La voie 9 ¾ n’a pas changé d’un poil depuis la dernière fois que j’y suis passé, il y a treize ans. Le même train écarlate, le même panache de fumée blanche, la même excitation à l’idée d’embarquer pour dix mois loin de ses parents.
La seule différence, c’est qu’aujourd’hui, c’est moi le parent. Ça fait maintenant près de dix ans que j’élève Harry tant bien que mal. Je n’ai jamais été fait pour être père, il faut bien l’avouer. Mais j’espère être un parrain assez potable, suffisamment pour rendre fiers James et Lily de m’avoir choisi pour ce rôle, s’ils peuvent me voir d’où ils sont à présent.
- Sirius, tout va bien ?
Harry. Forcément, à force de rêvasser, je l’ai inquiété.
- T’inquiète pas, je me remémorais simplement la dernière fois que je suis venu ici. Allez viens, on va monter ta malle dans le train !
Tous ces morveux ! Dire que je vais encore me les coltiner toute une année ! Dix ans déjà que je supporte ces incapables incapable de réaliser la moindre petite potion d’Enflure, quelle que soit leur année. Qu’est-ce que je fais là, moi, au juste ? Venir voir les élèves prendre le Poudlard Express, on n’a pas idée. Comme si je n’allais pas suffisamment les voir pendant les prochains mois…
Mais il faut bien que je vérifie que Black fait son devoir. Le fils de Lily fait sa première rentrée aujourd’hui, j’espère que ce chien fou ne l’aura pas oublié.
Ouf ! Harry a retrouvé Ron, le dernier fils de Molly et Arthur. Heureusement qu’ils étaient là, tous les deux ! Molly couve un peu trop ses gamins et me reproche souvent plein de choses, mais elle m’a bien aidé avec Harry. Mais où sont-ils d’ailleurs ?
Je balaye le quai du regard à la recherche d’une tripotée de têtes rousses quand soudain, une vision d’horreur me stoppe en plein mouvement. Qu’est-ce que Servilus fiche ici ? Ne me dites pas qu’il s’est trouvé une sorcière et qu’il lui a fait un mouflet ! Quelqu’un aurait résisté à ses cheveux gras ?
Un tapotement sur mon épaule gauche me fait sursauter.
- Bonjour Sirius !
- Molly, Arthur ! Comment allez-vous ?
- Oh, bien ! Ginny est un peu déçue de ne pas aller à Poudlard, mais ce sera pour bientôt, me répond Molly en caressant l’épaule de sa fille.
- Profites-en, Ginny, tu vas avoir tes parents pour toi toute seule cette année !
Un air malicieux apparaît sur le visage de la dernière Weasley, en même temps qu’un remerciement silencieux de la part de Molly. Et oui, elle a beau déplorer continuellement à quel point Harry est maigre et mal coiffé, il n’empêche que moi, je redonne le sourire à ses enfants plus vite qu’un Billywig ! Et puis, de toute façon, Harry bien peigné, c’aurait été une insulte à James.
Tout ceci ne m’a pas fait oublier la présence incongrue et nuisible de Servilus.
- Arthur, tu sais pourquoi Rogue est là ?
- Aucune idée, avoue Arthur. D’habitude, il attend les élèves à Poudlard…
- Quoi ?! Comment ça, à Poudlard ?!
- Il est professeur de Potions, Sirius, m’informe Molly.
- Cet imbécile, professeur ? C’est une blague ?
- Pas du tout. Tous les enfants l’ont eu.
Je jette un coup d’œil au Serpentard, sceptique. Tiens, il était en train de me regarder à l’instant, non ? Qu’est-ce qui t’arrive, Servilus ? Tu trouves qu’on n’a pas assez eu de contacts en dix ans ? Merci, hein, une fois m’a suffi.
Bon, il est bien venu. Je n’ai pas vu le jeune Harry, mais si ce foutu Gryffondor est là, le gamin doit être là aussi. Sûrement déjà dans le train. Bien, je n’ai plus rien à faire ici, retour à Poudlard.
Il a transplané finalement. Tant mieux, je ne tiens pas à me rappeler notre dernière rencontre. Même si…
Des coups brutaux sur la porte me font sursauter. Les Mangemorts ? Je sors ma baguette, méfiant. Les Mangemorts ne s’embarrassent pas avec des formalités telles que toquer à la porte habituellement.
- Black ! Ouvre-moi, maudit Veracrasse !
Servilus ? Haussant un sourcil, je jette un sort de transparence sur la porte. Il a un gamin dans les bras. Qu’est-ce qu’il fout là ?
- Black, je sais que tu es là ! Ouvre ! Je ne suis pas armé !
Comme s’il savait que je peux le voir, il prend sa baguette et la pose à terre, essayant tant bien que mal de ne pas faire tomber le môme enveloppé dans une couverture. Minute ! Je connais cette couverture. J’ai bordé Harry avec un nombre incalculable de fois. J’ouvre brutalement la porte et pointe ma baguette sur Rogue.
- Pose immédiatement mon filleul, ordure !
- Black, on n’a pas le temps de discuter ! Je suis venu te l’amener ! Lily…
Il s’interrompt et il semble malheureux, si tant est que son visage cireux puisse exprimer la moindre émotion. Comment peut-il avoir Harry dans les bras alors que celui-ci est censé être bien protégé avec James et Lily grâce à Peter ?
- Quoi, Lily ? demandé-je, agressif.
- Lily est morte.
Quoi ?! Qu’est-ce qu’il me chante, là ? Mon visage doit refléter ma surprise, parce qu’il reprend, sans la moindre trace des sarcasmes qui sont habituellement son apanage.
- Lily est morte, Potter est mort. Le Seigneur des Ténèbres les a trouvés, Pettigrow les a vendus.
Lily, James, morts ? Non ! Peter, un traître ? Impossible !
- Black, je t’en prie, laisse-moi entrer.
C’est sa supplication qui me fait accéder à sa demande. Je me décale, le laissant passer.
- Le salon est à gauche, je précise sans vraiment croire ce que je suis en train de faire.
Je regarde mon ennemi déposer l’enfant de mon meilleur ami sur un fauteuil moelleux, trop abasourdi pour faire autre chose. Puis je me secoue brutalement.
- Explique-toi, ordonné-je en pointant ma baguette sur lui.
- Il voulait le donner à Pétunia.
Il a un air suppliant que je ne lui aie jamais vu.
- Qui, il ?
- Dumbledore.
- Comment es-tu en contact avec Dumbledore ?
- Je suis son espion. J’espionne le Seigneur des Ténèbres pour lui.
- Je ne te crois pas. Toi, un Mangemort, espionner le Seigneur des Ténèbres pour Dumbledore ? Laisse-moi rire !
- Black, je te jure que je te dis la vérité, écoute-moi jusqu’au bout, s’il te plaît.
Ça fait deux fois qu’il m’implore, il n’est vraiment pas être dans son état normal. Soudain, j’ai un doute.
- Prouve-moi que tu es Servilus !
- Tu as failli me faire tuer par Lupin une nuit de pleine lune, ça te va ? Sombre crétin, marmonne-t-il.
Je fais la sourde oreille.
- Qu’est-ce que tu fais ici ?
- Je te l’ai dit. Lily et Potter sont morts.
- C’est impossible !
- Pettigrow les a trahis.
- Impossible !
- Les Potter vivent à Godric’s Hollow, énonce-t-il clairement.
Je suis atterré. Le Secret est rompu. Peter nous a tous trahis. Mon visage se déforme de rage et je hurle.
- Je vais le tuer !
- Non !
La voix de Rogue est à nouveau sèche.
- Je t’ai amené leur enfant.
Il parle très vite à présent.
- Le Seigneur des Ténèbres a tué Lily et Potter, il voulait tuer le petit aussi, je sais pas ce qu’il s’est passé, le sort s’est retourné contre lui, le Seigneur des Ténèbres est mort et le gamin est en vie. J’ai entendu une conversation à Poudlard, Dumbledore a dit qu’il allait confier Harry à Pétunia, la sœur de Lily, tu sais qu’elle n’aurait pas voulu ça, elle la détestait, je suis venu te l’amener, il faut que ce soit toi qui t’en occupes, ils voulaient que ce soit toi. Fais-le, Black ! Laisse-moi m’occuper de Pettigrow, cette sale petite vermine ! On ne peut pas laisser le gamin aller chez Pétunia.
Il met encore son gros nez dans les affaires des autres mais il a raison. Lily n’aurait jamais voulu ça. James non plus d’ailleurs. C’était pour ça qu’ils m’avaient demandé d’être le parrain de Harry. Bien sûr, on ne l’avait jamais dit clairement, parce qu’on espère toujours que ça ne servira à rien de nommer un parrain et il y avait déjà tant de morts autour de nous, c’était pas la peine d’en rajouter en discutant de leur disparition potentielle… James, mon frère ! Mort. Mon visage perd toutes ses couleurs alors que je réalise. James et Lily sont morts. J’ai envie de vomir.
- Alors, Severus, vous êtes satisfait de votre visite à King’s Cross ?
Comment ce vieux barbu fait-il pour toujours tout savoir ?
- Oui.
Inutile de se perdre en vaines palabres, j’ai une rentrée à préparer, moi.
- Vous êtes trop inquiet pour cet enfant. Sirius a été un bon parent pour lui, j’en suis convaincu.
Inquiet, moi ? Je me sens insulté. Et Black est incapable d’être un bon parent ! Lui confier le gamin était une erreur, j’en suis sûr.
- Ah, n’essayez pas de me convaincre du contraire, je sais bien que vous tenez à Harry. Avec tout ce que vous avez fait pour lui, il est inutile de nier, mon cher Severus. Dois-je vous rappeler que vous l’avez confié à votre pire ennemi simplement pour qu’il n’aille pas chez Mrs Dursley ?
- Cette stupide bonne femme incapable d’accepter la magie, reniflé-je d’un air méprisant.
- Vous irez chercher le jeune Harry, Hagrid.
- Oui, professeur, renifle Hagrid.
- Puis vous l’amènerez au 4, Privet Drive, Little Whinging, Surrey.
- Bien, professeur.
Malgré ma douleur, je suis estomaqué. A Little Whinging ? Chez la sœur de Lily ?! Qu’est-ce que c’est que cette idée stupide ! Je dois les en empêcher ! Oh, Lily !
Je descends les escaliers en colimaçon du bureau du directeur à toute vitesse. Il faut absolument que je sois à Godric’s Hollow avant le garde-chasse. Mais qu’est-ce que je vais faire du gamin ? Je ne peux pas le garder, Dumbledore ne l’accepterait pas. Je réfléchis tout en me hâtant vers la sortie de Poudlard. Je ne vois qu’une solution. Elle ne me plaît pas, mais je ne peux rien faire d’autre. Il faut que ce soit lui. Lily voulait que ce soit lui. C’est son rôle de parrain d’élever le petit maintenant. Est-ce qu’il saura le faire, c’est une autre question…
- Qu’avez-vous fait, Severus ?
Dumbledore est furieux. Je crois bien que je n’ai jamais vu ses yeux lancer autant d’éclairs.
- Black était le Gardien du Secret des Potter, c’est lui qui a vendu James et Lily. Et vous lui confiez Harry ? Comment avez-vous…
Dumbledore qui se trompe, c’est une première ! Black, misérable, je sauve tes fesses, j’espère que tu t’en souviendras !
- C’est Pettigrow le traître.
Dumbledore lâche un « oh ! » de stupéfaction sans même relever mon interruption plus que cavalière. Je crois bien que je n’ai jamais été aussi satisfait.
- C’est Pettigrow qui a vendu les Potter, c’était lui le Gardien du Secret. N’importe quel Mangemort pourra vous le certifier. Albus, je déteste Black, mais il n’aurait jamais trahi Lily, et encore moins Potter, vous le savez bien.
- Bonjour Sirius.
- Bonjour professeur Dumbledore. Je ne m’attendais pas à votre visite.
J’ai les yeux rougis d’avoir trop pleuré mes amis, mon frère. Remus est passé ce matin, il était aussi défait que moi. Cette victoire a un goût bien amer.
- Puis-je m’asseoir ?
- Je vous en prie. Que se passe-t-il ?
- Je venais m’assurer que Harry allait bien.
- Aussi bien que possible, c’est-à-dire beaucoup mieux que moi. Il dort.
- Vous avez toute ma sympathie dans cette épreuve, Sirius. Soyez fort, pour Harry.
- Je n’y manquerai pas, professeur. Je le fais pour lui. Pour eux…
- Je venais également vous informer de l’arrestation de Peter Pettigrow. Je dois avouer que j’étais prêt à témoigner devant tout le Magenmagot que c’était vous le Gardien du Secret des Potter…
J’accuse le coup. Evidemment, c’est ce qu’on voulait. Mais savoir que Dumbledore a pu ne serait-ce qu’un instant me croire responsable de ça…
- On a eu cette idée au dernier moment. James et Lily étaient d’accord. On… on pensait que les Mangemorts se concentreraient sur moi, qu’ils imagineraient que c’était moi. Jamais James et Lily n’auraient choisi Peter comme Gardien. Jamais ils n’auraient dû m’écouter…
Le professeur Dumbledore hoche la tête sans rien dire.
- C’est Rogue qui l’a rattrapé ?
- Disons qu’il m’a donné suffisamment d’éléments pour que je puisse orienter les recherches des Aurors.
- Je lui en dois une, réalisé-je à voix haute.
Ça me coûte de le reconnaître, mais Rogue a sauvé ma peau. Sans lui, j’aurais retrouvé et tué Peter. Et j’aurais sûrement fini à Azkaban pour ça.
Molly me sort de mes souvenirs en posant sa main sur mon bras.
- Ne t’en fais pas, il sera très heureux là-bas. Et tu le reverras vite.
Elle se méprend sur mes dernières pensées, mais je ne la contredis pas. Depuis que Harry a reçu sa lettre, je suis inquiet. Est-ce que je l’ai bien élevé ? Est-ce que je n’ai pas oublié quelques leçons fondamentales ? Est-ce qu’il va se faire des amis ? J’ai essayé de ne pas le traiter comme un enfant-roi, malgré sa célébrité. Comment vont réagir ses camarades quand ils vont savoir qu’ils sont en classe avec Harry Potter ? Et lui ? Est-ce qu’il va supporter toute cette pression sans prendre la grosse tête ? Servilus m’en voudra à mort si Harry devient un petit con arrogant comme James à quinze ans. Je souris au souvenir de mon ami.
Le train est à peine parti et Harry me manque déjà.
- J’espère qu’il m’écrira ce soir pour me dire où il a été réparti.
- Bien sûr qu’il t’écrira, Sirius. Mais ne t’inquiète pas, tu l’as élevé en parfait Gryffondor, sourit Arthur.
- J’espère bien !
Je ris, soudain soulagé. Je vais sûrement rater plein de choses maintenant qu’il n’habite plus avec moi toute l’année, mais les sept prochaines années seront les plus belles pour lui, comme elles l’ont été pour moi. Et pour que ce soit parfait, il va avoir besoin d’un petit accessoire indispensable que m’a remis Dumbledore il y a quelques années. Dis, James, tu crois que ta cape d’invisibilité ferait un chouette cadeau de Noël ?