Remus Lupin pénètre dans la Cabane hurlante en frissonnant. Il ne fait pas froid, le mois de juin est même agréable. Il s’agit plutôt de fébrilité. Ce qu’il vient de découvrir l’a laissé sans voix, mais il sait qu’il doit agir, et agir maintenant, avant qu’il ne soit trop tard pour Peter. Remus a un sourire sans joie en réalisant ses propres pensées. Il a cru l’un de ses meilleurs amis morts pendant douze ans et un nom sur la carte du Maraudeur a suffi à rétablir la vérité. Il en a frémi de rage en comprenant. La carte ne ment jamais. Peter est vivant. Et si Peter est vivant, Sirius a été enfermé à tort. Pendant douze ans. Et maintenant que Sirius a retrouvé sa victime, il va lui faire payer sa détention, il va vraiment le tuer cette fois ! C’est pour ça qu’il s’est évadé ! Pas pour tuer Harry, non, pour commettre enfin le crime dont il a été accusé ! Mais pourquoi ? Remus ne comprend pas tout, il y a encore des zones d’ombre dans toute cette histoire.
- ON EST ICI ! ON EST ICI AVEC SIRIUS BLACK ! VITE !
Il sursaute en entendant Miss Granger crier et réalise que son entrée a été tout sauf discrète. Il sort sa baguette tout en courant dans le couloir et se précipite dans l’escalier branlant, grimpant les marches quatre à quatre. Il doit arriver à temps, il en va de la vie de Peter ! Il s’engouffre dans la chambre où ils sont tous réunis, heurtant l’encadrement de la porte avec sa baguette et projetant une pluie d’étincelles. D’un coup d’œil, il jauge la scène. Les trois élèves sont blessés. Le jeune Weasley à la jambe, Miss Granger à l’épaule et Harry a le visage en sang. Sirius est dans un état déplorable, tenu en joug par Harry. Pas de trace de Peter. Peu importe. Pour l’instant, il doit empêcher les enfants de faire une bêtise.
- Expelliarmus !
Les trois baguettes s’envolent et Remus pousse un bref soupir de soulagement en les attrapant. Il se tourne vers son ancien ami, tentant de refouler les émotions qui secouent son corps usé prématurément. Il n’a pas vu Peter mais il sait qu’il est dans la pièce. Probablement sous sa forme Animagus. Où est-il ?
Sirius lève une main décharnée et pointe le jeune Weasley d’un doigt osseux. Remus tressaille. En un instant, les douze années qui se sont écoulées depuis la mort de James et Lily viennent de s’effacer. Il se souvient de tout avec une précision redoutable. James et Lily obligés de se cacher. Les longues discussions entre Maraudeurs pour protéger la petite famille. Dumbledore qui se propose pour être leur Gardien du Secret. James qui refuse, lui préférant le meilleur ami à la loyauté indéfectible. Puis le double meurtre. Et il comprend. C’est pour ça que Peter s’est fait passer pour mort. James a changé de Gardien du Secret au dernier moment. Sirius confirme ses doutes d’un hochement de tête.
Remus tressaille à nouveau. Alors Sirius n’est pas seulement innocent du meurtre de Peter… Il est innocent tout court ! Il n’a jamais livré James et Lily ! C’était Peter l’espion ! Peter, faible et sans talent. Peter, insoupçonnable pour les Maraudeurs. Peter, inimaginable pour Voldemort, c’est sûrement pour ça que James l’a finalement choisi. Peter, toujours dans l’ombre d’amis plus forts que lui… Il vacille sous le choc. Ils auraient dû s’en douter ! Ils savaient qu’ils avaient une taupe, pourtant ! Ils avaient tous été approchés plus ou moins subtilement, ils auraient dû deviner que Peter serait trop opportuniste pour décliner une offre du mage noir !
Secouant la tête, il sort de ses pensées et regarde à nouveau les sorciers qui lui font face. Tous attendent en silence qu’il réagisse. Sirius ne le lâche pas des yeux. Les jeunes se jettent de petits coups d’œil inquiets, tout en surveillant le prisonnier d’Azkaban. Lentement, il tend une main secourable à Sirius pour le relever et l’enlace. Il sent le corps trop maigre de son vieil ami se détendre dans son étreinte, les soubresauts nerveux qui l’agitent s’espaçant lentement. Mais leur accolade est écourtée par la jeune fille. Elle connaît sa condition. La nouvelle semble suffisamment inattendue pour que Ron tente de se relever, malgré sa jambe cassée. Remus s’avance, inquiet pour lui.
- Arrière, loup-garou !
Remus se crispe. Ce rejet, il l’a si souvent entendu. C’est toujours la même humiliation. Il ne peut pas lui en vouloir, mais l’entendre ainsi, alors qu’il ne souhaitait que l’aider, c’est douloureux. Il renonce et se concentre sur Harry et Hermione qui refusent de croire qu’il n’a pas aidé Sirius. Que peut-il faire pour qu’ils l’écoutent ? Il leur tend leurs baguettes et range la sienne.
- Si ce n’est pas vous qui l’avez aidé, comment saviez-vous qu’il était ici ?
C’est la carte qui le lui a dit. Il se rappelle le sursaut qu’il a eu en voyant le nom de Peter Pettigrow sur la carte du Maraudeur alors qu’il était tranquillement à son bureau à surveiller les trois élèves avant d’aller chercher la potion Tue-Loup chez Severus. Un tremblement bien connu le traverse et il se rappelle brusquement qu’il n’a pas pris sa potion, pris dans l’ivresse des événements. Il doit faire vite, il doit rejoindre son bureau avant le coucher du soleil. Il enchaîne, expliquant aux élèves que Peter était avec eux depuis leur départ de chez Hagrid. Ils ne veulent pas le croire, évidemment, malgré le support de Sirius. Ou à cause de celui-ci ? Et Hermione a des arguments, en prime.
- Il n’y a eu que sept Animagi depuis le début du siècle et Pettigrow ne figure pas dans la liste…
Remus sent Sirius vibrer d’un amusement contenu à ses côtés mais il ne peut lui-même s’en tenir à cela. Il éclate de rire. Elle a suffisamment retenu cette liste pour se rappeler l’absence de Peter, mais elle n’a pas réalisé celle de Sirius, alors qu’elle a constaté elle-même qu’il devrait y être. Chassant ses inquiétudes à propos de la Lune, il prend le temps d’expliquer aux trois élèves le ciment de l’amitié des Maraudeurs. Il réussit à masquer aux jeunes l’émotion qu’il ressent encore vingt ans plus tard en racontant l’acte de James, Sirius et Peter. Mais il sait que Sirius n’est pas dupe et qu’il ressent la tension qui l’habite pendant ce récit.
Il veut réorienter la conversation sur Peter – ses souvenirs, si heureux soient-ils, ne doivent pas occulter la raison de leur présence à tous dans la cabane Hurlante – quand Severus apparaît brutalement. Remus ferme brièvement les yeux, la présence du maître des Potions ne va pas simplifier les choses, vu la haine qu’il éprouve pour Black. Ses pensées sont confirmées quelques minutes plus tard quand il se retrouve saucissonné par Severus, spectateur impuissant des menaces de ce dernier.
Cette position désagréable est toutefois de courte durée. Remus est nerveux, mais rassuré que Harry et ses amis aient été suffisamment intrigués par l’histoire qu’il leur racontait – avant d’être si cavalièrement interrompu – pour mettre Severus hors-jeu. Il peut reprendre son récit, soutenu par Sirius. Convaincre Ron de les laisser jeter le sortilège qui obligerait Queudver à reprendre son apparence humaine n’est pas simple, mais ils finissent par y arriver. Et il est temps, Sirius est agité de spasmes incontrôlables, pressé d’en finir avec le rat. L’éclair bleu qui jaillit de leurs baguettes arrache un tressaillement à Remus. Pendant douze ans, il avait été persuadé d’être le dernier des Maraudeurs, Cornedrue et Queudver morts, Patmol condamné au même sort à plus ou moins long terme. Et ce soir, ils sont trois Maraudeurs dans cette cabane, presque comme avant. Il croise le regard sombre de Sirius et une pensée commune émue pour James s’envole.
Remus claque des dents. Il doit se dépêcher, l’heure tourne, la Lune monte. Surpris de ses propres pensées, il remercie mentalement Severus d’avoir prévenu les autres qu’il n’a pas pris sa potion ce soir. S’ils traînent trop, ils sauront qu’ils doivent fuir. Même s’il espère que les trois jeunes ne le verront pas dans cet état… Pettigrow, larve larmoyante, tente pitoyablement de retourner la situation. Comment peut-il encore seulement essayer ? La culpabilité lui a fait passer douze ans dans la peau d’un rat et il veut quand même faire croire à Harry qu’il est parfaitement innocent ? Remus regarde Sirius, qui est excédé.
- On le tue ensemble ?
Un frémissement d’excitation traverse Remus. Il sait que son instinct de bête nocturne est accru par la pleine Lune qui ne va pas tarder à apparaître, mais pour cette fois, son côté humain assume totalement de vouloir la mort de son ancien ami. Et le même saisissement les parcourt, lui et Sirius, quand Harry s’interpose. L’esprit de Remus commence à s’embrumer, mais il comprend que c’est la meilleure chose à faire. Outre le fait que Peter serait condamné, cela signerait la libération de Sirius. Remus voit que la noblesse du jeune homme pétrifie l’évadé et il prend les choses en main. Il baisse sa baguette, immédiatement imité par Sirius qui réagit enfin.
- Un geste suspect, Peter, et…
Remus se fige. Il a trop attendu. Agité de tremblements, il réalise vaguement que Ron est en très grand danger, attaché à lui par le biais de Peter. Il entend la voix étouffée d’Hermione, comme si on y avait posé un couvercle. L’injonction à fuir de Sirius lui parvient encore plus lointaine. Il sombre.