Réveil en sursaut. Encore.
Deux heures du matin. Comme d’habitude.
A ses côtés Bill grogna, perdu dans les bras de Morphée, et se retourna en emportant la couverture. Il était inutile de se battre, elle le savait. Récupérer ne serait-ce qu’un bout du tissu était désormais cause perdue ! De toute façon, l’idée même de retrouver le sommeil lui semblait illusoire.
Elle passa sa main pâle baignée par les rayons de lumière argentée sur son front moite. Ces cauchemars cesseraient-ils un jour ? Fleur balança ses jambes fines sur le bord du lit et les laissa battre comme un métronome dérèglé. Un soupir. Tous les soirs c’était la même rengaine. La lune ronde et pleine donnait à la pièce une allure fantomatique. La jeune femme attrapa un coin de sa robe de chambre de soie fluide et s’en vêtis en sortant de la pièce. Ses pieds effleuraient le parquet glacé. Fleur réprima un rire nerveux. Ses escapades nocturnes étaient si routinières qu’elle aurait pu les faire les yeux fermés.
Elle jeta un coup d’œil au porte-manteau, drôle de bonhomme biscornu, placé près de l’entrée. D’un haussement d’épaule elle l’ignora et sortit seulement vêtue de sa nuisette de dentelle et de l’étoffe ample qui lui couvrait désormais les épaules.
La brise légère lui éclaircit les idées. Elle fit quelques pas. Il faisait nuit noire et Fleur se trouvait au beau milieu de la plage à marcher nu-pied dans le but de se calmer. Son cœur battait toujours autant la chamade. Elle était ridicule. Et elle le savait. Combien de temps encore ce rite macabre allait-il durer ? N’était-il pas temps de faire deuil de ce souvenir ?
De son pied elle joua avec le sable blanc, le sentant glisser entre ses orteils. Soudain l’envie lui prit, fugace et inédite : elle voulait sentir la mer sur sa peau douce. Elle se rapprocha toujours plus près de ce miroir naturel où les étoiles aimaient tant se contempler. Les vagues se brisaient en une myriade de gouttelettes blanches devant les yeux de Fleur. L’écume, la mer, l’eau : tout cela la ramenait sans cesse à son cauchemar quotidien. Elle ne l’avait plus fait depuis des années, l’horreur de la vie ayant remplacé celle des songes. Mais, il y avait de cela un mois, tout avait changé. Il était revenu, partenaire omniprésent de ses nuits, son fidèle compagnon. Un rouleau plus puissant que les autres vint baiser ses pieds. Les flots glacés la paralysèrent et tout lui revint en mémoire.
ooOOoo
Elle avait 17 ans, le bel âge. Promise à un avenir glorieux, elle était désormais championne de Beauxbâtons. La jeune femme avait supporté la jalousie maladive de ses camarades d’école, combattu un dragon, survécu à une valse avec Davies sans trop y laisser ses orteils et par-dessus tout avait même convaincu tout le monde de son dédain pour cette culture qu’elle admirait depuis toujours. Oui, Fleur Delacour était douée et forte, mais pas aujourd’hui.
En ce matin de février, elle était frigorifiée, son sang semblait s’être glacé dans ses veines. Pourtant les conditions atmosphériques n’y étaient pour rien. L’origine de son trouble se trouvait dans quelques vers recueillis dans un œuf d’or. Quand elle y repensait, Fleur admettait volontiers que le contexte était cocasse. En plein hiver en Ecosse, elle attendait au bord d’un lac de s’y jeter. Oh, et elle avait oublié de mentionner qu’elle devait rester sous l’eau durant une heure !
Rien de tout cela ne lui faisait peur. En réalité, Fleur était terrorisée par ce qu’elle pensait avoir compris. Transie d’effroi par une idée : celle d’avoir vu juste.
Elle entendit un coup de sifflet strident retentir et s’avança dans les flots. Elle eut l’impression qu’on lui plantait des couteaux dans les mollets.
« Respire, Fleur, respire ! Concentre-toi sur ton sortilège » s’admonesta-t-elle.
Ses dents claquaient tellement qu’elle dut s’y reprendre à trois fois avant d’obtenir le résultat escompté. Le plus dur restait pourtant à faire : l’eau ne lui arrivait qu’à mi-cuisse. Elle se fit la promesse que la prochaine fois que ses parents l’amèneraient en Bretagne, elle ne dirait mot à propos de la température de l’eau ! La jeune fille vit le Bulgare plonger devant elle, bientôt suivi de ce garçon au physique si avantageux. Si elle ne se dépêchait pas, elle allait se retrouver la dernière et ça, c’était hors de question ! Elle prit une dernière inspiration, bien inutile avec la bulle qui lui entourait la tête, et plongea.
Elle hurla sa douleur aux poissons médusés et entreprit de chercher ce qu’elle espérait par-dessus tout ne pas être sa sœur.
« Je ne cherche pas Gabrielle. Je ne cherche pas Gabrielle. Je ne cherche PAS Gabrielle ! » se répétait-t-elle en boucle.
Le temps semblait d’être arrêté. Depuis combien de temps nageait-elle ? Impossible de le savoir. Des créatures apparaissaient de temps en temps au détour d’une algue. Le lac était sombre, glauque. Elle peinait à distinguer les contours des rochers et plusieurs fois elle s’y coupa. Comment allait-elle trouver son chemin dans ce dédale de plantes aquatiques ?
Son cœur commençait à s’accélérer. Fleur fut prise d’un mauvais pressentiment, comme si elle était observée. Elle s’arrêta et regarda autour d’elle : rien. Hormis les ondulations calmes de la végétation, nul ne semblait s’intéresser à elle. Elle allait se remettre en route quand elle sursauta. Une créature venait d’agripper sa cheville. La jeune fille agita la jambe pour la faire lâcher prise, en vain. De son pied valide, elle commença à lui donner des coups de pied de plus en plus violents. La technique semblait efficace jusqu’à ce qu’un petit copain de son geôlier incarcère sa nouvelle arme. Se déchaînant de ses poings pour se libérer, elle sentit des gouttes ruisseler sur son visage. Fatiguée et déconcentrée, son sortilège se disloquait lentement mais sûrement. Sa bulle se fissurait à vue d’œil et l’eau s’infiltrait petit à petit. Paniquée, elle essaya de colmater la brèche d’un coup de baguette quand son énervement eut raison de sa magie. Elle but la tasse, sentit l’air de ses poumons s’amoindrir et commença à se perdre dans l’abîme de l’inconscience.
C’en était fini de Fleur Delacour. Elle était là, sous les eaux du lac noir de Poudlard en train de mourir dans l’indifférence générale. Elle avait pris des risques et il allait falloir en payer le prix. Ses parents allaient la tuer ! Et Gabrielle ? En s’inscrivant au tournoi, elle savait que des gens mourraient au cours des épreuves, elle s’y était préparée. Ce qu’elle refusait d’accepter, c’était d’avoir entraîné sa jeune sœur, la prunelle de ses yeux, dans son suicide. Oui, ses parents allaient la tuer ! Sauf que quand ils la verraient, elle serait déjà au fond de l’eau recouverte de vase et de limon.
Une griffure d’une des créatures la sortie de sa torpeur. Allait-elle se laisser sombrer telle une midinette de ces romans à l’eau de rose qu’elle lisait parfois l’été ? Elle était Fleur Delacour que diable ! Elle allait se battre, pour elle, pour eux, pour le goût de la vie ! Dans un dernier effort, elle leva sa baguette et pensa aux étincelles rouges qui la sauveraient d’une mort certaine. Quelques secondes plus tard, elle se sentit happée vers la surface et s’écroula sur la plage. Hoquetant, crachotant, elle ne prit pas le temps de reprendre ses esprits et se jeta littéralement sur Madame Maxime la suppliant de sauver sa sœur.
« Je ne peux rien faire Fleur, il va falloir attendre la fin de l’épreuve, lui expliqua-t-elle d’une voix douce.
- La fin de l’épreuve ? » croassa Fleur subjuguée. Ils allaient laisser une petite fille seule au fond d’un lac glacé ? C’était insensé ! « Il reste combien de temps ?
- Nous en sommes à la quarante-deuxième minute. »
Quarante-deux minutes ?! Quarante-deux minutes d’enfer et d’angoisse ! Quarante-deux minutes au moins que Gabrielle gisait au fond de ce cercueil naturel ! Cette image était insoutenable, il fallait qu’elle fasse quelque chose !
Elle se précipita vers l’eau avant d’être ceinturée par sa directrice.
« Lâchez-moi ! Je dois la sauver ! Mais lâchez-moi ! hurla-t-elle comme une possédée.
- Soit raisonnable Fleur, ta sœur ne craint rien ! Le professeur Dambleudore y a veillé ! Il ne laisserait jamais une enfant innocente risquer sa vie ! Maintenant calme-toi, nous avons une réputation à tenir par Viviane ! »
Fleur se calma un peu. Un tout petit peu à vrai dire. Suffisamment pour ne plus tenter de se jeter à l’eau. Elle fit les cent pas, ses pensées tournées vers sa sœur. L’angoisse la consumait à petit feu. Elle brûlait tellement de la voir revenir saine et sauve ! Les secondes s’écoulaient au rythme de ses pas martelant le sol. Le temps semblait prendre un malin plaisir à s’étirer plus que de raison.
Un bruit d’éclaboussure lui arracha un petit cri. Ce n’était que ce bellâtre idiot au point d’avoir repoussé son invitation au bal pour cette fille qui n’était même pas belle ! Quelle déception ! Elle reprit son manège en parcourant la petite plage d’un bord à l’autre. Quelques minutes plus, tard le Bulgare et une fille encore plus laide sortirent de l’eau. Mais qu’avaient-ils donc avec les thons ? Certes, pour nager cela pouvait aider…
‘Fleur, Fleur, calme-toi ! La méchanceté gratuite ça ne te ressemble pas ! Souviens-toi ce que te disais Maman, être une vélane ne doit pas te faire oublier l’humaine qui est en toi !’ se sermonna-t-elle pour faire passer son angoisse.
La jeune fille demanda l’heure à Madame Maxime. L’échéance était désormais passée dix minutes. Elle allait se mettre à hurler qu’on avait tué sa sœur quand la foule poussa des cris de joie. Elle fit volte-face et aperçut les cheveux blonds de Gabrielle qui brillaient au soleil. Elle se précipita dans le lac pour l’aider à se sortir de cet enfer. Voir sa sœur sur la terre ferme lui ôta un poids de la poitrine. Les joues roses et vivantes de sa sœur la rassurèrent quelques peu. Elle la serra dans ses bras à l’étouffer et se jura que jamais plus elle ne mettrait la vie de ceux qu’elle aimait en danger.
ooOOoo
La mer berçant son douloureux souvenir, Fleur laissa glisser une larme sur sa joue. D’un geste vif, elle l’effaça et grelotta. Il était temps de rentrer. Laissant le sable coller sur ses pieds, elle se dirigea vers la chaumière aux coquillages. Une fois dans le hall, elle posa sa robe de chambre sur la table de la cuisine et s’adossa au mur pour frotter ses pieds et reprendre ses esprits. Dans un silence religieux, elle rejoignit sa chambre.
Fleur se glissa aux côtés de son mari et se blottit contre lui. Comme toutes les nuits, l’odeur du cou de Bill la calma bien plus que tous les embruns réunis.
« Encore ce cauchemar ? grommela-t-il à moitié endormi.
- Toujours le même depuis un mois.
- Qu’est-ce qui t’inquiète tant ?
- J’ai peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas pouvoir protéger ceux que j’aime.
- Tu es faite pour aimer et être aimée Fleur, ne l’oublie jamais ! Et puis, je serai là moi aussi » ajouta-t-il en l’embrassant sur le front avant de se rendormir.
Bill avait raison, comme toujours. Elle réfléchit à ses paroles en se mettant sur le dos. D’un léger mouvement de la main, elle caressa son ventre encore plat, promesse de vie, et trouva enfin la paix.