Ce fut lorsqu’un énième rayon doré vint rebondir sur sa chevelure que Neville mesura pleinement la noirceur qui avait encombré son cœur presqu’un an durant.
Lorsque deux paires d’yeux jaunes la fixèrent simultanément qu’Hannah réalisa ce qu’elle souhaitait réellement.
Lorsqu’une splendide esquisse printanière s’offrit à lui que Dean colora instantanément les jours qui s’étaient écoulés jusqu’à présent.
Et lorsque les sourires de ses amis lui parvinrent que Luna caressa doucement les roses qu’ils lui avaient offertes un instant auparavant.
Ils étaient partis tôt ce matin de printemps.
- Une belle journée, ça se mérite !
Mériter ses journées, Neville s’y acharnait depuis des mois déjà. Les lendemains de guerre l’avaient laissé empreint d’un profond sentiment de culpabilité dont il ne parvenait guère à se défaire. Rien, pas même la vue de ses amis étendus dans un coin de la Grande salle et sobrement recouverts de draps blancs, ne suffisait à justifier à ses yeux les sorts employés un soir de printemps précédent. S’il était incapable de l’affirmer avec exactitude, Neville savait, comme une de ces vérités que l’on inculque aux enfants dès leur plus jeune âge, que sa baguette avait tué cette nuit-là. Peu importait que cela soit indirectement, peu importait qu’il n’ait jamais voulu tout ça, peu importait que son seul souhait cette nuit-là ait été de sauver le plus de personnes possible parmi lesquelles les gens qu’il aimait. Neville était un meurtrier, c’était la vérité. C’était la vérité quand Hannah tentait de le persuader du contraire, c’était la vérité quand Dean lui affirmait qu’il n’avait fait que son devoir, c’était la vérité quand Luna lui montrait la beauté du monde qu’il aurait sauvé cette nuit-là.
Et pourtant, en cette journée de printemps, il lui semblait pour la première fois qu’à défaut de n’être pas coupable de crimes indécemment encensés par la communauté, il était au moins responsable de ce qui était aujourd’hui. Il était responsable de cette journée durant laquelle ils pouvaient sortir loin de Poudlard sans craindre pour leurs vies. Il était responsable de cette journée durant laquelle ils pouvaient laisser Hannah les guider jusqu’à son endroit préféré. Il était responsable de ce monde ensoleillé qui se proposait désormais à tous les enfants du pays, parce qu’il avait combattu le monde obscurci s’imposant l’année passée. Il ne savait pourquoi à cet instant plutôt qu’à un autre, il ne savait si ce sentiment d’apaisement allait durer un temps ou toute une vie, mais au moins savait-il que le repentir est le printemps des vertus.
Alors Neville s’exalta du magnifique temps.
- Oh, quel splendide endroit !
Ce splendide endroit, Hannah ne s’en était plus approchée depuis l’année passée. Pour cause, les sorties dans le village lui avaient été interdites dès le début de l’année après qu’elle eût lancée un sortilège à son « professeur ». Quand bien même sa raison l’aurait emporté sur son sens de l’amitié, elle ne se serait de toute façon jamais risquée dans un endroit si reculé de la moindre aide potentielle. Hannah soutenait ses amis. C’était une Poufsouffle, une vraie, qui prenait la défense de ses camarades injustement bannis du château en risquant au passage bien plus qu’une simple retenue, mais qui n’était pas téméraire. Si elle l’était, elle aurait peut-être osé informer ses professeurs, depuis le début de cette nouvelle année, de sa flagrante absence de motivation quant aux années futures. Mais Hannah soutenait ses amis, et ses amis affirmaient avoir besoin d’elle pour continuer à se battre en faveur d’un monde meilleur. Quoi de mieux, alors, que de devenir Auror ?
Et pourtant, en cette journée de printemps, il lui semblait pour la première fois que son avenir était tout à fait clair. Sa main effleurant l’eau transparente de l’étang, les yeux jaunes de la grenouille la fixant, et ceux de la chouette la survolant, Hannah savait enfin. Ce n’était pas par lâcheté, encore moins par peur, qu’elle ne se plaisait pas à s’imaginer en Auror. N’avait-elle pas fait ses preuves presqu’un an auparavant ? Non, si Hannah espérait un autre avenir, c’est qu’elle se rêvait dans la nature et s’imaginait aux côtés des animaux. Son beau-père rirait certainement de ce qu’il qualifierait de « lubie incompréhensible », ses amis s’étonneraient de ce qui leur paraîtrait être une fantaisie, mais Hannah leur répondrait que la fantaisie est un perpétuel printemps.
Alors Hannah se posa au bord de l’étang.
- Et dire que demain…
Pour eux tous, cela ferait un an demain, et pour Dean, cela ferait dix ans au moins. Il savait qu’il n’était pas très juste, que Parvati faisait encore des cauchemars de ses nuits passées dans le cachot et que Seamus en plaisantait parce qu’il ne pouvait pas encore en parler sérieusement, mais son expérience à lui, il ne parvenait ni à s’en défaire, ni à en plaisanter, encore moins à en cauchemarder. C’était simplement là, comme ça, quelque chose de présent dans son cœur et comme dans son sang. C’était une blessure si profonde qu’elle semblait s’être incrustée jusque dans la moindre parcelle de sa peau pour ne plus jamais en sortir. Pourtant, tant de gens s’étaient évertués à le faire parler. Lui-même essayait sincèrement de mettre des mots sur ce qu’il avait vécu. Mais il n’y arrivait pas, c’était là gravé en lui, c’était là gravé dans sa chair. Sa peur incommensurable et le visage de la mort paraissaient devoir le hanter à tout jamais. Et alors il se sentait différent, différent de tous ses camarades qui eux réussissaient au moins à se confronter à leurs démons, même sans toujours les vaincre.
Et pourtant, en cette journée de printemps, il lui semblait pour la première fois qu’il n’était absolument pas différent des autres. Hannah à ses côtés, Neville sur sa gauche et Luna dans sa vie comme dans son cœur, tous ont connu cette peur qui faisait comme un étau sur sa poitrine. Et que dire de Seamus, qui fut le plus terriblement torturé d’entre eux tous l’année passée. Et que dire de Lavande, pour qui le simple fait de sourire timidement était un combat de tous les instants. Dean a eu peur et Dean a vu la mort. Comme eux tous, comme tous ses amis toujours présents à ses côtés. Demain serait un triste anniversaire. Mais demain, ils seraient tous là. Ses amis dont il savait maintenant qu’ils pouvaient le comprendre et que cela serait sa plus grande force, celle qui lui permettrait d’avancer dans l’hiver à force de printemps.
Alors Dean se sentit une âme de combattant.
- Demain, on sera tous ensemble. Et c’est déjà bien.
Ce ne fut pas Luna qui prononça ces mots, mais ils auraient tout aussi bien pu s’échapper de ses lèvres à elle. Luna était d’accord avec Hannah. D’ailleurs, elle aimait beaucoup Hannah, qui nourrissait les animaux de la forêt et était capable de tous les rassembler autour d’elle. Cela l’amusait tellement, Luna, et cela la comblait, aussi. Il lui semblait que depuis l’année passée, elle avait plus besoin encore de voir ces petits êtres innocents s’animer autour d’elle. Ils étaient un peu la vie qui continuait en dépit du fait qu’elle ait pu croire le contraire. Cette nuit-là, il lui avait semblé que toute son enfance s’était envolée pour toujours. Plus d’animaux et d’histoires fantastiques, plus de rêves et de fantaisies, plus rien d’autre que tout ce qui avait si souvent habité ses cauchemars un an durant. Colin fut peut-être le moment le plus douloureux. Lui aussi, elle l’aimait bien, il avait toujours été gentil avec elle contrairement à beaucoup d’autres. Parfois, il lui demandait même de lui raconter des histoires de Ronflaks Cornus, et il l’écoutait comme elle écoutait sa mère lorsqu’elle était une enfant.
Et pourtant, en cette journée de printemps, il lui semblait pour la première fois que tous ses amis étaient toujours là avec elle et peut-être plus forts encore. N’était-ce pas Colin, caché dans ce verger au loin et dont les rires faisaient écho aux siens lors de leur première excursion ? Ses rêves n’avaient pas disparu une nuit de mai, ils avaient simplement changé. Elle songeait toujours à des Ronflaks et autres créatures merveilleuses, mais ce qui la ravissait avant tout, c’était le souvenir de ses amis, la vue de ses camarades. Luna s’était souvent sentie seule, à Poudlard. Ce n’était pas grave, elle ne se plaignait pas. Mais maintenant qu’elle caressait machinalement la couronne de fleurs offerte par ses amis et qui ornait sa chevelure, elle se disait qu’une fille sans ami est un printemps sans rose.
Alors Luna tournoya en riant.
Et le lendemain, tous se levèrent presque gaiement pour une nouvelle journée de printemps.