Elle passait plusieurs heures par mois enfermée dans cette salle inoccupée. Jamais personne ne venait la déranger ici, elle pouvait produire un feu dont la température aurait fait suffoquer n’importe qui, tordre le métal qui ramollissait sous la chaleur et le cisailler à loisir pour lui donner la forme qu’elle voulait.
A la réflexion, le sortilège de Têtenbulle était définitivement une bonne idée pour se protéger des éclats de métal. Elle avait bien failli se blesser la dernière fois. Saisissant le marteau posé sur un coin de l’établi, elle l’abattit à plusieurs reprises sur le morceau de fer qu’elle était en train de travailler. Elle devait aplatir complètement cette pièce avant de pouvoir lui donner le bombé et les stries d’une véritable feuille.
Après une quinzaine de coups répétés, enfin satisfaite du plat réalisé, elle protégea ses bras de la chaleur par un sort et, saisissant la pièce métallique, elle la plongea au cœur des flammes pour la déformer et lui donner l’aspect arrondi d’une feuille. Une fois ceci fait, sans perdre une miette de sa concentration, elle saisit une sorte de tube agrémenté de plusieurs feuilles et surmonté de nombreuses épines rassemblées en un cocon et fusionna les deux pièces ensemble. Après quelques secondes au milieu du foyer, elle retira les pièces désormais unies du feu et appliqua immédiatement un sortilège réfrigérant sur le métal.
Laissant refroidir son ouvrage, elle éteignit le feu et fouilla parmi ses outils afin de trouver celui qui conviendrait pour l’étape suivante. Avisant une brosse métallique, elle l’attrapa et revint à son établi. D’un geste sûr, elle effleura la surface des feuilles et sourit en voyant les sillons se former sur le métal. Saisissant ensuite un tournevis cruciforme, elle le plongea dans la peinture violette posée sur l’établi et étala précautionneusement les pigments récoltés en traits fins parallèles sur le cocon d’épines au sommet de son ouvrage.
Avec un sourire ravi et épuisé, elle observa son œuvre enfin terminée. Quelques jours au frais pour que les atomes de fer se figent et elle pourrait ajouter le chardon à sa collection.
Minerva McGonagall remontait hâtivement la rue principale de Pré-au-Lard. Avec un petit soupir de soulagement, elle s’aperçut que son rendez-vous l’attendait comme prévu devant le bureau de poste. Il ne faisait pas bon être dehors en ces temps troublés, encore moins pour un Moldu. Mais il avait sollicité cet entretien et il était du devoir de la directrice de Gryffondor de lui accorder. Elle se rapprocha rapidement et le salua.
- Bienvenue à Pré-au-Lard, Mr Finnigan.
- Bonjour, professeur McGonagall, répondit le père de Seamus. C’est un endroit tout à fait étonnant.
- Vous devriez revenir à la période de Noël, accorda-t-elle avec un sourire, c’est encore plus… magique. Je vous propose que nous nous mettions en route pour Poudlard immédiatement. Par les temps qui courent, il n’est guère prudent de…
Elle laissa sa phrase en suspens, il n’était pas nécessaire de s’étendre plus que nécessaire sur les caractéristiques moldues de son invité dans un lieu public. Elle baissa d’un ton.
- Votre épouse vous tient informé ?
- Oui, elle voulait venir à ma place, mais elle travaille aujourd’hui.
Le professeur McGonagall hocha la tête en silence tout en se dirigeant vers la sortie du village.
- Vous vouliez discuter de Seamus ? demanda Minerva.
- Oui, tout à fait ! Ses résultats de B.U.S.E. sont arrivés la semaine dernière et nous nous interrogeons sur les cours qu’il devrait suivre en septembre.
- Nous regarderons cela une fois dans mon bureau. Mais rien de ce que nous dirons aujourd’hui n’est figé. S’il venait à changer d’avis pendant l’été, il pourra choisir d’autres matières le jour de la rentrée, ce n’est absolument pas un problème, précisa la stricte professeur de Métamorphoses.
Mr Finnigan eut un air étonné.
- Jusqu’au jour de la rentrée ? Les emplois du temps doivent être un véritable casse-tête à établir.
La sorcière balaya la remarque d’un geste de la main. Avec le temps, les emplois du temps étaient devenus son petit jeu de patience de la rentrée.
Tout en avançant, elle agita rapidement sa baguette afin d’ouvrir les grilles de Poudlard et pouvoir retrouver la sécurité du château. Ils marchaient tous deux d’un pas vif. Le choc n’en fut que plus brutal pour Mr Finnigan. A l’instant même où ils passaient les grilles, le père de Seamus fut brutalement éjecté en arrière et retomba durement sur le chemin. Minerva s’arrêta et fronça les sourcils en regardant son invité se relever avec le plus bel air étonné qu’elle n’ait jamais vu. A quoi jouait-il ? Un bruit de pas pressés claudicants parvint à ses oreilles et elle eut un imperceptible soupir las.
- Des intrus ! Des intrus à Poudlard !
Argus Rusard arrivait en courant difficilement, soufflant comme un bœuf.
- Argus ! Mr Finnigan est mon invité ! s’exclama sèchement la directrice des Gryffondor.
- Pardon, Madame. Mais pourquoi a-t-il activé la barrière ?
Minerva roula des yeux en comprenant le problème. Elle s’approcha du Moldu et lui tendit sa baguette.
- Prenez ceci. La protection vous laissera passer avec un artefact magique, même si vous êtes moldu.
Argus Rusard ouvrit de grands yeux. Depuis quand les Moldus entraient-ils à Poudlard ?
- Argus ! N’avez-vous rien d’autre à faire que surveiller mes allées et venues ? demanda Minerva, agacée.
Ainsi congédié, le concierge reprit le chemin du château sans demander son reste alors que Mr Finnigan passait enfin les grilles et ouvrait de grands yeux surpris. Un château moyenâgeux venait d’apparaître sous ses yeux alors même qu’il ne voyait qu’une lande déserte un instant plus tôt. A gauche, une grande forêt avait poussé en un clin d’œil tandis qu’un terrain de sport – sans doute le Quidditch dont parlait son fils – s’était matérialisé sur la droite. Il vacilla sous le choc, mais Minerva avait prévu cette réaction et lui maintint fermement le bras. Une fois remis, il se tourna vers la directrice adjointe de l’école.
- Vous disposez de protections étonnantes, souffla-t-il.
Minerva eut un sourire sans joie.
- Les sorciers n’ont pas toujours été bien vus par vos concitoyens, Mr Finnigan.
Ils prirent le chemin du château, devisant aimablement, et rejoignirent le bureau du professeur McGonagall. Tandis que Minerva invitait l’homme à s’asseoir, elle fit apparaître deux tasses de thé sur le bureau et saisit le dossier de son élève, le feuilletant jusqu’à arriver à une copie de ses résultats d’examens.
- Seamus s’en est sorti honorablement dans presque toutes les matières. Effort Exceptionnel en Sortilèges, en Soin aux Créatures Magiques, en Métamorphose et en Défense, Acceptable en Potions, en Divination, en Astronomie et en Botanique. Il a juste raté sa B.U.S.E. d’Histoire de la Magie.
- Oui, nous sommes contents de ses résultats.
- Est-ce qu’il a fini par avoir une idée de ce qu’il souhaite faire à sa sortie de Poudlard ? Lorsque nous en avions discuté, c’était assez nébuleux pour lui.
- Il nous a parlé du département des Accidents et Catastrophes Magiques.
Minerva se pencha à nouveau sur les résultats d’examens de Seamus.
- C’est tout à fait envisageable. Il faut un A.S.P.I.C. en Sortilèges et un en Défense. Ce lui serait utile de conserver la Métamorphose aussi. Heureusement, il n’a pas besoin des Potions, le professeur Rogue n’accepte que ceux qui ont eu un Optimal à leur B.U.S.E..
- Je pense qu’il arrêtera là l’étude de la Divination et du coup l’Histoire de la Magie.
- Très bien. La botanique ? L’astronomie ?
- Il continuera la botanique, le connaissant. Par contre, je pense qu’il appréciera de ne plus avoir cours de nuit, sourit Mr Finnigan.
- Ah, vous savez comme moi qu’on peut difficilement observer les étoiles de jour, répondit Minerva avec un petit sourire complice.
- Et il a une autre option… Soins Magiques, je crois…
- Soins aux Créatures Magiques, corrigea Minerva. Il a eu une bonne note, il pourrait continuer, même si ça ne sera pas forcément très utile pour son métier.
- Je pense qu’on en reparlera avec lui.
Un silence agréable envahit la pièce tandis qu’ils sirotaient leurs thés. Mr Finnigan était tout à la fois déçu et rassuré d’avoir eu droit à une boisson qu’il connaissait. Curieux, il finit par diriger la conversation sur un tout autre sujet.
- La décoration de votre bureau est tout à fait extraordinaire.
Minerva McGonagall eut une moue surprise et jeta un coup d’œil aux murs agrémentés de sculptures de fer forgé.
- Vous trouvez ces œuvres banales ? demanda le Moldu, ayant bien noté l’étonnement de sa vis-à-vis.
Alors qu’elle allait répondre, on frappa à la porte du bureau. Elle indiqua brièvement au visiteur d’entrer et le battant s’ouvrit sur Albus Dumbledore.
- Oh, pardon, Minerva, j’ignorais que vous aviez de la visite, s’excusa le directeur. Je suis Albus Dumbledore, se présenta-t-il ensuite auprès de Mr Finnigan.
- Mon fils m’a parlé de vous, répondit le Moldu. Seamus Finnigan, précisa-t-il.
Le sorcier à la barbe argentée sourit pour indiquer qu’il avait reconnu le nom de l’élève, puis se tourna vers sa collègue.
- Auriez-vous de la poudre de Cheminette, ma chère Minerva ?
- Bien sûr.
Tout en agitant sa baguette afin de faire venir à elle un petit sachet de toile, elle interrogea.
- Que vous arrive-t-il donc, Albus ?
- Cette cheminée, râla le directeur.
Avisant le regard d’incompréhension de la professeur de métamorphoses, il poursuivit.
- Elle a décidé d’être capricieuse, j’y ai passé tout mon stock de poudre de Cheminette, impossible de la faire fonctionner correctement. Et j’ai vingt personnes qui doivent arriver pour 15h, je ne vais pas les faire arriver chez Mrs Rosmerta et marcher jusqu’ici !
- Ce ne serait pas très prudent, convint Minerva.
Le directeur remercia la professeur et, saluant Mr Finnigan, s’en fut vers sa cheminée récalcitrante. Minerva resta un instant à regarder la porte, se demandant si son estimé directeur penserait à faire appel à un elfe de maison.
- J’aime vraiment beaucoup la décoration ! reprit Mr Finnigan, la faisant revenir à l’instant présent. C’est très original déjà dans mon monde, alors dans celui des sorciers, ça doit être tout à fait unique ! Ca donne une personnalité à votre bureau, une réelle chaleur. Les élèves que vous recevez tout au long de l’année peuvent accéder à une forme d’art différente grâce à cela, vraiment je…
Il s’interrompit, avisant le regard ahuri de Minerva.
- Excusez-moi, je m’emballe toujours devant l’art. Je travaille pour le National Leprechaun Museum, en Irlande, et… Est-ce qu’il y a un problème ? demanda-t-il, voyant que son interlocutrice restait stupéfaite.
Minerva se reprit et sourit au parent d’élève.
- Non, aucun problème. Vous parlez de ces décorations en fer forgé ?
- Oui, exactement ! C’est de la ferronnerie d’art de très haute qualité, c’est vraiment étonnant ! Je ne doute pas que la magie aide à l’embellissement, mais le travail du métal, et particulièrement du fer, est une discipline exigeante et encore plus quand il s’agit de décoration, car il n’est pas possible d’utiliser des gabarits, tout vient directement de l’imagination du créateur et de sa virtuosité à la forge.
La rigide professeur de métamorphoses avait commencé à rosir dès le début de la tirade du Moldu et arborait à présent les couleurs d’une tomate bien mûre. Elle n’aurait jamais imaginé qu’on puisse trouver la décoration de son bureau aussi merveilleuse que semblait le dire son invité. D’ailleurs, personne parmi ses visiteurs, élèves ou professeurs, ne s’était jamais extasié dessus. Mr Finnigan avait dit travailler pour un musée, il devait voir de véritables œuvres d’art tous les jours et il s’arrêtait sur la faune et la flore sculptées dans le fer. Elle ouvrit la bouche puis la referma. Elle n’était pas prétentieuse et si elle continuait cette conversation, l’homme allait immanquablement la taxer de ce défaut.
- Vous avez acheté les pièces forgées à l’artiste ou vous les exposez simplement pour lui faire de la publicité ? demanda Mr Finnigan, curieux.
Minerva hésita avant de répondre.
- Je les expose simplement pour décorer. Mais… il n’y a pas d’artiste, c’est moi qui forge les pièces.