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Il y avait du vent et le verre cassé d’une fenêtre sur le sol. La guerre est terminée depuis plus de cinq mois maintenant, mais c’est comme si le château n’avait jamais réussi à panser ses plaies. Ils avaient bien rebâti les murs, réparé les portes et ôté les corps, il n’empêche que tout sonnait faux dans cette reconstruction. Les nouveaux n’y verraient jamais que du feu, mais Poudlard était ma maison et aujourd’hui je m’y sentais étrangère. Peut-être que revenir était une mauvaise idée, peut-être que j’aurais dû écouter tous ces gens qui me répétaient que les ASPICs n’importaient guère et que je pouvais travailler de suite. C’est juste que reprendre ma scolarité au point je l’avais laissée me semblait être le meilleur moyen pour recommencer une vie normale ou pour simplement lui redonner un sens.
Je m’avançai dans la salle de classe encore vide et déposai mes livres sur le premier bureau venu, loin de celui où j’avais pris l’habitude de m’installer avant. Sur le bois, il n’y a plus aucune trace de nos vieux graffitis ou de nos dessins gravés à la plume et c’est comme si nous n’avions jamais existé. Les fleurs de Parvati et de Lavande s’étaient envolées, les dessins de Dean s’étaient gommés et nos enfances s’étaient effacées. Il ne reste rien, que le vide et un gâchis immense.
— Ça va, Hermione ?
Je tournai la tête vers Ginny qui venait d’entrer dans la pièce et acquiesçai avec un petit sourire. Elle ne répondit rien malgré le mensonge évident que je lui servais et je ne pus m’empêcher de lui en être reconnaissante. Les gens ici voulaient tous parler, entendre l’histoire encore et encore jusqu’à pouvoir la raconter comme s’ils l’avaient vécue, parce que c’était toujours plus glorieux que de dire qu’on s’était contenté de subir, de laisser faire, sans jamais protester.
— Tu sais, à chaque couloir où je passe, je me demande si ce n’est pas là qu’il est mort… Ils ont essayé de tout réparer, mais c’est partout, c’est incrusté dans les murs et tout ce qu’ils ont réussi à effacer, ce sont les moments heureux qu’on avait eus.
— Ginny, arrête.
— Ils ont changé le banc des Gryffondors, celui qu’était bancal, à cause duquel on manquait tous de finir par terre quand quelqu’un s’asseyait brusquement. Il était comme ça à cause de Colin, le banc. Il s’était débrouillé pour faire apparaitre des mites au lieu d’un papillon et ils ont changé le banc et ça revient à accepter qu’il ne soit plus là et je ne peux pas.
Je déglutis difficilement et fermai les yeux pour retenir des larmes que je sentais naître. Je ne connaissais pas réellement Colin, mais les noms étaient interchangeables et la peine identique, nous avions juste des fantômes différents.
— Je déteste être ici, moi aussi.
Ginny se tourna vers moi les larmes aux yeux et le sourire aux lèvres, si bien que je ne sus dire si elle riait ou si elle pleurait.
— Hermione, tu as vraiment les mots pour réconforter les gens, murmura-t-elle simplement en essuyant ses larmes. Tu devrais arrêter de fréquenter mon frère, il commence à te déteindre dessus.
— Désolée.
La salle se remplit lentement et je scrutai avec attention les visages de mes nouveaux camarades de classe. La plupart m’étaient familiers, néanmoins je ne pouvais m’empêcher d’être un peu perdue dans ce groupe. Harry et Ron avaient été acceptés pour suivre la formation d’Auror et beaucoup des autres ne reviendraient plus. Parce que les directeurs de cursus étaient assez conciliants pour les enrôler sans aucun ASPIC ou parce qu’ils n’avaient pas encore la force de se retrouver à nouveau ici.
Il ne restait qu’Anthony Goldstein, Terry Boots, Susan Bones, Gregory Goyle et moi. Honnêtement, je n’aurais pas cru qu’un Serpentard de ce groupe ose remettre les pieds à Poudlard. Ce serait moi, je me cacherais, je resterais bouclée chez moi à me faire discrète et à attendre que l’on m’oublie. J’aurais honte. Je sais bien qu’il ne faut pas faire de généralité et que c’est réducteur d’assimiler tous les élèves de cette maison à des Malefoy en puissance, dans le meilleur des cas, et à des Voldemort potentiels, dans le pire, mais c’est plus fort que moi. Et même si mes parents m’ont mieux élevée que ça, je crois que j’en ai le droit, parce qu’on aura beau dire que Voldemort était le méchant de l’histoire, ce sont eux qui l’ont porté aux nues, ce sont eux qui ont insinué la peur dans nos murs et qui nous ont refusé le droit d’être des sorciers comme les autres.
Avant d’apprendre que j’étais une sorcière, je passais mon temps à me demander pourquoi j’avais cette impression bizarre de ne jamais être à ma place avec les autres enfants. Je croyais bêtement que tout serait différent à Poudlard. Je ne me souviens pas avoir eu peur en apprenant la nouvelle, au contraire tout s’expliquait enfin et j’allais me retrouver avec des enfants comme moi qui me comprendraient. Oui et non, les choses se sont déroulées plus ou moins autrement. La plupart des gens se fichaient bien de connaître la pureté de mon sang, mais il y avait cette minorité sourde qui me faisait bien comprendre que je ne serais jamais des leurs. Quand bien même la lettre de Poudlard me disait sorcière, à leurs yeux je n’en serais jamais une. J’ai essayé de leur montrer à tous que je pouvais réussir, que je pouvais être aussi bonne voire même meilleur qu’eux, sans jamais qu’ils ne m’accordent aucun crédit autre que des insultes. Pendant six ans, j’ai navigué entre un monde où je n’avais pas ma place et un monde qui ne voulait pas de moi.
Et ça fait mal.
— Je comprends même pas qu’ils aient laissé des gens comme ça revenir, commença Ginny en scrutant méchamment Gregory Goyle. Tu aurais dû le voir lancer des Doloris à des gamins, on n’avait pas le choix, je sais, mais lui et son copain, c’était pas pareil. Eux, ils aimaient ça.
— On l’a sauvé pendant la bataille.
— Et tu regrettes ?
— Parfois.
Ginny se tourna vers moi pour la première fois. Elle posa sa tête en équilibre sur la jointure de ses doigts et me sourit maladroitement. Ses lèvres s’étirèrent d’un seul côté de son visage, comme si le reste avait oublié comment faire et ignorait tout principe de symétrie. Elle ne souriait guère plus désormais.
— Ça te ressemble pas. Je t’écoute parler depuis tout à l’heure et je peux pas m’empêcher de penser que c’est pas toi tout ça.
— Ginny, je…
— Non, non, écoute. Ce n’est pas une critique ou quoi, c’est juste que ça nous a changé, tous.
Elle suspendit sa phrase en l’air pendant un instant et détourna soigneusement le regard avant de reprendre.
— On est devenu triste et méchant et haineux. Et toi tu me réponds que parfois tu regrettes d’avoir sauvé quelqu'un et peut-être que je t’idéalisais trop, je sais pas, mais j’aurais jamais cru que ces mots sortent de ta bouche. Parce je t’ai vue subir beaucoup ici sans jamais chercher à te venger, sans dire un mot au-dessus de l’autre, sans chercher à faire souffrir l’autre en retour. Une bonne personne…
— Tu ne sais pas tout, Ginny. Je… je ne suis pas parfaite, bafouillai-je en sentant le rouge me monter aux joues.
— Je sais bien et ne va pas croire que je veux dire que tu es méchante ou mauvaise, ce n’est pas ça ! Je regretterais aussi, tu sais. C’est juste qu’on n'est plus les mêmes et que j’ai beau essayer d’en faire abstraction, quand je te parle ça me saute à la figure, parce que parfois j’ai l’impression de ne pas te reconnaitre et ça me fait mal de voir ce qu’on est devenus. Toi, moi…
— On s’est perdu.
Je me suis perdue.