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Si Theodore avait encore quelques doutes sur ce qu�il convenait de dire ou non � son p�re � propos de ce qu�il ressentait depuis plusieurs mois d�j�, lorsqu�il le reverrait pour No�l, ces doutes avaient �t� violemment gomm� � la lecture de cette lettre. D�ailleurs, il ne l�avait pas m�me termin�e. Il n�imaginait que trop bien ce qu�elle pouvait encore contenir.
L�essentiel �tait l��: son p�re ne tol�rerait pas de le voir s�engager dans un camp qu�il consid�rait �tre celui des perdants. S�il venait jamais � apprendre ce que Theodore avait fait quelques jours auparavant� Le jeune homme ne pr�f�rait m�me pas y penser.
Il froissa doucement la lettre dans sa main et h�sita un instant � laisser la brise l�emporter. Du haut de la tour d�astronomie, elle rejoindrait probablement l�herbe tremp�e de ros�e matinale ou le lac que le gel faisait scintiller. Probablement serait-elle illisible. Mais il ne voulait pas prendre le risque que quiconque puisse la ramasser et la lire. Elle ne contenait, certes, rien de particuli�rement compromettant, en tout cas pas dans un ch�teau o� r�gnaient en ma�tre des Mangemorts. Seulement, le caract�re taciturne que lui pr�taient volontiers un tr�s grand nombre d��l�ves de sa propre maison ne lui �tait pas tout � fait �tranger. Les personnes avec lesquelles il avait d�j� abord� le sujet de sa famille se comptaient sur les doigts d�une main dans ce ch�teau, et encore n��tait-il jamais all� bien loin. La simple id�e qu�un inconnu puisse lire une lettre r�dig�e par son p�re lui semblait �tre horrifiante.
Aussi la glissa-t-il dans sa poche, � peine quelques secondes avant qu�un bruit de pas ne r�sonne derri�re lui. Le son �tait furtif, mais un silence presque gla�ant r�gnait dans la tour et les pas �taient suffisamment proches pour que Theodore n�ait qu�� tendre l�oreille pour les distinguer nettement.
Il s�appr�tait � ramasser son sac �chou� � ses pieds et � le jeter rapidement sur son �paule avant de s�en aller lorsqu�une porte s�ouvrit � la vol�e et qu�une silhouette presque dissimul�e par une �paisse masse de cheveux longs surgit devant lui. Elle se dirigea en sautillant vers la fen�tre ouverte, ne paraissant pas lui pr�ter la moindre attention. Ses mains se tendirent au-dehors comme si elles essayaient de capturer le vent, de se nourrir de la fra�che brise matinale. Theodore songea un instant qu�il �tait stupide, de penser une telle chose, qu�aucune personne sens�e ne chercherait � capturer le vent.
Mais il �tait face � Luna Lovegood et cela lui semblait �tre au contraire une activit� digne de la jeune fille. �
Son sac �tait toujours � ses pieds. Il aurait pu s�en aller, il �tait certain que Luna n�en serait pas pour autant sortie de sa contemplation. Son regard �tait cependant ostensiblement attir� vers la personne qui se trouvait � ses c�t�s et qui paraissait �tre une enfant. Une part de lui admirait cette capacit� qu�avait Luna � regarder le monde comme si elle le d�couvrait, et ainsi � s�en �merveiller chaque jour davantage. Lui, au contraire, le voyait chaque jour un peu plus sombre et la vue que lui offrait la tour d�astronomie ne lui avait jamais paru �tre aussi d�plaisante que quelques minutes auparavant, lorsqu�il lisait la lettre de son p�re. Il se demanda comment aurait r�agi Luna. Il avait assist� suffisamment de fois � des sc�nes durant lesquelles des �l�ves, aussi bien de Serpentard que des autres maisons, s��taient moqu�s d�elle et avaient cherch� � la ridiculiser. Jamais elle n�avait paru �tre touch�e par ces remarques, quand la vue d�un banal paysage semblait la remuer profond�ment.
Lui, au contraire, se fichait �perdument du paysage quand la lecture d�une lettre le chamboulait suffisamment pour l�isoler de quiconque des jours durant.
Mais c��tait Luna.
Et il ne serait jamais comme elle, alors � quoi bon essayer ne serait-ce que de la comprendre�?
Il avait � peine esquiss� un geste pour quitter cette pi�ce que Luna, comme si elle ne r�alisait que maintenant la pr�sence d�une autre personne � ses c�t�s, pronon�a une phrase qui le figea presque instantan�ment�:
- C�est tr�s gentil ce que tu as fait pour Terry.
A quelques jours � peine de No�l, son pire cauchemar �tait-il en train de se r�aliser�? Le bruit de son geste insens� allait-il parvenir jusqu�aux oreilles de son p�re�? Et, ce qui �tait peut-�tre ce qui lui faisait le plus peur, quelle conclusion celui-ci allait-il en tirer�?
- Il ne voulait pas croire au d�but que ce soit toi qui aies pu faire �a, mais je pense qu�il te remercierait de vive voix s�il le pouvait maintenant.
S�il le pouvait. Voil� bien o� commen�ait et o� se terminait le probl�me. S�il le pouvait, Theodore enverrait une lettre � son p�re dans laquelle il lui confierait tout ce qu�il avait sur le c�ur. Il lui dirait qu�il ne comptait pas rejoindre le moindre clan, tant celui des Mangemorts que celui de l�Ordre, et ce m�me si une bataille devait �clater -surtout si une bataille devait �clater. Il ajouterait aussi qu�il �tait inutile de s��vertuer � organiser des r�ceptions au manoir � chaque fois que Theodore s�y trouvait, au moins tout aussi inutile que d�y inviter notamment les jeunes filles de son cercle de connaissances. Parce que toutes ces jeunes femmes �taient certes charmantes, bien �duqu�es et parfois m�me capables de soutenir des conversations tr�s int�ressantes, mais�
Elles �taient des filles.
S�il le pouvait.
- Il a peur de t�attirer des ennuis, s�il s�approche de toi, continua Luna de sa voix douce comme si elle lisait dans ses pens�es. Sinon, tu imagines bien qu�il t�aurait d�j� remerci�.
Elle se tut un instant, puis Theodore aurait jur� voir ses l�vres se mouvoir sans que le moindre son de conversation ne parvienne � ses oreilles. Elle ferma les yeux, un instant, et alors elle lui faisait penser � lui, lorsqu�il �tait plus petit.
Il �tait un enfant solitaire, il avait toujours �t� ainsi, et �a n�avait pas �t� en s�am�liorant lorsqu�il avait grandi. Les ann�es passaient sans que son cercle de connaissances ne s��largisse, et ce malgr� les efforts parfois d�sesp�r�s de son p�re qui souhaitait ardemment voir son fils se hisser au plus haut de la soci�t�, � d�faut de rejoindre les Mangemorts aussi rapidement que le fils Malefoy -celui-ci, de toute fa�on, n�avait pas la trempe d�un v�ritable combattant, pas comme son cher Theodore l�aurait un jour. En fait, Theodore se demandait parfois si les efforts acharn�s de son p�re n�avaient pas eu exactement l�effet inverse, s�ils n�avaient pas profond�ment d�go�t� son seul et unique fils de la vie en soci�t�, et plus particuli�rement de cette soci�t� que devait fr�quenter sa famille. Alors il avait pris une habitude, une habitude qui n�avait encore jamais �t� trahie et pour cause, il ne l�avait pas confi�e � qui que ce soit.
Plus les jours passaient, et plus ils se faisaient tristes, plus Theodore s�imaginait qu�ils �taient de beaux jours.
�a n�avait l�air de rien au d�but. Une conversation avec son p�re durant laquelle celui-ci lui arrachait la promesse de venir � une �ni�me r�ception se transformait en une confrontation au cours de laquelle Theodore r�ussissait � convaincre son p�re de l�inutilit� de ces soir�es. Et puis les jours s��taient fait de plus en plus durs et alors Theodore les avait r�v�s de plus en plus beaux, pour compenser. Il n�arrivait pas � vaincre sa timidit�. La solitude seule le comblait � Poudlard. Il ne souhaitait pas suivre les traces de Malefoy. Il ne deviendrait jamais un Mangemort. Il n��pouserait pas une femme. Et�
Et Terry.
- Parfois, je me dis que tout va vraiment tr�s mal. Et surtout, de plus en plus mal, reprit alors Luna en parfait accord avec le fil des pens�es de Theodore. Nos amis qui ne sont plus l�, nos amis qui n�ont plus le droit d��tre l�, les Carrow, et leurs punitions, et ceux qui restent et en payent le prix� Mais ce qui est magnifique, c�est qu�en d�pit de toute cette peine et de toute cette douleur, le monde me para�t �tre chaque jour un peu plus beau. Je remarque certains de ses aspects que je n�avais encore jamais saisis, comme cet oiseau dans le ciel qui se fond avec gr�ce dans l�horizon. Je ne l�avais jamais vu avant, et je ne le reverrai jamais ainsi apr�s. Mais il viendra toujours quelque chose pour le remplacer. Quelque chose qui fera que les jours me para�tront beaux, plus beaux m�me. Ce sera peut-�tre le sourire d�un ami me tendant mon pot de confiture favori au petit-d�jeuner, le regard complice d�un professeur me surprenant discuter de l�AD sans aller le rapporter aux Carrow comme il le devrait�
C��tait dr�le, Theodore n�aurait jamais pens� pouvoir un jour se sentir proche de Luna Lovegood. Il comprenait pourtant aujourd�hui avec une parfaite clart� ce qu�elle lui disait, et ce m�me s�ils restaient bien diff�rents. Lui ne transformait ses mauvais jours que par la pens�e, les r�ves de jours meilleurs. Elle les transformait v�ritablement, en captant des moments ou des images a priori insignifiants et en en faisant de beaux moments et de belles images.
On lui avait si souvent pr�sent� cette fille comme �tant folle, perdue dans quelque r�ve trop grand pour elle. Mais des deux personnes qui se tenaient dans cette pi�ce, elle n��tait pas celle qui vivait dans les r�ves.
Parce que ses r�ves, elle avait cet incroyable pouvoir de les rendre vivants.
Et c��tait probablement cela, le secret de Luna Lovegood, cette capacit� qu�elle avait � rester impassible face aux remarques et critiques des gens qui l�entouraient.
- Ce sera aussi un Theodore Nott stup�fixiant la Carrow pour l�emp�cher d�attraper Terry Boot au risque d��tre r�pudi� par son propre p�re.
Elle ne regardait plus le paysage. Cette fois, ses yeux presque trop grands pour elle �taient plant�s dans les siens et il se demanda si ce n��tait pas une invitation � la parole. Il n�avait toujours pas prononc� le moindre mot depuis qu�il �tait ici.
- Comment peux-tu savoir ce que pense mon p�re�?
Il avait bien conscience d��ter ainsi � la conversation l�aspect quelque peu f��rique que lui avait donn� Luna, mais c��tait apr�s tout pour cette raison qu�il se tenait l� et qu�il avait pu croiser la jeune fille. Parce qu�il ne voulait pas que qui que ce soit puisse en apprendre plus qu�il ne le devait sur sa famille.
- Je l�ai combattu il y a deux ans, dit Luna en haussant les �paules comme si �a n�avait pas d�importance.
Theodore se sentit soudain tout petit. Il avait oubli� cette bataille au Minist�re � laquelle avait pris part son p�re, ou en tout cas l�avait r�v�e inexistante. Il se souvenait encore moins qu�une gamine comme l��tait Luna � l��poque y avait particip�. Lui n�avait jamais rien fait de plus extraordinaire que de stup�fixer la Carrow, et la sensation de peur qui s��tait alors empar�e de lui ne l�avait toujours pas quitt� depuis.
- J�ai beaucoup d�admiration pour les gens qui arrivent � passer outre les id�es de leurs parents. �a doit demander beaucoup de courage.
- Se battre � pas m�me quinze ans aussi, j�imagine, dit Theodore.
Et ce fut un sourire complice qu�ils �chang�rent, au grand bonheur de Luna qui en ferait la beaut� de sa journ�e, et � l��tonnement de Theodore qui pour la premi�re fois depuis des jours ressentait de la fiert� quant � ce qu�il avait fait.
Lorsqu�ils se quitt�rent quelques instants plus tard, ce fut en sautillant que Luna disparut au d�tour d�un couloir et cela lui arracha un sourire. Faible, certes, mais un sourire quand m�me.
La lettre de son p�re n��tait plus dans sa poche. Le papier froiss� s��tait envol� au gr� de la brise matinale et avec un peu de chance il tomberait dans le lac o� personne n�irait jamais le chercher. Sinon, il y aurait toujours la ros�e pour le rendre illisible et ce serait tr�s bien ainsi. Personne ne le lirait et pas m�me Theodore, qui ne connaissait que trop bien ces lignes qui l�avaient hant� si souvent. Elles continueraient certainement, d�ailleurs. Le temps pour Theodore de parvenir � les effacer ou du moins, � les ignorer.
Mais pour l�heure, Terry Boot lui adressait un signe de la main depuis la table des Serdaigle et m�me si ce signe �tait des plus discrets, Theodore se dit que c��tait bien suffisant pour faire de ce jour un beau jour.