Severus sortit de sa torpeur en un violent sursaut. La chambre miteuse qu'il occupait était plongée dans l'obscurité, de sorte qu'il ne puisse même pas discerner ses propres doigts; son cœur battait à toute allure, sa peau était recouverte d'une transpiration poisseuse et il tremblait de tous ses membres.
Il sentit son ventre se durcir avant même d'avoir recouvré ses esprits. Son coeur se transformait en pierre, son esprit plongeait dans des abîmes bien plus noires que celle de sa chambre, dans un endroit où le soleil s'était éteint pour toujours.
To die.
Depuis la disparition de Lily, à chacun de ses réveils, c'était la même chose, la douleur physique avant même que la mémoire ne lui revienne. La routine du réveil, la routine de la souffrance.
To die, to sleep.
Severus se prit la tête entre les mains. Sa poitrine le brûlait, il voulait hurler.
To die, to sleep, nothing more.
-Qu'est-ce qui se passe ? murmura une voix ensommeillée à côté de lui.
Severus eut l'impression que son corps se mettait à crépiter au son de cette voix. Il sentit la peur, la douleur, l'espoir et l'incrédulité l'embraser tout en même temps. Le matelas sous lui se mit à bouger sous le mouvement de la personne avec laquelle il partageait son lit, puis il y eut un léger clic, et une lumière électrique tamisée par un abat-jour lie-de-vin éclaira la pièce, et la femme.
Il sentit son coeur se serrer. Elle avait la même voix que Lily, mais ça n'était pas elle. Elle avait des cheveux blonds, très courts, et des yeux bleus clairs. Engoncée sous les couvertures, elle le regardait avec des yeux plissés, visiblement pas surprise de partager sa couche avec le jeune homme, mais un peu ennuyée d'être réveillée au milieu de la nuit.
Severus ne comprenait rien de ce qui se passait. Il n'y avait pas la moindre chance qu'il ait bu plus que de raison et que cette inconnue l'ai ramené chez elle; ça ne lui ressemblait absolument pas. Pourtant il n'était clairement pas dans ses appartements; la pièce qu'il discernait était une jolie petite chambre un peu bourgeoise, tapissée de couleurs pastel, propre, rangée et... moldue. Si cet état de fait perturbait Severus, ce n'était rien à côté de ce qu'il ressentait vis à vis de l'inconnue. Elle ne le regardait pas comme une femme regarderait un étranger ramassé dans un bar. Elle avait une assurance, une gentillesse, un feu tendre dans le regard qui exprimait une intimité toute autre que celle du coup d'un soir. C'était le genre de regard que Severus avait souvent vu sur les autres, les jeunes mariés, les amants heureux, sans qu'il ne soit jamais adressé à lui.
Avant que son esprit ne se décide à quoi que ce soit, il tendit la main, et caressa avec douceur le front de la jeune femme.
-Ce n'est rien, dit-il dans un murmure. Un simple cauchemar, rendors-toi.
Severus était abasourdi, par la situation, par son corps qui agissait de son propre chef, par l'expression boudeuse et amoureuse de l'inconnue. Cette dernière soupira, puis lui décocha un sourire serein et ferma les yeux en laissant retomber sa tête sur l'oreiller. Il ne pouvait pas expliquer pourquoi elle rayonnait ainsi, de façon quasi-surnaturelle. Il devait réfléchir. Comprendre. Ensuite, il pourrait agir en conséquence.
Se pouvait-il qu'après la douleur de la perte de Lily, il ait abandonné le monde des sorciers pour se refaire une vie chez les moldus, et que, d'une façon ou d'une autre, il ait perdu tout souvenir de ce qui s'était passé depuis ?
Le lendemain du jour le plus noir de sa vie, après que Dumbledore lui ai révélé l'insoutenable nouvelle, Severus était rentré chez lui, et, en proie à la fureur et au désespoir, avec détruit l'intégralité de son laboratoire. Il se fichait que les fumées des ingrédients ne l'empoisonnent, il se fichait du temps et de l'acharnement qu'il avait prit à monter ce petit sanctuaire dédié aux potion; plus rien n'avait de sens désormais.
Il s'était laissé glisser sur le sol, avait attrapé le tesson d'un flacon brisé, et se l'était planté dans le bras, violemment, méthodiquement, froidement. Il avait tranché sa chair, ne trouvant une once de soulagement que lorsqu'il voyait son propre sang couler sur sa peau blême.
Puis il avait retiré le verre de sa plaie, et avait recommencé, encore et encore, encore et encore, s'acharnant particulièrement sur l'endroit où se trouvait la Marque.
En toute logique, l'état de cicatrisation des plaies devrait lui indiquer combien de temps s'était écoulé depuis... Depuis.
La mâchoire de Severus se tendit, la main crispée sur le poignet de son pyjama. Il détestait poser les yeux sur ces cicatrices, et évitait le plus possible de le faire. Ce n'était pas pour rien qu'il portait toujours des vêtements recouvrant presque l'intégralité de son corps à l'exception de son visage. Il ferma les yeux et remonta la manche de ce pyjama rayé de bleu et de blanc, qu'il ne connaissait pas plus que l'inconnue à ses côtés, puis avec une grande inspiration, il souleva les paupières.
Ses bras pâles étaient vierges de toute cicatrice. Même la marque avait disparue.
En revanche, un anneau doré enserrait son annulaire.
Severus sentit son cœur s'affoler, sa poitrine exploser.
L'inconnue se redressa en étirant les bras, lui planta un baiser sur la joue et marmonna “j'ai envie d'anchois”, avant de se lever, de chausser une paire de pantoufles bleu pâle, et de sortir de la pièce.
Son ventre rond ne laissait aucun doute à Severus.
Ils étaient mariés, elle était enceinte.
Le jeune homme se recroquevilla sous les couettes. La tête lui tournait. Il ne savait pas s'il devait croire en sa mémoire ou en ses sens, il ne comprenait rien, tout cela l'emplissait de terreur.
Il était inutile de chercher sa baguette magique, ses livres de potions ou ses robes de sorciers.
Il le sentait au plus profond de lui-même: la magie l'avait quitté.
Il était moldu désormais.