Une grosse larme d’émotion coula le long de la joue velue du demi-géant. Son bébé avait bien grandi. Charlie le laissa perdu dans sa contemplation pendant quelques minutes, il ne pouvait se résoudre à déranger quelqu’un qui aimait les dragons autant que lui.
Tout avait commencé par une lettre.
Bonjour Hagrid,
Comme nous avons pu en discuter en novembre, je te propose de venir passer quelques jours à la réserve. J’ai un petit nouveau à te montrer, une espèce rarissime, peut-être même unique, je suis certain que tu l’adoreras.
Kenneth est averti, tu pourras m’accompagner partout dans la réserve.
Je t’attends.
Charlie Weasley
Hagrid avait été très ému que Charlie se soit rappelé de leur conversation pendant la première tâche. Il avait aussitôt demandé à Dumbledore la permission de quitter Poudlard pour une petite semaine. Les vacances de Pâques n’allaient pas tarder et les délégations de Beauxbâtons et de Durmstang étaient toujours hébergées au château. Mais la présence du professeur de soins aux créatures magiques n’était pas indispensable à cette période. Aussi Dumbledore avait accordé cette permission sans la moindre difficulté. Hagrid avait arrosé le potager et les chardons en fleur, puis il était parti pour la réserve naturelle du delta du Danube, en Roumanie.
Dès son arrivée, au soleil couchant, il avait senti qu’il n’était plus en Angleterre. Il y avait quelque chose dans l’air, quelque chose de continental. Son Portoloin avait beau l’avoir déposé à St-Georges, tout près de la Mer Noire, il sentait que c’était différent des Îles Britanniques. L’air était plus chaud, plus sec. Il avait entendu des marins discuter dans une langue qu’il ne connaissait pas tout en déchargeant leur bateau. Ils portaient tous un écusson jaune et bleu, Hagrid en avait déduit qu’ils étaient ukrainiens. Les reflets du soleil sur l’eau étaient irisés, donnant une étonnante couleur rosée à la mer calme. Même l’ombre de Charlie, qui était arrivé alors qu’il examinait le paysage, avait eu une allure moins insulaire.
Charlie finit par toussoter discrètement et Hagrid se tourna vers lui, les joues rosies par l’émotion.
- Il a tellement grandi, justifia-t-il en reniflant.
- Oui. Elle devrait bientôt pouvoir se reproduire. Si on trouve un autre Norvégien à crête…
Hagrid approuva et suivit Charlie qui l’emmenait à présent dans une toute autre partie de la réserve. Cet endroit était appelé la pouponnière, c’était là que se retranchaient les femelles pour pondre. Les soigneurs qui travaillaient dans cette zone portaient des chasubles couleur framboise afin que tous puissent repérer qu’il ne fallait surtout pas les toucher. Les femelles étaient très sensibles aux odeurs pendant la couvade et refusaient d’être soignées par d’autres hommes que ceux qui étaient présents lors de la ponte. Une simple poignée de main avec un autre dragonologiste pouvait suffire pour être chassé de la pouponnière à grands coups de flammes, aussi il fallait être très prudent.
- Alors, que voulais-tu me montrer ? demanda Hagrid.
- On a un bébé qui est né le mois dernier. On s’attendait à un petit Boutefeu chinois, comme la mère, mais pas du tout.
Il indiqua l’emplacement de la dragonne d’un geste de la main.
Le bébé dragon ressemblait à une énorme barbe à papa. Les écailles couleur bouton de rose presque complètement formées à présent étaient soulignées d’un liseré magenta. Il était occupé à dépecer consciencieusement un cochon et soufflait de temps à autre un nuage de fumée accompagné de flammèches rouge vif. Régulièrement, ses dents se plantaient dans la chair sanguinolente et il accompagnait sa dégustation de faibles rugissements de contentement.
Hagrid poussa un cri d’émerveillement.
- Il est magnifique ! Une petite guimauve, c’est tellement mignon !
Charlie sourit. Il savait bien que Hagrid s’extasierait sur le bébé.
- C’est une femelle, et elle n’a de guimauve que la couleur, tempéra-t-il. Elle est extrêmement agressive, alors qu’elle est encore toute petite. On commence à s’inquiéter pour la sécurité des soigneurs.
- Oui, d’ailleurs, je me demande si on ne va pas leur donner des tenues qui protègent un peu plus, intervint une voix derrière Charlie et Hagrid.
Les deux sorciers se retournèrent et découvrirent un homme qui avait les joues rosies par la chaleur qui régnait dans la pouponnière.
- Hagrid, je te présente le directeur de la réserve, Kenneth Ridgebit, déclara Charlie.
- Bienvenue, Hagrid. Charlie m’a beaucoup parlé de vous, évidemment.
- Enchanté monsieur le directeur, répondit le demi-géant flatté.
- C’est à vous qu’on doit la présence d’un Norvégien à crête ici, je ne pouvais refuser à Charlie de vous faire visiter ma réserve.
- Merci, monsieur, fit Hagrid, je misais tous mes espoirs sur vous pour l’épanouissement de Norbert et je suis content de voir qu’il est en pleine forme. Et puis, tout est si merveilleux ici, tous les dragons doivent être très heureux avec ces grands arbres, cet air chaud et tous ces sorciers qui veillent à leur bien-être.
Kenneth sourit, heureux que sa réserve suscite autant d’admiration.
- Qu’est-ce que c’est comme croisement ? reprit Hagrid en montrant le bébé couleur de l’amour à présent roulé en boule, visiblement en pleine digestion.
- Vu sa couleur inattendue, on pense à un Opalœil des antipodes, expliqua le directeur. On n’en a pas dans la réserve mais Kirita nous a rejoints il y a peu de temps, la fécondation a dû avoir lieu avant son arrivée.
- On a demandé à la réserve des rhododendrons, au Népal. Ce sont eux qui l’ont transférée. Mais on n’a pas encore eu de réponse, compléta Charlie.
Hagrid acquiesça silencieusement et tourna à nouveau son regard vers le dragonneau, les joues teintées d’émotion à l’idée de voir un spécimen aussi rare. Sûrement unique, même, comme l’avait dit Charlie dans sa lettre.
Les jours suivants, Hagrid n’avait cessé de revenir à la pouponnière observer le bébé. Ses griffes se développaient chaque jour un peu plus et avaient pris la teinte des pralines, tout comme la crête d’écailles qui poussait le long de sa colonne vertébrale. Cependant, on reconnaissait les pointes d’or sur son museau typiques du Boutefeu chinois et ses yeux sans pupille avaient un éclat iridescent qui venait confirmer les théories des magizoologistes quant à sa filiation. Il passait tant de temps à admirer le nouveau-né que Kenneth Ridgebit finit par lui proposer ce qu’il n’avait jamais osé espérer, même dans ses rêves les plus fous.
Quand Hagrid rentra à Poudlard, il gardait au chaud dans l’une des innombrables poches de son manteau, outre la promesse de revenir à la réserve, une photographie le représentant en train d’empêcher Ruby de dévorer sa barbe. Ruby, le bébé dragon qui avait été nommé d’après le nom de son nouveau parrain, Rubeus Hagrid.