Il faisait un froid terrible ce soir-là et Mrs Cole fit ajouter du bois dans les cheminées. Les enfants allaient mourir de froid dans leurs lits si on ne tenait pas les feux allumés toute la nuit. Elle plaça une casserole au-dessus des bûches dans l’âtre de la cuisine. Attendant que l’eau chauffe pour la verser sur les feuilles de thé, elle s’appuya contre la vitre de la fenêtre, regardant sans les voir les flocons de neige qui tourbillonnaient dehors.
Soudain, une ombre noire apparut dans la cour de l’orphelinat. Depuis la fenêtre, Mrs Cole plissa les yeux, tentant de voir qui pouvait bien s’aventurer dehors par un temps pareil. Ce n’est qu’en voyant l’ombre monter les marches qui menaient au perron qu’elle comprit.
- Il me faut la matrone, réalisa-t-elle à voix haute, tout en se dirigeant vers la porte d’entrée. Puis elle cria, Miss McGuffin !
Une jeune femme apparut en haut des escaliers, une mine interrogatrice sur le visage.
- Nous allons avoir du travail, expliqua sobrement la directrice.
Au même instant, on entendit quelques faibles coups contre la porte. Sans faire plus cas de son employée qui descendait à présent précipitamment les escaliers, Mrs Cole ouvrit la porte.
La fille qui venait de perturber cette froide soirée de décembre était grise. Elle portait une robe sale et rapiécée à maintes reprises et un fichu tout aussi crasseux retenait ses cheveux. Son visage était d’une pâleur morbide et ses yeux démontraient un strabisme évident. Quelques mèches de cheveux s’étaient échappées de sa coiffe, mais elles étaient dans un tel était de saleté qu’il était difficile d’en définir la teinte. Et surtout, elle était clairement sur le point d’accoucher. Elle ne se présenta pas, se contentant de quelques mots prononcés avec une douleur évidente.
- C’est pour maintenant.
- On va s’occuper de vous, assura Mrs Cole. Miss McGuffin, il y a de l’eau en cuisine et des serviettes dans la lingerie. J’emmène mademoiselle dans la chambre.
La directrice saisit avec douceur le bras de la fille et la guida vers la chambre la plus proche de l’entrée, pièce qui avait été dévolue aux accouchements au fil des années. Mrs Cole recevait de temps à autres des parturientes et sa première expérience lui avait appris qu’il valait mieux avoir une chambre propre à proximité de l’entrée faute de quoi on accouchait dans les escaliers. Laissant la fille supporter une contraction appuyée contre le chambranle de la porte, elle se précipita dans la chambre pour allumer la lampe de chevet et revint aider la future mère. Sans la déshabiller, elle l’aida à s’allonger sur le lit, sur le côté, ses jambes trop maigres repliées sous son ventre rebondi. Miss McGuffin réapparut, une marmite d’eau dans les bras et une pile de serviettes immaculées en équilibre sur le couvercle de celui-ci.
Un dernier soubresaut parcourut le corps de la fille. Mrs Cole et Miss McGuffin se jetèrent un regard inquiet. Miss McGuffin emporta le nouveau-né vagissant afin de le laver tandis que Mrs Cole épongeait le sang perdu par la fille. Elle fronçait les sourcils, il y avait quelque chose d’anormal, cette fille n’aurait pas dû perdre autant de sang. Une voix faible interrompit ses réflexions.
- C’est un garçon ?
- Oui, Miss, un ravissant petit garçon. Miss McGuffin va vous l’amener dans une minute.
- J’espère qu’il ressemblera à son papa.
Mrs Cole approuva sans mot dire, continuant d’éponger le sang. Elle ne connaissait pas le visage du père, mais il était évident qu’il valait mieux que ce petit ne ressemble pas à la femme allongée sous ses yeux. Miss McGuffin revint, l’enfant emmailloté dans un linge propre, et déposa le précieux paquet dans les bras de la jeune mère.
Dans un immense effort, la fille aux cheveux filasse ouvrit les yeux et sourit au petit garçon, inconsciente du regard paniqué qu’échangeaient les deux accoucheuses. Mrs Cole lut le mot « hémorragie » sur les lèvres de la sage-femme et approuva avec une grimace. Miss McGuffin jeta un œil désolé à la mère et à l’enfant. Ils ne partageraient que quelques dizaines de minutes tout au plus, traiter ces complications étaient au-delà de leurs compétences et aucun médecin n’arriverait à temps en cette veille de Nouvel An, ce n’était même pas la peine d’essayer d’en contacter un.
Détachant son regard divergent de son enfant, la fille tourna les yeux vers les deux femmes impuissantes.
- Merci pour votre aide, souffla-t-elle difficilement.
La directrice et la matrone acceptèrent les remerciements en silence, attendant la suite.
- Je vais l’appeler Tom. Comme son père.
Elle sourit.
- Et Elvis, comme mon père.
Un air indéfinissable obscurcit son visage un instant.
- Tom Elvis Jedusor, conclut-elle, sereine.
Mrs Cole acquiesça, notant le nom de l’enfant et sa date de naissance sur son registre tandis que Miss McGuffin s’occupait d’éponger le sang que perdait irrémédiablement Mrs Jedusor. La directrice compléta son registre avec le nom du père puis tourna la tête vers la femme.
- Mrs Jedusor, j’ai besoin de votre prénom. Pour le registre, précisa-t-elle.
Mais c’était trop tard. Merope Jedusor, née Gaunt, avait expiré son dernier souffle.