Thème 1- Je promène Hagrid au bord du lac et je place un parapluie rose en case 42.
Si une chose était certaine, c’était que ce jour de 1943 resterait dans sa mémoire. Ce n’était ni Noël, ni son anniversaire et pourtant le cadeau était aussi surprenant que salvateur.
Le jeune Rubeus Hagrid observa un instant l’objet qu’il retourna sous tous les angles puis leva un œil étonné vers Dumbledore.
— Oh, bien sûr il ne faut pas t’attendre à réaliser avec ceci des sorts de niveau quatre, expliqua ce dernier, mais ce sera amplement suffisant pour te faciliter la vie de tous les jours.
— Mais, professeur…
— N’aies crainte et acceptes, coupa Dumbledore. Je sais tout comme toi que tu es innocent et je ne comprends que trop bien l’injustice dont tu es victime. Puisque la décision du directeur est définitive, voilà de quoi te consoler un peu.
— Merci, bredouilla Hagrid. Merci beaucoup. D’abord vous réussissez à convaincre le professeur Dippet de me laisser vivre ici et aider Ogg* et maintenant vous réparez ma…
— C’est un parapluie que je t’offre, Rubeus, rien d’autre qu’un parapluie. Il est juste un peu spécial, voilà tout…
Le regard de Dumbledore brillait d’un éclat de malice derrière ses lunettes en demi-lune et il lui fit un clin d’œil entendu.
— Oh… Oui, bien sûr… Merci, répéta simplement le jeune homme, visiblement touché de l’attention de son ancien professeur de métamorphose.
Il caressa machinalement le tissu rose du parapluie. Il n’y avait aucun doute, Dumbledore avait, d’une façon ou d’une autre, réparé sa baguette et l’avait intégrée au manche. Il sentait la magie imprégner son être de la même manière que le jour de sa première visite chez Ollivander, peu de temps avant son entrée en première année.
Il était maintenant soulagé d’un poids. Ce matin, il avait reçu un message de Dumbledore par hibou dans lequel il lui donnait rendez-vous pour lui parler d’une affaire spéciale. L’apprenti garde-chasse avait passé la journée à s’inquiéter de leur future entrevue, pensant que son ancien professeur allait lui annoncer une mauvaise nouvelle, mais maintenant qu’il connaissait l’objet de leur rencontre, tout allait mieux.
Les deux sorciers reprirent leur promenade au bord du lac. Le temps était clair et l’air frais, en cette fin d’après midi. Un peu plus haut, les cheminées des cuisines de Poudlard dégageaient une odeur de pain, signalant que les Elfes étaient en plein travail et préparaient une fois de plus un festin digne de ce nom.
Étaient-ce les rayons du soleil se reflétant sur l’eau ou la présence apaisante de Dumbledore à ses côtés ? Peut-être bien les deux. Son parapluie magique dans sa main droite, Hagrid se sentait serein pour la première fois depuis son renvoi de l’école.
— Tes nouvelles fonctions te plaisent ? demanda le professeur de métamorphose, sortant le garde-chasse de ses pensées. Ogg m’a raconté pas plus tard que ce matin que tu te débrouillais à merveille. Il m’a avoué que tu l’impressionnais lorsqu’il te voyait agir avec certaines créatures de la forêt interdite et qu’il n’aurait jamais pensé que tu sois si efficace.
— Oh, il suffit de leur parler d’une voix douce. Ce que les gens ignorent c’est que les créatures ont plus peur de nous que l’inverse. Il faut toujours les rassurer, ça c’est important. Vous savez professeur, parfois j’ai l’impression d’être comme elles ; elles ont pas la tête de l’emploi, comme on dit. Beaucoup pense qu’elles ont pas leur place si près de l’école et ferait tout pour qu’on les mette ailleurs. Quitte à mentir sur leur sort. Ils s’en moquent, c’est pas de leur vie qu’il s’agit.
Dumbledore l’écoutait silencieusement et ne pouvait s’empêcher de faire le rapprochement entre les paroles de Hagrid et ce qui était arrivé à ce dernier quelques semaines plus tôt. En le regardant attentivement, il se rendit compte d’un contraste saisissant. Il était face à un jeune homme de quinze ans mesurant pas loin de deux mètres vingt et pourtant derrière ce corps massif se trouvait un adolescent encore blessé par la mort de son père et profondément touchant. Il avançait lentement, baissant la tête en passant sous les branches, marquant les empreintes de ses souliers immenses sur la terre humide du chemin. Il devait supporter le poids d’une condamnation injuste sur ses épaules et n’avait désormais plus grand monde à qui se confier.
— Il s’en est passé des choses en quarante-deux jours, professeur, reprit-il. Vous savez, Ogg est quelqu’un de dur et de solitaire, mais c’est bien le seul à part vous à se soucier de moi. Ça fait quarante-deux jours aujourd’hui que je ne peux plus apprendre l’histoire de la magie ni essayer de changer une bougie en géranium sans y arriver. Quarante-deux jours que je vois mes anciens camarades traverser le parc en parlant des leçons qu’ils apprennent ou de leurs projets pour l’avenir… Quarante-deux jours ont passé, et vous êtes les seuls à me regarder comme quelqu’un d’innocent, de normal. Je sais bien que j’avais pas les mêmes facilités que les autres élèves en arrivant ici, que j’avais plus de difficultés que d’autres, mais la magie est toute ma vie et ces longues journées sans ma baguette – enfin, sans ce parapluie –, ont été horribles.
Emu, il s’arrêta près d’un ponton et observa le reflet rouge feu du soleil sur l’eau. Son parapluie rose toujours dans la main gauche, il sortit de sa poche un énorme mouchoir de la taille d’un torchon avec lequel il essuya quelques larmes qui menaçaient de tomber.
— Comment avez-vous fait pour l’ensorceler ? demanda-t-il après s’être mouché bruyamment.
Dumbledore esquissa un sourire. Connaissant le jeune homme, il avait pensé que sa curiosité le pousserait à lui poser plus rapidement la question.
— C’est une longue histoire et je mentirais en te disant que j’ai agi dans la légalité la plus parfaite… Retiens simplement ceci : tu es censé être interdit de baguette, par conséquent personne ne doit savoir que ce parapluie à des propriétés magiques. Il est impératif que tu ne t’en serve qu’en cas d’extrême urgence.
D’un signe de tête timide, Hagrid indiqua qu’il avait compris et rangea le parapluie dans la poche intérieure de son manteau, au milieu de trois pelotes de ficelles, de produit contre les limaces et d’un trousseau de clés.
Dumbleldore connaissait la sensibilité du garçon et ne voulait pas lui raconter toute la vérité ; il se serait senti mal à l’aise de savoir le temps que le professeur de métamorphose avait passé sur son projet.
En réalité, Dumbledore avait été tellement outré par la manière dont Hagrid avait été renvoyé de l’école qu’il n’avait pas pu s’empêcher d’agir. Il avait assisté impuissant à la destruction de la baguette du Gryffondor mais avait heureusement pu en récupérer les morceaux dans l’espoir de la reconstituer. Il le savait, ses longues recherches sur le sujet des années plus tôt, seule la baguette de sureau était capable – entre autres propriétés bien plus exceptionnelles – de réparer une baguette magique. Hélas elle était entre les mains de son ancien complice Grindelwald et il lui était incapable, à l’heure actuelle, de la récupérer. Il avait donc du chercher une alternative pour arriver à ses fins. Il avait travaillé d’arrache pied pendant plus de quarante longs jours afin de trouver une solution pour rendre un peu d’autonomie magique à Rubeus et puis, la veille au soir, l’inspiration avait frappé à sa porte. L’idée était aussi simple qu’ingénieuse : métamorphoser chaque composant de la baguette en objet courant que le garde chasse pourrait cacher dans une de ses grandes poches et en renforcer le cœur à l’aide de sortilèges complexes de son invention pour lui permettre une utilisation facile et discrète des formules les plus courantes. C’est en posant les yeux sur un magazine de mode moldue qu’il avait eût l’idée du parapluie rose, objet relativement passe-partout. Quelques mouvements de baguette magique et incantations complexes en latin plus tard, Albus avait pu s’assoir dans son fauteuil, sortir une Patactirouille de sa poche et s’en délecter. Le goût acidulé lui avait tiré un sourire satisfait ; il avait enfin réussi.
Les deux hommes reprirent leur marche. Le calamar géant sortit trois de ses tentacules de l’eau avant de les y replonger lourdement, les éclaboussant au passage. Ils observèrent ce spectacle un instant.
— Voilà ce que j’aime dans mon nouveau poste, confia Hagrid. J’ai encore plein de choses à apprendre mais je me lève chaque jour avec la certitude que je vais découvrir de nouvelles choses. Tenez, par exemple… Ogg m’a dit ce matin que le Calamar Géant s’était coincé un tentacule dans les algues au fond du lac et qu’il était blessé. On doit aller voir ça la semaine prochaine. Il faut juste qu’il voit trouve un moyen de renforcer la barque pour éviter que je la fasse couler mais j’ai hâte, professeur, vous n’imaginez pas à quel point ! J’espère que je serais à la hauteur et que je pourrais faire ma vie ici, à Poudlard. Je me vois bien vivre en bordure de la forêt interdite dans quelques années. Je construirais une cabane en bois et m’occuperais du potager de l’école en plus de mon travail de garde-chasse. J’ai vraiment l’impression d’être chez moi, ici.
Dumbledore fut ravi de le voir si soudainement avec plein de projet en tête. Hagrid réfléchit un instant en regardant le lac puis se tourna à nouveau vers Dumbledore, plein d’espoir.
— Je ne crains plus rien grâce à vous professeur, pas même la pluie, ajouta-t-il d’un air entendu. Et je vous en serai à jamais reconnaissant.