Parvenu à Leicester Square, il descendit du métro pour se rendre sur Charing Cross Road. Ses pas le conduisirent mécaniquement jusqu'au Chaudron Baveur. Là, il s'arrêta quelques instants pour reprendre son souffle. Une fois le seuil du pub franchi, il ne pourrait plus faire marche arrière. Il retrouverait le monde sorcier, ce monde qu'il avait cherché à fuir sans succès. Seulement, Zacharias Smith n'était pas le genre à perdre son temps en appréhensions inutiles. Sa décision était prise. Une seconde plus tard, il poussait la porte de l'établissement.
Il s'apprêtait à traverser la salle d'un pas vif, ne croiser le regard de personne, avant de se rendre sur le Chemin de Traverse où il n'aurait vraisemblablement aucun mal à se fondre dans la foule. C'était sans compter sur un léger imprévu...
"Zach, c'est bien toi ?" s'exclama quelqu'un de l'autre côté du bar, d'une voix incrédule mais dont les accents lui étaient familiers.
Il se retourna alors, et se retrouva face à une Hannah Abbot en train de le dévisager.
"Je n'arrive pas à y croire." dit-elle, une main sur la bouche. Contournant le bar, elle vint à sa rencontre. "Mais dis quelque chose, enfin !
– Hannah..., fut la seule chose qu'il parvint à articuler. Qu'est-ce que... tu fais là ?"
C'était à son tour de la dévisager. Hannah, sa camarade, son amie. Il ne l'avait pas vue depuis... Il ne savait même plus. Sans doute depuis leur dernière année à Poudlard, juste avant la Bataille. Mais désirant repousser les douloureux souvenirs liés à l'évènement, il préféra se concentrer sur le présent.
"Ce serait plutôt à moi de te poser cette question, tu ne crois pas ?"
Sa réaction le fit sourire, et il ouvrit la bouche pour répondre.
"Je... je voulais me rendre au cimetière."
Il ne souriait plus, et Hannah non plus. Elle se contenta de hocher la tête sans rien dire, compréhensive. Entre eux il n'y avait pas besoin de mots. Elle ne commettrait pas l'affront de lui demander s'il y allait pour une personne en particulier. Non pas qu'elle connaisse la réponse, mais chaque personne qui avait connu la guerre avait perdu quelqu'un. Le deuil avait marqué toute leur génération. Elle ne ferait rien qui puisse le blesser. Le silence était dès lors la plus haute marque de respect.
"D'ailleurs, je...
– Oui, va, je ne voulais pas te retenir ! le coupa-t-elle, avant de reculer d'un pas. A plus tard, alors, peut-être ?
– A plus tard, Hannah." répondit-il sans réfléchir.
Il la regarda s'éloigner pour prendre la commande d'un client, puis se retira à son tour.
Le vent balayait l'herbe du cimetière de Pré-au-Lard. Il marchait paisiblement, le nez en l'air, humant les senteurs qui lui parvenaient. Les lieux n'avaient que très peu changé depuis sa dernière visite du village, quand il n'était encore qu'un élève. Il était venu par ici, quelques fois, embrasser un moment de solitude bienvenu. A vrai dire, une seule chose avait réellement changé : le nombre de tombes. Celui-ci avait doublé, il lui semblait. Et les noms devant lesquels il passait n'étaient pas toujours ceux d'inconnus.
Dans cet environnement entièrement sorcier, il savait qu'il faisait tâche. Hannah ne lui avait rien dit, mais il avait lu l'incompréhension dans ses yeux. Comment peux-tu t'habiller comme un moldu ? Les commerçants avaient échangé des regards en le voyant arriver, avec son jean, et sa veste marron trop grande pour lui. Il ne s'était pas arrêté et avait traversé la rue avec l'air de celui qui sait où il va. Rapidement, on l'avait oublié.
Zacharias s'arrêta enfin. A l'extrémité sud du cimetière, il l'avait enfin trouvée. Une pierre solitaire, atrocement ordinaire. Nulle fleur pour l'égayer ; nulle plaque, nulle gravure pour rendre hommage à celle qui était enterrée là.
1980-2009
Evidemment, quel hommage y aurait-il à rendre ? Il s'assit par terre, le dos appuyé contre la tombe. Ses parents avaient été jugés et envoyés à Azkaban. Elle y avait échappé, mais son front était marqué à tout jamais. Pansy Parkinson, celle qui avait voulu livrer Harry Potter. Tombée malade, elle était morte deux mois auparavant. C'était ce que Zacharias avait appris en tombant par hasard sur un vieil exemplaire de la Gazette.
"Ils t'ont tuée." Les mots s'échappèrent de sa bouche, acides.
Il la revoyait au bras de Drago Malefoy, s'efforcer de s'intégrer à une société qui ne voulait pas d'elle. A cette époque, une dizaine d'années auparavant, quelque chose chez elle l'avait marqué. Ils avaient discuté, soirée après soirée. Ils avaient dansé. Ces moments étaient comme une ancre dans le flux confus de ses souvenirs. A chaque fois qu'ils se voyaient, le moindre détail semblait receler une vérité libératrice. Le thé sur la table. Sa tête sur son épaule. Ses larmes silencieuses. Ils vivaient fort, intensément. Et pourtant, ils ne vivaient rien. Leur histoire n'était qu'une suite d'instants volés, de minutes pitoyables. Parce que le monde avait fait d'eux des intrus, des anomalies.
Il ne pouvait plus y vivre, plus le voir. Derrière ses vêtements et lunettes de moldus, il avait coupé tout ce qui le rattachait au monde sorcier. Il était devenu ordinaire, une silhouette dans la masse moldue de Londres. Là, au moins, la guerre n'avait pas frappé. On ne débattait pas entre oubli et mémoire, entre pardon et justice. On ne divisait pas le monde entre traîtres, lâches et héros. Dans les journaux qu'il lisait, aucune mention n'était faite du glorieux Harry Potter, le Sauveur, et de ses innombrables qualités. Ici, on avait fait de lui une figure mythique, lui, ce garçon que Zacharias n'avait considéré à l'époque que comme un pauvre type égocentrique.
Rien ne le retenait dans ce monde. Il avait pourtant essayé de se construire un avenir, une vie. Rédacteur à la Gazette, qu'il était devenu. Mais il était trop pragmatique pour faire abstraction des mensonges quotidiens, ces mensonges qui ne faisaient que le repousser à la marge.
"Je ne veux plus voir ce monde."
Il ôta ses lunettes, les déposa sur la terre à côté de lui. La monture était des plus classiques, en plastique noir, et tranchait avec toutes celles qu'il avait pu croiser dans sa vie de jeune sorcier. C'est pour cela qu'il l'avait choisie : des lunettes moldues, pour une existence moldue.
"Je ne veux plus... Je ne peux plus..."
Il se demanda ce que Hannah aurait pensé, s'il lui avait dit qui il était venu voir. Elle n'aurait sans doute jamais pensé qu'il puisse connaître Pansy. Peut-être aurait-elle exprimé sa surprise, avec éventuellement une pointe de déception. Peut-être n'aurait-elle rien dit, car après tout, elle n'était pas le genre de personne à juger sans connaître.
En vérité, ce n'était là que de piètres tentatives pour s'occuper l'esprit. Maintenant qu'il avait sauté le pas, qu'il était revenu dans ces lieux empreints de magie, et que lui même s'en était servi pour transplaner jusqu'ici... Il se sentait plus seul que jamais. Un déraciné de retour dans sa terre natale, mais tout autant coupé de celle-ci que s'il n'était pas revenu.
Penchant la tête en arrière, Zacharias ferma les yeux.
A son réveil, il replongerait dans l'oubli.