Un matin, au lieu de s��veiller dans sa chambre, o� pendaient ses v�tements color�s et les portraits de ses amis, Luna se retrouva dans une grande clairi�re o� sa robe d��t� faisait une t�che de couleur parmi les �pais feuillages. En ce lieu coulait une lumi�re si douce qu�elle cr�t ne jamais l�avoir perdue. Et au pied d�un grand ch�ne, un gar�on dessinait, le dos tourn�, semblant attendre son arriv�e.
En effet, lorsque ses pas firent bruire l�herbe menue qu�elle enjambait presque gaiement, le gar�on se retourna et sembla se perdre dans son regard.
C��tait Dean.
Lui semblait soucieux, Luna connaissait bien d�sormais ce petit pli entre ses sourcils. Il dessinait cependant, et c��tait une bonne chose, parce que cela voulait dire qu�il savait voir � nouveau le monde enchant� qui les entourait.
- O� vas-tu de si bon matin ? lui demanda-t-il.
- Je me rends � une f�te, r�pondit-elle naturellement.
C��tait dr�le, elle ne savait pas qu�elle �tait invit�e quelque part avant que ces mots ne s��chappent de ses l�vres roses. Cela lui paraissait maintenant �tre une �vidence, une de ces �vidences qui l�avaient toujours accompagn�e, comme les Ronflaks Cornus et toutes les cr�atures merveilleuses qu�elle �tait certaine de croiser sur son chemin.
- C��tait hier, Luna.
Mais la jeune femme ne l��coutait plus, d�ailleurs ses cheveux lumineux lui tombaient sur le visage et lui couvraient les yeux. Elle riait de cette temporaire c�cit� comme personne d�autre ne pourrait sans doute le faire. Et pour cause, Luna n�avait pas besoin de regarder le monde pour en conna�tre les enchantements. M�me derri�re ses yeux clos, un univers fait de mille couleurs splendides devait l�accaparer toute enti�re.
Puis les feuilles se mirent � bruire comme les brins d�herbe, parce que Luna laissa �chapper des �clats de rire qui r�sonn�rent dans la clairi�re. Elle e�t envie de reprendre sa marche joyeuse, de se rendre � cette f�te dont elle ne connaissait l�emplacement et qui ne lui avait pourtant jamais paru aussi r�elle. Elle ne put cependant s�y r�soudre tout � fait, parce qu�elle sentait comme une ombre sur son beau tableau color� et qu��trangement, cet ombre �tait son ami.
- La f�te est termin�e, Luna. C��tait hier, r�p�ta Dean d�une voix un peu absente.
Si Luna ouvrait les yeux, elle verrait que le dessin de Dean repr�sentait des formes terrifiantes qui paraissaient devoir tout d�vorer sur leur passage. Ces formes �taient grises et noires, � mille lieux de l�arc-en-ciel sur lequel Luna avait la sensation de se mouvoir depuis qu�elle s��tait r�veill�e dans cette clairi�re. D�ailleurs, o� diable Dean pouvait-il �tre all� chercher une telle id�e ? Faire accoucher ses pinceaux de si sombres pens�es quand tout autour d�eux n��tait que ravissement et f��rie ?
Ses v�tements �taient color�s comme le ciel bleut� dans lequel s�imposait un majestueux soleil m�ridional.
Ses narines se d�lectaient du doux parfum des fleurs alentours -lys, pivoines, tulipes, toutes ses fleurs favorites avaient eu la bonne id�e de pousser au m�me endroit.
La vie �tait un r�ve.
- Je suis d�sol�e Dean, mais tu trompes. La f�te a bien lieu en ce moment, je la sens. Veux-tu la rejoindre avec moi ?
- Sais-tu o� elle a lieu ?
- Dans un domaine tr�s myst�rieux, r�pondit Luna sur un ton �nigmatique.
Elle s�empara de la main de Dean, ne lui laissant pas le loisir de se d�rober � cette unique occasion de rejoindre le domaine. Oui, elle en �tait s�re d�sormais, la f�te ne pouvait avoir lieu que dans un beau domaine de campagne qu�habiterait une splendide jeune fille dont le chant ravirait les oiseaux perch�s sur ses �paules.
- Qu�a-t-il de myst�rieux, ce domaine ?
- Je ne le sais pas. C�est �a qui est amusant, n�est-ce pas ?
Et elle rit, une fois encore, un rire limpide comme la cascade qu�elle entendait au loin. Elle se rendit compte que ses pieds �taient nus et appr�cia d�autant plus cette clairi�re enchant�e o� la ros�e matinale ne s��tait pas encore estomp�e.
Dean, lui, �tait bien content d�avoir pens� � mettre ses chaussures, m�me si Ginny lui avait recommand� de ne pas salir la maison -sa m�re �tait d�j� suffisamment � fleur de peau, depuis les jours maudits. Le parquet �tait vieux et des �chardes s�y cachaient sans doute sournoisement.
- Dean, et si nous nous rendions � cette cascade ? Je crois que le domaine myst�rieux doit se trouver juste derri�re.
Alors Dean fut � nouveau en proie � un dilemme. Lui aussi avait entendu le bruit, celui du robinet qui ne cessait de couler parce que Molly devait s��tre une nouvelle fois fig�e en faisant la vaisselle. Certainement, son esprit s��tait envol� vers un lointain pass� dans lequel ses journ�es �taient faites des rires de ses sept enfants. Or, Dean et Luna �taient les seuls pr�sents � cette heure, et il fallait aider Molly qui les accueillait si g�n�reusement le temps qu�ils retrouvent un foyer.
Ou qu�ils se retrouvent eux-m�mes.
- Luna, je ne veux pas aller � la f�te, dit alors Dean une nouvelle fois. La f�te est termin�e, d�j�.
- Non Dean, �coute, j�entends les premiers murmures au loin. Nous y sommes presque.
Dean les entendait aussi. Ron et Harry rentraient bruyamment, ils avaient donc fini par retrouver George. Dean se demanda si un jour, celui qui n��tait plus que moins d�une moiti� de lui-m�me ne finirait pas par se cacher tellement bien qu�on ne le retrouverait plus.
- Luna�
Cette fois elle le sentit, que son ton �tait diff�rent. Que sa voix �tait s�rieuse, beaucoup trop. Sa main se raidit brusquement, et elle s�empressa de la retirer de la poigne pourtant rassurante de Dean. Pendant un instant, un bref instant, son monde enchant� vacilla, et la clairi�re manqua de dispara�tre au profit d�un long couloir ne pouvant assur�ment que la mener � la mort.
La mort. C��tait impossible, quelque chose d�aussi noir et d�aussi sordide ne pouvait pas venir s�insinuer dans sa clairi�re color�e. Sans aucun doute, c��tait Dean qui l�avait amen�e, Dean et ses sombres pens�es dans lesquelles il voulait � tout prix la voir s�engouffrer elle aussi.
- Cet �cureuil a un air si pur, marmonna-t-elle alors � toute vitesse, et celui-ci, je n�en ai jamais vu � la taille si fine. Il y en a un autre, encore, il a les yeux bleus, ils sont bleus comme le ciel mais je voudrais m�y noyer. Oh, mon domaine doit �tre pr�s, si pr�s, tout pr�s�
C��tait trop tard, Dean l�avait perdue une fois encore. Bient�t, malgr� tous ses efforts, les �cureuils grandiraient, puis lentement d�abord, ils grignoteraient les feuilles, les fleurs, les arbres, et finalement tout le paysage qu�avait r�v� Luna.
En bas r�sonnaient les premiers cris, Ron et Harry devaient avoir trouv� Molly. Depuis le temps, la cuisine �tait probablement inond�e, ils auraient besoin de son aide pour la remettre en �tat avant que les autres ne reviennent pour d�ner, comme dans les familles heureuses.
- Mais pourquoi�
Les �cureuils avaient mang� la clairi�re, la r�alit� avait mang� le r�ve. Dean regarda, impuissant, Luna se laisser glisser le long d�un mur et se recroqueviller, les yeux obstin�ment clos, se refusant d�affronter une peinture autre que celle de ses chim�res.
Et c��tait la m�me Luna qui, la veille, refusait de se rendre � la f�te, aux premi�res comm�morations officielles de la bataille de Poudlard, par trois fois repouss�es du fait du trop grand nombre d�enterrements.
Et c��tait la m�me Luna qui, dans une obscure cave, lui confiait �tre riche, encore, riche de ses chim�res qu�ils ne pourraient jamais lui �ter, tout au plus lui envier pour la force qu�elles lui conf�raient.
Et c��taient ces m�mes chim�res qui avaient fini par la d�vorer.