes dans la tasse.