Vous discuterez de la pertinence de cette citation (quatre parchemins).
Il s'arrête là, au bord de l'eau, et il enfonce ses orteils dans le sable. Il a encore le ventre noué. Le vent lui caresse le front, doucement, et il a l'impression de sentir la paume de sa mère. Il a envie de fermer les yeux, parce que ça fait du bien et qu'il s'en est passé pendant presque trois ans. Mais il se sent vaciller. Il faut qu'il enfonce ses orteils, encore, pour s'ancrer plus profondément. Il faut qu'il regarde loin, loin devant, dans cet avenir qui roule et fait des vagues pleines d'écume.
Il se concentre. Il veut que ses entrailles s'apaisent, et qu'elles ne dansent plus comme s'il était un frêle esquif sur la mer déchaînée. Le vent le pousse, il s'engouffre dans sa robe de sorcier, il veut le faire tomber. Il résiste. Il ne sait pas pourquoi. Il ferait mieux de plier, n'est-ce pas ? Il faut savoir s'incliner, s'agenouiller et demander à être pardonné. Mais il y a le cri des mouettes rieuses. Elles ont raison de se moquer, il est ridicule. C'est parce qu'il n'a jamais appris à avoir tort, à le reconnaître, à le dire à voix haute. Il n'a jamais pu que s'étouffer la nuit avec son oreiller.
Le rire des mouettes frappe contre son tympan, et soudain c'est l'autre rire qu'il entend, celui qui a déjà résonné contre les murs de la salle d'examen. Il s'assied, parce que ses genoux tremblent, mais ce n'est pas le sable qu'il touche du bout des doigts, c'est le parchemin sur le pupitre en bois du Ministère.
On pardonne plus facilement aux autres d'avoir eu tort que d'avoir eu raison.
Il voit le sujet. Il le lit deux fois mais il n'y a rien à faire, les mots dansent devant ses yeux. Il ouvre la bouche, parce qu'il y a sûrement une autre feuille, une autre citation, un autre sujet, qui ne serait pas lui et qui ne laisserait pas des traînées de feu dans son estomac.
Il essaie de se calmer. Il regarde autour de lui. Les autres grattent frénétiquement sur leurs parchemins, et la fille devant lui a presque déjà fini son premier rouleau. Ses mains se remettent à trembler, il les essuie un peu sur son pantalon. Tic tac. Les aiguilles de sa montre cabossée ont avancé trop vite.
C'est vrai. Elles ont avancé trop vite, depuis la fin de la guerre. Il ne sait pas ce qu'il fait là, dans une salle poussiéreuse du Ministère de la Magie – à passer le nouvel examen pour y entrer. Est-ce qu'il en a envie ? Il ne sait pas. Il ne veut pas réfléchir, c'est le cours normal des choses. Il est ambitieux, il veut monter en grade, il est l'assistant personnel du Ministre. Tic tac. Ta vie a défilé.
C'est vrai. Sa vie a défilé. Il s'est privé d'un nombre incroyable d'heures, de jours, de mois – imbécile, imbécile ! Il s'est privé de sa famille, de ses amis, il a oublié ce qui était juste, ce qui était vrai, ce qui était bien. Ambition. Gloire. Orgueil. Faut-il être aveugle à ce point ?
Le rire. Encore ce rire. Un rire familier, qu'il a toujours entendu, et qui tombe en cascade. Un rire éternel. Où est-il, Fred ?
Mais il est là. Allongé au milieu des gravats, les yeux ouverts et le sourire sur les lèvres. Il est là, avec l'odeur de mort – de mort ! – et le silence assourdissant.
La fille devant lui se met à tousser. Elle brise le silence, cette idiote. Quel silence ? Il n'y a que les rires de Fred. Il se mord les lèvres. Il regarde le sujet. On pardonne plus facilement aux autres d'avoir eu tort que d'avoir eu raison. Ambition. Gloire. Orgueil. Bien sûr qu'ils avaient raison. Il se mord les lèvres, encore, et il y a le goût du sang.
Alors il se lève. Ça lui semble logique, de se lever, beaucoup plus logique que de regarder sa famille avec mépris. D'abandonner ses idéaux et de rester terré dans un bureau au Ministère. Il est debout, et ils sont tous courbés sur leurs chaises. Combien d'entre vous se sont calfeutrés dans un endroit sûr pendant que Fred se faisait tuer ? Dissertez sur votre lâcheté en quatre rouleaux de parchemin. Ça devrait être le sujet de l'épreuve. Il a envie de le leur crier à la figure, ou de se mettre à rire avec le grondement d'une cascade. Mais ils ne comprendraient pas, et sa vie défile. Tic tac.
Il avance un peu. Il voudrait faire trembler la terre, mais sa magie n'est pas assez puissante – encore une fois, il n'est pas à la hauteur de ses ambitions. Il crie quand même. Il veut agir.
"Tous des pourris, tous des pourris ! Et moi le premier !"
Des yeux écarquillés, partout. Il s'en fiche. Il s'en va. Il voudrait voler le panache de Fred.
La mer s'est calmée. Il a presque envie de se baigner maintenant, et de se laisser bercer comme les mouettes qui ont arrêté de se moquer. Mais il se sent vide, épuisé, et il sait qu'il ne pourrait pas lutter contre les courants. Il hésite une fraction de seconde. Peut-être que ça ne changerait rien, après tout. Il dérive déjà.
Finalement, il s'assied en tailleur sur le sable. D'habitude, il n'y a pas de peut-être, ni d'hésitations – il a horreur de ça. Avec lui, ce sera toujours oui ou non, blanc ou noir. Raison ou tort.
Il y a toujours un d'habitude, après la guerre. Et le mais qui vient juste après.
D'habitude, quand il vient ici, il réussit à ne voir que ce qui n'a pas changé. La mer, les mouettes, le vent qui fait tourbillonner le sable. La Chaumière aux Coquillages est hors du temps – c'est pour ça qu'il y vient depuis que Poudlard a connu la Fin.
Mais il l'a vu, aujourd'hui, ce qui a définitivement changé. Peut-être que ce sont les quarante-deux points. Peut-être que c'était bien avant.
Oui, avant, il se les serait pris en plein cœur, ces quarante-deux points, il aurait jeté sa plume et déchiré le parchemin. Puis il sait qu'il se serait calmé. Il aurait pensé, Je n'ai pas encore dit mon dernier mot ! Je vais la réussir, cette épreuve de rattrapage, et vous me supplierez de vous pardonner pour ne pas m'avoir pris du premier coup.
Et il y a le mais. Le mais qui crie que le dernier mot a déjà été dit. Qu'il a déjà abandonné, il ne sait pas quand, il ne sait pas où, et que tout ne fait que recommencer. Il y a erreur, il y a redite, retournez au Ministère, sortez votre calepin, passez cet examen. Il manque Fred.
Le vent s'est levé à nouveau, parce qu'il a du sable dans les yeux. Il ne se reconnaît plus. Il ne veut pas redevenir celui qu'il était pendant la guerre, mais il en a assez de celui qu'il est maintenant, avec ses quarante-deux points à rattraper. A rattraper sur quoi ? Sur qui ? Où ? Qu'on le lui dise, et il pourra enfin mettre un pied devant l'autre !
C'est sa vie, maintenant. Il est derrière, tout le temps, il court mais les autres sont trop loin et finalement ils ne sont plus qu'un point minuscule à l'horizon. Plus vite, plus vite, monsieur Weasley ! Les aiguilles vont vous rattraper.
Encore du sable, encore, ça crisse de partout. Plus d'engrenage. Plus de mécanique parfaitement huilée. Tout est cassé. Tout. Ses phrases sont courtes, alors qu'il les aime à rallonge, avec des constructions qui n'en finissent plus et donnent le vertige, et avec des mots que personne n'utilise. Où est le rythme ?
C'est vrai. Il n'y a plus que des points maintenant. Quarante-deux, pour être exact. Les lignes et les courbes, seul le vent peut les tracer sur les dunes.
Et puis, il ne sait pas ce qu'il fait debout, mais il se met à courir, pour aller chasser la mer aux eaux vert bouteille. Il aboie, il aboie, comme un Roquet-en-Chef. Il donne de grands coups de pied, avant arrière, avant arrière. Il a envie de la châtier, la mer, parce qu'elle abrite les mouettes moqueuses et qu'elle est éternelle. Les seuls cheveux blancs qui lui pousseront jamais sont les gerbes d'écume qu'il fait jaillir de sous ses pieds.
Elle ne se défend pas, elle ne se cabre pas comme une licorne sauvage. Elle se laisse faire, elle vient même rouler sous ses orteils pour y déposer des baisers de sel. Tendre clapotis, qui prend tout ce qu'il a à lui donner, son énergie, son cœur, son âme. Il donne les quarante-deux points aussi, parce que c'est encore trop tôt, qu'il ne se sent pas encore prêt. Tant pis pour le rattrapage. Il laisse les autres filer devant – c'est en arrière que lui fera son deuil. Et quand il reviendra, il réussira du premier coup.
Le vent fouette son visage, il avale des mèches de cheveux roux qu'il recrache avec un sourire. Il se sent libéré, mais il a encore envie de donner.
Alors il recule un peu. Il écrit son nom dans le sable, avec un P qui a l'air de tomber en avant, un E qui le rattrape avec ses petits bras, un R qui a envie de jouer avec le souaffle qu'est ce petit coquillage, un C qui se recroqueville un peu sur lui-même, et un Y qui essaie de lever le poing en l'air.
Est-ce qu'il essaie vraiment de transpercer le ciel, ce Y ? Percy a plutôt l'impression qu'il ouvre les bras à la mer.