« RON ! RON ! » cria-t-elle à travers ses sanglots.
Trempée jusqu'aux os, Hermione parcourait la berge boueuse en appelant Ron. Il ne pouvait pas être parti. Il ne pouvait pas les avoir abandonnés.
« RON ! »
Ne prenant pas garde où elle mettait les pieds, trop occupée à scruter les environs, elle glissa sur un tas de feuilles mortes et manqua de tomber dans la rivière qui circulait à quelques pas de leur campement.
« RON ! » appela-t-elle encore une fois.
Mais personne ne lui répondit. Abattue, résignée, elle retourna alors vers la tente tout en ne pouvant s'empêcher de jeter des coups d'œil par-dessus son épaule, au cas où.
Hermione resta longtemps immobile dans le fauteuil, les couvertures de Ron posées sur elle avant de se redresser brusquement. Essuyant du revers de la main les traces laissées par ses larmes sur ses joues, elle attrapa son sac en perles et en sortit une plume, un encrier et un rouleau de parchemin.
Maman, Papa,
Je vous écris cette lettre bien que je sache que vous ne la lirez jamais car je la jetterai au feu dès que j'en aurai terminé la rédaction. Alors pourquoi donc prendre la peine de l'écrire ? Tout simplement parce que j'en ressens le besoin. Il faut que je couche sur papier les diverses pensées, émotions qui m'assaillent à cette heure avancée de la nuit. Cela me permettra, je l'espère, d'y voir un peu plus clair ou tout au moins de m'apaiser.
Cela fait déjà deux mois que Harry, Ron et moi sommes partis à la recherche des Horcruxes créés par Voldemort pour les détruire. C'est le seul moyen pour mettre définitivement un terme à la vie de ce mage noir. Bien évidemment, je savais que des embûches se dresseraient sur notre chemin, que cette quête ne serait pas une partie de plaisir, qu'il nous faudrait prendre des risques pour parvenir à nos fins. Je savais que je mettais ma vie en jeu, mais de toute façon, je suis en danger quoi que je fasse uniquement parce que je suis Née-Moldue alors autant prêter main forte à mes amis, non ? Et puis, ce n'était pas comme si je n'avais jamais dû affronter de choses dangereuses au cours de ces six dernières années. Je n'ai d'ailleurs pas hésité une seule seconde en prenant la décision d'accompagner Harry. Depuis notre entrée à Poudlard, nous avons toujours lutté ensemble. Il était impensable, inconcevable que Ron et moi laissions Harry se débrouiller tout seul.
Mais bien que je ne regrette aucunement mon engagement, je dois avouer que je n'avais jamais imaginé que cela se passerait ainsi. Je croyais sincèrement, et Ron aussi, que Harry avait un plan, qu'il savait ce qu'il devait faire, où il devait se rendre pour dénicher les Horcruxes et quels étaient ceux-ci. Je me suis, hélas, bien vite rendu compte que ce n'était pas du tout le cas et que nous nous étions embarqués dans cette expédition à l'aveugle. Nous ne savons pas quels sont les objets qui renferment un morceau d'âme de Voldemort, nous ne savons pas où il les a cachés et, même si nous les trouvions, nous n'avons pas la possibilité de les détruire ! En effet, nous avons en notre possession le vrai médaillon de Serpentard depuis déjà quarante-deux jours et nous ne savons toujours pas comment l'ouvrir. En outre, ce collier est loin d'être inoffensif : il influence notre humeur, attise notre frustration, ... Bref, celui qui le porte devient invivable. Il serait grand temps que l'on s'en débarrasse.
Et comme si cela ne suffisait pas, depuis quarante-deux jours également, nous logeons dans une tente. Au départ, nous séjournions dans la demeure du défunt parrain de Harry et, bien que nous devions faire attention lorsque nous sortions et entrions dans ce manoir, nous disposions de tout le confort nécessaire. Vous me connaissez, je ne suis pas une fille matérialiste et dormir sur un lit de camp de ne dérange pas. Par contre, j'ai beaucoup plus de mal à m'habituer au manque de nourriture et au goût peu agréable de la plupart de nos maigres repas. Je ne parviens pas toujours à trouver une formule qui puisse rendre plus appétissants les quelques aliments que nous parvenons à nous procurer. Ce n'est pas le genre de choses que l'on nous apprend à Poudlard et c'est finalement bien regrettable. En outre, bien que j'aie emporté tous les ouvrages qui me semblaient intéressants pour la résolution de notre tâche, je n'ai jamais pensé à emprunter l'un des livres de cuisine de Mrs Weasley.
Je me prends souvent à penser que nous avons été totalement inconscients de nous lancer seuls dans cette aventure. Même si nous avons tous les trois atteints notre majorité, nous sommes encore loin d'être des adultes. Nous aurions bien besoin que quelqu'un nous guide dans notre recherche. Quelqu'un possédant de l'expérience, quelqu'un sachant comment réagir face aux difficultés que nous rencontrons chaque jour pour mener à bien notre mission. Nous avons bien sûr quelques pistes sérieuses mais, à chaque fois que nous avons l'impression d'avancer, nous reculons en fait. Par exemple, ce soir, nous avons appris, par hasard, que l'épée de Gryffondor pouvait détruire les Horcruxes. C'est une bonne nouvelle, me diriez-vous. Mais, petit problème : où se trouve donc cette épée ? De cela, nous n'en avons malheureusement aucune idée. Nous pouvons seulement éliminer Poudlard et Gringotts de notre liste. Cela réduit fortement notre champ de recherche, n'est-ce pas ?
Si vous aviez pu lire ce parchemin, je suis sûr que vous auriez été étonnés par son contenu. Moi qui ai toujours fait preuve de ténacité, de volonté, je dois vous paraitre bien défaitiste en ce moment. C'est à cause de la dispute qui a éclaté entre Ron et Harry quelques heures plus tôt. Je ne suis pas vraiment surprise que cette vive altercation ait eu lieu. Nous sommes tellement sous tension, sur les nerfs, depuis de nombreux jours que cette dispute était presque inévitable. J'avais cependant espéré qu'elle se terminerait autrement. Ron est en effet parti. Il a quitté le campement pour de bon. Et je savais qu'il pourrait en arriver à cette extrémité. Je le connais. Je les connais tous les deux.
Je comprends la réaction de Ron même si sa décision me chagrine et me bouleverse profondément. Tout comme moi, il a quitté sa famille pour apporter son aide à Harry et il n'a plus aucune nouvelle de leur part depuis que nous avons fui précipitamment le mariage de Bill et Fleur. Il ne peut donc pas savoir comment ses parents, ses frères et sa sœur se portent alors qu'il sait que leur vie est également en danger puisqu'ils luttent contre Voldemort et ses Mangemorts. Il est donc tout à fait normal qu'il soit inquiet pour ses proches. Je peux comprendre que Ron se soit énervé ce soir car il a eu la désagréable impression que Harry et moi ne nous faisions pas de souci pour eux. Ce qui est totalement faux, bien entendu ! Ce n'est pas parce que nous ne parlons pas des autres que nous n'y pensons pas. Quand j'ai entendu que Ginny s'était fait prendre la main dans le sac par le professeur Rogue en essayant de dérober l'épée qui se trouvait dans son bureau, je me suis littéralement figée sur place et j'ai eu peur pour elle. Et j'ai toujours peur. Pour elle. Pour les autres élèves de Poudlard qui sont aux mains de Mangemorts. Pour les Nés-Moldus qui se cachent. Pour ceux qui se battent. Pour nous. Pour Harry. Pour Ron. Où est-il à présent ? Est-il en sécurité ? Se rend-il compte qu'en partant ainsi, il m'apporte une inquiétude supplémentaire ?
Au moins, je sais que vous, maman, papa, êtes en sécurité loin d'ici, loin de moi. Et vous me manquez terriblement. Qu'est-ce que je ne donnerais pas juste pour vous voir ou seulement entendre votre voix. Même un simple petit message de votre part me suffirait. Mais vous ne savez plus que vous avez une fille. Je suis évidemment rassurée de vous savoir loin de tout danger et, si on me le demandait, je referais exactement la même chose vous concernant, mais cela atténue à peine la douleur qui me sert le cœur à chaque fois que je pense à vous. Vous êtes vivants et, pourtant, je me sens orpheline.
Certaines nuits, je suis d'humeur nostalgique et je me surprends à ressasser quelques souvenirs d'enfance. L'un en particulier revient régulièrement. Il se passe lors de notre séjour sur la côte du Northumberland. Debout au bord de la falaise, je regarde sans vraiment les voir les vagues se fracasser sur les rochers. Encore une fois, je viens de faire de la magie accidentelle. Il y avait ce garçon qui n'arrêtait pas de bavarder et m'empêchait d'écouter le guide qui nous faisait visiter le château. J'ai souhaité qu'il se taise une bonne fois pour toutes. Et il est aussitôt devenu muet. À l'époque, je ne savais pas encore que j'étais une sorcière – la lettre de Poudlard me l'annonçant n'arriverait que trois semaines plus tard – et tous ces événements étranges qui se produisaient par ma faute m'inquiétaient autant qu'ils me fascinaient. Je n'étais pas une petite fille normale et je souhaitais savoir pourquoi et, surtout, savoir ce qui se passait exactement.
C'est alors que toi, maman, tu m'as serrée dans tes bras tandis que toi, papa, tu me caressais les cheveux. Je me souviens avoir savouré cette étreinte, bercée par les mots que vous prononciez pour me rassurer : « Quoi qu'il advienne, tu seras toujours notre fille et nous serons toujours là pour toi, sois en certaine ».
Maman, papa, qu'est-ce que j'aimerais bien, ce soir, me blottir à nouveau dans vos bras comme lorsque j'étais une enfant...
Je vous aime et j'espère vous revoir.
Votre fille, Hermione
Les larmes coulaient à nouveau abondamment sur ses joues et, sur le parchemin, quelques mots commençaient à s'estomper sous cette eau salée.
Hermione se sentait exténuée, vidée de toutes ses forces. Cela lui avait fait du bien d'extérioriser par écrit tout ce qu'elle ressentait. Ses interrogations et ses peines étaient toujours présentes mais c'était comme si elle avait ôté un poids de ses épaules. Elle s'autorisa à profiter quelques instants de cette sensation avant de saisir de sa baguette. Elle fit venir à elle une coupelle en verre et y déposa sa lettre.
« Incendio », murmura-t-elle.
Elle regarda le parchemin se consumer rapidement jusqu'à devenir un petit tas de cendres.
« Evanesco. »
Hermione agita ensuite sa baguette pour faire disparaitre l'odeur de brûlé puis s'installa à nouveau confortablement dans le fauteuil. Elle se pelotonna dans les couvertures de Ron et ferma les yeux.
La pluie n'avait pas cessé et elle entendait les gouttes qui s'écrasaient sur la tente. Elle percevait également le bruit de la rivière agitée par le vent qui s'était levé durant la rédaction de sa lettre.
Elle sombra peu à peu dans le sommeil et les remous de la rivière se transformèrent en vagues s'échouant au pied d'une falaise.