C’est étrange, cet état de semi-conscience ; quand on est sur le point de se réveiller, mais que l’esprit est encore plongé dans le dernier rêve. On a encore les yeux fermés et on réalise à peine que la scène qu’on vient de vivre, qui paraît pourtant si réelle, n’était qu’un rêve.
Cette nuit, comme toutes les nuits depuis quarante-deux jours, Harry a revécu la bataille dans son sommeil. Il lui faut un certain temps d’adaptation au réveil. Ron n’a pas été tué dans l’effondrement de la tour d’astronomie. Dans son rêve, il aidait Remus à porter le frêle corps de Colin. Colin est bien mort, mais Remus aussi.
Hermione dit que rester à Poudlard ne l’aide pas forcément à éviter les rêves, mais il refuse de croire qu’elle a raison. Et puis, quand il n’y pense pas, il se sent bien ici. Utile. Et avouons-le, il n’a nulle part ailleurs où aller.
Il se lève, cherche ses lunettes à tâtons sur la table de chevet et une fois sa vision nette, il parcourt le dortoir des yeux comme s’il le voyait pour la première fois en scrutant chaque recoin. Près du premier lit à baldaquin, Seamus et Dean ont fait de nombreuses batailles d’oreillers. Sur le rebord de la fenêtre, ils ont mangé quantité de Chocogrenouilles et autres friandises. Sur son lit, Ron s’est empiffré de Fondants du Chaudron fourrés à l’Amortentia avant de tomber éperdument amoureux de Romilda Vane… Ses souvenirs l’aident à se focaliser sur ce qui est réel quand la frontière est si mince entre la réalité et ses cauchemars.
Harry se dirige vers la petite table installée au pied du lit de Ron. Il lit en diagonale les parchemins déjà noircis de son écriture. Il ne sait pas trop pourquoi il s’est mis à tenir ce journal. Il ne l’a montré à personne, et puis il est seul à occuper le dortoir. Kreattur lui apporte du linge propre, mais l’elfe est inhabituellement discret, se contentant de parler pour demander si son maître a besoin de quoi que ce soit.
4 mai 1998. Jour 2. J’ai dormi longtemps, je crois. Peut-être suis-je encore en train de rêver. Hermione est partie au Terrier avec les Weasley.
9 mai 1998. Jour 7. Aujourd’hui, on a mis Fred en terre. Il y en a eu déjà beaucoup trop.
Il caresse la plume du bout des doigts, se demandant vaguement ce qui se passera dans la journée qui vaille la peine d’être couché sur le papier. Il s’habille en vitesse et quitte le dortoir.
Le professeur McGonagall est dans la Grande Salle, en train de superviser la reconstruction du plafond magique. Jour après jour, l’école retrouve son visage même si Harry sait très bien que certains endroits seront irréparables. Il porte aux travaux un intérêt peu prononcé, cependant il sait que c’est important et s’efforce parfois de venir donner un coup de main. Mais aujourd’hui, il n’est pas tellement d’humeur. Il a besoin d’air.
Faisant un détour par les cuisines pour se servir un petit-déjeuner, il emporte sa tasse de café dans le parc. A quelques jours du début de l’été, le soleil est déjà au rendez-vous et la température matinale très agréable bien qu’une légère brise fasse danser les feuilles des arbres. Arrivé près du lac, Harry s’installe au pied du hêtre sous lequel il a vu dans la Pensine son père et ses amis se détendre après leurs B.U.S.E. de Défense contre les forces du Mal. C’est très vite devenu une habitude, le petit café du matin. Il s’enivre de son odeur, le nez à quelques millimètres de la surface du liquide encore bien chaud qui produit de la buée sur les verres de ses lunettes. Puis il porte le rebord de la tasse à ses lèvres et aspire la première gorgée. Il laisse le goût amer se répandre dans sa bouche avant de l’avaler, savoure la chaleur descendre dans sa gorge puis recommence. Il apprécie pleinement cet instant, le respectant scrupuleusement sans se lasser de son contexte répétitif. C’est rassurant pour lui de savoir que peu importent les difficultés rencontrées à la reconstruction de Poudlard, peu importent les visites inattendues des personnes de son entourage et les décisions parfois radicales ou inexplicables qu’elles prennent et lui annoncent comme si ce n’était rien, Harry a toujours son café sous son hêtre tous les matins depuis quarante-deux jours.
Il y a tellement de choses, de choix à faire et chaque jour, Harry les repousse au lendemain. Il a déjà pris beaucoup de décisions ces derniers temps. Il voudrait juste qu’on lui fiche la paix, et une partie de lui sait à quel point c’est puéril. Il n’en parle à personne parce qu’il redoute les malentendus. Il ne veut pas que la vie s’arrête – au contraire, il s’est suffisamment battu pour qu’elle continue, il veut simplement pouvoir continuer à boire son café au bord de l’eau. Et il sait que la prochaine décision qu’il prendra pourrait bien mettre un terme à ce rituel.
La dernière gorgée de café est plus amère que toutes les autres, précisément parce que c’est la dernière. A partir de cet instant, il n’est plus maître des événements qui rythmeront sa journée. Il fait disparaître sa tasse d’un coup de baguette et la seconde suivante il entend des bruits de pas. Il ne se retourne pas, ne voulant pas que son visiteur croie qu’il est curieux de savoir qui vient le voir. Il sait qu’il ne craint pas grand-chose, l’accès à Poudlard étant réservé à une liste très restreinte de personnes, scrupuleusement choisies par McGonagall. Elle a bien compris que Harry a besoin de tranquillité. La plupart des indésirables ont fini par se lasser, après plus d’un mois. Il reste tout de même quelques irréductibles devant les grilles, attendant qu’il sorte de son terrier.
– Belle matinée à vous, Monsieur Potter.
– Elle l’était.
L’inconnu lui tend une main qu’il serre sans prendre la peine de se lever. La poignée est ferme mais amicale. Harry observe l’homme d’une quarantaine d’années, les cheveux mi-longs et une barbe qui accentue un regard dur.
– C’est un endroit bien tranquille, ici.
Harry ne répond pas. Oui, c’est tranquille. C’est d’ailleurs pour ça qu’il est là. L’eau du lac a un effet apaisant sur lui en dépit de tous les mauvais souvenirs qu’il lui rappelle. La scène dans la Pensine au bord de cette même étendue d’eau ; celle dans laquelle il ont plongé du haut d’un dragon en plein vol, il y a quelques jours de cela… Mais il aime ce lac, parce qu’il est un peu comme lui : calme et posé en surface, pourtant dès que quelque chose à l’intérieur de lui vient poser problème, les vagues se forment et ça finit parfois en raz-de-marée. Il repense notamment au moment où sa patience a littéralement explosé dans le bureau de Dumbledore.
Mais si lui s’est volontairement installé près du lac, il doute que discuter à ce propos soit la raison de la venue de l’inconnu.
– Excusez-moi, Monsieur… ?
– Gawain Robards…
Il laisse sa phrase en suspens, et Harry comprend qu’il attend de se faire reconnaître. C’est le cas, pense-t-il, même s’il n’aurait jamais pu le deviner ; la seule fois qu’il a vu Robards, c’était sur une photo, il avait les cheveux courts et la barbe rasée de près.
– Je me demandais justement quand vous viendriez me rendre visite. Je commençais à croire que vous ne vouliez plus de moi maintenant que j’ai vaincu Voldemort.
Robards se met à rire.
– Bien au contraire. Je ne voulais pas vous voir trop tôt, parce que j’avais un peu peur que Scrimgeour m’ait fait de la mauvaise pub quand il vous a parlé de moi à Noël, juste après nos nominations respectives.
Harry pince les lèvres en se rappelant la conversation avec l’ancien ministre au Terrier alors qu’il était en sixième année. Il lui avait proposé de venir au Ministère de temps en temps pour faire croire qu’il était en accord avec ses décisions.
– La session démarre bientôt. C’est exceptionnellement tôt, cette année, mais nous n’avons pas trop le choix. Vous savez tout ce qu’il y a à savoir, je crois. C’est toujours ce que vous voulez ?
Harry hausse les épaules, le regard tourné vers le lac, à la surface duquel se forment quelques vagues. Le calamar géant est probablement quelques mètres en-dessous, en train de chasser un ou deux Strangulots partis s’aventurer hors de leurs algues un peu trop tôt.
– Je devrai passer mes A.S.P.I.C. avant ?
– Seulement si ça a de l’importance pour vous. Vous savez où me trouver. Bonne journée, Monsieur Potter.
Le soir tombé, Harry a une longue conversation avec McGonagall lors du repas sous le plafond magique à nouveau fonctionnel. A l’apparition du dessert, le ciel s’obscurcit un peu plus et les chandelles s’allument ; leurs flammes révèlent le sourire de la directrice indiquant qu’elle est satisfaite de la décision de son élève, et heureuse pour lui. Avant l’annonce, il a pensé qu’elle serait probablement triste de ne plus le voir traîner dans le château, mais elle lui confie qu’elle savait que ce n’était qu’une question de temps. D’ici peu, l’école accueillera les élèves de cinquième et septième année pour quelques semaines de cours de rattrapage suivies d’une semaine d’examens, et Harry perdra définitivement sa tranquillité. Il réalise alors que c’est précisément ce pour quoi il est resté à Poudlard après la bataille au lieu de suivre Hermione chez les Weasley. Là où il va, il n’aura pas plus de repos, bien au contraire, mais il sait que c’est le bon choix. Celui qui le fait aller de l’avant.
Lorsqu’il retourne dans son dortoir, exténué, Harry en oublie presque la plume qui l’attend sagement sur la table. Avec un pincement au cœur, il la fait rouler entre ses doigts avant d’écrire.
13 juin 1998. Jour 42. Aujourd’hui, j’ai pris ma décision : je vais rejoindre les rangs des Aurors.
Après de nombreuses idées, bannières et tentatives pour ce premier thème, je vous présente Harry.
Merci à Vegeta et Vio pour leurs corrections, idées et conseils.
Merci à toute la bande des Pouffys pour l'esprit d'équipe et tout le reste. On va passer un super été, c'est certain !
Le titre est un vers emprunté à De Palmas dans sa chanson Au bord de l'eau.
Merci d'avoir lu !
Une review en échange d'un p'tit café au bord du lac avec Harry ? ^^
N'oubliez pas d'aller voter pour le thème 1 du 6 au 10 juin !