Londres, 27 juillet 2025
Ginger Enderson, du haut de ses vingt ans, n’avait vraiment pas de quoi se plaindre. Elle vivait chez son petit-ami, dont elle était très amoureuse, dans un bel appartement à Hammersmith. Elle avait même réussi à obtenir des vacances d’été – ce qui était loin d’être évident quand on était Auror. Elle s’apprêtait à partir pour Vienne dès le lendemain avec James, le temps d’une semaine.
Mais Ginger n’était pas le genre de personne à apprécier si facilement les cadeaux de la vie. Pour l’heure, elle râlait, parce que c’était elle qui devait mettre la table. Forcément, aujourd’hui, James travaillait et rentrait tard – lui, en tant qu’Auror également, n’avait pas réussi à obtenir un congé pour ce jour-là.
- Bon, je compte jusqu’à dix et je reprends, marmonna Ginger en se pinçant l’arête du nez et en fermant les yeux.
Quand elle les rouvrit, le même capharnaüm régnait toujours sur la table, et elle soupira de dépit. « J’aurais dû apprendre les sortilèges ménagers… » pensa-t-elle tristement en rangeant à la main les piles de dossiers et les objets divers et variés qui encombraient la table. Cela faisait déjà une demi-heure qu’elle nettoyait le salon, et chaque fois qu’elle tournait la tête, elle découvrait un nouvel endroit en bazar dont elle devait s’occuper. Ses cheveux roux et emmêlés formaient un genre de halo enflammé autour de son visage rouge.
Ginger était loin d’être quelqu’un de superficiel, mais elle commençait à s’inquiéter de n’avoir pas le temps de tout finaliser avant que James n’arrive. Il ne ferait même pas de réflexion, mais il hausserait les sourcils en voyant l’état de la maison. Elle lui demanderait agressivement s’il y avait un problème, il lui répondrait que non d’un ton sec, et ils finiraient par se crier dessus toute la soirée. Elle ne doutait pas du fait qu’ils se réconcilieraient après – ils se disputaient tout le temps, et pour pas grand-chose – mais elle n’aimait pas qu’il lui en veuille.
Ensuite, il y avait le dîner. Heureusement, il s’agissait surtout de restes du repas de la veille à réchauffer, et elle ne mit pas longtemps à terminer de le préparer. Il ne lui restait plus qu’à mettre la table, qu’elle installa rapidement avec une jolie nappe qui traînait dans un tiroir.
Elle avait enfin terminé, mais à ce point de la soirée, elle était plus irritée que satisfaite et espérait simplement que James apprécierait ses efforts à leur juste valeur. Au moindre geste suggestif, elle s’énerverait et mettrait ses plans pour la soirée par terre.
On sonna à la porte. Elle l’ouvrit sans regarder dans l’œil de bœuf et un sortilège la fit tomber à la renverse alors que sa baguette sautait de sa poche pour arriver dans la main de l’arrivant. Son cœur battait vite mais elle n’y faisait pas attention. Son regard furieux était dirigé droit vers la personne, appuyée tranquillement contre le cadre de la porte, avec deux baguettes dans la même main.
« Je ne sais pas ce que tu veux, sale petite vermine, mais tu as intérêt à avoir disparu de ma vue dans les dix secondes, ou je m’en occuperai moi-même, déclara-t-elle sombrement. Avec ou sans baguette.
- Bonsoir à toi aussi, Enderson répondit-il en souriant affablement. Tu as l’air nerveuse, dis-moi. Auror, ça ne te réussit pas. Puis-je entrer ?
- Qu’est-ce que tu n’as pas compris dans ma phrase, Selwyn ? dit-elle en se levant. Les dix secondes sont presque écoulées.
- Je comptais jouer les prolongations. »
Il lui tendit une enveloppe qu’elle ouvrit rageusement, mais elle se tendit brusquement et eut l’air horrifié quand elle vit le contenu. La rougeur de son visage laissait maintenant place à une pâleur inquiétante.
« S-S-Selwyn… Comment… Enfin, ce n’est pas ce que tu… On ne dirait pas comme ça, mais…
- C’est un peu long à expliquer, j’imagine, dit-il en souriant d’un air suffisant. Mais je n’attends pas d’explication. C’est moi qui ai des choses à t’expliquer. Puis-je entrer ?
- Tu vas la faire courte et déguerpir juste après, compris ? répliqua-t-elle d’une voix légèrement tremblante.
- Je suis en position de force, je te signale.
Elle lui arracha sa baguette des mains à la vitesse de l’éclair et la pointa sous la gorge de Selwyn. Il leva lentement les bras en l’air.
- Ok. Ok. On reste sur le pas de la porte. Ça me va.
- Comment t’es-tu procuré cette photo ?
- Je l’ai prise moi-même. Inutile de nier, je sais que c’est la vérité, je l’ai vu de mes propres yeux.
Ginger respirait difficilement.
- Très bien. Et pourquoi me l’amènes-tu ?
- Je ne t’amène qu’un développement de cette photographie. Tu te doutes bien que j’ai gardé les négatifs.
- Et je dois faire quoi, pour récupérer ces négatifs ?
- Oh, trois fois rien, Enderson. Juste jouer à un jeu avec moi.
Elle se racla la gorge.
- Un jeu, répéta-t-elle.
- Oui. Un jeu qui commence avec cette lettre. Tu vas la recopier et la laisser en évidence chez toi.
Elle ouvrit la lettre qu’il lui tendait et rougit de colère.
- Alors ça, c’est hors de question. Ne mêle pas James à ça !
- C’est justement ça, que je veux, répondit-il très calmement. Qu’il ne s’en mêle pas. Autrement, je sais qu’il t’aidera à gagner le jeu, et ce n’est pas dans mes intérêts.
- T’es juste sadique, Selwyn !
- Peut-être bien. Mais si tu ne joues pas à mon jeu, avec mes règles, tu peux être sûre que ces photos iront droit dans les mains du Ministère.
Ginger faisait de son mieux pour ne pas trembler, pour ne pas étrangler l’homme qui venait de détruire son monde en l’espace de deux minutes et qui continuait de lui sourire avec suffisance.
- C’est quoi, ton jeu ? demanda-t-elle finalement d’un ton brusque.
Le sourire de Selwyn s’étira.
- Je savais qu’on pourrait discuter.
- Ginger, je suis rentré ! s’exclama James Potter en arrivant chez lui.
Il suspendit sa cape tout en essayant de capter des bruits de pas lui indiquant que Ginger viendrait l’accueillir, mais il n’entendit rien. Sans s’en formaliser, il entra dans le salon et sourit en voyant la superbe table chargée de victuailles qu’elle avait préparée. Il s’y attendait à moitié, mais il ne pensait pas que Ginger serait capable d’en faire autant. Elle qui détestait les tâches ménagères…
Il trouva également une lettre sur la table, et il la déplia pour la lire, en attendant que Ginger arrive.
Trois secondes plus tard, la lettre était par terre et James avait quitté l’appartement en trombe, laissant toutes les lumières allumées.
James,
C’est fini entre nous. Je suis partie et ne reviendrai pas. Inutile de me chercher.
Adieu
Ginger